Est imputable au service la chute d’un agent public survenue dans l’escalier dans l’immeuble en copropriété où il réside, alors qu’il se rendait sur son lieu de travail.
L’imputabilité au service de la chute d’un agent public dans l’escalier de son immeuble en copropriété
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Décision de justice
CAA Marseille, 6e chambre – N° 21MA02328 – Mme D. – 04 juillet 2022
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 21MA02328
Numéro Légifrance : CETATEXT000046018674
Date de la décision : 04 juillet 2022
Index
Rubriques
Fonction publiqueTextes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
DOI : 10.35562/amarsada.309
Le 19 juillet 2018 à 10 h 25, Mme D., adjointe administrative de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur qui exerce les fonctions d’agent d’accueil au sein de la faculté d’économie et de gestion d’Aix-en-Provence, a, alors qu’elle se rendait à son service, chuté dans l’escalier de l’immeuble où elle réside. Par une décision du 10 octobre 2018, le recteur de l’académie d’Aix‑Marseille a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de cet accident. Mme D. a saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande tendant à l’annulation de cette décision, ainsi que de celle rejetant son recours gracieux et à la condamnation du rectorat à indemniser les préjudices qu’elle estime avoir subi. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ces demandes. Mme D. fait régulièrement appel de ce jugement en tant seulement qu’il rejette son recours pour excès de pouvoir : il ne conclut plus, en effet, à la condamnation de l’État.
Mme D. soutient que la décision rejetant son recours gracieux est entachée d’erreur de fait. Toutefois, les vices propres à la décision rejetant le recours gracieux ne peuvent être utilement invoqués dans le cas où la décision statuant sur le recours administratif confirme la décision initiale (CE Sect., 6 mars 2009, Syndicat national des ingénieurs de l’industrie et des mines, no 309922, Lebon ; CE, 1 / 6 CHR, 20 mai 2016, Société Laboratoire Alcon, no 386122, tables).
Mme D. en vient ensuite à l’argument de droit, qui est le point nodal de cette affaire. S’agissant des trajets entre le domicile et le lieu de travail, l’imputabilité au service est exclue si l’accident a lieu « à l’intérieur de la résidence de l’agent » (CE, 7 / 2 CHR, 30 nov. 2018, Mme A., no 4167531 ; CAA Marseille, 18 mars 2003, Mme G., no 99MA020412).
La question se pose dans les termes suivants : les parties communes d’une résidence doivent être regardées comme faisant partie de la « résidence de l’agent » pour l’application de cette jurisprudence ?
Nous serions plutôt d’avis que le trajet commence au seuil du lieu dont l’intéressé à la jouissance privative. C’est dans ce sens que l’on entend habituellement les termes de « résidence » ou de « propriété » utilisés par le Conseil d’État. En outre, c’est la solution retenue par la jurisprudence judiciaire : la Cour de cassation considère que le trajet protégé commence dès que le salarié a franchi le seuil de son appartement, constitue donc un accident de trajet l’accident survenu dans l’escalier intérieur d’un immeuble collectif ou dans la cour de l’immeuble (Cass. Soc., 8 mai 1952 : Bull. civ. 1952, IV, no 386).
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement, de la décision de refus d’imputabilité et de la décision rejetant le recours gracieux et à ce qu’il soit enjoint au recteur d’examiner à nouveau la situation.
Notes
1 CE, 7 / 2 CHR, 30 nov. 2018, Mme Abadie, no 416753 : "6. Considérant que, pour que soit reconnue l’existence d’un accident de trajet, il faut que le trajet du domicile au lieu de destination ait commencé ; que tel n’est pas le cas lorsque l’intéressé se trouve encore, lors de l’accident, à l’intérieur de son domicile ou de sa propriété ; 7. Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment des plans cadastraux versés par les parties, que la chute litigieuse s’est déroulée à l’intérieur de la propriété de Mme A. ; qu’ainsi qu’il vient d’être dit, il ne peut y avoir d’accident de trajet si l’intéressée se trouve encore à l’intérieur de son domicile ou de sa propriété ; que, par suite, Mme Abadie n’est pas fondée à soutenir que le directeur du service des retraites de l’État aurait entaché d’erreur de fait sa décision en lui refusant le bénéfice de l’allocation temporaire d’invalidité ;" Retour au texte
2 CAA Marseille, 18 mars 2003, Mme G., no 99MA02041 : Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme G., fonctionnaire de France Télécom, a fait une chute du haut de l’escalier de sa résidence, le 29 juillet 1998 à 7 heures 25, alors qu’elle s’apprêtait à se rendre à son travail ; qu’eu égard au fait qu’il s’est produit à l’intérieur de la résidence de l’agent, cet accident ne peut être regardé comme un accident de trajet, et par suite, bénéficier du régime des accidents imputables au service, tel qu’il est prévu par l’article 34 2° de la loi susvisée du 11 janvier 1984 portant statut de la fonction publique de l’État ; que c’est, par suite, à bon droit que, par la décision attaquée, le directeur des ressources humaines de la direction régionale de France Télécom a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de l’accident en cause ; qu’il suit de là que la demande en annulation présentée par Mme Guelfi ne peut qu’être rejetée ; Retour au texte
Droits d'auteur
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Commentaire
Astrid Le Baube
Doctorante contractuelle au centre de recherches administratives (CRA) à l’université d’Aix-Marseille.
DOI : 10.35562/amarsada.311
L’extension du domaine de l’accident de trajet en droit de la fonction publique
Instituant un véritable « itinéraire protégé1 » pour l’agent public, la notion d’accident de trajet donne lieu à de multiples interprétations. Inspirée par une volonté accrue de socialisation du risque, la jurisprudence administrative a dû sortir des sentiers battus afin d’assurer une protection toujours plus grande aux victimes. La décision ici commentée, relative à la notion d’accident de trajet, s’inscrit dans ce mouvement.
Fruit d’une construction jurisprudentielle, la définition légale de l’accident de trajet est désormais codifiée à l’article L. 822‑19 du code général de la fonction publique. Il y est énoncé qu’
« est reconnu imputable au service, lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit en apportent la preuve ou lorsque l’enquête permet à l’autorité administrative de disposer des éléments suffisants, l’accident de trajet dont est victime le fonctionnaire qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son service et sa résidence ou son lieu de restauration et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel du fonctionnaire ou toute autre circonstance particulière étrangère notamment aux nécessités de la vie courante est de nature à détacher l’accident du service ».
Le 19 juillet 2018, à 10h25, Mme B, fonctionnaire de l’éducation nationale, quitte son domicile pour se rendre sur son lieu de travail. Elle chute malencontreusement dans l’escalier de l’immeuble où elle réside. Afin de faire reconnaître l’imputabilité au service de son accident, et a fortiori, la réparation de son préjudice, elle saisit le recteur de l’académie d’Aix‑Marseille en arguant avoir été victime d’un accident de trajet.
Suite au refus du recteur de l’académie de reconnaître l’imputabilité au service de l’accident, la requérante saisit le tribunal administratif de Marseille. Elle demande l’annulation de la décision du 10 octobre 2018 par laquelle le recteur a refusé de reconnaître l’imputabilité au service, mais également l’annulation de la décision du 29 novembre 2018 rejetant son recours gracieux ainsi que la condamnation du rectorat à indemniser les préjudices qu’elle estime avoir subis. Elle soutient que la décision rejetant son recours gracieux est entachée d’erreur de fait2.
Cependant, le second moyen invoqué par la requérante mérite de retenir davantage l’attention. Point d’orgue de l’affaire, il vient mettre en lumière le concept même d’accident de trajet. Il indique que l’imputabilité au service est exclue si l’accident a lieu à l’intérieur de la résidence de l’agent3.
Le tribunal administratif de la cité phocéenne déboute la demanderesse au motif que l’accident s’est produit à l’intérieur du hall d’entrée de l’immeuble, autrement dit d’une propriété privée. Ainsi, Mme B, en sa qualité d’agent public, est considérée comme n’ayant pas quitté son domicile pour emprunter le trajet la menant à son lieu de travail. L’imputabilité au service de l’accident ne peut de ce fait être retenue ; les escaliers ont été considérés comme faisant partie du domicile de la requérante, ne pouvant par conséquent entraîner la qualification d’accident de trajet.
Saisie en appel par cette dernière, la cour administrative d’appel de Marseille est confrontée au problème suivant : Les parties communes d’une résidence doivent-elles être regardées comme faisant partie de la « résidence de l’agent »4 ?
Par un arrêt du 8 mai 1952, la Cour de cassation a considéré que le trajet commence à partir du moment où le salarié a franchi le seuil de son appartement. Ainsi, « l’accident survenu dans l’escalier intérieur d’un immeuble collectif ou dans la cour de l’immeuble »5 constitue un accident de trajet. S’inscrivant parfaitement dans la logique de la jurisprudence judiciaire, la cour administrative d’appel de Marseille a circonscrit le domicile à l’appartement lui-même. Elle a jugé que la requérante, en se trouvant dans le hall d’entrée de l’immeuble, avait dès lors commencé à emprunter le trajet la menant à son lieu de travail. Ainsi, la cour administrative d’appel de Marseille vient confirmer une nouvelle fois le rapprochement entre le droit de la fonction publique et le droit du travail. Il s’agit là du phénomène de « travaillisation » du droit de la fonction publique. La qualification d’accident de trajet, telle que prévue par l’article L. 822‑19 du code de la fonction publique peut être retenue.
En l’espèce, une opération délicate de qualification juridique devait être résolue pour savoir si, in fine, l’accident de trajet, survenu dans l’escalier intérieur de l’immeuble collectif où réside la requérante, est imputable ou non au service. Le juge administratif a ainsi procédé à une extension matérielle du domaine de l’accident de trajet (I). Mais, au regard de la jurisprudence, l’appréciation circonstancielle opérée par ce dernier conduit à traiter différemment des situations semblables (II).
L’extension matérielle du domaine de l’accident de trajet
La cour administrative d’appel de Marseille a admis que l’accident de trajet dont a été victime Mme B est imputable au service non pas au regard de la matérialité de cet accident, qui était déjà établie, mais au regard de sa qualification juridique. Effectivement, la question est ici de savoir si la chute d’un agent dans la partie commune de son immeuble alors qu’il se rend sur son lieu de travail relève ou non de l’accident de service.
En répondant par l’affirmative, la cour précise l’étendue du champ de la notion. L’apport essentiel de l’arrêt se situe ici. Au quatrième considérant, le juge précise que
« l’accident s’étant produit alors qu’elle avait quitté son domicile, nonobstant le fait qu’elle se trouvait à l’intérieur du hall d’entrée de l’immeuble dont Mme B … a un usage privé avec les autres habitants de l’immeuble copropriétaires ou locataires, elle doit être regardée comme ayant quitté son domicile pour emprunter le trajet séparant celui-ci de son lieu de travail au moment de l’accident ».
Ainsi en l’espèce, l’escalier se trouvant dans les parties communes de l’immeuble constitue le point de départ du trajet séparant son domicile de son lieu de travail et entraîne l’imputabilité au service de cet accident.
Une telle solution n’était pas évidente au regard de la définition de l’accident de trajet donnée à l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 désormais codifié à l’article L. 822‑19 du code général de la fonction publique. Il faut noter qu’il n’existe aucune précision textuelle quant à la délimitation du « parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son service et sa résidence ». Ainsi les décisions juridictionnelles relatives à l’accident de trajet sont venues combler et pallier les insuffisances de la loi.
Effectivement, dans un arrêt rendu le 18 février 1987, le Conseil d’État précise que l’accident survenu à l’intérieur de la propriété d’un agent alors qu’il sortait de sa maison par un accès privatif n’est pas imputable au service. Dans un arrêt rendu le 23 juin 1989, le Conseil juge que la chute sur un trottoir d’un agent public quittant son domicile pour se rendre sur son lieu de travail alors qu’elle descendait les marches donnant accès de sa propriété à la voie publique présente le caractère d’un accident de service. Plus encore, la cour administrative d’appel de Marseille précise, dans une décision rendue le 2 février 1999, que l’accident de trajet d’un agent public survenu dans l’escalier situé à l’intérieur du périmètre de la résidence et constituant un accès privatif à l’appartement du requérant, ne peut être imputable au service.
Le raisonnement de la juridiction administrative était simple : il consistait à dire que l’imputabilité de l’accident de trajet ne pouvait être retenue dès lors que l’agent se trouvait au moment de l’accident à l’intérieur de sa propriété.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’État affirme « pour que soit reconnue l’existence d’un accident de trajet, il faut que le trajet du domicile au lieu de destination ait commencé ; que tel n’est pas le cas lorsque l’intéressé se trouve encore, lors de l’accident, à l’intérieur de son domicile ou de sa propriété »6. La qualification de l’accident de trajet est ainsi exclue si l’accident a lieu « à l’intérieur de la résidence de l’agent »7. C’est le cas d’un agent qui s’est fracturé le pied alors qu’il avait pour intention de monter dans sa voiture stationnée dans la cour de son domicile8. Que l’accident ait lieu dans un garage9, ou dans un sous-sol10, la qualité d’accident de trajet ne peut être retenue11. Cela pour une simple raison, il faut avoir quitté l’enceinte de sa propriété. Or, en l’espèce, au regard de son considérant no°3, la cour administrative d’appel ne s’inscrit pas dans ce mouvement jurisprudentiel. Elle considère que « le trajet est le parcours qui commence après que l’agent est effectivement sorti de son domicile ou de la résidence […] » et non de sa propriété. Ainsi, la notion de propriété n’est pas déterminante.
En suivant la position retenue par la jurisprudence sociale, la jurisprudence administrative raisonne désormais en termes de « résidence »12. Ce changement de qualification entre propriété et résidence fut déjà reconnu dans une décision rendue par la juridiction suprême de l’ordre juridictionnel administratif 13dans laquelle il mentionne la notion de résidence dans son considérant no 5 : « est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer ». En se soumettant au précédent du Conseil d’État, la cour administrative d’appel va alors se pencher non pas sur la délimitation de la propriété mais sur celle de la résidence.
En l’espèce, dans les conclusions du rapporteur public, « le trajet commence au seuil du lieu dont l’intéressé à la jouissance privative » 14. Constitue ainsi un accident de trajet l’accident survenu dans l’escalier intérieur d’un immeuble collectif ou dans la cour d’un immeuble15.
L’entreprise mérite que la réflexion se poursuive. Étant donné que la résidence est circonscrite à l’appartement lui-même et qu’elle constitue le lieu où l’intéressé a la jouissance privative, cela signifie que cette jouissance privative se limite à l’appartement. Au vu de ces éléments, la jouissance privative constitue un critère non négligeable pour pouvoir qualifier l’accident de trajet. Les parties communes ne faisant pas partie de la résidence de l’agent, ce dernier ne bénéficie d’aucune jouissance privative sur ces lieux. En précisant que la chute d’un agent public dans les parties communes de sa copropriété constitue un accident de trajet, le juge étend le domaine de ce dernier en interprétant de manière extensive les critères spatial et temporel de l’accident de trajet. Cette position permet de souligner l’importance du rôle joué par la jurisprudence en matière de protection des agents publics et de prise en compte du risque professionnel.
Toutefois, l’analyse de la décision confirme « qu’il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d’une décision de l’autorité administrative compétente refusant de reconnaître l’imputabilité au service d’un tel évènement, de se prononcer au vu des circonstances de l’espèce »16 pouvant ainsi conduire à un traitement différent des situations semblables.
L’appréciation circonstancielle du juge débouchant sur un traitement différent des situations semblables
Si l’accident de trajet voit son domaine précisé, cette circonstance n’est pas de nature à exclure l’appréciation souveraine du juge au vu des circonstances de l’espèce. Malgré l’accroissement des possibilités d’indemniser les victimes d’accident de trajet, cette solution laisse supposer un traitement différent des situations semblables.
L’espèce offre justement un exemple d’un traitement différent pour une situation non pas semblable mais identique. En effet, le tribunal administratif de Marseille avait rejeté, dans son jugement17, la demande de Mme B au motif que l’accident ne s’était pas produit sur la voie publique mais à l’intérieur du hall d’entrée de l’immeuble, autrement dit d’une propriété privée. Il a de ce fait considéré que l’agent public n’avait pas quitté son domicile pour rejoindre son lieu de travail. Saisie en appel par la requérante, la cour administrative d’appel de Marseille a quant à elle circonscrit le domicile à l’appartement lui-même rendant ainsi l’accident de trajet imputable au service. Apparaît dès lors une disjonction entre deux situations identiques. D’une part lorsque le domicile se limite à l’appartement lui-même, et d’autre part, lorsque le domicile est étendu aux parties communes de l’immeuble. Autrement dit, la chute d’un agent sera qualifiée d’accident de trajet si les escaliers se situent à l’intérieur de la copropriété18, il n’en est rien si l’escalier constitue un accès privatif à son appartement19. La délimitation des frontières du domicile est ainsi déterminante pour retenir ou non la qualification de l’accident de trajet emportant des conséquences pratiques sur la différence de traitement attaché à la victime d’accident de trajet.
Le point de divergence peut tout aussi bien concerner l’emplacement d’une voiture. Un agent n’est pas en situation d’accident de trajet lorsque sa chute survient au moment de monter dans sa voiture se situant à l’intérieur de sa propriété. Mais il le sera si sa voiture est située sur la voie publique20.
Cet élargissement du domaine de l’accident de trajet risque d’aboutir à une différence de traitement indépendamment de la gravité des dommages corporels ou psychologiques engendrés par l’accident. L’agent public victime d’un accident de trajet vivant dans un immeuble collectif, sera couvert pour les dommages survenus dans les espaces collectifs tandis que les agents vivant dans une habitation individuelle, avec un espace extérieur, ne seront pas couverts pour les dommages survenus et cela peu importe la gravité des blessures21. On entrevoit ainsi une rupture d’égalité entre les agents publics, d’autant plus que c’est à eux qu’il appartient de caractériser l’imputabilité au service de cet accident.
L’appréciation circonstancielle du juge est en l’espèce renforcée par l’absence de précisions textuelles de la définition de l’accident de trajet en droit de la fonction publique donnée à l’article 21 bis de la loi Le Pors. Outre la question « du parcours habituel entre le lieu où s’accomplit le service du fonctionnaire et sa résidence », c’est la détermination « du fait personnel du fonctionnaire ou toute autre circonstance particulière étrangère aux nécessités de la vie courante » qui fait l’objet d’une appréciation circonstancielle du juge. En l’espèce, aucun élément relatif à un quelconque fait personnel de Mme B n’est soulevé par le juge. Quels sont les faits personnels du fonctionnaire pouvant rejeter l’imputabilité au service de l’accident ? Dans un arrêt rendu par le Conseil d’État le 3 novembre 2023, le fait de conduire un scooter de service sous imprégnation alcoolique pour regagner son domicile depuis son lieu de travail constitue un fait personnel de nature à détacher l’accident du service22. Mais encore, est étranger aux nécessités de la vie courante le fait de récupérer des affaires personnelles chez son compagnon pour regagner son lieu de travail23. L’interprétation du juge, particulièrement large, traduit à l’évidence une attitude de prudence envers l’imputabilité au service de l’accident de trajet.
Dans tous les cas, la cour administrative semble tendre davantage vers un régime de l’accident de trajet toujours plus favorable aux victimes ayant subi un accident. Comme en témoignent les jurisprudences précédentes et comme vient le confirmer la présente décision, les évolutions liées à la notion d’accident de trajet en droit de la fonction publique participent à une plus grande socialisation du risque professionnel.
Notes
1 PECCHIOLI J-L. « L’itinéraire protégé – Le fonctionnaire face aux accidents de trajet », JCP A, 2003, comm. 1199. Retour au texte
2 Voir les conclusions du rapporteur public M. Thielé de la décision no 21MA0238. Retour au texte
3 Ibid., Retour au texte
4 Ibid., Retour au texte
5 Cass., ch. sociale, 8 mai 1952, no 75‑15.500, 75‑15.625 V. les conclusions du rapporteur public M. Thielé de la décision no 21MA02328. Retour au texte
6 CE, 30 novembre 2018, Mme. A, no 416753 Retour au texte
7 Voir les conclusions du rapporteur public M. Thiele de la décision no 21MA0238. Retour au texte
8 CE, 13 janvier 1988, Bertoncini, no 65479 Retour au texte
9 CE, 4 juillet 1994, Mme. X, no 134144 Retour au texte
10 CE, 27 février 1987, M. X, n°, no 48426 Retour au texte
11 DELIANCOURT S. « La chute d’un agent dans les parties communes de l’immeuble où il réside est un accident de trajet », AJFP, 2023, p. 60. Retour au texte
12 Ibid., Retour au texte
13 CE 17 janvier 2014, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’Etat, no 352710 Retour au texte
14 Voir les conclusions du rapporteur public M. Thiele de la décision no 21MA0238. Retour au texte
15 Cass., ch. sociale, 8 mai 1952, no 75‑15.500, 75‑15.625 Retour au texte
16 CAA Bordeaux, 30 mai 2022, M.B, no 19BX04915 ; CAA Douai, 19 septembre 2023, Mme A, no 22DA01965 Retour au texte
17 TA Marseille, 19 avril 2021, Mme. B, no 1900572 Retour au texte
18 CAA Marseille, 4 juillet 2022, Mme B, no 21MA02328 Retour au texte
19 CAA Marseille, 2 février 1999, Mme Fraticelli, no 97MA00204 Retour au texte
20 CE, 9 octobre 1991, Masneuf, no 109259 Retour au texte
21 DESFOUGERES E. « Quand les limites sont repoussées, il n’y a plus de bornes ! », Le Journal des accidents et des catastrophes, no 222, 16 décembre 2022 Retour au texte
22 CE, 3 novembre 2023, Mme C, no 459023 Retour au texte
23 CAA Douai, 19 septembre 2023, Mme A, no 22DA01965 Retour au texte
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