La SCCV Corniche des Anges conteste en appel, après avoir échoué dans cette entreprise en première instance, devant le tribunal administratif de Nice, la légalité de la décision par laquelle le maire de Nice a constaté, le 6 février 2019, la péremption du permis de construire qu’il lui avait délivré le 11 juin 2012, ainsi que de celle ayant rejeté son recours gracieux et, bien entendu, le jugement rejetant les demandes d’annulation de ces deux décisions.
Après avoir aisément écarté comme manquant en fait la fin de non‑recevoir invoquée, relative à la méconnaissance de l’article R. 414‑5 du code de justice administrative et la régularisation de la requête d’appel, vous examinerez le fond du litige.
L’appelante soutient que son permis était valable quatre années durant :
L’article R. 424‑17 du code de l'urbanisme, applicable depuis le 1er octobre 2007 aux autorisations de construire toujours en vigueur à cette date, prévoit que le permis de construire est périmé si, passé le délai de deux ans à compter de sa notification, les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année. Aux termes de l’article 1er du décret du 19 décembre 2008 : « Par dérogation aux dispositions figurant au premier et au troisième alinéas de l'article R. 424‑17 (…) du code de l'urbanisme, le délai de validité des permis de construire (…) intervenus au plus tard le 31 décembre 2010 est porté à trois ans. ». Selon l’article 2 de ce même décret : « Le présent décret s'applique aux autorisations en cours de validité à la date de sa publication ». Cette prolongation à trois années du délai de validité a été repris dans les décrets du 29 décembre 2014 pour les permis intervenus au plus tard le 31 décembre 2015 et du 5 janvier 2016 pour tous les permis désormais. Et faute d’établir l’existence d’une quelconque demande de prorogation d’un an, la société appelante ne saurait se prévaloir des dispositions combinées de l’article 2 du décret du 29 décembre 2014 et R. 424‑21, 22 et 23 du code de l'urbanisme comme l’a jugé à bon droit le tribunal.
Ensuite, il est soutenu que le délai de péremption aurait été suspendu par l’exercice d’un recours gracieux contre son permis en se prévalant de l’article R. 424‑19 du code de l'urbanisme, mais ce texte parfaitement clair ne prévoit de suspension du délai de validité qu’en raison de l’exercice d’un recours contentieux et jusqu’au prononcé d’une décision juridictionnelle irrévocable. Rien n’autorise en droit à étendre son application au cas où un recours gracieux a été porté devant l’auteur de la décision (voyez pour un exemple en ce sens, CAA Lyon, 12 oct. 2021, SCI Walker, no 20LY00483, point 6). Le moyen est infondé et sera écarté.
Par ailleurs, le débat porte sur le terme de la suspension du délai de validité du permis intervenue suite à l’exercice, le 22 novembre 2012, d’un recours contentieux contre cette autorisation devant le tribunal administratif de Nice et l’interprétation de la notion de « décision juridictionnelle irrévocable ».
S’agissant du point de départ du délai de validité après sa suspension, le Conseil d'État n’a pas précisé la portée exacte des termes « jusqu’au prononcé d’une décision juridictionnelle irrévocable » et la jurisprudence des cours est partagée entre deux interprétations. La notion de « décision juridictionnelle irrévocable » ne prête pas à confusion. Comme le rappelle Jean Lessi dans ses conclusions (p. 3, nbp no 9) sur la décision Fiorentino (Conseil d'État, 5 mai 2017, no 391925, A) : « La décision irrévocable est donc, si l’on cherche à la définir plus complètement, la décision de justice insusceptible d’être remise en cause par l’exercice de voies de recours autres que la révision, la tierce opposition ou la rectification d’erreur matérielle ». Il se réfère sur ce point à la décision commune de Bourg Saint‑Maurice (Conseil d'État, 28 juillet 2011, no 336945, A aux conclusions de Sophie‑Justine Lieber) et les motifs de la décision Fiorentino (point 5) font une distinction claire entre le rendu de la décision juridictionnelle qui ne permet pas, en principe, de tirer dans une décision de justice les conséquences d’une autre « tant que cette décision n’est pas devenue irrévocable » et aménage l’exception relative au cas où la juridiction a procédé à la jonction des deux instances. La décision n’acquière donc ce caractère d’irrévocabilité qu’à l’expiration du délai de recours de deux mois. C’est, du reste, ce que vous avez déjà jugé à plusieurs reprises dans vos arrêts M. V. (14 février 2020, no 18MA00484 ou B. (29 septembre 2020, no 18MA01759) et ce que confirme Alexandre Lallet dans ses conclusions sur la décision M. Atar (CE, 19 juin 2020, no 434671, B) où il affirme entre autre qu’« il n’est pas question de notification, les jugements de tribunaux et les arrêts de cour ne deviennent irrévocables au plus tôt qu’à l’expiration du délai d’appel ou de cassation ». C’est la notion de « prononcé » de la décision juridictionnelle qui pose davantage question et a pu conduire certains arrêts à faire courir le délai à la date de lecture du jugement ou de l’arrêt rendu (voyez, par exemple, la 5e chambre de cette cour dans son arrêt SARL Immobilière Sainte‑Catherine du 26 mars 2018, no 16MA03623 ou Bordeaux, 9 juillet 2019, no 17BX02567). La décision commune d’Izeaux (22 mai 2012, no 339504, B) ne tranche pas la question qui nous occupe. Il s’est agi, dans le cadre de l’application du décret du 7 février 2012 et de l’article R. 512‑74 du code de l'environnement qui fixe à trois ans le délai de caducité des autorisations d’exploitation des ICPE, d’aménager de manière prétorienne un régime de suspension du délai de validité d’une autorisation d’exploiter une installation classée faisant l’objet d’un recours juridictionnel et le Conseil d'État, invité par son rapporteur public à aligner le régime sur celui des permis de construire, a considéré que la course du délai suspendu ne pouvait reprendre qu’à compter de la date de la notification d’une décision juridictionnelle irrévocable. Mais tel que cela ressort tant du fichage de cette décision que des conclusions de Xavier De Lesquen, l’alignement prétorien du régime des ICPE sur celui des permis de construire pour ce qui concerne l’effet suspensif de l’introduction du recours contre l’autorisation et la prise en compte de la cassation n’a pas concerné la question de la date de reprise de la course du délai de validité qui n’était pas en débat et qui n’a pas été retenu puisque le Conseil d'État a préféré la fixer à la date de notification de la décision de justice et non à la date de son prononcé ou de sa lecture, et n’a pas davantage offert une quelconque interprétation des termes de l’article R. 424‑19 sur ce point. Autrement dit, si vous vouliez conforter l’alignement des deux régimes de caducité alors il faudrait fixer la reprise du délai à la date de notification alors que l’article R. 424‑19 la fixe au prononcé de la décision juridictionnelle irrévocable. De même, on ne saurait vous assurer qu’il faille voir un indice quelconque à interpréter dans la substitution opérée par le Conseil d'État du terme « intervention » à celui de « prononcé » dans la décision Atar précitée, car nous ne le pensons pas. Le prononcé et l’intervention correspondent à l’apparition de la décision dans l’ordonnancement juridique, sa date de naissance et celle de son opposabilité, c’est‑à‑dire sa date de lecture. Toutefois, à sa date de lecture, une décision juridictionnelle n’est pas encore irrévocable et ne le sera qu’en l’absence de requête d’appel ou de pourvoi en cassation avant l’expiration du délai de recours. Autrement dit, un pétitionnaire ne saurait qu’après avoir éventuellement attendu pendant deux mois l’expiration du délai de recours si ces derniers ont été ou non perdus pour mettre en œuvre l’autorisation dont il bénéficie, à moins de prendre le risque d’exécuter cette autorisation dont l’examen de la légalité n’est certes plus pendant devant une juridiction mais sur laquelle pèse encore fortement, dans les suites immédiates de la récente notification de la décision rendue et pour les deux mois suivants, la menace de la poursuite de l’action engagée en vue de son annulation juridictionnelle. Les raisons qui fondent le dispositif de suspension, et principalement la prise en compte de la légitime prudence dont doit faire preuve le titulaire d’un permis dont l’annulation demandée est pendante devant une juridiction, nous paraissent pouvoir être bienveillamment étendue dans ce court délai d’exercice d’une voie de recours durant lequel l’insécurité juridique qui perdure s’oppose à la mise en œuvre du permis. C’est cette prudence qui a conduit à la mise en œuvre du référé suspension, c’est elle qui marque toute l’importance des conditions dans lesquelles un pétitionnaire du fait des mesures de publicité et d’affichage peut être assuré que les délais de recours contre son permis sont purgés. Il ne serait donc pas incohérent d’en tenir compte pour estimer qu’il ne serait pas raisonnable de l’inciter à exécuter son permis dès la date de lecture de la décision de justice à laquelle, par définition, elle n’a pas encore acquis de caractère irrévocable. Par ailleurs, prendre pour point de reprise du délai la date de lecture de la décision n’offre pas au bénéficiaire du permis toutes les garanties de publicité attendue. Les délais de recours contre la décision de justice ne courent d’ailleurs qu’à compter de sa notification. Et puis, dès lors que la course du délai de validité du permis se trouve, en application de l’article R. 424‑19, suspendue lorsque la décision juridictionnelle est contestée en appel ou en cassation, on a du mal à saisir une autre utilité à l’adjonction du qualificatif « irrévocable » que de celle de fixer la fin de la suspension à la date où cette condition s’avère remplie. En effet, les rédacteurs de cet article, s’ils avaient entendu fixer le point de reprise du délai de validité à la date de lecture de la décision juridictionnelle auraient pu simplement l’indiquer en usant de termes clairs tels que « jusqu’à la date de lecture » ou « jusqu’au prononcé », « jusqu’à l’intervention » d’une décision juridictionnelle, sans besoin de préciser de manière superfétatoire qu’elle devrait être irrévocable, puisque l’exercice d’une voie de recours s’opposant à cette irrévocabilité entraine de toutes façons, en application du R. 424‑19, la suspension du délai de validité du permis. Nous vous proposons donc de conférer une portée utile à ces dispositions en fixant la fin de la suspension à la date à laquelle la décision juridictionnelle a acquis un caractère irrévocable.
En l’espèce, la notification du jugement rendu sur le recours juridictionnel introduit contre le permis étant intervenu le 30 mai 2016 et la course du délai de validité restant a donc pu reprendre dès le 31 juillet suivant pour expirer 31 mois plus tard, fin février 2019. Le permis n’était donc pas caduc à l’ouverture du chantier déclarée le 4 février 2019. Le moyen sera accueilli.
Notez, si vous ne nous suiviez pas et choisissiez de faire reprendre le délai de validité du permis à compter de la lecture du jugement, le 12 mai 2016, le permis s’avèrerait caduc trente et un mois plus tard, dès le courant du mois de décembre 2018, antérieurement à la déclaration d’ouverture du chantier du 4 février 2019.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement et de l’arrêté attaqués et à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la commune de Nice en application de l'article L. 761‑1 du code de justice administrative.