À l’occasion de la contestation en appel de l’ordonnance prenant acte du désistement d’un requérant, en application des dispositions de l’article R. 612‑5‑2 du code de justice administrative, il incombe au juge d’appel, saisi de moyens en ce sens, de vérifier que le requérant avait effectivement présenté une demande de suspension de l’exécution de la décision litigieuse qui a été rejetée pour défaut de moyen propre à créer un doute sérieux sur sa légalité, qu’il a régulièrement reçu la notification de cette ordonnance l’informant qu’il lui appartenait dans le délai d’un mois de confirmer le maintien de sa requête à fin d’annulation ou de réformation de ladite décision, sous peine de désistement, et qu’il s’est abstenu de le faire dans le délai ainsi imparti, sous réserve, le cas échéant, de l’invocation d’une impossibilité légitime.
Contrôle du juge d’appel sur une ordonnance de désistement d’office de l’article R. 612‑5‑2 du code de justice administrative
Lire les conclusions de :
Décision de justice
CAA Marseille, 2e chambre – N° 20MA04848 – Mme M. c/ centre hospitalier d’Alès Cévennes – 03 juin 2021
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 20MA04848
Numéro Légifrance : CETATEXT000043629484
Date de la décision : 03 juin 2021
Index
Rubriques
ProcédureTextes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
DOI : 10.35562/amarsada.277
‑ I ‑
La requérante, auparavant employée en qualité d’aide‑soignante par le centre hospitalier d’Alès‑Cévennes, a contesté devant le tribunal administratif de Nîmes la sanction de révocation que lui infligée le directeur de cet établissement de soins par une décision du 29 juin 2020, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir assorti d’un « référé‑suspension ».
Ce dernier ayant été rejeté pour défaut de caractère sérieux des moyens soulevés par l’intéressée en l’état de l’instruction, par une ordonnance du 7 septembre 2020 (no 2002414), le président de la 2e chambre du tribunal lui donnait acte, dans une ordonnance du 6 novembre 2020, de son désistement de sa demande au fond, en l’absence de confirmation de cette dernière en temps utile, en application des dispositions de l’article R. 615‑2‑2 du CJA. Elle relève régulièrement appel devant vous de cette ordonnance.
‑ II ‑
Elle conteste tout d’abord sa régularité, soutenant qu’alors même qu’elle a été enregistrée seulement le 15 octobre 2020 au greffe du tribunal, la demande adressée par son conseil à ce dernier, tendant à ce qu’une mise en demeure de conclure fût adressée au CH d’Alès‑Cévennes, devait être regardée comme la confirmation régulière de sa demande contentieuse.
Et d’invoquer à l’appui de ce moyen l’arrêt rendu le 15 octobre 2018 dans l’affaire EURL Le Fournil de l’Horloge par cette cour sous le no 17MA03276 et classée en C+, jugeant que
« Le délai imparti au requérant par les dispositions de l’article R. 612‑5‑1 du code de justice administrative, qui ne saurait s’analyser en un délai de procédure, n’est pas prescrit à peine d’impossibilité de confirmation du maintien de la requête »
et que
« Dès lors, s’il peut être régulièrement pris acte du désistement d’office du requérant dès l’expiration de ce délai, la présentation d’un mémoire confirmant le maintien de la requête ou de tout acte, telle que la constitution d’un avocat, de nature à confirmer sans équivoque cette intention, enregistré postérieurement à l’expiration de ce délai mais avant qu’une ordonnance n’ait été prise, fait obstacle à ce qu’il soit pris acte d’un désistement d’office ».
‑ A ‑
Mais au cas présent, ce n’est pas de l’application de ces dispositions qu’il s’agit, mais de celles de l’article R. 612‑2‑2 du même code, comme nous l’avons indiqué. Or, à notre sens, la transposition pure et de simple de la solution précitée dans le cadre de l’application de ces dispositions ne s’impose aucunement.
En effet, si celles‑ci instituent, comme celles de l’article R. 612‑5‑1 du CJA – en l’absence de réitération d’une demande dont la juridiction doute de la persistance de l’intérêt – de ou celles de son article R. 611‑8‑1 – en l’absence de production d’un mémoire récapitulatif demandé par elle, notamment, un régime de désistement d’office, le délai minimal imparti à la partie concernée pour se manifester étant dans tous les cas d’un mois et un formalisme particulier étant par ailleurs institué à son profit, dans le but qu’aucun doute ne puisse subsister dans son esprit quant aux conséquences de sa défaillance, la similitude d’approche entre ces différents régimes n’est pas parfaite.
En particulier, comme le soulignant Frédéric Dieu dans ses conclusions dans l’affaire CNB et a. et SAF jugée le 3 juillet 2020 par le CE (nos 424293‑427249 B), dans laquelle il a examiné la légalité du décret no 2018‑617 du 17 juillet 2018 portant modification du CJA et du CU dans leurs parties réglementaires, si un tel mécanisme de désistement d’office en l’absence de manifestation du requérant « n’est pas nouveau », celui dont il est ici question « se distingue » des deux autres mécanismes susmentionnés « par son caractère systématique et par l’obligation qu’il fait peser sur le requérant. Car là où ces mécanismes confèrent une simple faculté au président de la formation de jugement, exigeant donc une initiative de sa part pour entraîner un éventuel désistement d’office, c’est au contraire au requérant que le mécanisme en cause dans notre litige impose dans tous les cas de se manifester, sous peine de désistement d’office ».
Ainsi ajoutons‑nous, ces dispositions ne laissent pas, contrairement aux autres dispositions précitées, de prise à l’appréciation du juge sur le respect par le requérant des obligations procédurales mises à sa charge, lesquelles pèsent sur lui automatiquement, mécaniquement presque, du seul fait de l’application des textes et en l’absence de toute intervention ad hoc dudit juge. Elles instituent, dès lors, un régime spécifique, inédit à cet égard (v. encore CAA Paris 10 novembre 2020 M. N. no 19PA01878).
C’est, du reste, pour cette raison, que nous ne pensons pas davantage, à la réflexion, que la mise en œuvre de ces dispositions par une juridiction puisse, en principe, donner lieu à un contrôle, par les juridictions supérieures, à un contrôle autre que formel, c’est‑à‑dire à celui de l’absence d’usage abusif ou de la juste application de ces dispositions, tel qu’il existe pour la mise en œuvre de celles des articles R. 611‑8‑1 et R. 612‑5‑1 du CJA (v. respectivement CE 24 juillet 2019 soc. Crédit Mutuel Pierre I no 423177 B ; 22 novembre 2019 soc. SMA no 420067 B et CE 17 juin 2019 Mme E. no 419770 A ; 12 février 2020 min. de l’action et des comptes publics c/ soc. Realnet no 421219 B. ; rappr. s’agissant des critères mis en œuvre pour ce contrôle, sur le terrain de l’article R. 612‑5‑1 : CAAM plén. 8 décembre 2019 SCI Les Hameaux de Mucchiatana no 19MA02767 C+).
Car, comme le montre cette dernière décision, la conduite de l’instruction par le juge est, en réalité, au cœur de ce contrôle (v. également CAAM 12 novembre 2020 Me Roussel, soc. Pearl Capital Management, M. B. no 20MA01730, transposant ces modalités de contrôle à l’application de l’article R. 611‑8‑1). Elle est parfaitement sans aucune incidence, à l’inverse, sur la mise en œuvre des dispositions de l’article R. 612‑5‑2 du CJA.
Las, cette cour elle‑même a déjà, à deux reprises, mis en œuvre, sans doute quelques peu hâtivement, un tel contrôle dans ce cadre v. 2 octobre 2020 M. Md F. nos 19MA04446‑19MA04471 ; 1er octobre 2020 M. D. no 20MA00349). Sa position n’est pas, du reste, isolée (v. CAA Lyon 17 décembre 2019 M. B. et Mme T. no 19LY02116 C+).
Nous vous proposons alors de saisir cette occasion pour démarquer explicitement de ces précédents, le cas échéant en conférant à votre arrêt à intervenir une publicité particulière.
Nous précisons, toutefois, que la solution que nous vous proposons n’obère en rien la possibilité pour un requérant défaillante de se prévaloir utilement, le cas échéant, de circonstances particulières l’ayant empêché de se manifester en temps utile, au titre de l’approche compréhensive dont vous pouvez faire preuve, notamment, en matière de tardiveté des requêtes (v. à propos du délai anormal d’acheminement du courrier : CE 29 décembre 1993 SA Bigand no 119626 B ; 20 février 1970 min. de l’agriculture c/ Delort Rec. p. 130 ; 18 novembre 1977 El. de Cortevaix Rec. p. 841).
‑ B ‑
Si vous nous suivez, il vous appartiendra seulement, au cas présent, de vous assurer, d’une part, de ce que l’ordonnance de référé a été régulièrement notifiée avec l’indication de l’obligation dont s’agit et de la sanction attachée à sa méconnaissance et d’autre part, de la réalité de cette dernière (v. CE 16 décembre 2020 assoc. Juristes pour l’enfance et assoc. Alliance Vita, assoc. Pharmac’éthique nos 440214 440030 A ; 24 juillet 2019 M. P. et a. no 429741 C).
Sur le premier point, nous sommes d’avis que c’est la notification de l’ordonnance de référé à la requérante et non à son avocat qui doit être prise en compte (v. CAA Bordeaux 22 octobre 2020 M. Durand n° 20BX00487), dès lors qu’elle est intervenue en dehors de la période d’application des dispositions de l’article 13 de l’ordonnance no 2020‑305 du 25 mars 2020 dans sa rédaction applicable, issue de l’ordonnance no 2020‑405 du 8 avril 2020 (comp. durant l’application de ces dispositions : CE 23 décembre 3030 M. Le Fur et a. nos 440030‑441523 C). En vertu de l’article 2 de la première de ces deux ordonnances, ce régime dérogatoire de notification des décisions de justice ne s’appliquait en effet ratione temporis que du 12 mars 2020 au 10 juillet suivant, conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi no 2020‑546 du 11 mai 2020 ayant prorogé l’état d’urgence sanitaire, lequel n’a été de nouveau déclaré que par l’article 1er du décret no 2020‑1257 du 14 octobre 2020, à compter du 17.
Et ce n’est, en vertu des dispositions de l’article 1er du code civil, qu’à partir du lendemain de sa publication au JO, soit le 20 novembre 2020, que l’article 6 du décret no 2020‑1406 du 18 novembre 2020 comportant des dispositions similaires est entré en vigueur.
L’ordonnance attaquée erre donc en tant qu’elle se réfère à la notification faite à l’avocat et il vous échoit alors de procéder à une substitution de motifs sur ce point, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que ladite ordonnance, qui comportait l’ensembles de mentions requises, a bien été notifiée à l’intéressée le 7 septembre 2020.
Sur le second point, celle‑ci avait alors jusqu’au 8 octobre suivant pour se manifester, le délai d’un mois prévu par l’article R. 612‑5‑2 étant un délai franc (v. CAA Versailles 3 octobre 2019 Mme Comperat no 19VE01941 ; rappr. à propos de celui de l’article R. 612‑5‑1 : CE 24 octobre 2019 soc. Prologia no 424812 B ; à propos de celui de l’article R. 611‑8‑1 : CE 19 mars 2018 soc. L’immobilière Leroy Merlin France no 416510 B). Pour les raisons déjà indiquées, ce délai est, en effet, soumis aux dispositions de droit commune (comp. pour le report au 23 juillet 2020 du même délai lorsqu’il expirait durant la période d’application de l’article 15 de l’ordonnance no 2020‑306 du 25 mars 2020 : CAA Bordeaux 4 mars 2021 M. B. no 20BX03441).
Or, sa seule manifestation du 15 octobre 2020 est en effet tardive au regard de ce qui précède et donc inefficace (v. CAA Paris M. F. no 20PA02328 ; CAA Lyon no 17 décembre 2019 préc.), les allégations de l’intéressée sur l’empêchement dont aurait été victime son conseil n’étant aucunement établies. Ceci, alors même que la jurisprudence fait preuve de souplesse en la matière, lorsque le requérant agit en temps utile (v. notamment CAA Douai 20 octobre 2020 Mme K. n° 19DA00757 C+ jugeant suffisante la demande de communication de la procédure par un nouvel avocat ; CAA Lyon 3 décembre 2019 M. S. no 19LY01765 C+ admettant la confirmation de la demande par un nouveau référé‑suspension dans le délai imparti).
Vous confirmerez donc l’ordonnance attaquée.
‑ III ‑
Si vous nous suivez, vous pourrez alors allouer une indemnité au CH d’Alès‑Cévennes au titre de ses frais de justice.
Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de Mme Mezghenna en application des dispositions de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.
Droits d'auteur
Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.