Un maître d'ouvrage public a présenté en première instance, à titre principal, une demande tendant à l'engagement de la garantie dommages-ouvrage de son assureur et de la garantie décennale des constructeurs et, à titre subsidiaire, une demande tendant à l'engagement de la responsabilité contractuelle des constructeurs. Le tribunal administratif a rejeté les premières et fait droit à cette dernière. Les constructeurs ont fait appel de ce jugement en soutenant à bon droit que, la réception des travaux étant acquise, leur responsabilité contractuelle ne pouvait plus être engagée. Le maître d'ouvrage public est alors recevable, par la voie de l'appel incident et provoqué, à contester le rejet des conclusions qu'il avait présentées devant le Tribunal à titre principal, alors même qu'elles reposaient sur une cause juridique distincte, dès lors que les dommages dont la réparation est sollicitée sont les mêmes et que le litige ne pouvait donc être regardé comme distinct.
Recevabilité de l’appel incident et provoqué du maître d’ouvrage relatif à des conclusions tendant à l’engagement de la garantie dommages-ouvrage de son assureur et de la garantie décennale des constructeurs : pas de litige distinct car identité de dommages
Lire les conclusions de :
Lire les commentaires de :
Décision de justice
CAA Marseille, 6e chambre – N° 20MA03576 – Société Marenco et compagnie et autres – 21 décembre 2022
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 20MA03576
Numéro Légifrance : CETATEXT000046850322
Date de la décision : 21 décembre 2022
Index
Rubriques
Marchés et contratsTextes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
DOI : 10.35562/amarsada.270
En 2004, la commune du Cannet‑des‑Maures a passé un marché public de travaux alloti en seize lots pour la construction d’un stade de judo et d’arts martiaux. Le 20 juillet 2007, elle a souscrit un contrat d’assurance « dommages‑ouvrages » auprès de la SMABTP pour ce projet.
La maîtrise d’œuvre du projet a été confiée à la SARL Atelier d’architectures Ferret, qui a sous‑traité la direction des réunions de chantier à la SARL Alma Provence et la maîtrise d’œuvre des lots de gros œuvre, voirie et réseaux divers (VRD), charpente, électricité et fluides au cabinet BETEM Ingénierie.
Les actes d’engagement pour les lots no 1 (gros œuvre) et no 14 ont été signés le 15 janvier 2007 avec, respectivement, la SAS SEETA et le groupement solidaire, SAS Marenco et compagnie et SNC APPIA dont le mandataire est la SNC APPIA aux droits de laquelle succède la SNC Eiffage Route Méditerranée. Les études géotechniques ont été réalisées par la SAS GINGER CEBTP et la mission de contrôle technique a été confiée à la SAS Qualiconsult.
Le maître d’œuvre a proposé le 17 novembre 2008 au maître d’ouvrage de prononcer la réception avec réserves. Un procès‑verbal de levée de tout ou partie des réserves a ensuite été dressé par le maître d’œuvre le 25 septembre 2009.
Toutefois, des infiltrations sur l’ouvrage ont été constatées dès novembre 2008 et ces désordres se sont aggravés au cours d’épisodes pluvieux importants survenus les 26 et 27 août 2009, puis le 15 et 16 septembre 2009 et enfin le 15 juin 2010. L’expertise a par la suite identifié la cause de ces désordres comme résultant de vices dans la conception et la réalisation du système de drainage périphérique de l’ouvrage et les canalisations d’évacuation des eaux pluviales.
La commune du Cannet‑des‑Maures a demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, de condamner la SMABTP, en sa qualité d’assureur « dommages‑ouvrages », à lui payer la somme de 7 595 832,21 euros. A titre subsidiaire, elle a demandé la condamnation in solidum de la SARL Atelier d’architectures Ferret, la SAS GINGER CEBTP, la SAS Qualiconsult, la SAS SEETA, la SNC Eiffage Route Méditerranée venant aux droits de la SNC APPIA, la SAS Marenco et compagnie, le cabinet BETEM Ingénierie et la SARL Alma Provence à lui payer la somme de 8 765 832,21 euros TTC.
Par un jugement en date du 20 juillet 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions principales de la commune dirigées contre la SMABTP. Le tribunal a également rejeté la demande indemnitaire présentée à titre subsidiaire par la commune sur le terrain de la responsabilité décennale des constructeurs. Le tribunal a en revanche fait droit aux conclusions subsidiaires de la commune, présentées sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Il a ainsi condamné divers intervenants à payer à la commune du Cannet‑des‑Maures la somme de 320 388 euros TTC au titre des frais d’installation de chantier, la somme de 2 996 267 euros TTC au titre des travaux de reprise des réseaux de drainage périphériques et d’évacuation des eaux pluviales, et la somme de 2 785 458 euros TTC au titre des travaux de reprise du dojo.
Par plusieurs requêtes, que vous pourrez examiner conjointement, la Société d’exploitation des établissements Treve Abel (SEETA), la SARL Atelier d’architectures Ferret, la SAS GINGER CEBTP, et la SAS Marenco, condamnées par le tribunal administratif de Toulon à indemniser la commune, font régulièrement appel de ce jugement.
La SARL Atelier d’architectures Ferret a également demandé dans l’instance no 20MA03607 la suspension de l’exécution du jugement.
Sur la régularité de l’expertise
Trois des sociétés requérantes, la SAS Marenco, la société Seeta et la SARL Atelier d’architectures Ferret, soutiennent que l’expertise est irrégulière dès lors que le rapport d’expertise a été rendu en méconnaissance de l’article 5 de l’ordonnance du tribunal administratif de Toulon no 1001788 en date du 2 novembre 2010.
Cet article précise que, préalablement à l’établissement du rapport définitif, l’expert doit adresser aux parties un pré‑rapport, que les parties disposeront alors d’un délai d’un mois pour formuler leurs observations auprès de l’expert, qui y répondra dans son rapport définitif.
Or, l’expert a omis de transmettre ce pré‑rapport. L’expertise a donc eu un caractère irrégulier et le moyen soulevé est fondé. Le jugement, rendu sur le fondement d’une expertise irrégulière, est lui‑même irrégulier.
En outre, comme le soutient la société Ginger CEBTP à l’appui de ses conclusions d’appel, le jugement a omis de répondre au moyen tiré de ce que le montant du préjudice devait être minoré pour tenir compte des économies engendrées par la non‑ouverture du dojo.
Il en résulte que le jugement est irrégulier en tant qu’il engage la responsabilité contractuelle de ces sociétés et met à leur charge certaines sommes au titre des dépens et des frais exposés et non compris dans les dépens. Vous statuerez, dans cette mesure, par la voie de l’évocation.
Sur les appels principaux
Les sociétés requérantes soutiennent que leur responsabilité contractuelle ne peut être engagée dès lors que les travaux ont été réceptionnés.
La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage. Elle interdit, par conséquent, au maître de l’ouvrage d’invoquer, après qu’elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation. Voyez sur ce point la jurisprudence CE, Centre hospitalier de Boulogne‑sur‑Mer, 6 avril 2007, no 264490.
En l’espèce, le maître d'œuvre a dressé le procès‑verbal des opérations de réception pour les lots no 1 (« gros‑œuvre ») et no 14 (« terrassement et VRD ») et, le 17 novembre 2008, a proposé à la commune du Cannet‑des‑Maures de réceptionner les travaux, sous réserve des prestations non exécutées ou des malfaçons à reprendre.
La commune, maître de l'ouvrage, n’a pris aucune décision expresse. Toutefois, en vertu des dispositions applicables du CCAG Travaux, elle doit être regardée comme ayant accepté la proposition du maître d'œuvre.
En effet, aux termes de l’article 41.3 du CCAG 1976, applicable à l’ensemble des lots du marché en vertu de l’article 2.2 du CCAP, à défaut de décision de la personne responsable du marché notifiée dans un délai de 45 jours, les propositions du maître d'œuvre sont considérées comme acceptées.
La proposition du maître d'œuvre comprenait une longue liste de réserves. Par la suite, une grande partie des réserves a été levée le 25 septembre 2009, à l’exception des réserves 1, 4, 5, 8, 43 et 51.
Aucune de ces réserves n’est liée aux dommages en cause. Deux de ces réserves mentionnent des problèmes d’infiltration. La réserve no 8 est intitulée « effondrements importants des enrobés avec infiltrations notamment au droit des angles Sud‑Ouest et le long de la façade Ouest ». La réserve porte donc sur les enrobés et a une portée limitée. De même, la réserve no 51, intitulée « angle Sud/Est problème d’infiltration à régler », n’a qu’une portée limitée et ne peut être regardée comme réservant le système de drainage périphérique et le réseau d’évacuation des eaux pluviales à l’origine des dommages1.
Les malfaçons qui ont fait l’objet de réserves n’étaient donc pas en lien avec les problèmes affectant le système de drainage et le réseau pluvial.
La réception des travaux, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif de Toulon, est donc acquise au 4 novembre 2008. La commune ne peut plus, dans ces conditions, engager la responsabilité contractuelle des constructeurs.
Il y a donc lieu d’annuler le jugement en tant qu’il a condamné les sociétés Marenco, Atelier d’Architecture Ferret, SEETA et Ginger CEBTP à indemniser la commune sur le terrain de la responsabilité contractuelle.
Sur l’appel provoqué de la société Eiffage Route Grand Sud
L’annulation que nous venons de mentionner a pour effet d’aggraver la situation de la société Eiffage Route Grand Sud, venant aux droits de Appia, qui devient seule débitrice des condamnations.
Son appel provoqué contre la commune est donc recevable. Pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d’être exposés, la société Eiffage Route Grand Sud est fondée à soutenir qu’aucune somme ne peut être mise à sa charge au titre de sa responsabilité contractuelle, et à demander l’annulation du jugement en tant qu’il met à sa charge des sommes sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Sur les appels incidents et provoqués de la commune
La commune du Cannet‑des‑Maures formule des conclusions d’appel incident contre les sociétés requérantes tendant, si la réception devait être considérée comme acquise, à ce que ces sociétés soient condamnées à lui verser les mêmes sommes sur le terrain de la responsabilité décennale. Un appel provoqué ayant la même portée est dirigé contre la société Qualiconsult et la société Eiffage Route Grand Sud et la société BETEM. Elle formule en outre des conclusions d’appel incident et provoqué tendant à la condamnation de ces sociétés sur le terrain quasi‑délictuel et quasi‑contractuel.
Elle forme également un appel provoqué à l’encontre de la société SMABTP, sur le terrain contractuel.
L’ensemble de ces appels incidents et provoqués nous semble irrecevable.
En effet, la commune, qui avait obtenu satisfaction sur le terrain contractuel, n’a pas fait appel du jugement dans le délai de deux mois suivant sa notification. Il ressort des pièces du dossier que le jugement du tribunal administratif de Toulon lui a été notifié le 22 juillet 2020. La lettre de notification comprenait la mention des voies et délais de recours. Les mémoires en défense de la commune ont été enregistré le 5 avril 2022 dans les instances 20MA03606, 20MA03674 et 20MA03576 et le 14 janvier 2022 dans l’instance 20MA03584.
La commune n’a ainsi présenté aucun appel principal. Les conclusions d’appel présentées par la commune ont donc soit le caractère de conclusions d’appel incident, en tant qu’elles sont dirigées contre une société appelante, soit d’appel provoqué, en tant qu’elles sont dirigées contre d’autres intimés.
Or, l’appel incident, comme l’appel provoqué, ont un caractère accessoire par rapport à l’appel principal. Autrement dit, si l’appel incident peut être formé par l’intimé sans condition de délai, c’est parce qu’il constitue une riposte à l’appel principal de la partie qui a pris l’initiative de contester le jugement de première instance, dans le délai de deux mois. Pour l’intimé, qui n’avait pas pris l’initiative de rouvrir le litige en faisant appel dans le délai de deux mois, cette possibilité de riposte est toutefois limitée au terrain choisi et ouvert par l’intimant.
Il en résulte que tout appel incident ou provoqué soulevant un litige distinct du litige soulevé par l’appel principal est irrecevable. L’application de cette règle contentieuse vous oblige à examiner d’office si le litige soulevé par l’appel incident ou provoqué est un litige distinct de celui soulevé par l’appel principal.
En l’espèce, les condamnations prononcées à l’encontre des quatre sociétés appelantes ont été prononcées sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Les appels principaux formés par les sociétés Marenco, Atelier d’Architecture Ferret, SEETA et Ginger CEBTP sont donc limités à la responsabilité contractuelle.
En vertu de la jurisprudence CE, Société Ruiz/ Ville de Lyon, 16 décembre 2015, no 373509, l’exécution du contrat est une cause juridique unique et le manquement aux obligations contractuelles constitue une seule et même cause juridique. Voir également sur ce point la décision CE, OPHLM de Toulon, 3 mars 2010, no 316515.
Ainsi, un appel incident concernant les pénalités se rattache à l’exécution du contrat et ne constitue pas un litige distinct de celui relatif à l’exécution des prestations contractuelles. Voyez sur ce point la décision CE, Société Campenon Bernard Sud Est et autres, 4 mai 2016, no 383914.
De même, l’ensemble des conclusions qui sont susceptibles d’être soumises au juge d’un recours Tarn‑et‑ Garonne – annulation, résiliation, modification, régularisation du contrat, ou indemnisation en réparation des droits lésés – se rattachent à un seul et même litige : voir CE, 21 octobre 2015, Région PACA, 21 octobre 2015, no 384787.
Cependant, ni la responsabilité décennale, ni la responsabilité quasi‑délictuelle ni la responsabilité quasi‑contractuelle ne correspondent à la même cause juridique que la responsabilité contractuelle. Fondées sur une cause juridique distincte, elles constituent donc des demandes distinctes.
Concernant la garantie décennale, voyez notamment la décision CE, Département des Bouches‑du‑Rhône du 17 juin 2009, no 312417 : des conclusions relatives à la responsabilité contractuelle sont fondées sur une cause juridique différente de celles relatives à la garantie décennale. Vous noterez d’ailleurs qu’au sein de la responsabilité décennale, l’objet de la demande est délimité, de manière stricte, chef de préjudice par chef de préjudice (CE, 21 octobre 1992, Société Setec Travaux publics).
Les conclusions d’appel provoqué dirigées contre la SMABTP sont donc également irrecevables. Voyez la décision CE, no 334098, SA Bilal‑Corucier‑Martinelli, 26 octobre 2011, qui juge que les conclusions reconventionnelles ou d’appel incident se rattachent au même litige si elles sont fondées sur l’exécution du même contrat.
Vous devrez donc rejeter l’ensemble des conclusions d’appel incident et provoqué formées par la commune du Cannet‑des‑Maures comme irrecevables.
Le renversement de la solution du tribunal administratif de Toulon sur la réception des ouvrages, qui entraine l’annulation des condamnations sur le terrain contractuel, sans que puisse être remise en cause la solution sur la responsabilité décennale, peut sembler sévère pour la commune du Cannet‑des‑Maures. En effet, celle‑ci n’a pas contesté le rejet de sa demande décennale par le tribunal administratif de Marseille, sans doute parce qu’elle avait obtenu satisfaction sur un autre terrain. Elle n’a plus la possibilité de le faire, même si vous invalidez le raisonnement du tribunal sur la réception des travaux.
En effet, une demande contentieuse est définie par trois choses : son objet, sa cause juridique et la personne visée. Si leur objet, était le même, la réparation des préjudices, les deux demandes contractuelles et décennales étaient fondées sur deux causes juridiques distinctes et conservaient bien leur autonomie contentieuse. La commune du Cannet‑des‑Maures, notamment au regard des incertitudes qui entouraient la question de la réception des ouvrages, a été assez imprudente de ne pas contester le rejet de sa demande décennale. Ce rejet, résultant de l’article 9 du dispositif, est devenu définitif et l’autorité de la chose jugée ferait obstacle à toute nouvelle demande contentieuse sur le terrain de la responsabilité décennale.
Pour autant, les voies contentieuses ne sont peut‑être pas toutes fermées pour la commune, et il lui reste sans doute une possibilité d’obtenir réparation des désordres constructifs importants affectant le dojo. En effet, au vu de la chronologie de la constatation des désordres, il ne nous semble pas acquis que les désordres étaient indétectables lors des opérations de réception. La commune du Cannet‑des‑Maures pourrait alors mettre en cause la responsabilité du maître d'œuvre au titre du défaut de conseil lors des opérations de réception. Voyez sur ce point la décision CE, 28 janvier 2011, Cabinet d’études Marc merlin, no 330693.
Sur l’appel provoqué de la société Betem Ingénierie
Cette société n’a fait l’objet d’aucune condamnation en première instance. Elle n’est donc recevable ni à contester les motifs par lesquels les premiers juges ont considéré qu’elle avait commis une faute qui devait être assumée par l’entrepreneur titulaire, ni à contester le jugement en tant qu’il condamne ce dernier à ce titre.
La société n’est pas recevable à demander la réduction des condamnations prononcées à l’encontre d’autres parties.
Sur la demande de sursis à exécution no 20MA03607
L’arrêt statuant au fond, il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par la société Atelier d’architecture Ferret.
Par ces motifs, nous concluons, à l’annulation des articles 2 à 8 du jugement no 1802647 en date du 20 juillet 2020 du tribunal administratif de Toulon, au rejet des demandes auxquelles ces articles font droit, au rejet des conclusions d’appel incident et provoqué de la commune du Cannet‑des‑Maures, au rejet des conclusions d’appel incident de la société Betem Ingénierie, à ce que les frais et honoraires d’expertise soient mis à la charge définitive de la commune du Cannet‑des‑Maures, au rejet du surplus des conclusions des parties, à ce que soit prononcé le non‑lieu à statuer sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement présentées dans la requête no 20MA03607.
Notes
1 Voir p. 229 de l’expertise, partie « synthèse » : « les désordres sont des désordres affectant le réseau de drainage et le réseau pluvial : niveau d’eau souterraine au droit du site de façon pérenne, problèmes affectant le réseau de drainage et le réseau pluvial. Les vices sont liés à un défaut de conception concernant la gestion des eaux. Il faut refaire le réseau de drainage et le réseau pluvial. ». Retour au texte
Droits d'auteur
Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.
Commentaire
Marie Micaelli
Doctorante en droit public, Centre de recherches administratives (CRA), faculté de droit d’Aix en Provence
DOI : 10.35562/amarsada.352
En 2004, la commune du Cannet‑des‑Maures a attribué un marché de maîtrise d’œuvre d’une opération ayant pour objet la construction d’un dojo à une première société, opération que celle-ci a en partie sous-traité, et un marché de maîtrise d’œuvre des lots de gros œuvre, voirie et réseaux divers charpente électricité et fluide à une autre. Elle a par la suite conclu un marché public de travaux alloti avec plusieurs entreprises différentes et un contrat d’assurance « dommages-ouvrage » auprès d’une compagnie d’assurance pour cette opération de construction.
Peu de temps après l’achèvement de la construction du dojo, la commune a constaté que l’ouvrage est affecté de divers désordres résultant d’infiltrations importantes qui rendaient son utilisation impossible. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Toulon afin de faire condamner l’assureur dommages-ouvrages ou à défaut, d’obtenir réparation des intervenants pour le préjudice subi. Elle est en partie déboutée en première instance, le tribunal administratif de Toulon ayant seulement accueilli favorablement la condamnation in solidum des sociétés au paiement d’une indemnité. Les différentes sociétés interjettent appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Marseille.
Dans un premier temps, la cour refuse de condamner les sociétés requérantes sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, la réception antérieure de l’ouvrage y faisant obstacle. Après avoir rappelé ce principe bien ancré (I), c’est sur le fondement de la garantie décennale qu’elle donne droit aux prétentions indemnitaires de la commune, en précisant au passage l’étendue du montant à verser dans ce cadre (II).
La réception de l’ouvrage, obstacle à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle.
Dans l’affaire commentée, la cour avait en tout premier lieu à se prononcer sur la responsabilité contractuelle des sociétés requérantes, condamnées en premier instance par le tribunal administratif de Toulon. En se fondant sur les dispositions du CCAG-Travaux (notamment l’article 41‑3) et sur les éléments apportées par les sociétés requérantes au litige, les juges d’appel constatent la réception tacite et sans réserve de l’ouvrage. Forte de ce constat, la cour fait assez logiquement application du principe selon lequel la réception de l’ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d’ouvrage et les constructeurs – principe bien ancré, dont la conséquence directe est la fin des relations contractuelles et le point de départ des garanties post-contractuelles (CE, 6 avril 2007, Centre hospitalier de Boulogne sur Mer, no 264490). En l’espèce, la responsabilité contractuelle des sociétés requérantes ne pouvait donc pas être engagée.
En second lieu, la cour devait étudier les conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité contractuelle de l’assureur. Elle écarte dans un premier temps le moyen tiré de l’incompétence de la juridiction administrative, rappelant que « le contrat par lequel, dans le cadre d’un marché public de construction, une collectivité territoriale souscrit une assurance dommages-ouvrage a le caractère d’un contrat administratif » et que « la circonstance que, par le même contrat, elle souscrit également une assurance garantissant la responsabilité décennale du constructeur auquel elle a attribué le marché public de construction, qui s’analyse comme une stipulation pour autrui, ne modifie pas la nature de ce contrat ». Ainsi, « le litige relatif à l’exécution d’un tel contrat, y compris en tant qu’il porte sur les obligations de l’assureur stipulées au bénéfice du constructeur, relève donc de la compétence de la juridiction administrative » (Considérant no 15). Au visa de l’article L. 242‑1 du code des assurances, lequel pose le caractère non-obligatoire de la souscription d’une assurance dommages-ouvrage pour les personnes morales de droit public, la cour conclut que seules sont applicables à l’affaire les clauses du contrat liant la commune à l’assurance. Pour engager la responsabilité contractuelle de l’assureur, ces dernières requéraient du maître d’ouvrage une déclaration préalable de sinistre, déclaration qui, en l’espèce, n’avait pas été produite (Considérant no 24). À défaut d’une telle déclaration, la responsabilité de l’assureur ne pouvait pas non plus être engagée.
La précision de l’étendue du préjudice à verser au titre de la responsabilité décennale.
Il incombait en dernier lieu à la cour d’examiner les prétentions de la commune quant à l’engagement de la garantie décennale des constructeurs. Au visa des principes « dont s’inspirent les articles 1792 à 1792‑5 du Code civil », la cour rappelle qu’
« est susceptible de voir sa responsabilité engagée de plein droit, avant l’expiration d’un délai de dix ans à compter de la réception des travaux, à raison des dommages qui compromettent la solidité d’un ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, toute personne appelée à participer à la construction de l’ouvrage, liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage ou qui, bien qu’agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage, ainsi que toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire ».
Il est ici particulièrement intéressant de noter qu’à l’inverse du Conseil d’État, qui semble avoir abandonné la référence aux principes civilistes depuis presque une décennie, (CE, 15 avril 2015, Commune Saint‑Michel‑sur‑Orge), la cour choisit de faire référence aux « principes dont s’inspire le Code civil ». Référence tranchant par ailleurs avec les « principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs » sur lesquels elle s’était fondée à l’occasion d’une précédente affaire (CAA Marseille, 15 février 2016, no 15MA02235).
Sans surprise, la cour estime ensuite qu’il y a lieu d’engager la responsabilité décennale des constructeurs au regard de la nature des désordres (humidité, présence d’eau, fuites…), désordres que « le maître de l’ouvrage, à supposer qu’il ait pu constater certaines des manifestations de ce vice, n’était en mesure ni d’en apprécier l’étendue et les conséquences ni d’en prévoir l’ampleur et l’extension » (Considérant no 31). Le préjudice subi par la commune du Cannet-des-Maures du fait de l’inondation du dojo était donc bel et bien réel. Il restait à évaluer le montant de l’indemnisation à verser. En principe, le maître d’ouvrage a le droit à la réparation intégrale de ses préjudices (CE, 30 juillet 1997, no 133577), l’objectif étant de le replacer dans la situation antérieur au dommage (CE, 11 juin 1999, Commune Loures‑Barousse, no 193597). En l’espèce, la cour n’innove guère en estimant que « dans le cas où un ouvrage est affecté de désordres, les constructeurs sont tenus, sous réserve des fautes exonératoires du maître de l’ouvrage, de réparer en totalité les préjudices qui en résultent pour le maître de l’ouvrage public. Ces préjudices correspondent, notamment, au coût des travaux de reprise ainsi que le cas échéant au préjudice de jouissance et au préjudice d’image » (Considérant no 41). Plus étonnante est, en revanche, la réponse négative apportée par la cour à la question de savoir si les frais de gestion économisés par le maître de l’ouvrage pouvaient être déduits de l’indemnisation du manque à gagner de la personne publique. En tout état de cause, le principe reste inchangé : même si la personne publique lésée ne demande pas l’indemnisation de son manque à gagner, l’indemnité due doit couvrir l’intégralité de son préjudice…
Droits d'auteur
CC BY-NC-SA 4.0