Contrôle normal sur les autorisations de défrichement

Lire les commentaires de :

Décision de justice

CAA Marseille, 7e chambre – N° 21MA04948 – Commune de Venelles – 21 avril 2023

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 21MA04948

Numéro Légifrance : CETATEXT000047495460

Date de la décision : 21 avril 2023

Index

Rubriques

Environnement

Résumé

Le juge exerce un contrôle normal sur la légalité d’une autorisation de défrichement

La commune de Venelles avait demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler l’autorisation de défrichement accordée par le préfet des Bouches-du-Rhône, pour 13 173 m2 de bois sur les 16 310 m2 de parcelles destinées à recevoir un lotissement de 13 lots à bâtir.

Pour annuler cette autorisation, dans le cadre d’un contrôle normal, et pour considérer ainsi que le préfet ne pouvait légalement la délivrer, la cour s’est appuyée sur deux circonstances ; d’une part la circonstance qu’à la date de sa délivrance, le plan local d’urbanisme de la commune était en cours de révision et projetait de classer l’ensemble des parcelles en litige dans un sous-secteur AU expressément non aménageable et classé en espace boisé à préserver ; d’autre part la circonstance que par un arrêt distinct, elle avait annulé le jugement du tribunal qui avait lui-même annulé le sursis à statuer sur la demande de permis d’aménager le lotissement de 13 lots, fondé sur le motif que au « regard de son objet et de son importance, ce projet était de nature à compromettre ou rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU de Venelles en cours de révision ».

Commentaire

Didier Del Prete

Maître de conférences en droit public à Sciences Po-Aix, avocat associé (SELARL Borel Del Prete)

Autres ressources du même auteur

  • UNIVDROIT
  • IDREF
  • ISNI
  • BNF

DOI : 10.35562/amarsada.320

Cette affaire illustre une nouvelle fois la complexité du droit de l’urbanisme en ce que plusieurs autorités administratives sont susceptibles d’intervenir dans la délivrance d’une autorisation de construire, notamment lorsque la demande est subordonnée à l’obtention d’une autorisation de défrichement au sens de l’article L. 311‑1 du code forestier (devenu L. 341‑3, du code forestier).

Rappelons que selon l’article L. 311‑1 du code forestier, un défrichement est une opération volontaire ayant pour effet de détruire l’état boisé d’un terrain et de mettre fin à sa destination forestière. Une coupe rase suivie d’une plantation n’est pas considérée comme un défrichement. En revanche, une coupe rase, suivie d’un dessouchage, pour une utilisation non forestière du terrain est un défrichement. Se pose la question du contrôle opéré par le juge administratif sur cette autorisation délivrée par l’État, nécessaire à l’attribution d’une autorisation d’urbanisme.

C’est là tout l’intérêt de cette espèce.

Dans cette affaire, la commune de Venelles avait saisi le tribunal administratif de Marseille afin d’obtenir l’annulation de l’autorisation de défrichement accordée par le préfet des Bouches-du-Rhône, pour 13 173 m2 de bois sur les 16 310 m2 de parcelles destinées à recevoir un lotissement de treize lots à bâtir, et ce, pour les motifs exposés ci-après.

Pour rappel, un propriétaire indivis des parcelles cadastrées section BX no 1 et 2 et BY no 9 et 10 situées sur le territoire de la commune de Venelles avait demandé, le 27 mars 2019, une autorisation pour le défrichement de 13 173 m2 de bois sur les 16 310 m2 que représentent au total ces quatre parcelles, en vue de la création d’un lotissement de treize lots à bâtir.

Par arrêté du 16 octobre 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône avait ainsi délivré l’autorisation demandée, étant précisé que la commune de Venelles avait par décision en date du 7 janvier 2019 prononcé le sursis à statuer sur le permis d’aménager. Elle a adressé au préfet un recours gracieux le 31 octobre 2019 contestant l’arrêté du 16 octobre 2019 accordant l’autorisation de défrichement. Ce recours a fait l’objet d’une décision implicite de rejet contraignant la commune à contester la légalité de cette autorisation ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux devant le tribunal administratif de Marseille.

D’une part, la commune avait soutenu que l’arrêté contesté méconnaissait l’opération d’aménagement et de programmation (OAP) résultant du plan local d’urbanisme (PLU) approuvé le 11 juillet 2016 qui prévoit la protection de l’ensemble de la crête des Faurys au titre des espaces boisés. D’autre part, la commune avait soutenu que les dispositions du code forestier auraient dû conduire le préfet à prendre un arrêté de sursis à statuer.

Par jugement du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté le recours de la commune. Ce jugement est infirmé par la cour administrative d’appel de Marseille (CAA, Marseille, 21 avril 2023, Commune de Venelles, no 21MA04948).

Cette affaire est particulièrement intéressante, car elle permet de s’interroger sur l’intensité du contrôle opéré par le juge administratif sur les autorisations de défrichement, mais également de mettre en lumière la complexité du droit de l’urbanisme, en raison notamment du principe d’indépendance des législations.

1° L’intensification du contrôle opéré par la cour administrative de Marseille sur les autorisations de défrichement

Contrairement au tribunal administratif de Marseille, la cour a annulé l’autorisation de défrichement en opérant un contrôle normal et non un contrôle restreint. C’est en cela que l’arrêt est particulièrement intéressant.

La cour a pris en compte le fait que le plan local d’urbanisme de la commune était en cours de révision lors de la délivrance de cette autorisation. Or, il projetait de classer l’ensemble des parcelles en litige dans un sous-secteur AU expressément non aménageable et classé en espace boisé à préserver, ce qui rendait difficilement compatible la délivrance d’une telle autorisation.

Elle a, en outre, souligné que l’intention des auteurs du plan en cours de révision était de préserver la crête boisée centrale qui présente une forte sensibilité paysagère au regard de sa perception dans le paysage urbain, ce qui n’était là encore pas compatible avec la délivrance d’une autorisation de défrichement ayant pour effet de détruire l’état boisé d’un terrain et de mettre fin à sa destination forestière. Il y avait donc une contradiction évidente avec l’intention des auteurs du plan, et les dispositions de l’article L. 113‑2 du code de l’urbanisme prévoyant le rejet de plein droit de la demande d’autorisation de défrichement prévue au chapitre Ier du titre IV du livre III du code forestier, lorsqu’il y a un espace classé boisé.

Il convient également de souligner que la cour avait pris en compte l’arrêt qui avait annulé le jugement du tribunal qui avait lui-même annulé le sursis à statuer sur la demande de permis d’aménager le lotissement de treize lots, fondé sur le motif qu’au « regard de son objet et de son importance, ce projet était de nature à compromettre ou rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU de Venelles en cours de révision ».

Ces décisions semblaient difficilement dissociables au regard des circonstances particulières de l’espèce et sur le plan pratique. L’évolution du contrôle opéré par la cour sur la légalité des autorisations de défrichement semble en définitive assez logique lorsqu’il s’agit de la même opération d’aménagement. Il n’en a pas toujours été ainsi.

En effet, les autorisations de défrichement, prévues par le code forestier était traditionnellement soumises à un contrôle restreint de la part du juge administratif (CE, 23 avr. 2001, no 221973, Sté girondine de travaux immobiliers). Il en allait différemment s’agissant des décisions refusant des défrichements soumises à un contrôle normal (ex : CAA Nantes, 3ème chambre 7 février 2013, no 12NT00189, Société Dragage du Val de Loire).

Il s’agit de vérifier dans le contrôle que l’autorité compétente n’a pas commis « d’erreur manifeste d’appréciation » c’est-à-dire une erreur grossière, remarquable par sa gravité et son irrégularité flagrante. Le contrôle restreint vise ainsi à sanctionner les seules disproportions manifestes liées aux choix effectués par l’administration.

Eu égard au contrôle restreint qui s’appliquait en la matière, l’erreur manifeste était difficile à caractériser ainsi que cela a été rappelé par le rapporteur public Jean-Paul Vallecchia dans ses conclusions sur l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 24 avril 2012 (CAA, Lyon, 1re chambre, 24 avril 2012, no 11LY02039, projet de réalisation – sur le territoire de la commune de Roybon dans le département de l’Isère – plus précisément dans le massif des Chambarans – d’un complexe touristique dénommé « Center Parcs », Revue Alyoda, no 2012/3). Or la cour a, en l’espèce, opéré un contrôle normal répondant ainsi à la difficulté de caractériser l’erreur manifeste.

La solution ainsi retenue par la cour nous semble parfaitement logique et cohérente au regard des faits de l’espèce, ouvrant une brèche à l’asymétrie du contrôle en cette matière. Elle est d’autant plus logique que l’autorisation de défrichement s’inscrit dans une seule et même autorisation d’urbanisme. Pour autant, il convient de rappeler que le sursis à statuer étant une mesure facultative, le juge s’en tient traditionnellement à un contrôle restreint en vérifiant que l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. Le sursis à statuer est une mesure de sauvegarde permettant de différer la décision de l’autorité compétente sur la demande d’un pétitionnaire. C’est d’ailleurs la décision prise par la commune d’opposer un sursis à statuer à la demande de permis d’aménager.

Cette solution nous semble également répondre à une difficulté liée à la mise en œuvre du principe d’indépendance des législations, imposant parfois aux juges un certain pragmatisme.

2. L’articulation entre le code forestier et le code de l’urbanisme, source de difficultés

Cette décision met également en évidence la complexité du droit de l’urbanisme car il y a plusieurs autorités administratives qui interviennent en application de législation distincte. Le principe d’indépendance des législations induit que les législations se cumulent par une même opération même si le code de l’urbanisme tente de les articuler plus efficacement aujourd’hui.

Il en est particulièrement ainsi lorsqu’une autorisation de défrichement est nécessaire pour la réalisation d’un projet soumis à autorisation d’urbanisme (permis de lotir, de construire...).

En effet, l’article R. 441-7 du code de l’urbanisme précise que :

« Lorsque les travaux projetés nécessitent une autorisation de défrichement en application des articles L. 311‑1 ou L. 312‑1 du code forestier, la demande de permis d’aménager est complétée par la copie de la lettre par laquelle le préfet fait connaître au demandeur que son dossier de demande d’autorisation de défrichement est complet, si le défrichement est ou non soumis à reconnaissance de la situation et de l’état des terrains et si la demande doit ou non faire l’objet d’une enquête publique ».

Autrement dit, l’autorisation de défrichement constitue un préalable à la délivrance du permis d’aménager en ce qu’elle constitue une condition de recevabilité de la demande de permis, et peut le cas échéant en affecter sa légalité (CE, 9 juillet 2023, no 229494, en matière de permis de construire). En effet, l’annulation rétroactive d’une telle autorisation emporte des conséquences sur la légalité du permis de construire dans la mesure où le juge administratif considère que le dossier est incomplet (CAA, Paris, 20 juin 2003, no 02PA00865). Il en est de même pour le permis d’aménager. Il en est également ainsi aux termes de l’article L. 341‑7 du code forestier pour les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Cette affaire illustre la complexité du droit de l’urbanisme dans la mesure où la commune a prononcé le sursis à statuer en l’état de la révision du PLU alors que l’État a délivré une autorisation de défrichement sur l’ensemble des parcelles en litige qui allait être classé dans un sous-secteur AU expressément non aménageable et classé en espace boisé à préserver. Le maire avait en effet la faculté de surseoir à statuer en application de l’article L. 153‑11 du code de l’urbanisme. Elle est ouverte à l’autorité compétente qu’à partir du moment où le débat sur les orientations générales du PADD a eu lieu (art. L. 153‑12 code de l’urbanisme). Les orientations du PADD doivent, en toute hypothèse, traduire un état suffisamment avancé du futur PLU de nature à permettre d’apprécier « si la construction projetée est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution de ce plan », ce qui était le cas en l’espèce. En effet, au moment de l’examen de la demande de permis d’aménager, il était proposé de classer les parcelles en litige dans un sous-secteur AU expressément non aménageable et classé en espace boisé à préserver, ce qui entrait directement en conflit avec l’autorisation de défrichement ayant pour effet de détruire l’état boisé du terrain et de mettre fin à sa destination forestière.

Ne serait-t-il pas en pareille hypothèse plus efficace de confier à une seule et même autorité l’instruction de l’entier dossier, afin éviter la multiplication des contentieux, mettant au grand jour les divergences d’appréciation entre deux autorités administratives ?

Cette situation n’est pas très « audible » pour le pétitionnaire, et plus globalement pour le justiciable. Cela rejoint la position exprimée par le professeur Gilles Lebreton dans la revue AJDA. Il a, en effet, écrit à propos de ce principe : « concourant souvent à la réalisation des mêmes opérations, le pétitionnaire ne comprend pas pourquoi elles sont hachées entre plusieurs régimes de contrôle » (AJDA, 20 mai 1993, p. 20).

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0