L’influence des irrégularités d’un procès-verbal d’infraction sur la légalité d’une sanction infligeant une amende administrative pour diffusion de documents publicitaires mentionnant les coordonnées, références et autres signes distinctifs de services publics sans autorisation préalable des services concernés

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Décision de justice

CAA Marseille, 6e chambre – N° 21MA00828 – Société Etablissements Maurel – 06 mars 2023

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 21MA00828

Numéro Légifrance : CETATEXT000047277774

Date de la décision : 06 mars 2023

Index

Rubriques

Police et sanction administratives

Résumé

Il ressort des dispositions de l’article R. 512‑1 du code de la consommation que la régularité des procès-verbaux qu’elles mentionnent est conditionnée à leur signature par les agents mêmes qui ont procédé aux constatations et qui établissent la réalité des comportements sanctionnés. La sanction administrative, prise au vu d’un procès-verbal signé par un contrôleur principal de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, alors que les faits, dont la matérialité est contestée par la société sanctionnée, ont été constatés par d’autres agents du service, est irrégulière.

Conclusions du rapporteur public

François Point

Rapporteur public

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DOI : 10.35562/amarsada.290

Le 14 novembre 2017, le contrôleur principal de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a dressé un procès‑verbal à l’encontre de la SARL Établissement Maurel, anciennement société Speed Dépannages Services, en application des articles L. 731‑2 et L. 731‑3 du code de la propriété intellectuelle, pour diffusion de documents publicitaires mentionnant les coordonnées, références et autres signes distinctifs de services publics sans autorisation préalable des services concernés. Par courrier du 8 janvier 2018, la SARL Établissement Maurel a fait valoir ses observations sur la sanction administrative envisagée.

Par décision en date du 18 janvier 2018, la directrice départementale de la protection des populations des Alpes‑Maritimes a prononcé à l’encontre de la SARL Établissement Maurel une amende administrative de 60 000 euros, en application des dispositions des articles L. 731‑2 du code de la propriété intellectuelle et L. 522‑1 du code de la consommation.

La société fait appel du jugement du 30 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision.

Sur le bien‑fondé du jugement

La société requérante conteste « la légalité externe » de la décision du 18 janvier 2018.

L’amende infligée à la société Maurel est une sanction administrative et le recours engagé contre la décision du 18 janvier 2018 est un recours de plein contentieux. Voyez la décision du Conseil d’État CE, Société Atom, 16 février 2009, no 274000. Vous contrôlez à ce titre la régularité et le bienfondé de la sanction.

Dans la requête introductive d’instance, les moyens soulevés au titre de la « légalité externe » de la décision du 18 janvier 2018 ne sont pas à notre sens des moyens de régularité, mais des moyens de fond.

La SARL Établissement Maurel conteste en effet la matérialité des constatations effectuées par l’administration, du fait de l’imprécision du procès‑verbal. Il s’agit donc d’une contestation du contenu même du procès‑verbal. Ces deux premiers moyens ne mettent pas en cause la régularité de la procédure d’établissement du procès‑verbal.

Voyez sur ce point la décision CE, Atom, 2009 précitée, dans laquelle le Conseil d’État juge que le défaut de désignation de l’identité du débiteur dans le procès‑verbal est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie par le service, mais doit être pris en compte pour apprécier si l’administration apporte la preuve de l’infraction1.

La requérante soutient en premier lieu que le procès‑verbal de constatation est imprécis et ne permet pas d’établir les constatations retenues pour justifier les sanctions, dès lors qu’il n’énonce pas le lieu précis de collecte des cartons, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 512‑1 du code de la consommation. C’est donc selon nous un moyen de fond, relatif à la matérialité des faits constatés (insuffisance de la preuve de l’infraction).

Le moyen manque en fait. Le procès‑verbal (page 3) mentionne les communes dans lesquelles ont été collectés les prospectus. Le lieu des collectes aurait pu être indiqué avec plus de précision (rue ou quartier) sans aller jusqu’à indiquer les adresses ou boites aux lettres. Toutefois, la mention du nom des communes, au regard de la nature des faits constatés, c’est‑à‑dire une diffusion large des prospectus, nous semble suffisante.

La SARL Établissement Maurel soutient en second lieu que les cartons collectés étaient anciens et contenaient des documents qui n’étaient plus distribués en 2017. Elle fait valoir que le procès‑verbal est sur ce point erroné. Là encore, il s’agit de discuter les constatations matérielles effectuées par le service. C’est un moyen de fond.

Le moyen manque en fait : la société requérante se borne à affirmer qu’elle ne distribuait plus les cartons décrits dans le procès‑verbal en 2017 (ces prospectus auraient été distribués avant 2017 et restés dans les boites aux lettres non vidées). Mais cela ne suffit pas à contester utilement les constatations effectuées par les agents sur les lieux mentionnés en 2017.

La SARL Établissement Maurel n’est pas fondée à soutenir que seule une constatation au moment même de la distribution des cartons était susceptible d’être constatée par les agents et retenue contre elle. En tout état de cause, aux termes de l’article L. 731‑2 du code de la propriété intellectuelle, c’est l’utilisation des signes distinctifs des services publics qui est sanctionnée.

Le troisième moyen, soulevé dans le mémoire complémentaire au titre de la « légalité externe » de la décision est également, selon nous, un moyen qui relève plutôt du bienfondé de la sanction que de la procédure.

Le moyen est tiré de ce que le procès‑verbal ne désigne pas les agents des services ayant effectué les collectes. En effet, aux termes des dispositions de l’article R. 512‑1 du code de la consommation : « Les procès‑verbaux constatant une infraction ou un manquement établis par les agents habilités énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés par les agents ayant procédé aux constatations ou au contrôle ».

Le défaut de désignation des contrôleurs et de signature du procès‑verbal est en théorie un vice de forme plus qu’un vice de procédure. Toutefois, pour le type de sanctions qui est l’objet du litige, la constatation formelle des infractions par un procès‑verbal signé par les agents habilités est prévue par les dispositions fixant la procédure d’élaboration de la décision. Il est donc possible de considérer qu’un tel vice entache d’illégalité la sanction du point de vue de la régularité de la procédure, les opérations d’élaboration de la décision n’ayant pas été respectées.

En tout état de cause, le défaut de signature du procès‑verbal prive de valeur probante ce dernier et remet aussi en cause, sur le fond, la matérialité des faits sur lesquels l’administration s’est fondée pour prononcer la sanction.

En l’espèce, il est exact que le procès‑verbal n’est signé que par un seul agent, M. Maman, alors qu’il y est mentionné que les collectes de cartons ont été faites par « des agents de nos services ». Il est toutefois impossible d’identifier ces agents, dont ni le nom ni la signature ne figurent sur le procès‑verbal.

Dans ces conditions, les constatations du procès‑verbal sont dénuées de force probante : rien ne permet d’attester que les contrôles ont été effectués par des agents habilités, à l’exception de ceux réalisés par M. Maman. Si M. Maman a participé aux constatations, il est impossible de dire quelles infractions correspondent aux contrôles qu’il a lui‑même effectués.

Ainsi, le procès‑verbal sur lequel s’est fondé l’administration pour prononcer la sanction en litige ne permet pas d’attester de la matérialité des faits constatés. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner le bien‑fondé des autres moyens soulevés par la SARL Établissement Maurel, la décision par laquelle cette sanction a été prononcée doit être annulée.

Par ces motifs, nous concluons

À l’annulation du jugement du tribunal administratif de Nice no 1801191 en date du 30 décembre 2020 et à l’annulation la décision en date du 18 janvier 2018 par laquelle la directrice départementale de la protection des populations des Alpes‑Maritimes a prononcé à l’encontre de la société Établissement Maurel une amende de 60 000 euros en application des dispositions des articles L. 731‑2 du code de la propriété intellectuelle et L. 522‑1 du code de la consommation.

Notes

1 CE, Société Atom, 16 février 2009, no 274000 : « Considérant, en deuxième lieu, que le procès-verbal dressé par l’administration fiscale le 18 juin 1998 comporte en annexe la liste des virements en espèces, constitutifs de l’infraction, figurant sur les comptes ouverts par la SOCIETE ATOM auprès de trois organismes bancaires ; que si le défaut de désignation de l'identité du débiteur des sommes versées en espèces à la SOCIETE ATOM dans le procès-verbal établi par le service doit, le cas échéant, être pris en compte pour apprécier si l'administration apporte la preuve qui lui incombe des éléments constitutifs de l'infraction, ce défaut demeure, en revanche, par lui-même sans influence sur la régularité de la procédure suivie par le service ; qu’en tout état de cause, l’instruction du 23 mars 1983, dont se prévaut la SOCIETE ATOM, se borne à indiquer que le procès-verbal doit "contenir, si possible, tous les éléments indispensables à l’identification de chaque contrevenant" et ne met ainsi à la charge de l’administration aucune obligation dont la méconnaissance entacherait d’irrégularité la procédure qu’elle a suivie ; » Retour au texte

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