Les deux affaires que vous avez à juger impliquent des conclusions communes, dès lors qu’elles partagent une question d’importance, celle de savoir si une autorisation d’urbanisme peut naître tacitement à la suite d’un avis défavorable du préfet1. Avant de tenter de répondre à cette problématique, examinons les faits respectifs des deux affaires :
Dans le premier dossier no 22MA02284, M. B. souhaitait faire édifier un local commercial destiné à la restauration rapide, au lieu‑dit Cufa dans la forêt d’Uspedali. Il a déposé pour ce faire, le 21 janvier 2020, auprès de la mairie de la commune de Zonza, une demande de permis de construire2. Ce qu’il faut préalablement savoir, c’est que depuis le 12 juillet 2018, M. B. était titulaire d’une concession l’autorisant à occuper le domaine public3. Ce qu’il faut encore savoir, c’est que M. B. avait déjà demandé et obtenu, du maire de Zonza, un permis de construire express, le 4 septembre 2019. Le préfet avait alors exercé le contrôle de légalité et avait adressé un recours gracieux au maire le 13 novembre 2019 avec notification au pétitionnaire. Ce recours gracieux faisait état de l’absence d’avis préfectoral conforme et de l’incomplétude du dossier sur plusieurs aspects. Le maire n’ayant pas répondu, le préfet avait alors saisi le tribunal d’une demande d’annulation de l’arrêté du 4 septembre 2019. Toutefois, sans attendre la réponse du tribunal, M. B. a déposé le 21 janvier 2020, à la mairie, une demande de régularisation. Elle a été transmise au contrôle de légalité : le préfet a, par suite, rendu un avis défavorable le 14 avril 2020 au motif de la méconnaissance de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme. Puis, le confinement est arrivé. Et le maire n’a rendu aucune décision expresse ; le préfet4 a alors considéré, s’appuyant certainement sur quelques jurisprudences de cours, qu’à l’issue du délai d’instruction, un permis tacite était né. Il a saisi, de nouveau, le tribunal administratif de Bastia d’un 2e déféré dirigé contre ce permis qu’il a qualifié de tacite.
La juridiction de première instance a annulé, d’une part, le premier permis, au double motif de l’absence d’avis conforme du préfet et l’incomplétude du dossier5 (c’est le dossier de PI no 2000234) et le second, né le 20 juillet 20206 au motif de l’illégalité du projet au regard de l’article L. 121‑8 du code de l’urbanisme et de l’incomplétude du dossier au regard de l’assainissement. (C’est le dossier de PI no 2001261). M. B. vous a saisis régulièrement et vous a demandé d’annuler les deux jugements7 ; Vous avez rejeté la requête dans le dossier 21MA01003, conformément à une jurisprudence bien établie (voyez CE, 29 janvier 1969, Dame veuve C., Rec. p. 438). Le dossier 22MA02284 avait été audiencé, en même temps, mais dès lors qu’il partage ce problème juridique commun avec un autre dossier relevant initialement de la 1re chambre, il a été renvoyé.
Dans le second dossier no 21MA00790, un pétitionnaire, M. C. a déposé, le 20 juillet 2017, une déclaration préalable en vue de la division d’une parcelle initialement cadastrée section A no 1205 pour devenir la parcelle AK no 49. La parcelle est située 16 chemin du Castellaras sur le territoire de la commune du Rouret9 . Il s’agit d’une « division en vue de construire »10. Le plan d’occupation des sols de la commune du Rouret étant devenu caduc à compter du 27 mars 2017, en application des articles L. 174‑1 et L. 174‑3 du code de l’urbanisme, le maire du Rouret11 se devait de saisir, en application des dispositions du a) de l’article L. 422‑5 du même code, le préfet des Alpes‑Maritimes pour avis conforme. Ce qu’il a fait. Le délai d’instruction était d’un mois. Et c’est là que les choses se compliquent. Le préfet a émis le 25 août 2017, soit après le délai d’instruction, lequel avait expiré le 20 août 2017, un avis conforme défavorable au projet de division, au motif que le terrain d’assiette n’est pas situé dans une partie urbanisée de la commune au sens de l’article L. 111‑3 du code de l’urbanisme. Le maire a alors considéré qu’une autorisation tacite, plus précisément une décision tacite de non‑opposition à cette déclaration était née ; mais soucieux de la légalité, il a engagé la procédure contradictoire préalable au retrait de cette décision tacite. Par une décision du 26 septembre 2017, le maire du Rouret, agissant au nom de la commune a donc retiré la décision litigieuse et s’est opposé à cette déclaration. M. C. relève appel du jugement du 30 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions de retrait et d’opposition à déclaration.
À titre liminaire, vous pourrez écarter dans ce dossier le moyen tiré de ce que la minute du jugement attaqué ne comporterait pas l’ensemble des signatures requises en vertu de l’article R. 741‑7 du code de justice administrative comme manquant en fait. M. C. reproche ensuite au tribunal de s’être référé, au point 11 du jugement attaqué, à l’article L. 422‑6 du code de l’urbanisme alors que seul était applicable l’article L. 422‑5 du même code. Il est vrai que l’avis du préfet a été émis sur le fondement du a) de l’article L. 422‑5 et non sur celui de l’article L. 422‑6 qui ne concerne pas l’hypothèse, ici en cause, de la caducité du POS. Quoi qu’il en soit, l’erreur matérielle dont le requérant se prévaut est, à mon sens, sans incidence sur la régularité du jugement attaqué. Vous noterez que l’article L. 422‑5 est au demeurant cité au point 2 et mentionné au point 6 du jugement attaqué.
Revenons au principal point de droit qui concerne la naissance des autorisations d’urbanisme tacites.
L’état du droit : le droit administratif général12 a pendant longtemps estimé que le silence gardé par l’administration sur une demande valait décision de rejet. Cette solution était justifiée par le fait que le droit a horreur de l’incertitude et une décision tacite crée de l’incertitude, parfois lourde de conséquences : en effet, une décision tacite est une décision qui ne s’assume pas (sauf lorsque le silence vaut refus). Pourtant, le droit de l’urbanisme a très tôt opté pour une solution inverse, une solution d’exception par rapport aux autres branches du droit administratif ; cette solution a été justifiée par le fait que le droit de construire était un « attribut fondamental du droit de propriété ». Les réformes de 2005/2007 ont réaffirmé et renforcé le principe de l’autorisation tacite en posant que si aucune décision n’était notifiée au demandeur à l’issue du délai d’instruction, il était bénéficiaire d’une autorisation tacite (voyez les article R. 424‑1 à R. 424‑4 du code de l’urbanisme). Ont été ajoutées également de nouvelles exceptions13. Toutefois, avant la réforme, les modalités d’intervention des décisions tacites étaient différentes. Voyez le commentaire dans le code de l’urbanisme Dalloz sous la section 1 consacrée aux décisions tacites et expresses.
En l’espèce, deux positions s’offrent à vous, soit de dire qu’une autorisation d’urbanisme tacite peut naître même lorsque l’avis conforme du préfet est défavorable, (c’est la solution dominante), soit qu’elle ne peut pas naître. La première position se fonde sur une lecture littérale des textes alors que la seconde se réfère davantage à l’esprit des textes et plus généralement du droit. Ce qui est sûr dans les deux affaires, c’est qu’une décision tacite est née.
La première position, celle favorable à la naissance d’une autorisation tacite avance plusieurs arguments14 mais pour l’essentiel elle se fonde sur la lettre des textes. En effet, la loi a désormais posé le principe du « silence vaut acceptation » sauf exceptions, dans lesquelles le « silence vaut refus ». Une liste limitative d’exceptions aurait été posée par les articles R. 424‑2 et R. 424‑3 du code de l’urbanisme, laquelle n’a pas intégré notre cas de figure. La doctrine se contente d’en prendre acte : l’émission d’un avis conforme défavorable formulé dans le délai d’instruction ne fait donc pas obstacle à l’obtention d’un permis de construire tacite ; des cours ont clairement souscrit à ce raisonnement, qui traduit le choix de faire prévaloir le principe le plus récent15 : voyez notamment CAA Lyon, 2 oct. 2012, Société Domaine du Pas du Ventoux, no 12LY00334, classé en C+ ; voyez aussi CAA Douai, 25 janvier 2023, commune du Landin, no 21DA00937. Voyez aussi de nombreux tribunaux administratifs16. La position est clairement assumée17 ; voyez notamment les conclusions du rapporteur public sur l’arrêt de la CAA Douai de 2023. Enfin, le système en place est complet et il fonctionne puisqu’il suffit que le préfet saisisse le tribunal, s’il est en désaccord.
Ceci étant dit, on pourrait tout d’abord douter du caractère limitatif de la liste, de par l’emploi de l’expression ambiguë « préciser les cas » de l’article L. 424‑2 du CU. Cette expression peut signifier soit fixer (sous‑entendu de manière limitative), soit simplement apporter des précisions, sans cette connotation d’exhaustivité. De plus, si l’article R. 424‑2 ne dit effectivement pas « notamment », l’on peut souligner d’emblée que la liste posée par cette disposition n’est pas complète (c’est‑à‑dire exhaustive) dès lors qu’il faut lui adjoindre l’exception posée par l’article R. 424‑3. Ainsi, il serait possible de soutenir que le décret donne des précisions sur les cas qui méritent des précisions18, (ce qui a d’ailleurs été fait abondamment) alors que le fait de prendre une décision de refus après un avis conforme défavorable n’appelle aucune précision, l’avis se suffisant à lui‑même. Mais, en fait, ce n’est pas tant le problème limitatif de la liste dans un texte qui pose, à mon avis, difficulté, dès lors qu’il pourrait être assez facilement surmonté, que la question de l’existence d’un mécanisme permettant la prise de connaissance par le pétitionnaire.
Avant d’exposer les arguments en faveur de la thèse défavorable à la naissance d’une autorisation tacite qui sera fondée sur l’esprit des textes et du droit en général, je souhaiterais faire deux remarques préalables :
Toute « science » au sens large du terme, toute discipline, tout système normatif, et le droit est un système normatif, obéit à une loi que l’on appelle le principe de non‑contradiction19. Kelsen20 affirmait, dans sa Théorie pure du droit, (je cite) qu’« une science normative ne peut admettre de contradiction entre deux normes appartenant au même système ». Ce principe est à la base de la construction des systèmes juridiques. Non respecté, il peut conduire à des absurdités. Autrement dit, dans un discours, il n’est pas possible de dire à la fois A et non A, c’est‑à‑dire d’affirmer quelque chose et son contraire. Or, c’est ce qu’il se passe avec les autorisations tacites. S’affirme tout d’abord la règle selon laquelle une autorisation (express ou tacite) ne peut naître lorsque le préfet a rendu un avis conforme défavorable21 : le maire est tenu de suivre l’avis, étant en position de compétence liée : la compétence est une règle d’ordre public liée au principe de la légalité (le maire commet une illégalité en octroyant le permis et ledit permis sera illégal). Est aussi affirmé avec force depuis la réforme qu’une autorisation tacite ne peut que naître au terme du délai prévu, peu importe la nature de l’avis, dès lors que l’on ne se trouve pas en face d’une exception. Autrement dit, sont formulées en même temps deux règles, deux affirmations contraires : « en cas d’avis défavorable du préfet, une autorisation tacite ne peut pas naître et une autorisation tacite ne peut que naître ». Le principe de non contradiction est bafoué. Et il ne s’agit pas de normes pouvant être conciliables comme peuvent l’être certains principes (par exemple le principe du droit de grève et le principe de la continuité de service public). Il s’agit de normes, de normes‑règles. Précisons que je me situe bien ici au niveau des normes, du système, pas des faits : le fait que le maire puisse légalement s’opposer à l’avis en soutenant qu’il est illégal est une autre question qui ne change rien à ce constat effectué sur le plan de la logique formelle.
La seconde remarque concerne la nature, la raison d’être du principe posé par l’article L. 424‑2 : dans ses conclusions sur l’affaire SCI Maison médicale Edison (CE, Sect., 25 juin 2004, no 228437, A), Denis Piveteau exprimait la véritable nature de ce principe, laquelle est liée à sa finalité : il le définissait comme « Le principe selon lequel l’administration ne peut pas faire obstacle, par son silence, au droit de construire », sous‑entendu au droit légitime de construire. Autrement dit, ce principe énonce l’idée que l’administration ne peut utiliser son silence pour « faire du droit d’opposition » car le droit de construire a disons une « valeur » supérieure ; le principe a été posé pour ne pas pénaliser les pétitionnaires et pour forcer l’administration à répondre dans des délais convenables ; mais ce principe n’a jamais été pensé et posé pour contourner la loi et se voir octroyer à tort des droits, même si c’est pour un temps limité. Et c’est la question qui se pose ici, celle de savoir si l’administration peut faire obstacle par son silence à l’avis conforme défavorable du préfet et faire naître ainsi une décision favorable. Ce qui nous renvoie à l’examen de l’esprit des textes et du droit.
Premier argument : après la réforme, la compétence liée s’avance à mon avis comme une exception qui ne dit pas son nom, une exception en puissance. Certes, idéalement, si tous les maires se pliaient à la règle de la compétence liée, sauf de rares oublis, il n’y aurait pas vraiment de difficultés pratiques. Or, on constate que de plus en plus de maires s’opposent à l’avis défavorable du préfet, le rapporteur public le constatait dans l’affaire commune du Landin précitée. Et pas seulement en prenant une décision expresse, ce qui peut être tout à fait admissible et légal dès lors que le maire justifie que l’avis est selon lui illégal mais par son seul silence, ce qui apparaît plus discutable. Ainsi, la première position me paraît assez incitative envers les maires, qui sont favorables à accorder le permis, de garder le silence (puisque c’est a priori possible et que cela ne devrait pas être illégal puisque la loi le permet) et donc de laisser faire le « cours des choses » et de se dire après tout « c’est le problème du préfet, ce n’est pas le mien ! ». Or, la compétence liée est toujours d’ordre public et son importance est toujours soulignée par le CE. D’ailleurs, Louis Dutheillet de la Mothe a pu écrire sur CE, no 410790, 4 mai 2018, à propos d’un autre cas de figure différent du nôtre que « si le préfet confirme l’avis défavorable de l’ABF, le maire n’a pas, à se prononcer à nouveau sur la demande de permis » et l’auteur justifie de manière approfondie ce silence22 par la logique et par là même l’esprit du droit, relevant qu’il est logique que le maire ne se prononce pas, « puisque le maire a compétence liée pour confirmer son refus. » En fait, comme il le souligne un peu plus loin, c’était surtout pour échapper à la naissance d’une autorisation tacite à la suite d’un double avis défavorable ; mais du coup, il est bien rappelé l’importance de la compétence liée23.
Inconvénients pratiques : La position dominante présente des inconvénients pratiques qui m’apparaissent importants : (je ne parle pas ici du principe de non‑contradiction). Je me réfère au factuel : concrètement, dans cette solution le maire qui garde le silence fait naître une autorisation tacite. Il bafoue clairement et sans l’assumer la règle de la compétence liée. Le fait l’emporte sur le droit mais de manière anormale, au sens de pathologique. Si le maire, après avoir pris une décision conforme à l’avis, s’oppose expressément à l’avis, il affirme sa position et la défend avec des arguments assumés : le jeu du droit est respecté. En cas de silence, rien n’est assumé, rien n’est justifié. De plus, comme on le sait, le retrait, en pratique, est seulement une probabilité. Il peut ne pas être. En fait, tout repose sur les services de la préfecture. Ainsi, en l’occurrence, la bonne application du droit repose sur la loi des probabilités. En bafouant sans l’assumer la règle de la compétence, cette situation participe de l’affaiblissement du pouvoir Etatique et le CE, pragmatique, n’est pas insensible à cet argument comme il a pu le montrer dans la décision Dalmasso (CE, no 427620, 16 octobre 2020). Après avoir constaté le laisser faire des maires qui « ne défendent pas devant le tribunal administratif, ni ne font appel en cas d’annulation » des décisions de refus qu’ils ont été contraints de prendre, il a admis la recevabilité de l’appel du ministre seule autorité apte à défendre l’avis conforme, ce qui nous amène à bien identifier l’auteur de la décision.
L’auteur ou les auteurs de la décision : l’article L. 424‑2 pose que « Le permis est tacitement accordé (sous‑entendu par l’autorité compétente en l’occurrence et a priori le maire) si aucune décision n’est notifiée au demandeur à l’issue du délai d’instruction ». Mais, vous le savez, l’avis rendu par le préfet n’est pas un simple avis. Comme le soulignait le président Laferrière24 « Il constitue une collaboration effective à la décision » ; la décision « ne peut pas être prise sans le concours de deux autorités, celle qui fait l’acte et celle qui lui donne son assentiment sous forme d’avis ». Autrement dit, aux termes de l’article L. 422‑5 du CU, les deux autorités sont en quelque sorte co‑décisionnaires25. Il s’agit de co‑consentements26. Voyez CE Section, 7 janvier 1955, sieur G., Rec. p. 11 ; CE 12 janvier 1972, Caisse des dépôts et consignations c/ sieur Picot, Rec. p. 32. En effet, ce système de la « double approbation » confère au représentant de l’État un véritable pouvoir de décision27 qui s’intègre dans un cadre co‑décisionnel. Toutefois, l’intervention des autorités n’a pas la même valeur. Le fait que le préfet intervienne en premier, d’un point de vue chronologique, le place comme l’autorité véritablement compétente : comme l’a souligné M. Hecquart‑Théron dans sa thèse28 « l’auteur d’un acte unilatéral est celui qui contribue à son élaboration par une manifestation de volonté en vue de modifier l’ordonnancement juridique […]. L’auteur de l’acte est donc celui qui participe à l’émission de la norme, à son édiction : il est celui qui crée la norme » en l’occurrence c’est bien le préfet même si formellement l’auteur de l’acte demeure le maire29. C’est quelque peu paradoxal d’être compétent sans véritable pouvoir d’appréciation30. Mais, en cas de silence, c’est le maire qui redevient l’autorité compétente forte, décomplexé d’une absence de justification à apporter.
Pour finir, il ne faudrait pas oublier le principal intéressé, le pétitionnaire. Les pétitionnaires n’ont effectivement pas été avertis, sachant qu’en l’espèce, dans le premier dossier, la situation est un peu différente car le pétitionnaire ne pouvait l’ignorer dès lors que son premier permis express avait été contesté justement à cause de l’absence de l’avis conforme : mais tentons un raisonnement en général au regard de la notion d’ignorance légitime.
Comme le souligne Mireille Le Corre sur CE, no 413995, 1er juillet 2019, la « jurisprudence retient globalement une conception restrictive de l’ignorance légitime. ». Cette notion justificative a été « en effet exclue régulièrement, eu égard au principe sous‑jacent selon lequel nul n’est censé ignorer la loi »31. Rappelons que le principe général du droit « nul n’est censé ignorer la loi »32 ne signifie pas l’obligation de tout connaître du droit, ce qui serait absurde ; il signifie simplement (véritablement) qu’on ne peut pas se cacher derrière son ignorance du droit et de la loi (bref, d’avancer sa seule bonne foi) pour soutenir notamment que quelque chose ne peut vous être appliqué ou que quelque chose vous est acquis. Il faut toutefois reconnaître qu’en l’espèce, demeure ce problème de l’information du pétitionnaire. Mais dès lors que la liste n’est pas perçue comme exhaustive, cet argument perd de sa force. Mais, j’en conviens, en l’occurrence, tout semble réglé par le jeu des notifications, de l’information notifiée ; voyons tout de même si tout est aussi simple du côté du principal intéressé, à savoir le pétitionnaire.
Argument de nature sociologique : les pétitionnaires, guidés par le bon sens, généralement se renseignent. Est‑ce que dans la commune où je souhaite faire construire il y a un PLU ou pas ? Des avis conformes seront‑ils sollicités ? etc… Pourquoi ? Parce qu’il est de la nature de la décision tacite dite favorable de susciter le doute, l’incertitude : or le pétitionnaire a besoin de certitude. Et face à une décision tacite (à l’inverse d’une décision expresse) il n’est jamais certain de savoir s’il s’agit d’une autorisation tacite (d’une autorisation véritable) ou d’un oubli de l’administration de statuer dans les délais. D’où un certain malaise, car cette autorisation pourrait lui être retirée33. Souvent aussi les pétitionnaires en demandent une confirmation expresse en application de l’article R. 424‑13 du CU. D’ailleurs, expliquez le schéma créatif de la naissance d’une autorisation tacite en cas d’avis conforme du préfet à un pétitionnaire non‑juriste et posez-lui la question : considèreriez‑vous être titulaire d’un permis tacite ? Il me semble que tout pétitionnaire respectueux du droit dirait, avec ses mots, qu’il résulte de la lecture combinée des articles L. 422‑5 et L. 424‑2 qu’il n’est ni logique, ni cohérent qu’une décision tacite octroyant un permis de construire naisse puisque l’on devrait ensuite me la retirer. Sauf peut‑être les pétitionnaires qui, disons, souhaitent profiter de cette situation et qui vont avancer leur ignorance en toute connaissance de cause. Tout non‑juriste qu’il est, le pétitionnaire aura donc tendance à voir une exception en puissance, une exception qui ne dit pas son nom. La solution n’est donc sécuritaire, à mon sens, ni pour le droit ni pour le pétitionnaire car le préfet devrait réagir et demander le retrait du permis, et ce, sans dénier le fait qu’il est pour un temps bénéficiaire d’un acte créateur de droit. En fait, il suffirait de rajouter cette hypothèse dans le récépissé ; certes, cela relève de l’administration mais il pourrait alors être fait application de la jurisprudence SCI Maryse précitée, en l’élargissant et en relevant qu’ayant été informé de ce cas de figure particulier le concernant ou pouvant le concerner, le pétitionnaire a la faculté de se renseigner, auprès du service instructeur, sur le sens de l’avis rendu.
Dans ce premier dossier, vous avez mopé, comme l’on dit dans le langage interne des juridictions, le fait que le déféré était irrecevable dès lors que l’avis conforme défavorable du préfet faisait obstacle à la naissance d’un permis de construire tacite. Je vous propose de le retenir. Raisonnons maintenant à partir de notre cas. En l’espèce, il faut distinguer deux zones de compétence : celle couverte par la carte communale qui correspond au secteur littoral de la commune (voyez la délibération du conseil municipal du 15 novembre 2003 approuvée par arrêté préfectoral du 7 janvier 2004) où le maire est compétent pour délivrer les autorisations de construire au nom de la commune (l’article L. 422‑1 du code de l’urbanisme) ; et le reste du territoire communal qui consiste en un secteur forestier : c’est celui qui nous intéresse, dès lors que le terrain d’assiette du projet y est situé. Raisonnablement, il était nécessaire de solliciter le préfet pour avis. Le préfet a rendu un avis défavorable. Le silence gardé par le maire de la commune de Zonza à l’issue du délai d’instruction a fait naître le 20 juillet 20 une décision implicite de rejet. Il s’ensuit que le préfet n’avait, dès lors, pas d’intérêt à la contester. Il suit de là que le déféré présenté par le préfet de la Corse‑du‑Sud était irrecevable. Il appartenait donc aux premiers juges de soulever d’office cette irrecevabilité. Ce qu’ils n’ont pas fait, à tort. Je vous propose par suite d’annuler le jugement attaqué et, pour les motifs précités de rejeter les conclusions aux fins d’annulation présentées par le préfet de la Corse‑du‑Sud comme étant irrecevables. Si vous ne me suiviez pas, il conviendrait de confirmer le jugement.
Dans le second dossier la question est plus délicate : doit‑on appliquer le même raisonnement aux déclarations préalables ? Certes, il s’agit bien d’un régime d’autorisation dès lors que « l’Administration peut, à l’issue d’une instruction de la déclaration, s’opposer aux travaux ou émettre des prescriptions »34. Toutefois, le régime de la déclaration préalable35 est, vous le savez, simplifié au regard du délai d’instruction, qui est plus bref, et des consultations obligatoires, moins nombreuses36, car l’autorisation accordée est, disons, « d’importance moindre ». La réforme de 2007 avait d’ailleurs supprimé la possibilité de procéder au retrait des décisions de non‑opposition à déclaration préalable, même illégales. C’est désormais à nouveau possible. Appliquer ce raisonnement aux déclarations préalables, au régime déclaratif, me semble possible, cohérent mais excessif. Mais je ne vais pas développer plus avant la discussion car je vous ai présenté en exorde de notables différences avec le premier dossier ; ce qui me conduira à vous proposer de juger qu’en l’espèce, une autorisation est bien née. Rappelons en effet que M. C. a déposé auprès des services instructeurs de la commune du Rouret, le 20 juillet 2017, une déclaration préalable de travaux. Une décision tacite de non‑opposition est donc nécessairement née le 20 août suivant, à la suite du silence gardé pendant un mois sur cette demande, le préfet ayant émis son avis défavorable cinq jours après l’expiration de ce délai (donc postérieurement à la naissance de la décision tacite)
M. C. conteste donc l’appréciation du préfet et celle du maire concernant le non‑respect de la règle de constructibilité limitée énoncée à l’article L. 111‑3 du code de l’urbanisme. Ces dispositions interdisent en principe, en l’absence de plan local d’urbanisme, de tout document d’urbanisme en tenant lieu ou de carte communale, les constructions implantées « en dehors des parties urbanisées de la commune », c’est‑à‑dire des parties du territoire communal qui comportent déjà un nombre et une densité significatifs de constructions. Il en résulte qu’en dehors du cas où elles relèvent des exceptions expressément et limitativement prévues par l’article L. 111‑4 du même code, les constructions ne peuvent être autorisées dès lors que leur réalisation a pour effet d’étendre la partie urbanisée de la commune.
Ainsi, cette affaire pose un autre problème juridique, celui de savoir préalablement, si le maire se trouvait ou non en situation de compétence liée pour prendre à la fois une décision de retrait et d’opposition ; la question est délicate.
L’état du droit : Il n’existe pas de symétrie : la compétence liée pour refuser l’édiction d’une décision n’entraîne pas automatiquement celle de prendre une décision de retrait : voyez no 19NC03550, Commune de Suippes, 14 décembre 202137 . Autrement dit, en l’absence d’une demande en ce sens, le maire ne se trouve pas en situation de compétence liée pour retirer une autorisation d’urbanisme illégalement délivrée38. Le maire se trouve en situation de compétence liée, si et seulement si, il est saisi d’une demande en ce sens et qu’il n’est pas conduit à porter une appréciation sur les faits de l’espèce pour relever l’illégalité de cette autorisation39 (Voyez CE, 16 nov. 2009, SNC Anse de Toulvern, no 322554, C, aux conclusions d’Anne Courrèges ; V. également les conclusions d’Alexandre Lallet dans l’affaire commune du Luc‑en‑Provence : CE, 24 mars 2014, no 356142, 356143, B). Voyez enfin 20MA04248, commune du Val 10 janvier 202340.
Pour répondre à cette question de la compétence liée, il faut donc interpréter l’avis conforme défavorable émis postérieurement à la naissance de l’autorisation tacite : est‑ce que cet avis peut être (doit être) regardé ayant demandé au maire de retirer le permis de construire tacite litigieux ? Cette solution est assez séduisante ; il n’est pas illogique de dire que l’avis conforme du préfet produit postérieurement vaut demande de retrait ; voyez en ce sens CAA Bordeaux, 9 juin 2022, Mme de L., no 20BX01964, C – point 12 à 1441 ; toutefois, cette solution me semble vraiment constructive42.
Pour cette raison, il peut sembler plus prudent de dire qu’il n’y a pas eu demande de retrait et de poser directement la question de savoir si le maire pouvait retirer l’autorisation et donc tout d’abord s’il s’est cru lié par l’avis du préfet pour prendre sa décision de retrait. On pourrait le penser car le maire se réfère clairement à l’avis du préfet. Mais juger qu’il a méconnu l’étendue de sa compétence43 (voyez CE, Sect., 26 avr. 1939, Bour, Rec. P. 271 ; CE, 4 déc. 1974, Ministre de l’éducation nationale c/ Dame C., no 93145, A ; voyez également les conclusions du président Morisot relatives à l’affaire sieur Croissant : CE, Ass., 7 juill. 1978, no 10079, A ; CE, Sect., 20 juin 2003, M. S., no 248242, A)44 serait sévère, car avant de viser l’avis défavorable du préfet45, le maire a avancé sa propre motivation indiquant que la parcelle concernée (et donc le projet) n’était pas située dans les parties urbanisées de la commune, autrement dit, que ces dispositions de l’article L. 111‑3 du CU étaient applicables aux opérations de divisions d’un terrain pour permettre l’édification de constructions et en a conclu que la parcelle n’était pas constructible.
Vous constaterez que le maire a eu raison de prononcer le retrait de la décision tacite de non‑opposition à déclaration. Le terrain d’assiette du projet a une superficie étendue de plus d’un hectare. Il se situe au sein d’une zone naturelle densément boisée, qualifiée même de « trame verte ». Des constructions éparses sont présentes mais il faut le souligner, leur nombre est très faible ; la densité est également très faible (V. CAA Nantes, 14 nov. 2022, Ministre de la transition écologique, no 21NT01406, C ; 1re ch., 28 avr. 2022, M. B., no 20MA00997, C). Le secteur d’habitat diffus est reconnu même s’il est affirmé également que la parcelle en cause serait une « dent creuse », ce qui n’est pas du tout le cas. Ce secteur ne s’inscrit pas non plus dans la continuité des parties urbanisées de la commune telles que définies par la jurisprudence commune de Saint‑Bauzille‑de‑Putois (CE, 29 mars 2017, no 393730, B). La décision était bien illégale, le retrait était donc justifié en application de l’article L. 424‑5 du code de l’urbanisme.
En ce qui concerne maintenant la légalité de la décision d’opposition à déclaration en litige : voyez CE, Assemblée, 26 octobre 2001, M. et Mme E., no 216471. C’est la question de l’exception d’illégalité de l’avis conforme défavorable. Le préfet n’a commis aucune erreur de droit, ni d’appréciation. Il a correctement fait application de l’article L. 111‑3 du code de l’urbanisme. L’avis conforme défavorable émis par le préfet des Alpes‑Maritimes n’étant pas entaché d’illégalité, le maire du Rouret était en situation de compétence liée pour s’opposer à la déclaration préalable de division de M. C.. Bien sûr, l’autre voie possible serait de considérer qu’il existe une seule et même décision. Vous pourrez donc confirmer le jugement de cette manière dans la seconde affaire.
Une remarque terminale : je ne vous dirais pas que je n’ai pas hésité à vous proposer cette solution en chambres réunies. La raison qui m’a fait hésiter c’est le chamboulement proposé qui peut sembler excessif par rapport à ce qui a été déjà jugé. Ce qui m’a fait conserver ma position, c’est que je pense qu’il existe des arguments plus nombreux et plus puissants comme la méconnaissance du principe logique de non contradiction, la méconnaissance de la compétence liée, l’incohérence et des solutions non entièrement satisfaisantes. Ainsi, à mon avis, l’antinomie n’a été surmontée par les cours que provisoirement et de manière non entièrement satisfaisante et d’autres difficultés peuvent surgir. Prenons l’exemple suivant : un maire a gardé le silence, une autorisation tacite est née, le pétitionnaire débute les travaux puis le préfet qui avait émis un avis défavorable intervient, les travaux s’arrêtent. Si le pétitionnaire se retourne contre le maire : doit‑on juger que le maire a commis une faute en ne suivant pas l’avis conforme du préfet ? Ou bien dire qu’en gardant le silence, comme la loi le lui permet, il n’a pas commis de faute : à nouveau la contradiction dans le système normatif « il a commis une faute ; il n’a pas commis de faute ». Et surmonter cette contradiction n’est pas aisé : soit on fait prévaloir la compétence liée et le maire soulèvera le caractère piégeux des normes, ne lui interdisant pas de garder le silence mais ne lui donnant pas le droit de le faire sous peine de voir sa responsabilité engagée ; dans l’autre solution, outre le fait qu’elle affaiblit un peu plus la compétence liée pour en faire une notion à géométrie variable, elle dit implicitement mais clairement au pétitionnaire qu’il aurait dû préalablement se renseigner avant de commencer les travaux. L’insatisfaction perdure. Ensuite, comme souligné précédemment, j’ai du mal à penser que le législateur et le pouvoir règlementaire aient entendu volontairement faire naître des décisions tacites par définition illégale. Par ailleurs, il ne me semble pas que ce soit véritablement une création prétorienne car l’exception existe déjà dans le droit, en puissance, même si elle n’a pas été expressément formulée ou plus exactement formalisée comme telle. Enfin, un dernier argument : pour l’avoir constaté, les positions juridiques qui perdurent sont celles qui ont le plus d’arguments en leur faveur (la lettre de la loi, l’esprit de la loi, l’esprit du droit, la logique, la cohérence la justesse, etc.) Tel est le cas par exemple de la solution posée par l’arrêt SCI Maryse qui cumule pratiquement tous les arguments en sa faveur. Bref, au final, il me semble que l’on est face à une anomalie juridique ; certes ce n’est pas à proprement un vide législatif ou un vide juridique ; mais toujours est‑il que de telles anomalies, de telles situations tordues, il vous appartient de les prendre en compte, voire de les redresser : la question est de savoir dans quelle mesure ? Certes, ce serait plutôt au législateur ou au pouvoir réglementaire de le faire, mais la situation reste en l’état depuis déjà un certain temps et puis je me suis souvenu des propos de Portalis46, qui soulignait déjà ce type de difficulté (je le cite) :
« si la prévoyance des législateurs est limitée, la nature est infinie ; elle s’applique à tout ce qui peut intéresser les hommes. […] Ce serait donc une erreur de penser qu’il pût exister un corps de lois qui eût d’avance pourvu à tous les cas possibles, et qui cependant fut à la portée du moindre citoyen. […] Il y a une science pour les législateurs, comme il y en a une pour les magistrats ; et l’une ne ressemble pas à l’autre. La science du législateur consiste à trouver dans chaque matière, les principes les plus favorables au bien commun : la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage et raisonnée, aux hypothèses privées ; d’étudier l’esprit de la loi quand la lettre tue ».
Ainsi, au final, même si la solution proposée peut apparaître constructive, j’ai du mal à accepter la solution inverse qui érige en principe la naissance automatique d’un permis (tacite) illégal.
Par ces motifs, nous concluons
Dans le dossier 22MA02284 :
Annulation du jugement no 2001261 rendu par le tribunal administratif de Bastia le 4 juillet 2022.
Rejet du déféré du préfet de la Corse‑du‑Sud dirigé contre le prétendu permis de construire tacite accordé à M. B.
Motif : le déféré présenté par le préfet de la Corse‑du‑Sud était irrecevable dès lors que l’on considère qu’un permis tacite illégal ne peut naître lorsqu’un avis conforme défavorable a été émis dans le délai d’instruction.
Dans le dossier 21MA00790
Rejet de la requête de M. C.
Il sera statué ce que de droit sur les différentes demandes de frais irrépétibles
Tel est le sens de mes conclusions.