Une décision par laquelle l’autorité gestionnaire du domaine public maritime met en demeure un occupant de ce domaine, à qui l’autorisation d’occupation temporaire n’a pas été renouvelée, de démolir tous les ouvrages qui y sont établis en application de la disposition expresse contenue dans la dernière autorisation délivrée faisant obligation à son bénéficiaire de remettre les lieux en l’état primitif si l’administration l’exige, n’impose par elle-même aucune sujétion, la source des contraintes que l’occupant se voit obligé de respecter se trouvant dans le code général de la propriété des personnes publiques ainsi que dans l’autorisation d’occupation temporaire dont il a bénéficié. Cette mise en demeure, qui constitue une simple mesure visant à la préservation de l’intégrité du domaine public maritime, n’entre ainsi dans aucune des catégories mentionnées à l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 reprises à l’article L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration et n’avait donc pas à satisfaire aux exigences de motivation prévues par ces dispositions.
La mise en demeure adressée à l’occupant du domaine public maritime devenu sans titre de démolir tous les ouvrages qui y sont établis n’a pas à être motivée
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Décision de justice
CAA Marseille, 7e chambre – N° 19MA00705 – SA immobilière de la Pointe du Cap Martin – 28 mai 2021
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 19MA00705
Numéro Légifrance : CETATEXT000043574533
Date de la décision : 28 mai 2021
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Rubriques
Propriétés publiquesTextes
Résumé
L’occupant sans titre mis en demeure de remettre en état le domaine public
Hélène Meurin
Doctorante au centre de recherches administratives de la faculté de droit d'Aix-en-Provence
DOI : 10.35562/amarsada.238
Les activités commerciales menées sur les plages cristallisent les tensions entre les deux pôles de la domanialité publique : la protection et la valorisation. Cette recherche d’équilibre est une problématique classique de la discipline, et le domaine public maritime en est régulièrement le terrain.
En l’espèce, diverses installations telles qu’une piscine d’eau de mer et une plage artificielle ont été édifiées sur une parcelle appartenant au domaine public maritime, dans le cadre de l’exploitation d’un hôtel. Diverses sociétés se sont succédé pour gérer cette activité depuis 1931. Cette continuité juridique a toutefois matériellement (et occasionnellement) été interrompue par des périodes sans titre. La dernière autorisation a expiré le 31 décembre 1997 et n’a pas été renouvelée. La société occupante sans titre est mise en demeure par une décision préfectorale du 7 juillet 2015. D’une part, elle doit libérer la bande de trois mètres au droit de la limite du domaine public,1 d’autre part il lui faut remettre en état le domaine et donc détruire l’ensemble des ouvrages édifiés.
Contestant cette mise en demeure devant le tribunal administratif de Bastia, la société voit sa requête rejetée et forme un appel. L’appelante avance que les deux mises en demeure sont susceptibles de recours, que l’obligation de motivation leur est applicable et qu’elle n’est pas remplie en l’espèce. De plus, elle construit un argumentaire autour de la propriété des ouvrages litigieux. Étant la dernière société occupante, elle n’est pas à l’origine des équipements et s’est contentée de les utiliser. L’État est devenu propriétaire par accession des ouvrages avant que la société ne soit titulaire d’une autorisation, du fait de l’expiration d’un titre précédent et de l’absence de titre lui succédant.
Les problèmes juridiques présentés à la cour administrative d’appel de Marseille s’articulent donc principalement autour de deux axes. La mise en demeure, dans le cadre d’une contravention de grande voirie, est-elle susceptible de recours et doit-elle être motivée ? Quelle est l’étendue de la charge de remise en état du domaine public et sur qui pèse-t-elle ?
Contrairement à ce que le Conseil d’État considérera par la suite2, le recours contre la mise en demeure est ici recevable. En revanche, la Cour juge que l’acte n’est pas soumis à l’obligation de motivation prévue à l’article L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Concernant les ouvrages édifiés sur le domaine public, la Cour coupe à la racine le raisonnement de la requérante : l’État n’en est pas devenu propriétaire par accession et l’occupation est continue depuis 1931. Les titres successifs mentionnant à la fois un inventaire des installations présentes et une obligation de remise en état primitif, celle-ci est donc à la charge de l’occupant et prend son point de départ en 1931. Si elle ne peut être exigée que dans un délai raisonnable, la cour d’appel saisit cependant l’occasion pour préciser cette notion (et en limiter la portée).
La décision commentée semble isolée, mais présente des points d’intérêt. D’une part, la cour se positionne dans le climat contentieux incertain des mises en demeure (I). D’autre part, elle apporte des précisions sur le statut complexe des ouvrages à l’issue d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public (II).
I. La mise en demeure, objet indéterminé du contentieux administratif
La mise en demeure constitue un cas limite pour les catégories classiques d’actes administratifs. En parallèle, ces mêmes catégories font l’objet d’un changement de paradigme, axé sur les effets de l’acte3. La recevabilité d’un recours intenté contre une mise en demeure est donc incertaine. Si l’acte se limite à mettre en garde en rappelant la réglementation en vigueur, il n’est pas susceptible de recours4. À l’inverse, s’il contient un délai pour adopter ou cesser un comportement sous peine de sanction, il peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir5. La décision commentée cristallise un désaccord autour des mises en demeure préalables à une procédure de contravention de grande voirie. En l’espèce, la Cour considère l’acte comme susceptible de recours, retenant une conception opposée à celle que le Conseil d’État adoptera dans la même affaire6. Ainsi, seule la décision finale prise dans le cadre de la contravention de grande voire pourra être contestée (au détriment de la personne poursuivie), et la mise en demeure ne sera pas instrumentalisée pour retarder la condamnation. Outre des considérations de bonne administration de la justice, le monopole du juge administratif pour prononcer définitivement la remise en l’état semble déterminant pour la haute juridiction. L’administration ne peut par elle-même prononcer cette remise en l’état si les obligations rappelées par la mise en demeure ne sont pas exécutées, cet acte est donc « dépourvu d’effets juridiques propres [et] ne présente pas le caractère d’une décision susceptible de recours »7. Quant à la Cour, elle relève certes que le préfet se borne à rappeler ses obligations à l’occupant sans titre, la mise en demeure n’est donc pas assortie de menace de poursuites. Il n’en est pas moins vrai que le préfet est en situation de compétence liée lorsque des faits constitutifs d’une contravention de grande voirie sont constatés8. C’est ce point fondamental qui peut expliquer la recevabilité du recours aux yeux de la cour d’appel9. Engager des poursuites est une obligation si la mise en demeure n’est pas exécutée : la menace de poursuites serait donc induite, caractérisant ainsi un acte faisant grief. La position de la Cour n’a donc rien d’incohérent, mais ne sera pas suivie par le Conseil d’État.
Si la recevabilité d’un recours intenté contre une mise en demeure est incertaine, il en est de même pour son obligation d’être motivée. La décision commentée apporte des précisions en ce qui concerne les contraventions de grande voirie. La motivation désigne la présence dans le corps même de l’acte des considérations de fait et de droit ayant mené à la décision10. Le principe, en droit administratif, est l’absence d’obligation pesant sur l’administration en la matière11. Depuis la loi du 11 juillet 1979 et l’adoption du CRPA, il existe cependant désormais des catégories étendues d’actes dont la motivation est obligatoire, notamment les décisions individuelles défavorables12, dont la caractérisation est un enjeu en l’espèce. L’article L. 211‑2 du CRPA en dresse la liste limitative13. Au regard de la diversité des mises en demeure, celles-ci peuvent tomber sous le joug de cette obligation ou non. La mise en demeure est susceptible de constituer une sujétion, une atteinte à une liberté, ou encore une mesure de police : la motivation est alors obligatoire14. Elle peut, d’un autre côté, n’être que préparatoire ou informative et n’être soumise à aucune exigence de cette nature. En l’espèce, la Cour écarte le moyen. La mise en demeure énonce certes des contraintes, rappelant que le code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) interdit les ouvrages permanents sur le domaine public maritime et que les autorisations comportent une obligation de remise en l’état. Cependant, ces contraintes sont issues des textes applicables et des titres obtenus, la mise en demeure n’a donc qu’une vertu informative15. La mise en demeure n’impose donc pas de sujétion en elle-même au sens de l’article L. 211‑2 du CRPA, et n’entre plus généralement dans aucune des catégories listées par la disposition. Les juges précisent en outre qu’« en tout état de cause cette décision comporte les éléments de droit et de fait qui la fondent et est donc suffisamment motivée. » Autrement dit, la mise en demeure dans le cadre de la contravention de grande voirie n’est pas soumise in abstracto aux obligations découlant de l’article L. 211‑2 du CRPA. Mais si cela avait été le cas, ces obligations auraient de toute façon été remplies in concreto.
II. Les ouvrages à l’expiration du titre, objets « indésirés » du domaine public
La domanialité publique est un régime protecteur qui implique la destruction des ouvrages édifiés sur le domaine public lorsque le titre d’occupation expire. Le cas de ces installations questionne l’articulation des droits et obligations répartis entre l’occupant et la personne publique à l’issue du titre. La décision de la Cour apporte des précisions quant aux effets de l’écoulement du temps sur la charge de la remise en état : d’une part sur la personne responsable, et d’autre part sur l’étendue de cette charge. Sur le premier point, la société avance que l’État est devenu propriétaire des ouvrages par accession. Comme cela a déjà pu être souligné dans une analyse que nous rejoignons pleinement, l’utilisation du vocable de la propriété dans la jurisprudence administrative n’a, paradoxalement, aucun enjeu attenant directement à la propriété. Il s’agit essentiellement d’identifier l’étendue d’obligations, ainsi que l’identité de celui sur qui elles pèsent16. C’est précisément le cas ici. En effet, entre 1931 et 1998, les périodes d’occupations régulières sont entrecoupées d’épisodes non couverts par un titre, allant d’une durée de deux à huit ans. L’argumentation constitue donc à soutenir que dans le cadre de ces périodes, l’État est devenu propriétaire des ouvrages par accession : la propriété a donc pour enjeu d’identifier la personne en charge de remettre en état le domaine public. L’article L. 2122-9 du CGPPP prévoit qu’en principe les constructions existantes doivent être détruites à l’expiration du titre, sauf disposition contraire ou « renoncement » à la démolition. Le second alinéa, dans la continuité du premier, prévoit que les constructions dont le maintien a été « accepté » deviennent alors « de plein droit et gratuitement » la propriété de l’État. L’affaire présentée à la Cour pose une question d’interprétation de ces termes : qu’advient-il en cas de silence de l’administration ? Les juges ne se prononcent pas explicitement sur ce point, préférant établir une continuité des autorisations qui semble se fonder sur le caractère rétroactif des titres délivrés, et écartant toute acquisition par usucapion (et non par accession). En tout état de cause, l’accession implicite n’apparaît pas comme admise sur le domaine public, là où elle l’est en droit civil17. L’interprétation retenue de l’article est donc celle de l’exigence d’une volonté expresse de l’administration de conserver les ouvrages. Cette différence peut être reliée à l’imprescriptibilité du domaine public : la remise en l’état primitif pouvant être demandée de façon imprescriptible, une telle faculté ne peut être abandonnée qu’expressément18.
Sur le second point, la décision commentée apporte des précisions sur les effets de l’imprescriptibilité sur l’action en remise en état du domaine public. En principe, celle-ci ne s’éteint pas. Un aménagement a cependant été dégagé par l’arrêt Koeberlin19, ici rappelé par la Cour : la demande doit s’effectuer dans un délai raisonnable après expiration du titre, sauf stipulation contraire. En l’occurrence, un délai de dix ans avait été jugé déraisonnable. La décision commentée vient cependant limiter la portée de cet aménagement :
« la notion de « délai raisonnable » mentionnée au point 7 ci-dessus ne trouve à s’appliquer que dans le cas où survient une interruption entre deux autorisations d’occupation temporaire et dans l’hypothèse où la nouvelle autorisation ne décrit pas les installations éventuellement présentes sur la parcelle lorsqu’elle est remise au nouvel occupant ni ne comporte une disposition expresse contraire à la seule obligation qu’aurait cet occupant à la restituer dans l’état dans lequel elle lui a été remise ».
Autrement dit, le délai raisonnable n’est invocable que dans un cas particulier : le titre n’aménage pas l’obligation de remise en l’état, deux titres sont temporellement espacés et le second ne décrit pas les installations précédemment édifiées. La Cour en déduit ensuite les conséquences sur l’espèce, et n’exige pas de délai raisonnable. Le raisonnement en revient donc au principe d’imprescriptibilité et l’administration n’est ici pas limitée dans le temps pour demander la remise en état du domaine public. Enfin, il faut identifier l’état à rétablir étant donné que plusieurs titres se sont succédé et que l’état de la parcelle a au fur et à mesure été modifié. En principe, l’administration ne peut exiger qu’une remise en état correspondant au début du titre expiré ou retiré et ne peut « contraindre [les occupants] à démolir les installations industrielles édifiées par leurs prédécesseurs »20. Selon la société requérante, cet état primitif ne s’évaluerait qu’à partir de 1986, date à laquelle l’État aurait déjà acquis la propriété des ouvrages par accession. Ainsi, dans la logique de son argumentaire l’occupant n’aurait rien ou peu à démolir. Cependant la Cour considère que l’état primitif s’étend dès 1931 au regard de la continuité des autorisations qu’elle a établie. En effet, le renouvellement des autorisations implique le maintien de la propriété des ouvrages édifiés21. En outre, les dispositions présentes dans chacun des titres font successivement l’inventaire des installations déjà présentes et enjoignent à une remise en l’état primitif à l’issue de l’autorisation. Chaque renouvellement impliquait que le nouvel occupant se voyait transmettre « les prérogatives et obligations du propriétaire »22 des ouvrages présents. Finalement, l’ensemble des ouvrages édifiés depuis 1931 ainsi que l’obligation de remise en l’état leur étant attachée ont été transmis au dernier occupant, il doit donc en détruire l’ensemble. On peut supposer que la qualité d’occupant sans titre de la société est une explication de cette fermeté. Il est cependant probable que même en ayant libéré les lieux, le dernier occupant aurait été « sanctionné »23.
Notes
1 En vertu d’une servitude légale fondée sur l’article L. 160‑6 du code de l’urbanisme. Retour au texte
2 CE, 14 juin 2022, Sté Immobilière de la pointe du Cap Martin, no 455050, Lebon T. Retour au texte
3 CE, 21 mars 2016, Sociétés Numericable et Fairvesta International, n° 368082, Lebon p. 76 ; CE, 12 juin 2020, GISTI, no 418142, Lebon avec concl., p. 192. Retour au texte
4 CE, 4 octobre 1996, Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, no 168131, Lebon p. 381. Retour au texte
5 CE, sect, 25 janvier 1991, Confédération nationale des associations familiales catholiques, no 103143, Lebon p. 503. Retour au texte
6 CE, 14 juin 2022, Sté Immobilière de la pointe du Cap Martin, no 455050, Lebon T. Retour au texte
7 Point 3 de la décision du Conseil d’Etat citée en note 6. Retour au texte
8 CE, Section, du 23 février 1979, Association des « Amis des chemins de ronde », no 04467, Lebon p. 75. Retour au texte
9 BARBIN E. « L’accès au juge face à la protection du domaine public maritime », JCP A 2022 no 29‑33. Retour au texte
10 Article L. 211‑5 du CRPA. Retour au texte
11 CE, 24 avr. 1964, Delahaye, no 59194, Lebon p. 243. Retour au texte
12 Article L. 211‑2 du CRPA. Retour au texte
13 CE 7 juill. 2000, Syndicat intercommunal pour la collecte et le traitement des ordures ménagères de la région d’Issoudu, no 205842, Lebon p. 304. Retour au texte
14 Par ex : CAA de Douai, 13 novembre 2001, no 98DA02033 ; CAA de Lyon, 8 mars 1994, no 92LY00635. Retour au texte
15 CE, 29 novembre 2002, Teboul, no 228664, Lebon p. 590. Retour au texte
16 SCHMIEDERER M. « La "propriété" des constructions de l’occupant du domaine public dans la jurisprudence du Conseil d’État », Droit et Ville, vol. 94, no. 2, 2022, pp. 135-166. Retour au texte
17 CHAMARD-HEIM C. « Statut des ouvrages édifiés par l’occupant ordinaire sur le domaine public : de l’apparente simplicité des règles », CMP 2022-2, repère 2, p. 1. Retour au texte
18 FOULQUIER N. Droit administratif des biens, Paris, LexisNexis, 2019. p. 395. Retour au texte
19 CE, Sect, 21 novembre 1969, Koeberlin, no 72878, Lebon p. 531. Retour au texte
20 Ibid. Retour au texte
21 CE, 13 nov. 2013, Union de coopératives agricoles Epis-Centre-Nord, no 351530. Retour au texte
22 Article L. 2122-6 du CGPPP. Retour au texte
23 En ce sens, v. ROUX Chr. « Remise en état du domaine public : le dernier occupant privatif en rade », obs. sur CAA Marseille, 28 mai 2021, no 19MA00705, SA immobilière de la Pointe du Cap Martin, JCP A, 2021, no 2235. Retour au texte
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