L’office du juge d’appel en cas de permis délivré à la suite d’un jugement d’annulation partielle et d’annulation de ce jugement pour irrégularité

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Décision de justice

CAA Marseille, 1re chambre – N° 21MA02799 – SCI Pinsault C/ Mme J. – 07 juillet 2022

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 21MA02799

Numéro Légifrance : CETATEXT000046027691

Date de la décision : 07 juillet 2022

Index

Rubriques

Urbanisme

Résumé

Dans le cas où le juge d’appel prononce l’annulation, en raison de son irrégularité, d’un jugement de première instance prévoyant une mesure de régularisation en application de l’article L. 600‑5 du code de l’urbanisme, le permis délivré à la suite de cette annulation partielle doit être regardé comme un permis de régularisation, en dépit de l’irrégularité de ce jugement, dès lors que le pétitionnaire a été incité à le déposer du fait de ce jugement. Par suite, il y a lieu pour le juge d’appel d’examiner la légalité du permis initial indépendamment de la mesure de régularisation, avant de se prononcer, le cas échéant, sur la légalité de cette mesure de régularisation.

Conclusions de la rapporteure publique

Isabelle Gougot

Rapporteure public

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DOI : 10.35562/amarsada.315

Par un arrêté du 18 avril 2018, le maire de Saint‑Rémy‑de‑Provence a délivré un permis de construire à la SCI Pinsault pour l’extension et la surélévation d’une construction existante sur un terrain cadastré AS 24 situé 18, avenue Marius Girard.

Dans l’instance enregistrée sous le no 21MA02835 la SCI Pinsault relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille, à la demande de Mme J. a annulé cet arrêté en tant qu’il méconnaît les dispositions de l’article R. 111‑16 du code de l’urbanisme. Le TA a procédé à une annulation partielle sur le fondement de l’article L. 600‑5 du code de l’urbanisme et a donné 4 mois à la société pétitionnaire pour déposer un permis de régularisation.

De son côté Mme Pinsault a interjeté appel du jugement, par une requête enregistrée sous le no 21MA02799, mais seulement en tant qu’il met à sa charge les frais non compris dans les dépens.

Dans le dossier 21MA02385, la SCI Pinsault invoque un moyen de régularité du jugement au détour d’une phrase, en soulignant que le tribunal qui a pourtant annulé l’autorisation contestée a omis de répondre à la fin de non‑recevoir, qui était opposée en première instance, tirée du défaut d’intérêt à agir de Mme J.. (CE section 27 janvier 1967 ministre de l’éducation nationale c/ Fagot no 62970). Et vous pourrez en effet accueillir ce moyen de régularité du jugement, le tribunal ayant bien omis de statuer sur la fin de non‑recevoir opposée. Cela vous conduira à annuler le jugement puis, à statuer par la voie de l’évocation, sans qu’il soit besoin de vous prononcer sur l’autre moyen de régularité selon lequel le tribunal n’aurait pas justifié son choix de recourir au mécanisme d’annulation partielle de l’article L. 600‑5 du code de l’urbanisme ou de régularisation de l’article L. 600‑5‑1 du même code, qui est en tout état de cause inopérant (voyez en ce sens les conclusions du rapporteur public Olivier Fuchs sous l’arrêt du Conseil d’État de section du 2 octobre 2020 M. Barrieu, no 438318 classé en A).

Vous vous trouvez donc saisis par la voie de l’évocation des moyens de 1re instance.

Vous pourrez sans difficulté admettre la recevabilité de la demande de Mme J. au regard de l’article L. 600‑1‑2 du code de l’urbanisme tel qu’interprété par la jurisprudence Bartolomei1 alors que Mme J. est voisine du terrain d’assiette de la SCI Pinsault, dont elle est séparée par un simple chemin d’accès privé, et que nous l’avons dit, il s’agit d’un projet d’extension et de surélévation avec création d’une piscine, Mme J. arguant notamment d’un préjudice de vue.

Sur la légalité de l’arrêté attaqué, nous vous proposons de commencer par examiner le moyen de légalité interne qui a posé problème devant le tribunal, et qui est tiré de la méconnaissance de l’article R. 111‑16 du code de l’urbanisme en vertu duquel lorsque le bâtiment est édifié en bordure d’une voie publique, la distance comptée horizontalement de tout point de l’immeuble au point le plus proche de l’alignement opposé doit être au moins égale à la différence d’altitude entre ces deux points.

En l’espèce, contrairement à ce que soutient la SCI Pinsault, pour l’application des dispositions de l’article R. 111‑16 du code l’urbanisme, il y a lieu de prendre en compte la hauteur du bâtiment en tout point et notamment jusqu’au faîtage et non uniquement à l’égout du toit. La société pétitionnaire se prévaut de différents arrêts de cour retenant la hauteur à l’égout du toit. La jurisprudence a, il est vrai, été hésitante comme le souligne le rapporteur public Jean Lessi dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’État du 30 décembre 2015 commune de Ciboure no 382368 :

« Pour l’application de ces dispositions, qui mentionnent " tout point de l’immeuble ", il a d’abord été jugé qu’il fallait se situer à la hauteur à l’égout du toit (CE, 18 juillet 1973, Robin, p. 532). Cette solution a ensuite été abandonnée par une décision Schwoob du 17 octobre 1986, qui a pris en compte le toit (au recueil, p. 241, avec un fichage mentionnant l’abandon de la décision Robin). Nouveau revirement avec une décision du 24 février 1995, Debord, 115863, T. p. 1079 jugeant que pour l’application d’un article UA‑7 b) d’un POS aux termes duquel " la distance comptée horizontalement de tout point de la construction au point le plus proche de la limite séparative doit être au moins égale à la moitié de la différence d’altitude entre ces deux points ", il y a lieu, […] de retenir comme le ou les points les plus élevés de la construction celui ou ceux qui sont situés à l’égout du toit et non au faîtage […] et d’autre part de prendre comme référence le niveau de la limite parcellaire qui est celui du fonds voisin. ».

Jean Lessi soulignait avoir

« des difficultés avec le dernier état de […] jurisprudence [du Conseil d’État], d’autant que le fichage de la décision Debord, mentionnant " Rappr. 1973‑07‑18, Robin, p. 532 ", semble ignorer que la décision Robin avait entre‑temps été abandonnée. Cette collision de fichages comme de solutions n’est pas des plus heureuses. Surtout, il […] semble ressortir de […] [la] jurisprudence deux lignes directrices pour la détermination du point haut d’une construction. D’une part, vous tenez compte de l’objet de la règle qu’il s’agit d’appliquer et, par exemple, il […] semble logique qu’une décision plus récente Ducommun et autres, aux concl. de Rémi Keller (CE, 22 janv. 2007, aux Tables), ait pris en compte l’égout du toit dès lors qu’était en cause une règle de proportion rapportant la hauteur des " façades " (et non de la construction) à leur longueur. D’autre part, lorsque l’objet de la règle le justifie, vous prenez en considération par défaut la hauteur à l’égout du toit " sauf disposition contraire " (cf. Ducommun et autres ; CE, 14 avr. 1995, SCI Les terrasses de la mer, no 129479, aux Tables). Et Jean Lessi estimait « qu’une disposition imposant de mesurer les distances à partir de " tout point du bâtiment " ou de la " construction " constitue une disposition contraire… ».

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier de demande de permis de construire initial que la construction projetée se développera sur une hauteur de 7,91 mètres au faîtage, alors que l’avenue Marius Girard est large de 6,67 mètres au point le plus étroit. Par suite, Mme J. est fondée à soutenir que le permis initial méconnaît les dispositions précitées de l’article R. 111‑16 du code l’urbanisme. C’est le motif d’annulation partielle qui avait été retenu par le tribunal. Mais nous vous avons proposé d’annuler le jugement qui était selon nous irrégulier et vous devrez donc de nouveau vous prononcer sur ce moyen.

Il n’en demeure pas moins qu’en dépit de l’effet rétroactif de l’annulation que vous prononcerez, suite à ce jugement d’annulation, la société pétitionnaire a déposé une demande de permis de construire visant à régulariser ce vice déjà relevé par le tribunal. Et elle a ainsi obtenu un permis de construire le 21 janvier 2022, qu’elle a produit devant vous par un mémoire du 28 février 2022. Vous avez donc renvoyé cette affaire de l’audience du 24 mars où elle était initialement inscrite afin de communiquer cette pièce.

Une question se pose à ce stade : comment devrez-vous qualifier un tel permis ? Devrez‑vous le regarder comme ce qu’il a effectivement été, c’est‑à‑dire un permis de régularisation édicté suite à une annulation partielle du tribunal sur le fondement de l’article L. 600‑5 du code de l’urbanisme que vous examinerez au regard du mode d’emploi de la décision commune de Cogolin 2? Ou compte tenu du caractère rétroactif de l’annulation du jugement pour irrégularité que vous prononcerez si vous nous suivez, devrez‑vous regarder ce permis du 21 janvier 2022 comme un permis modificatif ?

Afin de tenter de répondre à cette question, il nous semble nécessaire de rappeler les principes en la matière : la décision du Conseil d’État précitée commune de Cogolin apporte selon nous deux précisions importantes :

La première précision concerne le traitement des conclusions des parties : saisis d’un jugement prononçant l’annulation partielle d’un permis de construire alors qu’est intervenue, à la suite de ce jugement, une mesure de régularisation en application de l’article L. 600‑5 du code de l’urbanisme, il vous appartient de vous prononcer, dans un premier temps, sur la légalité du permis initial tel qu’attaqué devant le tribunal administratif : si vous estimiez qu’aucun des moyens dirigés contre le permis initial n’est fondé ou que le permis initial est affecté d’un ou plusieurs vices régularisables, vous statueriez ensuite sur le permis de régularisation s’il est aussi contesté. Et si vous estimiez que le permis initial est affecté de vices non régularisables vous censureriez alors le tribunal et annuleriez le permis initial ainsi que par voie de conséquence le permis de régularisation.

La seconde précision est terminologique et concerne le traitement des moyens. Deux situations doivent être distinguées :

1°lorsque sur invitation du juge sur le fondement de l’article L. 600‑5 du code de l’urbanisme, le pétitionnaire a obtenu un permis de construire qu’il est alors convenu d’appeler de « régularisation » vous devrez appliquer le mode d’emploi de la jurisprudence Cogolin c’est‑à‑dire vérifier dans un premier temps si le permis initial est bien entaché des vices détectés par le premier juge et le confirmer ou l’infirmer sur ce point, puis, dans un second temps vérifier si le permis de régularisation a ou non régularisé les illégalités ainsi relevées ;

2°en revanche lorsque c’est un permis de construire modificatif qui a été délivré à la demande spontanée du pétitionnaire, sans l’intervention du juge, alors la jurisprudence du Conseil d’Etat Fontaine de Villiers du 2 février 2004 no 238315 (classée en B sur ce point), en vertu de laquelle les irrégularités régularisées par un permis modificatif ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial, trouve encore à s’appliquer.

La justification de cette distinction est très clairement exposée par Anne Iljic dans ses conclusions sous l’arrêt Conseil d’État du 24 avril 2019 n° 417175 Mme B. et M. T., qui est d’ailleurs classé sur ce point : la jurisprudence Cogolin

« repose sur la volonté de permettre au pétitionnaire et à l’auteur du permis de construire de ne pas renoncer à leur projet initial, sans perdre le bénéfice du permis de régularisation délivré sous l’impulsion d’une décision juridictionnelle. Alors que la veine de jurisprudence dans laquelle s’inscrit la décision SCI La Fontaine de Villiers3, qui est antérieure à la création de l’article L. 600‑5 du code de l’urbanisme […] repose sur l’idée que le permis modificatif s’incorpore au permis initial, de sorte que le pétitionnaire doit être regardé comme ayant renoncé à son projet initial au profit de son projet modifié ».

Pour le permis de régularisation au contraire « dans le souci d’accélérer le contentieux et donc la réalisation des projets » on accepte que « projet initial et projet régularisé « puissent cheminer en parallèle. ».4 Pour le dire autrement la jurisprudence du SCI Fontaine de Villiers qui consiste à écarter les moyens dirigés contre le permis initial comme inopérants sur les points régularisés par le permis modificatif « reste valable » pour le permis modificatif délivré à la demande spontanée du pétitionnaire dont le projet initial doit être regardé comme complètement abandonné mais elle est « dépassée » pour le permis de régularisation.

Mais la décision commune de Cogolin n’épuise pas toutes les configurations possibles : vous aviez déjà eu à vous prononcer, au moins à une reprise sur le cas « hybride » dans lequel le permis délivré afin de régulariser les vices relevés par le tribunal a aussi apporté, sur l’initiative spontanée du pétitionnaire, d’autres modifications au projet. Même si l’exercice n’es pas aisé, vous avez alors choisi de distinguer et d’appliquer le mode d’emploi Cogolin aux seules modifications apportées suite à l’annulation partielle prononcée par le tribunal, et pour les modifications spontanées, d’appliquer la jurisprudence Fontaine de Villers. (21MA01070 3 février 2022). Il nous avait alors semblé délicat d’assimiler entièrement ce permis à un permis de régularisation alors que certains des vices n’avaient pas été identifiés par le juge de 1re instance. Et il nous semblait inatteignable de le regarder comme un permis modificatif dans son ensemble au regard de la jurisprudence commune de Cogolin.

La configuration qui se présente aujourd’hui est encore différente. Le Conseil d’État ne s’est, à notre connaissance, pas encore prononcé dans une telle hypothèse.

Cette configuration n’appelle pas selon nous la même réponse que celle que nous vous avions proposé d’adopter dans l’affaire jugée le 3 février 2022, même si nous confessons un certain malaise face à ces mécanismes de régularisation dont on ne mesure pas toujours bien la portée. Il nous semble néanmoins qu’au regard de l’esprit de la jurisprudence tel que rappelé par Anne Iljic dans ses conclusions précitées sous l’affaire Brunel‑Thouret, il serait exagérément artificiel de considérer que, du fait de l’annulation rétroactive du jugement que vous prononceriez, le pétitionnaire pourrait être regardé comme ayant spontanément renoncé à son projet alors que c’est bien à la suite du jugement d’annulation partielle qu’il a déposé sa nouvelle demande. Mais cela implique donc que vous appliquiez différemment la 1re étape du mode d’emploi de la décision Cogolin : vous examinerez si le moyen de légalité est fondé mais vous n’aurez par définition pas à vous prononcer sur le bien‑fondé du jugement du tribunal qui a accueilli le moyen de légalité. Vous passeriez ensuite à la seconde étape, afin de vérifier si le permis a bien régularisé le vice du permis initial, si vous l’avez aussi détecté, sans toutefois, nous semble‑t‑il pouvoir neutraliser l’existence de ce vice sur le fondement de la jurisprudence Fontaine de Villers. Ainsi, et même si l’hésitation est permise, nous vous proposons de regarder ce permis délivré le 21 janvier 2022 comme un permis de « régularisation ».

Mais quelle que soit la qualification que vous retiendrez, vous aurez à l’esprit que vous êtes compétents pour connaître de ce permis du 21 janvier 2022 en application de l’article L. 600‑5‑2 du code de l’urbanisme qui vise les permis modificatifs ou les mesures de régularisation. Le Conseil d’État a d’ailleurs précisé qu’il résulte de l’article L. 600‑5‑2 du code de l’urbanisme que, lorsque le juge d’appel est saisi d’un appel contre un jugement d’un tribunal administratif ayant annulé un permis de construire en retenant l’existence d’un ou plusieurs vices entachant sa légalité et qu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure visant à la régularisation de ces vices a été pris, seul le juge d’appel est compétent pour connaître de sa contestation dès lors que ce permis, cette décision ou cette mesure lui a été communiqué ainsi qu’aux parties. (CE 15 décembre 2021 Mme T., no 453316, classé en B). Il est vrai qu’à notre connaissance, ni le Conseil d’État, ni les cours ne se sont prononcées sur l’hypothèse qui est la nôtre dans laquelle le jugement du tribunal qui a fait usage de l’article L. 600‑5 est annulé pour irrégularité. Compte tenu de la lettre de l’article L. 600‑5‑2 du code de l’urbanisme, nous ne voyons cependant aucune difficulté à ce que vous admettiez votre compétence pour connaitre de ce permis du 21 janvier 2022.

Et il nous semble que ce permis du 21 janvier 2022, qui modifie la pente de la toiture qui a désormais plusieurs pans, permet de régulariser l’illégalité dont était entaché le permis initial.

Dans un mémoire enregistré le 3 mai 2022 Mme J. invoque plusieurs moyens contre ce permis de régularisation :

Mais vous pourrez écarter selon nous le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte qui se présente toutefois dans une configuration originale : Mme J. soutient que le permis de construire délivré en janvier 2022 l’a été sur délégation spéciale au nom de la commune, qui a été mise en place suite à l’annulation par le tribunal administratif de Marseille de l’élection municipale, confirmée par le Conseil d’État par une décision du 22 novembre 2021. Mme J. souligne que l’article L. 2121‑38 du code général des collectivités territoriales ne permet dans un tel cas que l’édiction d’actes de pure administration conservatoire et urgente et que la délivrance d’un permis de construire n’entrerait pas dans un tel cas. Mais la cour de Lyon a admis que la délivrance d’un permis de construire alors que le délai d’instruction de la demande arrivait à échéance, constituait un acte relevant des compétences du président de la délégation spéciale telle que définies par les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales. (98LY00608 5 octobre 2000). Et nous pensons que vous pourrez reprendre cette solution et écarter le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte.

Vous pourrez par ailleurs écarter, comme manquant en fait, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 431‑9 du code de l’urbanisme relatif à la composition du dossier de demande d’autorisation.

Enfin, vous pourrez écarter, comme inopérant, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article UD 4 du règlement du plan local d’urbanisme désormais approuvé, alors que le permis de régularisation ne modifie pas l’implantation de la construction.

Nous pouvons à présent aborder les autres moyens invoqués par Mme J. qui sont nombreux mais ne devraient pas vous retenir :

Mme J. invoquait en 1er lieu un moyen de légalité externe tiré de l’absence d’avis conforme du préfet en méconnaissance de l’article L. 422‑5 du code de l’urbanisme, alors que le territoire communal n’était pas couvert par un document d’urbanisme. Ce moyen est recevable, car il concerne une question de compétence, qui comme telle est d’ordre public. (vous pouvez voir sur ce point les conclusions de Guillaume Odinet sur l’arrêt du Conseil d’État du 16 octobre 2020 D. no 427620).

Mais vous pourrez toutefois selon nous écarter ce moyen comme manquant en fait, alors que l’arrêté attaqué fait état d’un accord tacite de la DDTM du 28 février 2018 et que vous avez au dossier de 1re instance un courrier du maire de Saint‑Rémy de Provence du 26 janvier 2018 adressé à la « DDTM service urbanisme pôle ADF‑F/mission RNU » lui transmettant « pour suite à donner » plusieurs demandes d’autorisations, parmi lesquelles celle qui nous préoccupe.

Vous pourrez, en 2e lieu également écarter les moyens tirés de la méconnaissance des articles R. 431‑8, R. 431‑9, R. 431‑10 et R. 431‑16 du code de l’urbanisme, comme manquant en fait.

Vous pourrez en 3e lieu écarter le moyen tiré de l’absence de permis de démolir en méconnaissance de l’article R. 431‑21 du code de l’urbanisme alors que contrairement à ce que soutient Mme J., il ne ressort pas selon nous du dossier de demande d’autorisation que la démolition d’un cabanon soit prévue, la SCI Pinsault précisant d’ailleurs qu’il sera intégré dans le futur bâtiment d’enceinte.

Vous pourrez en 4e lieu écarter le moyen selon lequel les prescriptions de l’autorisation accordée seraient insuffisamment motivées, comme non assorti de précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien‑fondé, alors que la requérante se borne à soutenir que « la prescription ne contient aucune précision sur la façon dont elle sera assurée dans le cadre de la réalisation du projet », sans même préciser de quelle prescription il est question alors que l’article 2 de l’arrêté attaqué en comporte plusieurs.

En 5e lieu, Mme J. soutient que le projet ne régularise pas les constructions existantes. Vous le savez en application de la jurisprudence Thalamy (CE 9 juillet 1986 no 51172 ‑ CE 13 décembre 2013 C.) tous nouveaux travaux sur une construction non autorisée ou transformée irrégulièrement impliquent « la régularisation de la situation de fait existante », selon l’expression de Xavier de Lesquen.

Mais il nous semble que vous pourrez écarter ce moyen alors qu’il ressort des pièces du dossier et en particulier de deux vues aériennes de mars et mai 1944 produites par la société pétitionnaire que la construction initiale doit être regardée comme ayant été édifiée antérieurement à la loi du 15 juin 1943 relative au permis de construire. Et contrairement à ce que soutient Mme J., il ne ressort pas des pièces du dossier que la construction initiale aurait fait l’objet de modifications irrégulières par la suite, alors que les photos aériennes de 1944, bien que floues tendent à démontrer que cette construction a conservé un gabarit identique.

En 6e lieu, vous pourrez écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 111‑27 du code de l’urbanisme : s’agissant de la méconnaissance d’une disposition du RNU, vous vous livrez à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, s’agissant d’une autorisation délivrée. (CE section 4 octobre 1974 ministre de l’équipement et du logement c/ Consorts M. no 86957). Et pour rechercher l’existence d’une atteinte à un paysage au sens de cet article, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. (CE 13 juillet 2012 Association Engoulevent no 345970 classé en B sur ce point). En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet est situé dans un quartier pavillonnaire de la commune de Saint‑Rémy‑de‑Provence, d’architecture disparate quoique non dépourvue de constructions typiques. Or, le projet de la SCI Pinsault consiste à surélever une construction existante et à réaliser une construction d’inspiration traditionnelle, de type mas, avec des matériaux et un traitement architectural de qualité. Si Mme J. soutient que le quartier dans lequel s’insère le projet est une zone pavillonnaire, composée uniquement de villas en rez‑de‑chaussée, la construction prévue est toutefois en R+1 et non en R+2. Cette construction nous paraît donc s’insérer de façon satisfaisante dans les lieux existants et nous ne voyons pas sur ce point d’erreur manifeste d’appréciation.

En 7e lieu, vous pourrez écarter, comme inopérant, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 111‑9 du cde de l’urbanisme en vertu duquel le projet doit être raccordé aux réseaux dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que le projet était déjà raccordé aux réseaux existants.

En 8e lieu, vous pourrez aussi écarter le moyen selon lequel le maire aurait dû opposer un sursis à statuer sur le fondement de l’article L. 153‑11 du code de l’urbanisme : vous le savez, vous exercez là aussi un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur la décision de l’autorité administrative qui n’a pas opposé de sursis à statuer. (CE 23 octobre 1987 Epoux Barnier 50679 classé en A). Mais comme le rappelle le RAPU Arnaud Skzryerbak sous la décision CE 31 janvier 2022 M. Chalard no 449496, : « La simple contrariété d’un projet avec les dispositions du futur plan local d’urbanisme ne suffit pas à établir que ce projet en compromettrait l’exécution… ».

Et en l’espèce, il nous semble que vous ne sauriez voir d’erreur manifeste d’appréciation à ne pas avoir opposé un sursis à statuer : s’il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet est aujourd’hui situé en zone UD du plan local d’urbanisme de Saint‑Rémy‑de‑Provence, zone principalement dédiée à l’habitat individuel, les contradictions mineures relevées par Mme J. entre le permis de construire contesté et le règlement aujourd’hui en vigueur, qui tiennent pour l’essentiel à l’implantation de la construction, aux espaces verts et aux places de stationnement exigibles ne permettent pas, selon nous, de considérer que ce permis serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du plan local d’urbanisme de Saint‑Rémy‑de‑Provence.

Il résulte de ce qui précède qu’après avoir annulé le jugement vous pourrez donc en définitive, selon nous, rejeter la demande.

Il nous reste à vous dire deux mots de la requête enregistrée sous le no 21MA02799 par Mme J.. Elle critiquait, nous l’avons dit, seulement l’article 2 du jugement attaqué, qui a mis à sa charge le versement d’une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761‑1 du CJA. Nous pensons que vous pourriez joindre ce dossier avec l’appel formé par la SCI Pinsault afin de tirer toutes les conséquences de l’annulation du jugement pour irrégularité que vous prononcerez, si vous nous suivez, comme vous pouvez selon nous le faire en application de l’arrêt du Conseil d’Etat de section du 5 mai 2017 M. Fiorentino, no 391925, classé en A.

Par ces motifs, nous concluons :

A la jonction des affaires no 21MA02835 et 21MA02799

Dans l’affaire no 21MA02835 :

  • A l’annulation totale du jugement du TA de Marseille no 1808394 du 20 mai 2021 pour irrégularité

  • Après évocation, au rejet de la demande de première instance

Dans l’affaire 21MA02799 :

  • Au non‑lieu à statuer

  • Dans les deux affaires, au rejet des conclusions des parties formées sur le fondement de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative, concernant tant la première instance que l’appel.

Notes

1 Conseil d’État du 13 avril 2016 no 389798 M. Bartolomei classé en A sur ce point Retour au texte

2 CE section 15 février 2019 no 401384 Commune de Cogolin Retour au texte

3 CE 2 février 2004 no 238315 SCI Fontaine de Villiers, classé en B Retour au texte

4 Cette idée était déjà celle que développait Olivier Dutheillet de Lamothe dans ses conclusions sous l’arrêt commune de Cogolin page 8 : le pétitionnaire « doit pouvoir défense au contentieux son projet initial sans perdre le bénéfice de la possible régularisation ». Retour au texte

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