Prescription biennale et frais de déplacement d’un militaire

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Décision de justice

CAA Marseille, chambres réunies – N° 20MA04411 – Ministre des armées c/ M. C. – 23 septembre 2022

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 20MA04411

Numéro Légifrance : CETATEXT000046326341

Date de la décision : 23 septembre 2022

Index

Rubriques

Fonction publique

Résumé

Les dispositions de l’article 37‑1 de la loi du 12 avril 2000 sont applicables à la répétition de frais de déplacement indûment versés à un militaire à l’occasion d’un congé de reconversion

Un maître-principal de la marine nationale avait bénéficié d’un congé de reconversion de six mois pour effectuer une période d’adaptation en entreprise au sein de la société ERDF à Toulouse, ainsi que d’un ordre de mission pour être indemnisé de ses frais de déplacement. Il avait reçu à ce titre une avance sur décompte le 19 décembre 2013 d’un montant de 8 993,70 euros correspondant à 75 % du montant présumé dû au titre du transport, de l’hébergement et de la restauration. Mais en 2017 un titre de perception de ce montant avait été émis à son encontre pour recouvrer cette somme.

A l’appui de son opposition à l’exécution de ce titre, le militaire avait invoqué, en première instance comme en appel, la prescription biennale prévue à l’article 37‑1 de la loi du 12 avril 2000.

La cour a rejeté l’appel du ministre contre le jugement qui a annulé le titre exécutoire, en jugeant que « les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents » que vise cet article, concernent l’ensemble des sommes susceptibles d’être versées, à titre principal ou accessoire, par une personne publique à l’un de ses agents, en sa qualité d’employeur. La répétition des frais de déplacement en cause est donc pour la cour soumise à la prescription biennale, alors même que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, ces frais ne sont pas un élément de rémunération du militaire.

Conclusions du rapporteur public

Gilles Roux

Rapporteur public

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DOI : 10.35562/amarsada.274

Le présent litige vous donnera l’occasion de répondre à une question, à notre connaissance inédite et qui justifie qu’il soit porté devant votre formation de jugement élargie, relative à la définition du champ d’application de la prescription biennale instaurée par l’article 37‑1 de la loi du 12 avril 2000.

M. C., alors maître principal de la marine nationale, affecté en qualité d’électrotechnicien au centre naval de Saint-Mandrier, a bénéficié, à sa demande, d’un congé de reconversion pour la période allant du 6 janvier au 27 juin 2014 visant à son adaptation au travail en entreprise au sein d’ERDF, à Toulouse, sur un emploi de technicien de maintenance. Afin de permettre l’indemnisation de ses frais professionnels durant cette période, un ordre de mission a été établi le 18 décembre 2013 et une avance sur décompte, d’un montant de 8 993,70 euros lui a été versée. Elle correspondait à 75% du montant total présumé des frais de transport, d’hébergement et de restauration exposerait cet agent au cours de son stage. Mais plus de trois années après sa radiation des contrôles, intervenue le 28 juin 2014 à l’issue de son congé de reconversion, un titre de perception a été émis par son employeur public, le 3 octobre 2017, afin de recouvrer la totalité de cette somme qui correspondrait selon celui-ci à un trop perçu dès lors que ce type de stage de reconversion n’aurait pas ouvert un droit à indemnisation. Sur requête de M. C., par le jugement dont l’État a relevé appel devant notre cour, le tribunal administratif de Toulon a annulé ce titre exécutoire ainsi que la décision de rejet du recours préalable qui a été exercé sur le fondement de l’article 37‑1 de la loi du 12 avril 2000 qu’il a donc jugé opposable à l’action en répétition de la créance de l’État.

Le litige ne posant pas de question préalable à son examen au fond, nous aborderons directement la question du bien-fondé de la solution retenue par les premiers juges que critique le ministre des Armées en appel.

L’article 37‑1 de la loi 2000‑321 du 12 avril 2000 dispose que :

« Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive […] ».

Le ministre intimé fait valoir que les sommes pour lesquelles le titre exécutoire a été émis ne concernent pas la rémunération du militaire au sens notamment des dispositions combinées de ce texte et du code de la défense et que la créance détenue à son égard relève de la prescription quinquennale de droit commun, fixée à l’article 2224 du code civil. C’est, du reste, ce qu’a jugé le président de la 7e chambre de notre cour dans l’ordonnance du 11 février 2021 par laquelle il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C. La réponse, qui n’est pas évidente et dont la portée s’étend à l’ensemble des employeurs et agents publics, nous a paru justifier de plus amples développements.

Le code de la défense a regroupé au sein de la section I intitulée « Rémunération » du chapitre III « rémunération, garanties et protection », du titre II « droits et obligations », à l’article L. 4123-1, les éléments constituant la rémunération des personnels militaires. À la solde s’ajoutent les indemnités de résidence et pour charges militaires ainsi que le supplément familial mais aussi « des indemnités particulières allouées en raison […] du lieu d’exercice du service ». Toutefois, cette composante particulière de la rémunération ne doit pas être confondue avec les indemnités de stage régies quant à elle par le décret no 2009‑545 du 14 mai 2009 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires du personnel militaire. Comme l’indique son article 1er, ce décret s’applique aux frais de déplacement du personnel militaire en position d’activité au sens du 1° de l’article L. 4138‑2 du code de la défense, article qui dispose que « reste dans cette position le militaire […] qui bénéficie […] e) d’un congé de reconversion », tandis que son article 2 précise que « pour l’application du présent décret, est considéré comme […] Militaire en stage : le militaire qui se déplace, hors de sa garnison d’affectation, pour suivre une action de formation organisée par l’administration ». Enfin, selon son article 4 « lorsque le militaire se déplace à l’occasion d’un stage, il peut prétendre à la prise en charge de ses frais de transport dans les conditions définies à l’article 3 et à des indemnités de stages » à savoir, conformément à cet article 3 auquel il est renvoyé, au remboursement des frais de transport et des frais de mission tels que le remboursement des frais supplémentaires de repas, d’hébergement ou autres frais divers. Ni le code de la défense, ni le décret du 14 mai 2009 n’exclut donc formellement les indemnités de déplacement, d’hébergement et de restauration exposés du fait d’un stage de reconversion du champ de la prescription biennale. Seule une circulaire du 1er août 2017 no 24834/ARM/SGA/DAF/FFC2, relative à la mise en œuvre de la prescription des créances au ministère des armées classe parmi les répétitions de sommes indûment versées soumises à la prescription biennale, en son article 3.1.2.1, celles relatives aux « dépenses engagées par l’agent dans l’exercice de ses fonctions » et indique, en son article 3.1.2.2.2, relatif aux frais de déplacements du personnel militaire que, pour ce qui concerne les formations, « les dépenses relatives à la prise en charge des frais de transport […] sont des dépenses de fonctionnement. Elles relèvent du titre 3. Les créances de l’État résultant d’indus en la matière se verront appliquer la prescription quinquennale de droit commun », mais cette circulaire ne saurait être opposable par le ministre des armées dès lors qu’à la supposer dotée d’une portée normative, du fait de dispositions à caractère impératif, elle apparaitrait comme étant entachée de l’incompétence de son auteur qui n’est pas titulaire, vous le savez, du pouvoir règlementaire.

Il résulte en tous cas de la combinaison de ces dispositions du code de la défense et du décret précité que la somme de 8 993,70 euros perçue par M. C., alors en position d’activité, au titre des frais de transport, d’hébergement et de repas exposés du fait de ses déplacements à l’occasion d’un stage de reconversion effectué à Toulouse, hors de sa garnison d’affectation de Saint‑Mandrier, constituent pour la personne publique des frais de fonctionnement entièrement régis par le décret du 14 mai 2009 qui ne sont pas au nombre des éléments de rémunération accessoires énumérés à l’article L. 4123‑1 du code de la défense. Les sommes versées ne visaient qu’à compenser les charges supportées par l’agent dans l’exercice de ses fonctions du fait de son affection durant son stage et non à rétribuer le travail qu’il accomplissait. Vous ne pourrez donc qu’infirmer le point 10 du jugement qui a estimé que dès lors que ces dépenses ont été engagées pour l’exercice des fonctions au sens de l’article L. 4123‑1, elles devaient être regardées comme un élément de la rémunération accessoire de l’agent.

Toutefois, ce n’est pas le code de la défense ni le décret précité auquel il renvoie qui énoncent la prescription biennale de la créance en cause applicable aux « paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents » et pour trancher le litige il vous appartiendra de déterminer si le remboursement des frais professionnels relève ou non de ces paiements effectués « en matière de rémunération » au sens et pour l’application du seul article 37-1 de la loi du 12 avril 2000.

La variabilité du contenu de la notion de rémunération :

Le dictionnaire Larousse définit la rémunération au sens commun de la langue française comme « le paiement d’une somme donnée en échange d’un travail ou d’un service » mais son sens juridique s’en éloigne sensiblement et connait surtout un certain nombre de variations en fonction du domaine régit par le droit applicable et des objectifs au vu desquels il a été édicté. Quant aux frais professionnels, s’ils sont généralement exclus de la notion de rémunération prise au sens strict, ils demeurent néanmoins constamment reconnus comme indissociables de l’exercice des fonctions, consécutifs à l’accomplissement des missions ou du service.

Ainsi en va-t-il pour le code du travail et son article L. 3221-3 selon lequel : « constitue une rémunération [...], le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier ». On y trouve le principe d’une contrepartie du travail fourni car du constat des obligations réciproques de l’employeur et du salarié sera dégagé l’un des principaux critères de qualification d’un contrat de travail, aussi bien devant l’ordre judiciaire qu’administratif (voyez par exemple les conclusions de Christine Maugüe sur la décision Office des migrations internationales, 17 mars 1997, no 124588), et avec lui l’ensemble de la règlementation du travail qui le gouverne. Quasiment muet sur la question des frais de déplacements et des frais professionnels en général, c’est la jurisprudence qui a rappelé qu’il s’agissait de dépenses exposées par le salarié du fait des conditions d’exercice de son travail et lui imposant ainsi une charge supérieure à celle de la vie courante qu’il appartient à l’employeur d’indemniser sur la base d’une justification des frais réels ou d’un forfait. Ils sont donc d’une nature distincte des éléments de la rémunération mais demeurent indissociables des fonctions exercées et peuvent, comme le salaire et ses accessoires, être prévus par le contrat de travail en l’absence de texte ou de convention collective.

En droit de la sécurité sociale, l’article L. 242‑1 du code de la sécurité sociale étend quelque peu sa définition de la rémunération au-delà de la stricte contrepartie du travail puisqu’il dispose que « sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail ». L’objectif du législateur est là strictement circonscrit à la détermination de l’assiette des charges et contributions sociales ou du calcul des droits à indemnités journalières sur la base du seul revenu d’activité. Il est donc logique que le remboursement des frais de déplacement ou de restauration en soient exclus. Le même article prévoit en effet que « les cotisations de sécurité sociale dues au titre de l'affiliation au régime général des personnes mentionnées aux articles L. 311‑2 et L. 311‑3 sont assises sur les revenus d'activité tels qu'ils sont pris en compte pour la détermination de l'assiette définie à l'article L. 136‑1‑1. ». Et cet article L. 136‑1‑1 relatif à l’assiette de la CSG et de la CRDS précise que 

« ne constituent pas un revenu d'activité les remboursements effectués au titre de frais professionnels correspondant dans les conditions et limites fixées par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget à des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l'emploi des travailleurs salariés ou assimilés que ceux-ci supportent lors de l'accomplissement de leurs missions ».

Il parait donc difficile de transposer cette approche très spécifique, basée sur la notion de revenu d’activité parfaitement étrangère aux considérations de l’article 37‑1 qui ont présidé l’instauration de la prescription biennale.

Dans le contentieux administratif, la reconstitution de carrière et l’indemnisation de la perte de revenus de l’agent public illégalement évincé est fondée à la fois sur le principe de réparation intégrale des préjudices (Conseil d'État, 19 mai 1922, dame Sempey, rec. p. 453) qui repose, pour reprendre la formule consacrée de longue date, sur la nécessité qu’à la suite du dommage qu’elle a subi, une victime ne soit ni enrichie, ni appauvrie, et dans une moindre mesure sur le principe général du droit interdisant de condamner une personne publique à payer une somme qu’elle ne doit pas (Conseil d'État, 19 mars 1971, sieur Mergui, no 79962, A). C’est pourquoi, elle admet que le préjudice de perte de revenus puisse être calculé au regard des éléments de la rémunération dont l’agent a été privé mais qu’en soient exclues les indemnités qui « sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions » (voyez Conseil d'État, 6 décembre 2013, commune d’Ajaccio, no 365155, A et les conclusions de Bertrand Da Costa). Durant son éviction, l’agent n’a pas pu être privé de sommes qui ne lui auraient été payées qu’à titre de remboursements des frais qu’il aurait exposés s’il avait exercé effectivement ses fonctions, ce qui n’a pas été le cas. Rien de plus logique donc, puisque la balance financière de la privation illégale de l’exercice des fonctions est, à cet égard, effectivement à l’équilibre, neutre pour le fonctionnaire évincé. Intégrer les sommes qu’il aurait perçues en remboursement de frais occasionnés par des déplacements qu’il n’a pas effectués enrichirait indûment la victime. Une fois encore, le raisonnement ne nous parait pas pouvoir être étendu à la question, tout à fait différente, du délai d’extinction d’une créance mais conforte le rattachement des frais professionnels à l’activité effectivement exercée par l’agent.

Quant au droit fiscal, il appréhende la notion de rémunération et de frais professionnels avec son réalisme habituel et considère que tout bénéfice dégagé par le contribuable à l’occasion de l’exercice de ses fonctions s’apparente à une rémunération imposable. De la sorte, il opère une distinction à la fois de bon sens et conforme à l’article 111 du code général des impôts (anciennement article 109) qui inclut tout avantage occulte dans les revenus distribués, entre, d’une part, les frais qui couvrent les déplacements personnels d’un salarié et tous ceux qui ne sont pas justifiés comme ayant été exposés par lui du fait de l’exercice de ses fonctions, dont la dimension purement compensatrice d’une charge liée à l’emploi n’est ainsi pas établie et qui constituent alors un réel profit que le salarié a tiré de son travail, qui s’ajoute aux autres éléments de sa rémunération devant être déclarés au titre des revenus et salaires perçus ; et, d’autre part, les frais de déplacements dûment justifiés cette fois, donc purement indemnitaires et compensatoires, dont le salarié n’a tiré aucun profit et qui ne sont pas inclus dans sa rémunération et ses revenus imposables (voyez pour les salariés, Conseil d'État, 11 mai 1984, no 47658, et le fichage très clair, pour les gérants majoritaires, de la décision du 14 novembre 1990, Bergdoll, no 61910, B). Autrement dit les frais professionnels indûment versés constituent, de fait, un élément de rémunération imposable.

Vous constaterez ainsi que la définition des éléments de rémunération s’inscrit toujours dans le cadre particulier des objectifs poursuivis par une réglementation donnée qui la rattache aux notions qui lui sont spécifiques comme le contrat de travail, les revenus d’activité, ceux dont la victime a été privée ou qui sont imposables. Il semble donc exclu de chercher à étendre chacun de ces contours particuliers au champ de la prescription biennale qui ne l’est pas moins et qu’il vous appartiendra de délimiter au regard des objectifs qui sont lui sont propres.

Les raisons de l’instauration de la prescription biennale :

La modification de la loi du 12 avril 2000 est la conséquence d’un amendement à la loi de finance rectificative pour 2011, no 2011‑1978 du 28 décembre 2011, article 94. Les travaux parlementaires furent brefs mais comme l’indique l’exposé de l’objet de cet amendement déposé par M. Delattre en première lecture du projet devant le Sénat, le 15 décembre 2011 :

« Il répond à une observation du Médiateur de la République soulignant la nécessité de sécuriser le dispositif juridique relatif aux versements indus […] En l’état actuel du droit, les '' trop versés '' peuvent être réclamés par l’administration à tout moment, dans un délai de cinq ans, dès lors qu’ils résultent d’une erreur dans la procédure de liquidation, de paiement ou d’un retard dans l’exécution d’une décision de l’ordonnateur. Le Conseil d’État a par ailleurs jugé qu’une décision administrative créant un avantage financier ne pouvait être retirée par l’administration, si elle est illégale, au-delà d’un délai de quatre mois. Il convient toutefois de noter que la frontière entre la décision créatrice de droit et la pure erreur de gestion est ambiguë, ce qui diminue la sécurité juridique des agents publics et est source de contentieux. Partant, le présent article inscrit dans le droit positif une solution unique, apportant aux agents publics une plus grande lisibilité dans leurs relations avec leurs employeurs publics. […]. La recherche d’un équilibre entre les délais règlementaires et jurisprudentiels a conduit à la fixation d’un délai de deux ans, conférant aux services gestionnaires le temps nécessaire à la régularisation des situations en cause, tout en les incitant à une plus grande efficacité dans le traitement des dossiers ».

Le premier constat que l’on peut faire tient à l’absence complète d’emploi du terme « rémunération ». La lecture des débats parlementaires qui s’en sont suivis confirme que le législateur n’a nullement pris en considération l’éventualité d’une subtile exclusion des dépenses engagées pour l’exercice des fonctions de l’agent qui ne constitueraient pas une stricte contrepartie de son travail.

Par ailleurs, l’état du droit antérieur, facteur d’insécurité pour l’agent, que l’amendement vise précisément à contourner, qui reposait sur l’application de la jurisprudence Ternon relative au retrait des décisions créatrices de droit et sur la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, ne distinguait nullement les décisions à objet pécuniaire prise en matière de rémunération et s’appliquait indistinctement quel qu’ait pu être l’objet de la créance ou le poste budgétaire dont elle relevait. Le remboursement des frais professionnels était soumis au même régime que les éléments de rémunération. La décision de principe M. Fontenille (Conseil d'État, 12 octobre 2009, no 310300, A) qui est venue exclure de la catégorie des décisions créatrices de droit acquis, dont le retrait est enfermé dans le délai de quatre mois fixé par la jurisprudence Ternon, celles constituant des erreurs de liquidation, repose sur la seule notion de « décision accordant un avantage financier » ou, comme le rappelait Emmanuel Glaser dans son commentaire éclairant de cette jurisprudence, sur « les décisions à caractère financier » qui n'est pas limitée à celles rendues en matière de pure rémunération. L’affaire Fontenille concernait une indemnité pour charge militaire et il est vrai que les contentieux du recouvrement des créances détenues par les personnes publiques à l’égard de leurs agents ont trait, dans une écrasante majorité de cas, aux trop perçus de rémunération et c’est mécanique puisque le volume global des paiements versées mensuellement à l’ensemble des agents publics tout au long de leur carrière n’a rien de comparable avec celui, beaucoup plus limité, spécifique et ponctuel des remboursements des frais professionnels. Pour le dire autrement, le paiement de la rémunération constitue l’essentiel des relations financières qu’entretiennent les employeurs publics avec leurs agents, il est donc logique qu’il constitue la source principale de différends. Loin de nous paraître déterminant pour exclure les trop perçus versés à d’autres titres à ces agents fondés, eux aussi, sur des décisions à caractère financier, cet état de fait plaide plutôt en faveur de la thèse selon laquelle l’usage des termes « en matière de rémunération » par l’article 37‑1 pourrait être la conséquence d’une forme d’assimilation aussi maladroite qu’abusive par le législateur du contentieux de la répétition des trop versés à celui des indus de pure rémunération qui en représente statistiquement l’imposante majorité. L’objectif du législateur visait ainsi, de manière générale, à sécuriser les relations agents-employeurs publics en matière de « trop versé » ou de « versements indus » en court-circuitant un régime juridique complexe qui s’appliquait indistinctement aux paiements effectués à titre de rémunération qu’en matière de frais professionnels.

En outre, comme le révèlent les travaux parlementaires, la création de cette prescription biennale spécifique a eu pour but d’offrir aux agents un dispositif simple et clair ne laissant pas de place à l’interprétation et aux doutes et facilitant la situation matérielle des agents. Il y est fait expressément état de la volonté d’assurer « une plus grande lisibilité dans leur relation avec leur employeur public ». La réforme a visé une portée pratique pour les agents. Or, à ce titre, on ne voit pas en quoi la situation concrète et matérielle d’un agent qui aurait indument perçu des sommes en remboursement de frais professionnels rendus nécessaires par le lieu d’exercice de ses fonctions devrait demeurer moins sécurisée, plus précaire, restée aussi peu lisible que par le passé, que si le trop-perçu avait concerné son traitement ou ce qui en constitue l’accessoire, comme une prime par exemple. Compte tenu de l’alinéa 2 de l’article 37‑1, l’agent ne doit pas avoir activement ou passivement induit en erreur son employeur public, de sorte que dans tous ces cas de paiements indus intervenus dans le cadre de l’exercice des fonctions, ce qui exclut par exemple les pensions ou les congés, les agents disposent sur leur compte bancaire d’une somme donnée qu’ils peuvent avoir dépensée en toute bonne foi ou qu’ils n’osent pas utiliser en cas de doute ou par crainte, pendant un temps qui peut s’avérer significatif et dont la demande ultérieure de la restituer sera d’autant plus préjudiciable que ce temps aura été long. Comme en matière de pure rémunération, certaines erreurs de remboursement des frais professionnels entrainent le versement régulier de petites sommes indues dont la répétition totale réclamée une fois l’erreur identifiée, pourra avoir, pour l’agent et son ménage, d’importantes conséquences matérielles. La répétition trop tardive de ces paiements indus pose exactement les mêmes problèmes que ceux que visent à limiter l’article 37‑1 et nous ne voyons donc pas de raison de les exclure de son champ d’application. La clarification et la simplification recherchée par le législateur dans l’intérêt des agents publics s’accommoderait assez mal, croyons-nous, d’une nouvelle distinction subtile entre entres les éléments de rémunération et les autres avantages financiers accordés aux agents publics. La présente espèce en témoigne puisque l’administration elle-même a confondu les indemnités relevant des éléments de rémunération et celles qui, pour concerner le cas particulier du stage de reconversion, en sont exclues par le code de la défense combiné à la circulaire de 2017. De même, le délai intermédiaire de deux années a été fixé pour limiter les conséquences pour l’agent de l’écoulement du temps, concilié avec le double enjeu d’inciter les gestionnaires à plus de diligence dans le traitement des dossiers tout en leur laissant suffisamment de temps prendre conscience de l’anomalie affectant le paiement et, une fois encore, ces considérations ont indistinctement trait à l’ensemble des trop-perçus.

Il sera pas inutile de préciser que cette vision élargie du champs d’application de la prescription biennale est également confirmée par la circulaire de la direction générale des finances publiques en date du 11 avril 2013 relative au délai de la prescription extinctive concernant les créances résultant de paiement indus effectués par les services de l’État en matière de rémunération de leurs agents, qui bien que dépourvue de valeur normative, précise qu’entrent dans ce champ d’application de l’article 37-1,

« sans établir une liste exhaustive […] le remboursement des dépenses engagées par l’agent dans l’exercice de ses fonctions : prise en charge partielle du prix des titres d’abonnement correspondant aux déplacements effectués entre sa résidence habituelle et son lieux de travail, frais de mission etc. […], rémunération accessoire comme lorsque l’agent participe à des activités de formation et de recrutement ».

Dans la partie consacrée au rappel du nouveau dispositif introduit par l’article 37‑1, cette circulaire indique que « Les créances de l’État sur les agents publics sont répétées dans un délai de deux ans, que les paiements indus résultent d’une erreur de liquidation ou d’une décision créatrice de droits ».

Sur un plan jurisprudentiel à présent, certes, le Conseil d'État, dans ses avis Dittoo (31 mars 2017, no 405797, A) et M. Le Mignon (28 mai 2014, no 376501, A), a rappelé que l’article 37‑1 s’appliquait aux sommes indument versées à l’agent « au titre de sa rémunération » ou « en matière de rémunération » mais nous ne croyons pas qu’il faille accorder trop de portée à cette terminologie car, d’une part, le haut Conseil s’est ici borné à reprendre la lettre du texte, sans avoir eu à définir cette notion de rémunération pour régler les questions de droit qui se posaient à lui dans ces affaires et, d’autre part, Bertrand Da Costa, dans ses conclusions sur l’avis Le Mignon s’est aventuré à préciser que

« S’agissant du champ d’application de l’article 37­1, la notion de rémunération intègre toute la rémunération, mais seulement la rémunération des agents publics. Pour les fonctionnaires, il s’agit donc du traitement, des primes et indemnités qui en constituent l’accessoire, le cas échéant de la nouvelle bonification indiciaire et, sans doute, du remboursement des dépenses engagées pour l’exercice des fonctions »

, ce qui confirme à minima que la notion de rémunération au sens de ce texte pourrait s’entendre plus extensivement aux dépenses liées à l’exercice effectif des fonctions telles que le remboursement des frais professionnels, quelle que soit la ligne budgétaire des comptes de la personne publique dont elles relèveraient.

En droit privé, la loi no 2013‑504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a introduit dans le code du travail des prescriptions plus courtes que l’ancienne prescription quinquennale, à savoir notamment une prescription biennale en matière d’exécution et rupture du contrat de travail (article L. 1471‑1) et une prescription triennale pour les actions en paiement ou répétition du salaire (article L. 3245‑1) visant, de la même manière que les auteurs de l’article 37‑1 à sécuriser la situation des agents en limitant le délai pendant lequel les versements indus pourraient leur être réclamés mais aussi en accordant réciproquement aux salariés un délai suffisant pour intenter une actions envers leur employeur auprès duquel ils détiendraient une créance, ce dernier aspect, étrangers aux considérations qui sont les nôtres dans le présent litige, expliquant que le délai initialement fixé à deux ans ait finalement été porté à trois. Or, la Cour de cassation, dans une décision remarquée du 20 novembre 2019 (ch. Soc. no 18‑20.208) a jugé que l’action en paiement de sommes correspondant au remboursement de frais professionnels, dont relevait dans cette espèce une indemnité de transport, n’est pas soumise à la prescription triennale se rapportant à l’action en paiement ou en répétition du salaire, mais de la prescription biennale prévue pour les actions portant sur l’exécution du contrat de travail. Autrement dit, la Cour de cassation, bien qu’ayant dissocié matériellement les répétitions du salaire et des frais professionnels, a confirmé néanmoins que ces derniers étaient liés l’exécution du contrat du salarié, qui est à rapprocher de l’accomplissement des missions ou de l’exercice des fonctions de l’agent public, et consacré la soumission de l’action tendant à leur répétition à une prescription biennale. Il n’apparaitrait donc pas inopportun que les travailleurs des secteurs publics et privés bénéficient, pour la répétition par leur employeur des sommes indument versées au même titre, du même délai d’extinction de leur dette.

Enfin, et bien que l’argument demeure quelque peu marginal, la lettre de la loi du 12 avril 2000 ne se trouverait pas frontalement contrariée par l’interprétation extensive que nous vous invitons à adopter car si vous raisonnez avec le même réalisme que celui qui prévaut en matière fiscale, vous ne pourrez qu’admettre que les indemnités indument payées par l’administration à son agent ont constitué pour lui, un trop perçu de rémunération puisqu’elles ne se sont pas limitées à indemniser les frais qu’il a pu exposer dans l’exercice de ses fonctions mais ont représenté un avantage financier, une contrepartie dégagée à tort du travail fourni soumis à l’imposition au titre de ses revenus. La fine frontière qui sépare les notions de paiement indu effectué en matière de rémunération et de rémunération indûment payée à l’agent n’apparait pas infranchissable.

Au vu de l’ensemble de ces éléments d’interprétation, après vous être assurés, conformément aux alinéas 2 et 3 de l’article 37‑1, qu’en l’espèce il n’était pas établi, ni même allégué, que les paiements prétendument indus résulteraient d’absence d’information ou d’informations inexactes que M. C. aurait données à l’administration au sujet de modifications de sa situation personnelle ou familiale et que la situation en cause ne résulte pas davantage d’une annulation juridictionnelle d’une décision de nomination dans un grade, ce qui ne fait pas de doute ici où M. C. qui ne se trouve pas dans ce dernier cas et n’est en rien responsable de l’erreur de son employeur qui a assimilé le régime d’indemnisation des stage de reconversion à celui des autres stages prévus au code de la défense, nous vous invitons à juger qu'il résulte des dispositions de l'article 37‑1 de la loi du 12 avril 2000, éclairées par les travaux parlementaires, que la prescription biennale qu'elles ont institué vise à s'appliquer à l'ensemble des créances détenues par les personnes publiques à l'égard de leur agents au titre des sommes qu'elles ont pu indûment leur verser à l’occasion de l'exercice de leurs fonctions.

Par suite, et dès lors qu’il résulte de l’instruction et que le jugement n’est du reste pas contesté sur ce point, que le délai de prescription de deux années était expiré à la date de notification du titre exécutoire du 3 octobre 2017 pour la répétition de paiements effectués en 2014, vous rejetterez la requête du ministre des Armées qui n’est pas fondé à se plaindre du jugement qui a fait droit aux conclusions à fin d’annulation de M. C. en première instance.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête du ministre des Armées et du surplus des conclusions des parties dans les circonstances de l’espèce.

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