‑ I ‑
L’établissement français du sang, créé par la loi no 98‑535 du 1er juillet 1998, est, en vertu des dispositions de l’article L. 1222‑1 du code de la santé publique, « un établissement public de l’Etat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé ». Selon les mêmes dispositions, il est notamment chargé de veiller « à la satisfaction des besoins en matière de produits sanguins labiles », d’organiser, « sur l'ensemble du territoire national les activités de collecte du sang, de préparation et de qualification des produits sanguins labiles, ainsi que leur distribution aux établissements de santé » et de « gérer le service public transfusionnel et ses activités annexe ». Il succède, dans ces missions, à l’Agence française du sang et à l’Institut national de la transfusion sanguine, lesquels avaient eux‑mêmes été précédés par le Centre national de transfusion sanguine, créé en 1949 au sein de l’hôpital Saint‑Antoine à Paris, à l’initiative du docteur Arnault Tzanck.
L’établissement français du sang assure, à ce titre, la collecte du sang sur le territoire français et de l’activité transfusionnelle, en ce comprise la fourniture aux établissements de soins de produits sanguins labiles. Jusqu’en 2019, il assuré cette mission en soumettant lesdits produits à un taux de taxe sur la valeur ajoutée de 2,1 %, conformément aux tarifs figurant à l’article 4 de l’arrêté du 9 mars 2010, abrogé par celui du 26 décembre 2018 et lui‑même pris sur le fondement des dispositions de l’article 281 octies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable jusqu’au 31 décembre 2021, par renvoi au 1° de l’article L. 1221‑8 du code de la santé publique. Cette rédaction était issue de l’ordonnance no 2000‑548 du 15 juin 2000 relative à la partie législative de ce code.
Se prévalant de l’interprétation donnée aux dispositions du d) du § 1er de l’article 132 de la directive « TVA » no 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 par la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 5 octobre 2016 (v. no C‑412/15 TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH c/ Firanzant Kassel II‑Hofgeismar au recueil numérique), dont il déduisent que la livraison de tels produits doit être exonérée de cette taxe, huit établissements de soins ont sollicité de l’établissement français du sang, le 30 septembre 2019, le « remboursement de la TVA ayant été facturée à tort de janvier 2015 à décembre 2018 dans le cadre des livraisons des produits sanguins labiles dérivés du sang total ». Mais ces demandes étaient toutes rejetées expressément le 27 janvier 2020. Six des établissements de soins se sont alors tournés vers le tribunal administratif de Toulon et les deux autres vers celui de Marseille, selon leur compétence territoriale propre.
Par six ordonnances du 18 février 2021 prises sur le fondement des dispositions des 4° et 7° de l’article R. 222‑1 du code de justice administrative, d’une part, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon n’a pas davantage fait droit à leurs demandes contentieuses, jugées irrecevables en tant qu’elles étaient regardées comme tendant à l’annulation des décisions expresses de rejet précitées et comme assorties exclusivement de moyens inopérants, en tant qu’elles tendaient à la condamnation de l’établissement français du sang à rembourser la taxe sur la valeur ajoutée indument collectée, sur le seul terrain fiscal, selon le premier juge. D’autre part, une formation collégiale du tribunal administratif de Marseille, cette fois‑ci par des jugements du 27 avril 2021, a rejeté les conclusions qui lui étaient soumises dans les deux dernières affaires, comme irrecevables s’agissant de celles à fin d’annulation et comme infondées s’agissant du surplus, estimant que la responsabilité contractuelle pour faute de l’établissement français du sang ne pouvait pas plus être retenue.
Par huit requêtes séparées, les établissements de soins intéressés relèvent régulièrement appel devant vous de ces décisions : ces affaires présentant à juger des questions en grande partie identiques, nous vous proposons des conclusions communes. Nous précisons pour être complet que la complexité de ces affaires a justifié leur renvoi, à l’issue d’une précédente audience du 30 juin dernier, devant cette formation de jugement solennelle.
‑ II ‑
Sur le plan de leur régularité, tout d’abord, les six ordonnances attaquées sont à notre sens entachées d’incompétence, dès lors que seule une formation collégiale pouvait statuer sur les demandes soumises au tribunal administratif de Toulon (v. CE 16 janvier 1998 assoc. Aux amis des vieilles pierres d’Aiglemont no 153558 B).
En effet, les requérantes, liées par des contrats de droit public avec l’établissement français du sang, n’étaient certes pas recevables à demander l’annulation d’une mesure d’exécution de ce contrat ne portant pas sur sa résiliation, seule la voie indemnitaire leur étant ouverte dans un tel cas (v. Sect. 21 mars 2011 cne de Béziers no 304806 A ; sur le principe qui demeure en l’absence de contestation d’une mesure de résiliation : Sect. 24 novembre 1972 soc. Des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau Rec. p. 753 ; pour un rappel en matière de non‑reconduction d’une convention parvenue à son terme, distincte de sa résiliation à cet égard : CE 21 novembre 2018 soc. Fêtes loisirs no 419804 B).
Toutefois, les demandes présentées devant les premiers juges par les requérantes, en vue comme nous l’avons dit du « remboursement de la TVA ayant été facturée à tort de janvier 2015 à décembre 2018 dans le cadre des livraisons des produits sanguins labiles dérivés du sang total » doivent être regardée, en dépit de la mention de la nature « contractuelle » assignée par leurs auteurs aux créances correspondantes, comme tendant dès leur origine à la répétition de l’indu correspondant au montant de cette taxe facturé à tort à la requérante par l’établissement français du sang. L’objet de ces demandes, comme des demandes préalables du 30 septembre 2019, est, à cet égard, sans ambiguïté, les établissements de soins y sollicitant, de manière limpide, la restitution de la part du prix acquittée sur le fondement, selon leurs auteurs, de dispositions fiscales inconventionnelles.
Il s’ensuit que les décisions du 27 janvier 2020 par lesquelles le directeur de cet établissement a rejeté ces demandes ne constituait pas des mesures d’exécution des contrats les liants l’un aux autres, mais avait pour seul objet de lier le contentieux à objet pécuniaire dont relevaient ces demandes. Le magistrat désigné du tribunal a ainsi erré dans la qualification juridique de ces demandes et par suite, des décisions dont s’agit.
Or, cette erreur a eu pour conséquence qu’il s’est, à tort également, abstenu de statuer sur les mêmes demandes, dont la recevabilité n’était pas discutée devant lui et qu’il n’a pas lui‑même contestée d’office. Par suite, en rejetant ces six demandes par ordonnance, sur le fondement des dispositions des 4° et 7° de l’article R. 222‑1 du code de justice administrative, alors qu’elles ne relevaient d’aucune des rubriques de cet article, le premier juge a entaché sa décision d’irrégularité au regard de ces dispositions (v. CE 20 octobre 2010 M. Z. no 333673 C ; 27 janvier 2011 M. P. et a. no 342046 C).
En revanche, c’est à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a regardé les demandes d’annulation dirigées contre les décisions se bornant à lier le contentieux comme irrecevables (v. CE 11 juin 2003 M. C. no 248865 B).
Nous ne vous proposons pas, toutefois, d’annuler pour ce motif les ordonnances dont s’agit, dès lors que les estimons plus radicalement vicier, au fond.
‑ III ‑
‑ A ‑
Mais avant d’aborder ce dernier, vous rejetterez comme irrecevables, pour le même motif, les conclusions à fin d’annulation que les requérantes persistent à présenter à l’encontre des décisions du 27 janvier 2020, dans les six premières affaires.
‑ B ‑
‑ 1 ‑
Par ailleurs et d’une part, il résulte de ce que nous venons de dire de l’objet des demandes présentées devant les premiers juges par les requérantes, que la fin de non‑recevoir opposée par cet établissement, tirée de ce que ce fondement juridique serait nouveau en appel, doit alors être écartée dans chaque affaire. Et ce, quelle que soit la pertinence de la qualification qu’ont pu leur donner les premiers juges (comp. CE 30 décembre 2002 Me C. no 224413 B, analysant les écritures de première instance pour déduire le caractère nouveau en appel, dans cette affaire, de l’action indemnitaire fondée sur la garantie décennale des constructeurs). Vous interprétez souverainement, du reste, les écritures des parties sur ce point (v. CE 16 octobre 1992 Mme Dupuis no 119137 A).
D’autre part, il résulte de ce qui précède que lesdites demandes ne constituent pas des réclamations en matière fiscale devant être présentée exclusivement à l’Etat au regard des dispositions de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales. Elles se rattachent, au contraire, sinon au texte, du moins aux principes dont s’inspirent les dispositions de l’ancien article 1376 du Code civil, reprises aujourd’hui à son article 1302‑1 et selon lesquelles : « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ». Vous écarterez donc rapidement la fin de non‑recevoir également opposée par l’établissement français du sang, tirée de que ces actions seraient mal dirigées contre lui (comp., accueillant une telle fin de non‑recevoir dans une affaire où la restitution de l’indu litigieux n’incombait pas à la partie attraite : CAA Lyon 7 janvier 2010 EARL Le Bru et a. no 07LY02711).
‑ 2 ‑
‑ a ‑
S’agissant, enfin, de votre examen d’office de la recevabilité de ces demandes, il est vrai que l’action en répétition de l’indu est jugée présenter un caractère à la fois exceptionnel et subsidiaire (v. CE 24 avril 1912 Baudinaus Rec. p. 484 ; Sect. 18 juin 1976 cne. de Vaulx‑en‑Velin Rec. p. 319). Cette solution interdit aux plaideurs d’y recourir lorsqu’ils disposaient d’autres voies de droit leur permettant d’aboutir au même résultat, notamment pour contourner une éventuelle forclusion qui lui serait opposable sur le terrain principal (v. CE 13 juillet 2011 Soc. bretonne de fonderie et mécanique no 318788 C jugeant que « le principe de répétition de l’indu, qui présente un caractère subsidiaire, ne saurait permettre à une personne au profit de laquelle une voie de droit était ouverte pour obtenir le remboursement de sommes qui lui étaient dues de rouvrir le délai qu’elle a laissé expirer »).
Au cas présent, toutefois, aucune autre action contentieuse ne permettait selon nous aux requérantes d’obtenir le remboursement des sommes selon elles indument versées.
Il en va ainsi, en premier lieu, de la responsabilité contractuelle de l’établissement français du sang, dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction que cet établissement, collectant ladite taxe pour le compte de l’État et qui s’est borné, dans ce cadre, à faire application de la législation fiscale alors applicable, aurait commis une faute contractuelle à cette occasion. Ce n’est, en effet, que dans l’hypothèse où il aurait commis une erreur dans la facturation de la taxe sur la valeur ajoutée ou s’il avait, de son propre chef, en l’absence de législation ou d’interprétation administrative l’y contraignant, facturé celle‑ci aux requérantes, qu’une faute contractuelle pourrait lui être reprochée (v. s’agissant des volets « Nord » et « Est » de cette série d’affaires : CAA Versailles 26 janvier 2021 Groupement des hôpitaux de l’institut catholique de Lille no 19VE02822 ; assoc. Marie Lannelongue no 19VE02751 ; Fond. Saint‑Vincent‑de‑Paul no 19VE02742 ; assoc. Hôpital Foch no 19VE02704 ; assoc. Les amis de la médecine sociale no 19VE02683 ; assoc. Hôpitaux privés de Metz no 19VE02680).
En deuxième lieu, sa responsabilité quasi‑contractuelle ne saurait davantage être engagée, puisque les contrats en litige ne sont pas eux‑mêmes argués d’illégalité ni a fortiori écartés pour ce motif, la cause du prétendu enrichissement de l’établissement français du sang demeurant, à supposer même celui‑ci établi (v. pour un précédent relativement topique : CE 25 novembre 1985 SA Huileries réunies no 40288 B ; comp. en présence d’un engagement contractuel déclaré illégal : CE 29 juin 2016 soc. Château Barrault, Soc. d’aménagement du domaine de Château Barrault no 378020 B). En effet, le paiement du prix stipulé était alors dû par les requérantes et de nouveau, il incluait un taux de taxe sur la valeur ajoutée de 2,1 % conformément aux dispositions légales et réglementaires précitées.
En troisième lieu, aucune faute quasi‑délictuelle ne peut davantage être reprochée à l’établissement français du sang, qui n’avait, en réalité, aucune possibilité de s’affranchir du respect de ces dispositions, n’a pas commis une telle faute à l’occasion de leur mise en œuvre et, bien sûr, ne saurait être jugé responsable de leur adoption ou de leur maintien en méconnaissance du droit de l’Union européenne, le cas échéant – nous y reviendrons.
En dernier lieu, les requérantes ne nous paraissent pas, à la réflexion, susceptibles d’agir directement à l’encontre de l’État, en vue d’obtenir le remboursement du produit de la taxe litigieuse, collectée à son profit par l’établissement français du sang, autrement dit d’exercer une action fiscale.
Seul, en effet, le redevable de l’imposition peut exercer une telle action, dans le cadre procédural défini notamment par les articles L. 190 et R. 190‑1 et suivants du livre des procédures fiscales, ce dernier article, notamment, évoquant expressément le seul « contribuable ». Or, il s’agit au cas présent l’établissement français du sang et non des établissements de soins auxquels il a facturé la taxe litigieuse, puisque c’est le premier qui réalise les « opérations imposables » assujetties à cette taxe. Il est, dès lors, le redevable de l’impôt au regard des dispositions du 1. de l’article 283 du code général des impôts (v. CE plén. fisc. 11 décembre 2020 min. c/ Soc. Conversant international limited no 420174 A ; CE 25 juin 2003 M. Arnaudo no 237914 B), comme du reste des articles 193 et 203 de la directive « TVA ».
Au regard de cette solution, la seconde fin de non‑recevoir opposée par l’établissement français du sang ne pouvait, derechef, aboutir. Et l’action en répétition de l’indu présentée par chaque requérante est, dès lors, recevable.
‑ b ‑
Nous ajoutons, pour terminer sur ce point, que l’approche contentieuse des requérantes nous paraît sinon dictée par le droit de l’Union européenne, du moins cohérente avec les positions de sa Cour de justice concernant le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée collectée à tort.
Celle‑ci considère, en effet, qu’il appartient aux seuls États membres, titulaire de la compétence fiscale, d'assurer le remboursement des taxes perçues en violation du droit communautaire, conformément aux dispositions de leur droit interne (v. CJCE 27 février 1980 no C‑68/79 Hans Just Rec. p. 253 ; 27 mars 1980 no C‑61/79 Denkavit italiana Rec. p. 1205 ; 10 juillet 1980 no C‑811/79 Ariete Rec. p. 2556 ; no C‑826/79 Mireco Rec. p. 2559). Ce qui entraine, en premier lieu, le droit à la décharge des impositions inconventionnelles (v. CE 14 octobre 2020 no 421524 soc. AVM International Holding BF C) et le cas échéant, à la restitution – au redevable – de celles acquittées à tort, quelque excusable que soit l’erreur commise par les autorités nationales et à leur suite, les contribuables (v. CJCE plén. 2 décembre 1997 no C‑188/95 Fantask A/S et a. Rec. p. 6820). Ces mesures correctives doivent elles‑mêmes intervenir conformément aux règles du droit national eu égard au principe d’autonomie procédurale des États membres (v. CJCE plén. 22 octobre 1998 nos C‑10/97 et C‑22/97 IN. CO. GE et a. Rec. p. 6307).
S’agissant donc du redevable de la taxe sur la valeur ajoutée, ce sont alors les dispositions de l’article L. 190 du LPF qui sont applicables (v. mutatis mutandis à propos d’une action en restitution d’une imposition inconstitutionnelle : CE 9 juin 2020 Soc. locale d’épargne de Haute‑Garonne Sud‑Est no 438822 B, jugeant que
« l’article L. 190 du livre des procédures fiscales s’applique à l’ensemble des demandes formées par les contribuables tendant à la restitution d’impositions entrant dans son champ et en particulier à celles qui tendent à la restitution d’une imposition fondée sur des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution » ;
à propos d’une doctrine fiscale inconventionnelle : CE avis 23 mai 2011, Sté Santander Asset Management SGIIC SA no 344678 et a. A ; comp. en l’absence de déclaration d’inconventionnalité de la loi fiscale : CE 20 mars 2013 M. Gilbaut no 357948 B ; rappr. en l’absence de preuve du paiement effectif de la TVA litigieuse : CAA Bordeaux 23 octobre 2008 min. c/ soc. Frigemar no 07BX00303).
Ces dispositions et notamment le délai court de prescription applicable à l’exercice de l’action qu’elle prévoient ont, du reste, été elles‑mêmes jugées conformes au droit de l’UE (v. à propos il est vrai du délai initial de 4 ans, étant relevé qu’il s’appliquait à l’ensemble des demandes de restitution en matière fiscale, pouvant à cet égard déroger au délai de prescription de droit commun à l’encontre des particuliers : CE 9 juillet 2010 soc. Générale d’optique no 309411 C ; rappr. CJCE 28 novembre 2000 SA Roquette Frères no C‑88/99 Rec. p. 10465 ; comp. CJUE 14 octobre 2020 no C‑677/19 SC Valoris SRL à publier, sanctionnant pour violation du principe d’équivalence un délai dérogatoire de seulement un an prévu par le droit fiscal roumain).
S’agissant ensuite de l’opérateur final auprès duquel la taxe a été indûment collectée, un État membre est en droit de s'opposer à une demande de remboursement d'une taxe perçue en violation du droit de l’UE formulée par l'acheteur sur lequel cette taxe a été répercutée, au motif que ce n'est pas ce dernier qui l'a versée aux autorités fiscales, seulement si celui‑ci peut, en vertu du droit interne, exercer une action civile en répétition de l'indu à l'encontre de l'assujetti (v. CJUE 15 mars 2007 Reemtsma Cigarettenfabriken GmbH no C‑35/02 Rec. p. 12229 ; 26 avril 2017 Tibor Farkas no C‑564/15 au recueil numérique ; 11 avril 2019 PORR Epitési Kft no C‑691/17 au recueil numérique). Autrement dit, à défaut de pouvoir demander le remboursement de la taxe indument versée à l’État, cet opérateur doit, en vertu du principe d’effectivité, pouvoir en obtenir l’équivalent auprès de l’agent qui la lui a facturée à tort (v. CJUE 6 février 2004 SC Fatorie SRL no C‑424/12 au recueil numérique ; 26 avril 2017 préc. ; 11 avril 2019 préc. ; adde CE 15 novembre 2019 soc. Eye Shelter no 420251 B).
Toutefois, le remboursement par ce dernier de la taxe indue ne doit pas être rendu pratiquement impossible ou excessivement difficile faute de quoi l’agent considéré doit pouvoir agir directement contre l’État membre (v. CJUE 20 octobre 2011 no C‑94/10 Danfoss A/S et Sauer‑Danfoss ApS Rec. p. 9963). Mais rien n’est précisé sur la voie procédurale adéquate dans un tel cas.
Et c’est, du reste, à l’aune de cette jurisprudence européenne, que l’administration fiscale admet la possibilité, pour le collecteur de bonne foi ayant facturé à tort de la taxe sur la valeur ajoutée, auquel il incombe par ailleurs, en vertu des dispositions du b) du III de l’article 271 dudit code, « de procéder à une régularisation : (…) b) Lorsque l'opération n'est pas effectivement soumise à l'impôt (…) », d’émettre une facture rectificative annulant et remplaçant la précédente, faisant référence à la facture initiale et portant mention explicite de l'annulation de cette dernière (v. BOI‑TVA‑DECLA‑30‑20‑20‑30 du 25 septembre 2019 § 390 et BOI‑TVA‑DED‑40‑10‑10 du 7 février 2018 I‑B § 60). Cette doctrine est toutefois plus stricte que la position du juge de l’Union européenne, lequel ne pose pas de condition de bonne foi à une telle régularisation, en l’absence de risque de perte fiscale (v. notamment 6 novembre 2003 Vlachos nos C‑78/02 à C‑80/02 Rec. p. 13295).
‑ IV ‑
Ces précisions faites, nous en arrivons à l’examen bienfondé des actions en répétition de l’indue présentées par les requérantes.
‑ A ‑
‑ 1 ‑
L’arrêt précité de la CJUE du 5 octobre 2016 est, rappelons‑le, venu préciser, au regard des objectifs du d) du § 1er de l’article 132 de la directive « TVA » no 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, que la livraison de tels produits devait être exonérée de cette taxe.
Ces objectifs sont les suivants : « […] Les États membres exonèrent les opérations suivantes : […] les livraisons d'organes, de sang et de lait humains […] ». Ils sont repris pour ainsi dire tels quels au 2° du 4. de l’article 261 du CGI aux termes duquel « Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : […] Les livraisons, commissions, courtages et façons portant sur les organes, le sang et le lait humains ». La cour interprète ainsi les objectifs dont s’agit comme concernant non seulement le sang dit complet, mais également l’ensemble de ses produits dérivés, dont les produits sanguins labiles dont la facturation est présentement en litige.
Comme le rappelait, en effet, l’avocat général Wahl dans ses conclusions dans cette affaire, la question d’ordre général posée à la cour était la suivant : « la livraison de plasma sanguin destiné à la fabrication de médicaments constitue‑t‑elle une opération exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ? » Difficile, dans ces conditions et alors que les dispositions appliquées sont celles de la directive du 28 novembre 2006, de ne pas regarder la solution retenue à l’égard du droit allemand comme n’invalidant pas les dispositions contestées de l’arrêté du 9 mars 2010.
Le même avocat général indiquait, en outre, « que, en vertu d’une jurisprudence constante, l’objectif poursuivi par les exonérations prévues à l’article 132, paragraphe 1, de la directive TVA vise à faciliter l’accès à certaines prestations ainsi que la fourniture de certains biens en évitant les surcoûts qui découleraient de leur assujettissement à la TVA. Ces exonérations constituent des notions autonomes du droit de l’Union ayant pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre » (v. CJUE 26 février 2015 VDP Dental Laboratory nos C‑144/13, C‑154/13 et C‑160/13, au recueil numérique). Et d’ajouter que
« la directive TVA ne définit ni la notion de « sang » ni les autres éléments énumérés à son article 132, paragraphe 1, sous d) (« organes humains » et « lait humain »). La cour n’a pas non plus eu l’occasion à ce jour de fournir des orientations à propos de ces notions. Il est cependant clair qu’elles doivent recevoir une interprétation autonome et uniforme, propre au droit de l’Union en matière de TVA ».
Par ailleurs, « Le but ultime de ces exemptions est donc d’éviter que les produits ou les services visés par cette disposition ne deviennent moins accessibles du fait des coûts accrus qu’ils auraient si leur fourniture était soumise à la TVA ». Il en déduit alors que « Sous cet angle de vue, la notion de « sang » ne peut pas ne pas inclure ses composants tels que le plasma ».
Sur le plan pratique, il relevait encore que « les livraisons de sang total représentent de nos jours un cas relativement rare. Même les opérations effectuées à des fins thérapeutiques impliquent la plupart du temps la livraison de composants sanguins, tels que le plasma. C’est un fait que le législateur de l’Union, qui a adopté la refonte de la directive TVA en 2006, ne pouvait pas ignorer ». Il estime encore qu’il « est évident que les coûts des hôpitaux et des établissements de même nature utilisant du plasma sanguin à des fins thérapeutiques augmenteraient » et qu’alors « que l’utilisation de sang total serait exonérée, l’utilisation d’un ou de plusieurs de ses composants ne le serait pas. Ainsi, proportionnellement, le coût d’une livraison de sang total à un patient nécessitant une transfusion serait inférieur au coût du même traitement impliquant, pour sa part, seulement du plasma ou des plaquettes. Tel ne peut pas […] avoir été le résultat voulu par le législateur ».
La lecture que les requérantes retiennent de cet arrêt nous paraît, dès lors, la bonne.
‑ 2 ‑
S’agissant de sa portée en droit interne, le Conseil d’État retient, il est vrai, une interprétation restrictive de la portée des arrêts du juge de l’Union européenne lorsqu’il ne se prononce pas sur la compatibilité avec le droit communautaire du droit français, mais de celui d’un autre État membre (v. CE avis 23 mai 2011 soc. Santander Asset Management SGIIC SA et a. nos 344678 et a. A ; Sect. 30 décembre 2013 soc. Rallye no 350100 A ; CE 2 février 2022 soc. Sofina no 441511 B). Ces solutions ont, cependant, été dégagées à propos non pas de la conventionnalité de dispositions nationales, mais seulement pour l’application des dispositions des articles L. 190 et R. 196‑1 du LPF.
Ainsi jugé que « seules les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne retenant une interprétation du droit de l’Union qui révèle directement une incompatibilité avec ce droit d’une règle applicable en France sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d’un tel événement, au sens et pour l’application de l’article R. 196‑1 du livre des procédures fiscales, et de la période sur laquelle l’action en restitution peut s’exercer en application de l’article L. 190 du même livre. En principe, tel n’est pas le cas d’arrêts de la cour de justice concernant la législation d’un autre État membre, sous réserve, notamment, de l’hypothèse dans laquelle une telle décision révèlerait, par l’interprétation qu’elle donne d’une directive, la transposition incorrecte de cette dernière en droit français » (rappr. à propos d’une législation fiscale inconstitutionnelle, tenant compte toutefois des pouvoirs que le Conseil constitutionnel tire des dispositions de l’article 62 de la Constitution pour définir lui‑même la portée des déclarations d’inconstitutionnalité qu’il prononce sur le fondement de celles de son article 61‑1 : CE avis 11 janvier 2019 SCI maximoise de création no 424819 A ; 6 février 2019 SAS Bourgogne primeurs no 425509 B).
Au cas présent, comme nous l’avons indiqué, l’action des requérantes n’est pas menée sur le terrain fiscal et ne pourrait d’ailleurs pas l’être. En tout état de cause, l’interprétation de la directive du 28 novembre 2006 donnée par la cour nous semble bel et bien révéler une incompatibilité frontale des dispositions de l’arrêté du 9 mars 2010 comme de celles de l’article 281 octies du code général des impôts le fondant, avec ses objectifs (v. mutatis mutandis CE 12 juillet 2012 CU de Nantes Métropole no 342967 C).
‑ 3 ‑
Nous rappelons, enfin, que tout justiciable peut demander l’annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d’action ou par voie d’exception, qu’après l’expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives (v. Ass. 30 octobre 2009 Mme Perreux no 298348 A ; sur l’invocabilité des directives à l’encontre des actes réglementaires : CE 7 décembre 1984 Féd. fr. des soc. de protection de la nature nos 41971 et a. A ; sur l’obligation d’abrogation des dispositions réglementaires contraires aux directives : Ass. 3 février 1989 Cie. Alitalia no 74052 A).
Mais si cette directive a été transposée, ses dispositions ne sont plus invocables qu’à l’appui d’une critique des dispositions la transposant (v. encore Ass. 30 octobre 2009 préc. ; CE 30 janvier 2019 Ordre des avocats à la CA de Paris et a. nos 408258 et a. C ; 3 décembre 2014 Assoc. des commerçants et artisans du Grand Dax nos 372447‑372487 C ; rappr. concernant l’absence de transposition : CE 28 novembre 2011 min. de l’intérieur, de l’outre‑mer, des collectivités territoriales et de l’immigration no 343248 A). À défaut, c’est au regard de ces dernières que l’illégalité de l’acte réglementaire doit être invoquée et le moyen tiré de la méconnaissance par cet acte des dispositions transposées de la directive est inopérant (v. CE 14 juin 2018 Assoc. trinationale de protection nucléaire et a. nos 408881‑408893 B ; 15 février 2021 assoc. Étangs de France et a. nos 435026 et a. C ; 27 mars 2015 M. Daste no 374234 C ; rappr. concernant l’inconventionnalité d’un acte non réglementaire au regard de dispositions d’une directive transposée par des dispositions qui le sont : CE 22 février 2016 Rép. et Canton de Genève nos 373516‑373517 B).
Et il ne vous appartient pas de relever d’office l’inconventionnalité d’une norme nationale, qui n’est pas d’ordre public (v. CE 16 janvier 1995 SARL Constructions industrielles pour l’agriculture no 112746 A).
Or, au cas présent, les dispositions précitées du 2° du 4. de l’article 261 du code général des impôts doivent, ainsi qu’il est soutenu par les requérantes, être regardées comme transposant celles également précitées du § 1er de l’article 132 de la directive « TVA » (v. mutatis mutandis à propos d’autres dispositions des mêmes articles : CE 10 décembre 2021 SNC MCC Axes no 457050 C ; 29 juillet 2020 SNCPRE no 440591 C ; 22 juillet 2020 M. Bor no 438849 C). Elles doivent, qui plus est, être elles‑mêmes interprétées conformément à l’interprétation précitées de la CJUE (v. encore CE 22 juillet 2020 préc. ; 22 décembre 1989 min. c/ Cercle militaire mixte de la caserne Mortier no A ; 9 janvier 1991 min. c/ Caisse mobilière et industrielle no 65916 A ; adde CJUE 10 avril 1984 Von Colson et Kamann Rec. p. 1891 ; 13 novembre 1990 Marleasing Rec. p. 4135), comme exonérant de taxe sur la valeur ajoutée la livraison de produits sanguins. Leur compatibilité avec les objectifs de la directive n’est aucunement contestée, cependant – et pour cause au regard de ce qui précède.
En revanche, nous doutons que les dispositions de l’article 281 octies du même code dans leur rédaction applicable jusqu’au 31 décembre 2021 assurent elles‑mêmes une telle transposition, dès lors qu’elles apportent au contraire une dérogation expresse non prévue par la directive au principe formulé au 2° du 4. de son article 261. En tout état de cause, en contestant, comme elles le font dans leurs écritures, la compatibilité avec ses objectifs de la taxe sur la valeur ajoutée qui leur a été facturée, les requérantes peuvent sans difficulté être regardées comme invoquant l’exception d’inconventionnalité de l’ensemble du dispositif fiscal français soumettant les produits labiles dérivés du sang à un taux de 2,1 %, en ce compris, donc, l’article 281 octies (v. pour une telle interprétation extensive : Ass. 28 février 1992 soc. Arizona Tobacco Products et SA Philip Morris France no 87753 A ; SA Rothmans Int. France et SA Philip Morris France nos 56776‑56777 A et les conclusions de Mme Laroque dans ces affaires).
C’est pourquoi nous pensons les actions qui vous sont présentées fondées, à la réflexion.
‑ B ‑
Par ailleurs, les créances des intéressées ne sont pas prescrites, contrairement là encore à ce que soutient l’établissement français du sang. En effet, les créances des requérantes sur lui n’étant pas de nature fiscale – mais de nature sinon commerciale, du moins civile, les délais de prescription applicables aux actions fiscales ne le leur sont pas. Il en va ainsi, évidemment, de celle prévue au 4e alinéa de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales aux termes duquel :
« Ces actions (…) se prescrivent par deux ans, selon le cas, à compter de la mise en recouvrement du rôle, de la notification de l'avis de mise en recouvrement ou du titre de perception émis en application de l'article L. 256 B, de la date à laquelle le titre émis en application de l'article L. 256 D est rendu exécutoire ou, en l'absence de mise en recouvrement, du versement de l'impôt contesté ou de la naissance du droit à déduction ».
Et nous pensons qu’il en va de même de celle instituée par l’article L. 190 A du même code, qui dispose que
« L'action en réparation du préjudice subi fondée sur la non‑conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure ou la demande de dommages et intérêts résultant de la faute commise dans la détermination de l'assiette, le contrôle et le recouvrement de l'impôt ne peut porter que sur une période postérieure au 1er janvier de la deuxième année précédant celle au cours de laquelle l'existence de la créance a été révélée au demandeur ».
Car, à notre sens, une telle action indemnitaire, dont le fait générateur est soit l’illégalité – par hypothèse fautive (v. Sect. 26 janvier 1973 Ville de Paris c/ Sieur Driancourt no 84768 A) – de la règle fiscale, soit la faute commise dans son application, n’appartient qu’au redevable de l’impôt. Il s’agira alors, de rechercher la responsabilité de l’Etat soit du fait d’un acte administratif contraire à une norme internationale (v. encore Ass. 28 février 1992 préc.), soit du fait d’une faute – désormais simple (v. CE 21 mars 2011 M. Krupa no 306225 A) – des services fiscaux (v. CE 3 août 2011 min. c/ soc. Dirland et MM. Dirler nos 307164‑307325‑307432 B). Du reste, le positionnement de ces dispositions immédiatement après celles relatives aux réclamations en matière fiscale, nous paraît le confirmer.
Il s’ensuit que le délai de prescription de droit commun – quadriennal – prévu à l’article 1er de la loi no 68‑1250 du 31 décembre 1968 est seul applicable. En l’espèce, il n’est pas contesté et ne résulte pas de l’instruction que les créances des requérantes, que celles‑ci limitent expressément à quatre années en amont de leurs réclamations préalables, auraient été prescrites au regard de ces dispositions. C’est pourquoi vous écarterez l’exception de prescription opposée par l’établissement français du sang dans chaque affaire.
Vous pourrez alors faire intégralement droit aux demandes contentieuses qui vous sont soumises, après avoir annulé en tout ou partie, respectivement, les ordonnances et jugements attaqués.
‑ V ‑
Quelques mots avant de conclure, si vous le voulez bien, alors que nous avons déjà été trop long et vous prions de bien vouloir nous en excuser, de la situation de l’établissement français du sang, si vous deviez nous suivre. Ce dernier fait valoir, en effet, qu’il se trouverait alors condamné à rembourser aux requérantes le produit d’une taxe qu’il n’a pourtant pas conservé, ce qui n’est certes pas contesté, en sa qualité de collecteur de cette dernière pour le compte de l’État.
Une précision tout d’abord : ce que nous vous proposons n’est pas de condamner cet établissement à reverser le produit de ladite taxe aux intéressées, ce qui serait impossible puisqu’il ne l’a pas conservé, mais seulement de leur rembourser une somme correspondant à cette partie indue du prix qui lui a été versé. Ensuite, l’établissement français du sang ne nous semble pas dépourvu, même aujourd’hui, de faculté d’action contre l’État.
‑ A ‑
Il bénéficie ainsi en sa qualité de redevable de la taxe sur la valeur ajoutée indument collectée, des actions prévues par l’article L. 190 du livre des procédures fiscales.
Nous doutons, toutefois, qu’il puisse exercer celle prévue au 3ème alinéa de cet article, aux termes duquel :
« Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction ou à la restitution d'impositions indues, fondées sur la non‑conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, révélée par une décision juridictionnelle ou par un avis rendu au contentieux ».
Car selon son dernier alinéa, « Pour l'application du troisième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux les décisions du Conseil d'État ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 113‑1 du code de justice administrative, les arrêts de la cour de cassation ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 441‑1 du code de l'organisation judiciaire (…), les arrêts du Tribunal des conflits et les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne se prononçant sur un recours en annulation, sur une action en manquement ou sur une question préjudicielle ». Or, ni vos arrêts à intervenir, ni celui de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 novembre 2016 ne nous paraissent pouvoir être regardés comme des décisions ou avis juridictionnel au sens de ce dernier alinéa, en l’absence à la fois de toute décision d’une juridiction suprême nationale, comme du juge européen concernant la législation française spécifiquement (v. encore CE avis 23 mai 2011 préc. ; Sect. 30 décembre 2013 préc. ; CE 2 février 2022 préc.).
En tout état de cause, cette action est soumise elle‑même au délai biennal de prescription instituée par le 4e alinéa du même article, dont nous vous épargnons une nouvelle citation et n’est recevable, en vertu des dispositions de l’article R. 196‑1 du livre des procédures fiscales, que si elle est introduite
« au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : (…) b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. (…) ».
Au cas présent, à supposer même que vos arrêts à intervenir puissent être regardés comme un tel évènement, lequel nous paraît plutôt résider dans l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 5 octobre 2016 (v. Sect. 30 décembre 2013 soc. Rallye no 350100 A), ce qui rouvrirait un délai de réclamation au profit de l’établissement français du sang, sa créance sur l’État serait néanmoins prescrite, selon nous, au regard des dispositions du 4ème alinéa de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales, le versement de l’impôt ayant eu lieu depuis plus de deux ans.
Il faudrait alors se tourner vers l’action fiscale, que nous qualifierons de droit commun, dont dispose l’établissement français du sang en vertu des dispositions du 1er alinéa de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales. Mais là encore, la prescription instituée par le 4e alinéa de cet article semble acquise, sauf pour l’intéressé à se placer sur le terrain du III de l’article 271 du code général des impôts et de la doctrine fiscale précitée et d’émettre des factures rectificatives avant de présenter des demandes de remboursement à l’administration fiscale, dont les décisions subséquentes feraient naitre de nouveaux délai de réclamation et de prescription au regard des mêmes dispositions – étant précisé que sa bonne foi paraît ici peut douteuse, de sorte que la subsistance d’un risque de perte fiscale lui serait, le cas échéant, inopposable.
Nous rappelons, à cet égard, que pour la Cour de justice de l’Union européenne, dès lors que la directive « TVA » ne contient pas de dispositions relatives à la régularisation, par l’émetteur de la facture, de celle indûment facturée (v. en dernier lieu 18 mars 2021 UAB « P. » no C‑48/20 au JO C 191 du 8 juin 2020), il appartient aux États membres d’y apporter une solution (v. en dernier lieu 18 juin 2009 Staatssecretaris van Financiën contre Stadeco BV no C‑566/07 Rec. p. 5295). Dans ce cadre, toute taxe indûment facturée de bonne foi doit pouvoir être régularisée (v. encore notamment CJUE 18 mars 2021 préc. ; 18 juin 2009 préc. ; déjà : CJUE 13 décembre 1989 Genius no C‑342/87 Rec. p. 4227), compte tenu de la simple fonction de collecteur du redevable (v. en dernier lieu CJUE 11 novembre 2021 ELVOSPOL no C‑398/20 à publier).
‑ B ‑
Toutefois, la jurisprudence interne nous semble également ouvrir, dans une situation telle que celle qui vous est aujourd’hui soumise, la voie indemnitaire.
Votre juge de cassation a ainsi estimé, dans la décision min. c/ soc. Dirlang et MM. Dirler du 3 août 2011 et les autres décisions rendues le même jour, toutes aux conclusions de Mme Escaut, que
« les décisions par lesquelles l'administration a, à l'issue d'une procédure de redressement, mis en recouvrement cette taxe sur le fondement de (…) dispositions du CGI [déclarées contraires au droit de l’UE] sont illégales. Si le contribuable a acquitté lui‑même cette taxe sans qu'ait été émis un avis de mise en recouvrement, le paiement des droits équivaut à une décision prise par l'administration à son égard et est également entaché de la même illégalité. La responsabilité de l'Etat est engagée à raison de cette illégalité ».
Dans ses conclusions, Mme Escaut expliquait ainsi que « Le préjudice allégué (…) provient de l’institution d’une taxe contraire au droit communautaire. A l’origine de ce dommage il y a une loi méconnaissant le traité instituant la Communauté européenne. Mais s’interpose entre la loi et le préjudice le paiement de l’imposition ».
Et de préciser, à cet égard, qu’alors « même que l’on est dans un cas de figure dans lequel l’illégalité de l’imposition résulte exclusivement de la violation du droit communautaire par la loi, (…) le régime de responsabilité du fait des lois inconventionnelles fixé par (…) [la] décision d’assemblée du 8 février 2007 Gardedieu (…), n’est pas applicable. / En effet, si cette décision a étendu le champ de la responsabilité du fait des lois ouvert par votre décision d‘assemblée du 14 janvier 1938 SA des produits laitiers La Fleurette (…), en y adjoignant l’engagement de la responsabilité de l’État « en raison des obligations internationales qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France », ce régime de responsabilité demeure un régime subsidiaire ».
Car, ajoutait‑elle, « Comme l’expliquait votre commissaire du gouvernement, Luc Derepas, dans ses conclusions sur cette décision, il n’a vocation à s’appliquer que lorsqu’aucun des mécanismes de responsabilité du droit interne ne permet la réparation du préjudice subi du fait d’une loi contraire à une obligation internationale. Sa mise en œuvre est subordonnée à trois conditions au titre desquelles figure le fait qu’aucun acte administratif n’est à l’origine du préjudice. Or, en l’espèce, il y a bien un acte d’imposition qui s’intercale entre le préjudice subi par les entreprises et la loi inconventionnelle » (rappr. à propos de la responsabilité du fait des lois inconstitutionnelles : Ass. 24 décembre 2019 Soc. hôtelière Paris Eiffel Suffren no 425983 A).
Et d’en déduire que « Restent alors deux autres régimes de responsabilité envisageables » : d’une part, « La responsabilité de l’État recherchée en l’espèce du fait d’impositions établies en application d’une loi contraire au droit communautaire peut d’abord entrer dans le champ du régime de responsabilité du fait d’un acte administratif contraire au droit international défini par […] [la] décision d’assemblée du 28 février 1992 Sociétés Arizona Tobacco Products et Philip Morris France, […]. Cette décision juge que le préjudice causé par un acte administratif pris en application d’une loi contraire au droit communautaire engage la responsabilité de l’administration auteur de cet acte. Bien que très proche d’un régime de responsabilité pour faute simple, le fait générateur du préjudice étant constitué par l’acte réglementaire illégal puisque pris en application d’une loi incompatible avec le droit communautaire, […] [ladite] décision ne s’est pas placée sur ce terrain ».
Elle relevait toutefois que « La petite difficulté d’application de cette jurisprudence […] tient à ce qu’elle n’a été mise en œuvre jusqu’à présent que pour des actes réglementaires ayant fait application d’une loi contraire au droit communautaire. Toutefois, rien ne s’oppose à ce qu’elle s’étende à tous les actes administratifs, qu’ils soient réglementaires ou individuels ». Et de souligner que ce raisonnement a été validé par M. Goulard dans ses conclusions dans l’affaire min. c/ soc. Dangeville (v. Ass. 30 octobre 1996 no 141043 A), quoiqu’elle annulât pour un autre motif l’arrêt de la CAA Paris du 1er juillet 1992 alors contesté.
Elle envisageait, d’autre part, « l’application du régime de responsabilité « de droit commun » des services fiscaux alors même qu’est en cause le paiement d’un impôt. En effet, (…) [la] décision de section du 21 mars 2011 M. Krupa, […], a modifié la situation en abandonnant le terrain de la faute lourde pour aligner la responsabilité des services fiscaux sur le régime de droit commun de la faute simple. Il […] est aujourd’hui loisible de faire application du régime de responsabilité de droit commun des services fiscaux », eu égard à « la faute commise par les services fiscaux pour avoir omis d’écarter une loi incompatible avec le droit communautaire » (v. TC 1er juillet 2002 soc. Pinault Bretagne A ; 31 mars 2008 soc. Boiron no 3632).
Ainsi, concluait‑elle, « Même si leur fondement est différent, les régimes de responsabilité issus de vos jurisprudences Sociétés Arizona Tobacco Products et Philip Morris et M. Krupa permettent tous deux d’assurer la réparation des préjudices subis du fait de la méconnaissance du droit communautaire. Vous pourriez donc inscrire les actions en responsabilité de l’État dont vous êtes saisi aussi bien sous l’un ou l’autre de ces régimes. Nous vous proposerons toutefois plutôt de rester dans la logique de votre jurisprudence Sociétés Arizona Tobacco Products et Philip Morris dans la mesure où si les litiges portent sur des actes d’imposition, ils sont exclusivement fondés sur la méconnaissance du droit communautaire par la loi instituant cette imposition. C’est donc bien le régime de responsabilité du fait de la violation du droit communautaire qui est en jeu au‑delà de son contexte fiscal ».
Et de souligner que ces régimes de responsabilité sont « plus favorables […] que celui imposé par la JP communautaire » (v. CJCE 19 novembre 1991 Francovich et Bonifaci nos C‑6/90 et C‑9/90 Rec. p. 540, consacrant l’obligation pour les Etats‑membres de réparer les conséquences dommageables de leurs manquements au droit communautaire ; CJCE Gr. Ch. 5 mars 1996 Brasserie du Pêcheur et Factortame nos C‑46/93 et C‑48/‑93 Rec. p. 1029, précisant que ce droit à réparation inclut la mise en cause de la responsabilité de l’Etat du fait de la méconnaissance du droit communautaire par ses lois, sous la condition toutefois d’une « violation suffisamment caractérisée » de la norme supranationale ; adde en dernier lieu, rappelant notamment qu’il s’agit d’une conséquence du principe d’effectivité et ce, quelle que soit l’origine interne de la violation du droit communautaire : CJUE 28 juin 2022 no C‑278/20 Commission c/ Espagne, à publier), ce qui ne les rend toutefois pas incompatible avec elle (v. CJCE 12 décembre 2006 Test Claimants in the FII Group Litigation no C‑446/04 Rec. p. 11753).
Au plan national, ils restent « dans la logique de […] [la] décision de section du 26 janvier 1973 Ville de Paris c/ Driancourt, […], qui juge que toute décision illégale est fautive […]. Elle permet aussi de traiter de la même façon toutes les victimes d’une illégalité quelle que soit son origine ».
Cette voie se heurte cependant, à notre sens, à deux obstacles, tenant, d’une part, à l’existence des recours fiscaux parallèles décrits auparavant et d’autre part, à la prescription biennale instituée par l’article L. 190 A du livre des procédures fiscales, notamment à « L'action en réparation du préjudice subi fondée sur la non‑conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure ». Mais au cas présent, le fait générateur nous paraît moins être le paiement indu de la taxe litigieuse par l’établissement français du sang, que sa condamnation par les arrêts à intervenir à indemniser les établissements de soins pour l’avoir collectée en application d’un dispositif inconventionnel. Dès lors, cette action indemnitaire ne tendrait pas, en réalité, à obtenir le remboursement de l’impôt, mais l’indemnisation du préjudice consistant pour cet établissement à devoir lui‑même le rembourser aux requérantes en lieu et place de l’État.
Vous n’être toutefois pas saisi, à ce stade, d’une action de sa part et nous nous en tiendrons donc là dans nos réflexions sur ce point.
‑ VI ‑
Il nous reste alors à indiquer que si vous nous avez suivi jusqu’ici, vous pourrez allouer à chaque requérante une indemnité au titre de ses frais de justice.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation des ordonnances et jugements attaqués, à ce qu’il fait intégralement droit aux demandes indemnitaires des requérantes, à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l’établissement français du sang, dans chaque affaire, en application des dispositions de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative et au rejet du surplus des conclusions des parties.