Le plan local d’urbanisme ne fait pas écran entre la loi Montagne et une autorisation d’urbanisme, même lorsqu’il délimite les hameaux en continuité desquels l’extension de l’urbanisation est admise

Lire les conclusions de :

Lire les commentaires de :

Décision de justice

CAA Marseille, 4e chambre – N° 22MA00759 – Commune d’Aghione c/ Préfet de la Haute-Corse – 07 novembre 2023

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA00759

Numéro Légifrance : CETATEXT000048384812

Date de la décision : 07 novembre 2023

Index

Rubriques

Urbanisme

Résumé

Le respect, par un permis d’aménager, des prescriptions du plan local d’urbanisme applicable ne suffit pas à assurer sa légalité au regard des dispositions directement applicables de l’article L. 122‑5 du code de l’urbanisme relatives aux zones de montagne. Il en va de même lorsque ces prescriptions locales, en application des dispositions de l’article L. 122‑6 du code, délimitent les hameaux en continuité desquels le document d’urbanisme prévoit une extension de l’urbanisation.

Par conséquent, une commune ne peut utilement soutenir, sur le fondement de l’article L. 122‑6 du code de l’urbanisme, que, faute pour le préfet d’avoir demandé l’annulation de son plan local d’urbanisme qui range un hameau en zones UA et UB, au sein duquel doit s’implanter le lotissement projeté, et d’en exciper de l’illégalité, le principe de continuité posé par l’article L. 122‑5 du code de l’urbanisme et précisé par le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse ne serait pas opposable à ce projet.

Conclusions de la rapporteur publique

Claire Balaresque

Rapporteure publique

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/amarsada.361

La commune d’Aghione, située en Haute-Corse, a déposé le 6 janvier 2020, sur son territoire, une demande de permis d’aménager pour réaliser un lotissement de dix lots, sur les parcelles cadastrées section B no 419 et 604, lieudit Terrazzaccia.

Par un arrêté du 6 décembre 2020, le maire d’Aghione a délivré ce permis d’aménager à la commune.

Par un courrier du 3 février 2021 reçu en mairie le 6 février, le préfet de la Haute‑Corse a demandé au maire de retirer cet arrêté. En l’absence de réponse, cette demande ayant été implicitement rejetée, le préfet a saisi le tribunal administratif de Bastia d’un déféré tendant à l’annulation de cet arrêté, pour deux motifs :

- la méconnaissance du principe d’urbanisation en continuité avec l’existant posé par la loi Montagne (L. 122‑5 du code de l’urbanisme) ;

- la méconnaissance des espaces stratégiques agricoles du plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC).

Par un jugement du 3 février 2022, dont la commune relève régulièrement appel, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté en retenant le seul motif tiré de ce que le maire d’Aghione a fait une inexacte application de l’article L. 122‑5 du code de l’urbanisme.

Vous pourriez vous interroger sur votre compétence pour connaître de ce jugement, puisque depuis le décret du 25 août 2023, entré en vigueur le 27 août 2023, la commune d’Aghione fait partie des communes dans lesquelles s’applique la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l'article 232 du code général des impôts.

Or, en application de l’article R. 811‑1‑1 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis d'aménager lorsque le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application.

Toutefois, dans la mesure où le jugement attaqué a été rendu avant l’entrée en vigueur du décret du 25 août 2023, lequel a pour effet de priver d’une voie de recours (l’appel), il ne peut être fait application, dans le silence des textes, de ce décret au cas d’espèce.

(Voir sur ce point la décision CE, 11 juin 2003, Mme Halimi veuve Guerel, no 246456, aux tables, qui juge expressément que

« le droit de former un recours contre une décision d'une juridiction administrative est définitivement fixé au jour où cette décision est rendue. Les voies selon lesquelles ce droit peut être exercé, ainsi que les délais qui sont impartis à cet effet aux intéressés, sont, à la différence des formes dans lesquelles le recours doit être introduit et jugé, des éléments constitutifs du droit dont s'agit. Par suite, en cas de modification des textes, les voies de recours, ainsi que les délais de leur exercice continuent, à moins qu'une disposition expresse y fasse obstacle, à être régis par les textes en vigueur à la date où la décision susceptible d'être attaquée est intervenue. »)

La recevabilité de l’appel comme du déféré ne posant pas plus de difficultés que la régularité du jugement attaqué, qui n’est pas contestée– je n’ai du moins pas clairement identifié de moyen en ce sens – vous pourrez examiner sans attendre le fond du litige.

La commune conteste le motif d’annulation retenu par le TA, tiré de la méconnaissance nous l’avons dit de l’article L. 122‑5 qui pose le principe de l’urbanisation en continuité applicable dans les zones de montagne.

Aux termes de cet article :

« L’urbanisation est réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants, sous réserve de l’adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l’extension limitée des constructions existantes, ainsi que de la construction d’annexes, de taille limitée, à ces constructions, et de la réalisation d’installations ou d’équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées. »

L’article L. 122‑5‑1 du même code précise que « Le principe de continuité s'apprécie au regard des caractéristiques locales de l'habitat traditionnel, des constructions implantées et de l'existence de voies et réseaux »

Enfin, aux termes de l’article L. 122‑6 :

« Les critères mentionnés à l'article L. 122‑5‑1 sont pris en compte : / a) Pour la délimitation des hameaux et groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants en continuité desquels le plan local d'urbanisme ou la carte communale prévoit une extension de l'urbanisation ; / b) Pour l'interprétation des notions de hameaux et de groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, lorsque la commune n'est pas dotée d'un plan local d'urbanisme ou d'une carte communale. »

La commune soutient d’abord que le tribunal ne pouvait accueillir le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 122‑5, alors que son projet est conforme à son plan local d’urbanisme (PLU), qui a délimité deux zones U - UA et UB - ainsi qu’un hameau correspondant, le hameau de Casone en application des dispositions de l’article L. 122‑6 que je viens de citer, et que le préfet n’a pas demandé l’annulation ni excipé de l’illégalité de ce PLU.

Toutefois, vous le savez, au moins depuis l’arrêt de Section du Conseil d’Etat du 31 mars 2017, SARL Savoie Lac Investissements, no 392186, A , eu égard au seul rapport de compatibilité prévu par les dispositions de l’article L. 131‑7 du code de l’urbanisme entre les documents d’urbanisme et les dispositions particulières aux zones de montagne prévues par ce code et le rapport de conformité qui prévaut entre les décisions individuelles relatives à l'occupation ou à l'utilisation du sol et ces mêmes règles en application de l’article L. 122‑2 de ce code, la circonstance qu'une telle décision individuelle respecte les prescriptions du plan local d'urbanisme ne suffit pas à assurer sa légalité au regard des dispositions directement applicables de l’article L. 122‑5 de ce code.

A ma connaissance, le Conseil d’Etat n’a pas expressément fait application de ce raisonnement dégagé à propos de la loi Littoral à la loi Montagne, pour autant sa transposition dans ce cadre ne paraît pas faire débat (voyez notamment les conclusions de Sophie Roussel sur la décision CE, 31 janvier 2020, Commune de Thorame-Haute, no 416364, aux tables :

« les autorisations individuelles accordées dans le respect du PLU doivent en tout état de cause être confrontées directement aux dispositions de la loi Montagne, selon un rapport de conformité (v., à propos de la loi Littoral, CE, Section, 31 mars 2017, SARL Savoie Lac Investissements, no 392186, p. 117 et no 396938, M. et Mme Beauvais, inédite). Une installation, conforme au PLU, mais qui ne consisterait pas en une adaptation, un changement de destination, la réfection ou une l'extension limitée des constructions existantes serait ainsi illégale »).

Contrairement à ce que soutient la commune, le PLU ne fait donc pas écran avec les dispositions de la loi Montagne, puisqu’« il appartient à l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d’autorisation d’occupation ou d’utilisation du sol mentionnée au second alinéa de l’article L. 145-2 du code de l’urbanisme de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la conformité du projet aux dispositions du code de l’urbanisme particulières à la montagne, le cas échéant au regard des prescriptions d’une directive territoriale d’aménagement demeurée en vigueur qui sont suffisamment précises et compatibles » avec ces dispositions (voyez sur ce point notamment la décision CE, 2 octobre 2019, Commune du Broc et SCI La Clave, no 418666, aux T.) mais pas en tenant compte du PLU !

La circonstance que le PLU identifie le secteur où se situe le terrain d’assiette du projet comme constructible est donc sans incidence sur l’application des dipositions de la loi Montagne et partant sur l’appréciation de la continuité de l’urbanisation.

De même, la circonstance que le PLU identifie un « hameau historique » pour reprendre les termes de la requête d’appel - et non pas un hameau nouveau intégré à l’environnement tel que prévu par les dispositions de l’article L. 122‑7 du code de l’urbanisme - est sans incidence sur la nécessaire appréciation, par l’autorité compétente puis par le juge, de la conformité du projet aux dispositions du code de l’urbanisme particulières à la montagne.

En revanche, ainsi que le rappelle la décision précitée CE, 2 octobre 2019, Commune du Broc et SCI La Clave, no 418666, aux tables, pour définir les « hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants », il convient de prendre en compte les prescriptions du PADDUC qui sont suffisamment précises et compatibles avec la loi montagne.

Votre Cour juge de façon constante depuis un arrêt du 10 novembre 2021, no 19MA05824, que « Le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), qui peut préciser les modalités d’application de ces dispositions en application du I de l’article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales, adopté par la délibération no 15/235 AC du 2 octobre 2015 de l’assemblée de Corse, prévoit (…) qu’un hameau est caractérisé par sa taille, le regroupement des constructions, la structuration de sa trame urbaine, la présence d’espaces publics, la destination des constructions et l’existence de voies et équipements structurants. Ces prescriptions apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières à la montagne ».

Votre Cour juge également que « le PADDUC prévoit en outre que, pour s’inscrire en continuité de l’urbanisation existante, l’extension urbaine prévue doit être en contiguïté avec les fronts urbains de la forme qu’elle étend et ne peut donc en être séparée par une distance trop importante, ou par une coupure comme un espace agricole ou naturel, une voie importante ou un obstacle difficilement franchissable. A cet égard, il précise notamment qu’« au-delà d’une bande de 80 mètres d’espace naturel ou agricole, la continuité est difficile à établir » et qu’est également constitutif d’une rupture : « un espace agricole ou naturel, une voie importante (…), une rupture de la forme urbaine, du rythme parcellaire et bâti ». Ces prescriptions apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral. » (voyez notamment 22MA00445 du 27 mars 2023).

Vous pourrez également juger qu’elles sont compatibles avec les dispositions particulières applicables aux zones de montagne.

Au regard des précisions ainsi apportées par le PADDUC, vous pourriez admettre l’argumentation de la commune et reconnaître l’existence d’un hameau autour du « noyau historique » de Casone, où l’on retrouve autour de la mairie un regroupement de constructions structuré par deux voies qui se croisent en formant la pointe d’un triangle.

Toutefois le terrain d’assiette du projet litigieux, de plus de 5 000 m2, n’est pas situé au sein de ce triangle, dont la pointe qui constitue le cœur du hameau est à plus de 250 mètres à l’Est et dont surtout il est séparé par une voie qui constitue une nette « rupture de la forme urbaine, du rythme parcellaire et bâti » entre les terrains bâtis en continuité de ce hameau au Nord de cette voie et les espaces naturels conservés au Sud.

Certes sur la parcelle 639, mitoyenne par le sud de la construction la plus proche du terrain d’assiette au sein du même compartiment lui-même au sud de la voie structurante, un permis de construire a été délivré le 29 octobre 2018 et serait, d’après l’appelante, en cours de réalisation avec la construction des fondations.

Bien sûr une urbanisation existante, régulièrement autorisée, doit être prise en compte, mais précisément cette urbanisation n’existait pas encore au jour du permis d’aménager.

En outre et en tout état de cause, une telle construction n’aurait pu à mon sens suffire à établir la continuité manquante entre le hameau de Casone et le terrain d’assiette du projet.

Enfin, la circonstance que le terrain d’assiette du projet soit desservi par les réseaux publics, y compris l’assainissement collectif ne saurait non plus établir une telle continuité.

Par ces motifs je conclus au rejet au fond de la requête (par la confirmation du motif d’annulation retenu par le tribunal tiré de la méconnaissance du principe d’urbanisation en continuité avec l’existant en zone de montagne posé par l’article L. 122‑5 du code de l’urbanisme).

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Commentaire

Thomas Piot

Doctorant contractuel en droit fiscal à Aix-Marseille Université

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/amarsada.506

Le respect du PLU par un permis d’aménager ne constitue pas une garantie de légalité au regard de la loi Montagne

Dans cette affaire, la cour administrative d’appel de Marseille (ci-après CAA de Marseille) est saisie d’un litige d’urbanisme entre le préfet de la Haute‑Corse et la commune d’Aghione relatif à la légalité d’une autorisation d’urbanisme accordée par son maire. Cette autorisation d’urbanisme, en l’espèce un permis d’aménager, se situe en zone de montagne où la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la loi montagne, dite loi Montagne s’applique, afin de protéger ces lieux du régime de droit commun d’extension de l’urbanisation. Dans cette zone, l’extension de l’urbanisation doit se faire en continuité de l’urbanisation existante.

Par cet arrêt, la cour a dû répondre à une question normative et une question d’appréciation. La question normative a déjà reçu une réponse de la part du Conseil d’État mais en application d’un autre régime juridique spécial, celui de la loi Littoral1. Cette question porte sur l’incidence de la conformité du permis d’aménager avec le document d’urbanisme applicable au regard de la loi Montagne. Autrement dit, sur l’opposabilité directe de cette loi, nonobstant l’existence d’un tel document. La question d’appréciation concerne l’application du principe de l’urbanisation en continuité dans les zones de montagne. Cette question factuelle a déjà fait l’objet de décisions en zone de montagne de la part du Conseil d’État2 mais le parallèle avec une décision reste complexe tant l’appréciation dépend des faits de l’espèce. À ces questions, la cour a opposé directement la loi Montagne au permis d’aménager, nonobstant le plan local d’urbanisme (I), puis a apprécié l’irrespect du principe de l’urbanisation en continuité qui découle de cette loi au prisme des documents intermédiaires (II).

I – L’opposabilité directe de la loi Montagne

Dans le cadre de son premier moyen, la commune oppose au préfet qu’il ne peut attaquer la légalité d’un permis d’aménager en se fondant sur la loi Montagne, sans attaquer la légalité du plan local d’urbanisme (ci‑après PLU) sur lequel ce permis se fonde. Ce premier moyen revient à considérer que le PLU constitue un écran entre la loi Montagne et le permis d’aménager. Ce moyen revient à considérer qu’une partie ne peut attaquer l’illégalité d’un acte, au seul motif que cet acte (acte d’application – permis d’aménager) se fonde sur un autre acte (acte de base – PLU). Ce moyen a pour effet de limiter le recours pour excès de pouvoir et le pouvoir du juge administratif de contrôler la légalité des actes administratifs.

La cour écarte ce moyen3 en se référant :

D’une part, au rapport de compatibilité entre les documents d’urbanisme dont les PLU font partie et les dispositions de la loi Montagne, et ;

D’autre part, au rapport de conformité entre les décisions individuelles relatives à l’occupation ou l’utilisation des sols, dont les permis d’aménager font partie et la loi Montagne.

Le rapport de compatibilité entre les dispositions de la loi Montagne et les PLU se fonde sur l’article L. 131‑6 du code de l’urbanisme. Ce rapport a pour effet de rendre opposable la loi Montagne au PLU mais en laissant une marge de manœuvre au PLU, en ne l’entachant d’illégalité qu’en cas d’incompatibilité avec la loi Montagne. Le rapport d’incompatibilité étant moins contraignant que le rapport de conformité. Le rapport de conformité entre le permis d’aménager et la loi Montagne se base sur l’article L. 122‑2 du code de l’urbanisme et a pour effet de rendre opposable la loi Montagne aux autorisations d’occupations des sols (ci‑après AOS).

La divergence de nature des rapports du PLU et de l’AOS vis‑à‑vis de la loi Montagne, ajoutée au rapport de conformité de l’AOS avec le PLU4, crée un risque de discordance de l’AOS au regard de la loi Montagne. En effet, il est envisageable qu’une AOS soit non conforme à la loi Montagne alors même que cette AOS serait conforme au PLU. À ce risque de discordance, le Conseil d’État dans sa décision SARL Savoie Lac Investissements5 répond qu’en l’absence de schéma de cohérence territoriale (ci-après SCoT), la loi Littoral est opposable au permis de construire même si ce dernier est conforme au PLU. Ce raisonnement est étendu à la loi Montagne dans les conclusions de la rapporteure publique, Sophie Roussel sur la décision du Conseil d’État Commune de Thorame-Haute6.

II – Le rôle des documents intermédiaires

Dans le cadre du second moyen, relatif à l’appréciation du respect du principe de l’urbanisation en continuité par le permis d’aménager, il est nécessaire de connaître le rôle des documents intermédiaires, que sont le PLU et le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (ci-après PADDUC).

Premièrement, concernant le rôle du PLU, l’opposabilité directe de la loi Montagne au permis d’aménager a pour effet que le PLU ne constitue pas un écran de légalité entre le permis d’aménager et la loi Montagne.

Deuxièmement, concernant le rôle du PADDUC, la cour apprécie le respect du principe de l’urbanisation en continuité à la lumière des dispositions du PADDUC, qui précisent les modalités d’applications de la loi Montagne en application de l’article L. 4424‑11 du code général des collectivités territoriales.

La loi Montagne dispose que « l'urbanisation est réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants […] »7. Il ressort de cette disposition plusieurs notions à définir ou préciser. D’une part, les définitions de « hameaux », « groupes de constructions traditionnelles » ou « d'habitations existants », et d’autre part, l’appréciation du principe de l’urbanisation en continuité qui est utilisé pour délimiter les hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants en continuité desquels le PLU prévoit une extension de l’urbanisation8, ce qui est le cas en l’espèce.

Sur les définitions de hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, le PADDUC, dans ses développements portant sur la loi Montagne, reprend les définitions du dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement pour la notion de « hameaux »9 et de celles du Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, pour les « groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants »10 sans apporter de précision locale supplémentaire.

Ainsi le hameau peut se caractériser comme un regroupement d’habitations de taille relativement modeste qui peut comprendre en zone de montagne, des bâtiments d’exploitations agricoles isolés et distincts du bourg. Néanmoins, la taille et l’organisation des hameaux étant propres aux traditions locales, aucune définition générale et nationale ne peut y être apportée. Dès lors, le recours à l’interprétation par analogie d’une décision du Conseil d’État, qui apprécie un hameau, ne peut s’exercer qu’avec une décision qui porte sur une espèce similaire.

Ensuite, les constructions traditionnelles visent les constructions qui n’ont pas forcément pour finalité l’habitation de l’homme, mais qui lui sont profitables.

Pour finir, le groupe d’habitations existants peut se définir comme un groupe de bâtiments appartenant à un même ensemble par rapport à la configuration des lieux. Une décision du Conseil d’État du 22 mars 202411 sur une zone de montagne en Corse apprécie ce groupe d’habitation en ces termes :

« Il ressort des pièces du dossier que, si le terrain d'assiette du projet se situe à l'écart du village de Cuttoli Corticchiato, il est implanté au sein d'un secteur bâti composé, dans un rayon d'environ un kilomètre, d'une centaine d'habitations situées à l'est, au nord et au sud, séparées entre elles par des distances inférieures à cinquante mètres, et que cet habitat, qui est d'ailleurs desservi par un ensemble de voies et relié aux réseaux publics, peut être regardé comme constituant un groupe d'habitations existant au sens des dispositions précitées. »

Deux cartes de la situation litigieuse sont insérées ci-dessous pour plus de lisibilité de la situation.

Image 1000020100000164000000FF87479BC56FD350F8.png

Image 10000201000002A700000338D2AEC2E8BB4E8AF1.png

Le permis d’aménager porte sur les parcelles 604 et 419 encadrées en rouge. Il peut être constaté l’existence du hameau de Casone, qui est encadré en bleu, en promiscuité du terrain litigieux. L’existence de ce hameau n’est pas débattue, ainsi seule l’analyse de l’insertion du projet de la continuité de ce dernier devra être appréciée. Il peut être également observé des constructions à proximité immédiates du projet litigieux. En outre l’encadré jaune représente la parcelle où un permis de construire a été accordé. L’enjeu de ces constructions sera de déterminer si elles constituent des groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants.

En l’espèce, la cour effectue une appréciation en entonnoir inversé. Elle commence par analyser les constructions12 et le permis de construire accordé13, qui se trouvent à proximité immédiate du projet. La cour apprécie cet ensemble de deux constructions et une troisième en devenir comme ne constituant pas un groupe de constructions traditionnelles ou d’habitations existants. La cour poursuit son analyse, en appréciant la bande de constructions située de l’autre côté de la voie publique mais à proximité du projet. Elle constate l’existence de trois constructions séparées de 120 mètres d’une quatrième construction, comme ne constituant également pas un tel groupe.

La cour, en analysant que la trame des constructions situées à proximité du projet, constituée de quatre constructions14 et une cinquième en devenir, ne caractérisait pas l’existence d’un groupe de constructions traditionnelles ou d’habitations existants, ne semble pas adopter un arrêt en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d’État, qui avait qualifié dans sa décision du 20 novembre 201715, dans une zone de montagne, que l’existence de six constructions de l’autre côté d’une voie publique situées à quelques dizaines de mètres d’un projet et trois autres constructions situées sur des parcelles contiguës au projet caractérisait un groupe de constructions traditionnelles ou d'habitations existant. Par ailleurs, cet arrêt semble suivre la jurisprudence du Conseil d’État, qui en zones de montagnes, a qualifié dans une décision, d’habitations existantes, une dizaine de constructions espacées entre elles de 25 à 40 mètres16, et, dans une autre décision, où les notions de groupe de constructions traditionnelles ou d'habitations existants n’étaient pas envisagées, que six constructions distantes les unes des autres d’environ 30 mètres ne constituaient pas un hameau17.

L’absence de qualification de groupe de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, nécessite d’apprécier l’insertion du projet dans la continuité du hameau de Casone, encadré en bleu sur la carte ci-dessus.

Sur le principe de l’urbanisation en continuité, le code de l’urbanisme dispose que ce principe « s'apprécie au regard des caractéristiques locales de l'habitat traditionnel, des constructions implantées et de l'existence de voies et réseaux »18. Le PADDUC précise qu’au-delà d’une bande de 80 mètres d’espace naturel ou agricole, la continuité est difficile à établir.

En l’espèce, la cour considère que le projet se situe sur une parcelle, implantée distinctement des éléments d’urbanisation existants et de la trame urbaine qui se matérialise de l’autre côté de la voie publique située au nord, qui constitue le hameau de Casone19.

La lecture des cartes fait ressortir un projet à proximité du hameau, qui se délimite au nord de la voie publique, située au nord du projet, qui forme une première trame urbaine. Une deuxième trame apparaît du côté de la voie publique du projet, mais est distinguée de celui‑ci par une parcelle de plusieurs centaines de mètres.

Concernant la première trame urbaine, la jurisprudence du Conseil d’État distingue les délimitations du hameau, du cœur du hameau20. Ainsi, en l’espèce, la seule existence d’une construction dans le hameau à proximité du projet ne suffit pas à matérialiser la continuité, dès lors que le cœur du hameau est plus éloigné du projet.

Ensuite, concernant la deuxième trame urbaine, le Conseil d’État dans une décision concernant un projet de construction d’un lotissement de seize lots dans une zone de montagne en Corse, caractérise une absence de continuité, le terrain d’assiette dont la limite parcellaire la plus proche est située à une centaine de mètres d’habitations existantes alors même qu’elle supporte une chapelle et une autre construction, et qu’elle est longée par un chemin vicinal21. De cette façon, en l’espèce, l’existence d’une deuxième trame urbaine du côté de la voie publique de projet ne suffit pas à matérialiser la continuité, dès lors qu’une parcelle de plusieurs centaines de mètres les sépare.

En conclusion, la cour fait une application d’espèce du principe de l’urbanisation en continuité et son arrêt semble conforme à la jurisprudence du Conseil d’État. Il ressort que ces parcelles litigieuses, étant constructibles, peuvent faire l’objet d’un aménagement afin d’édifier des constructions. Néanmoins, ces constructions se doivent de constituer un projet qui s’insèrerait dans la continuité du hameau de Casone, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Néanmoins, en présence d’un SCoT, l’opposabilité directe de la loi Montagne à l’AOS n’est pas aussi certaine. En effet, dans cette situation, le rapport de compatibilité du PLU à la loi Montagne est indirect. Il se traduit par un rapport de compatibilité du PLU avec le SCoT à l’article L. 131‑4 du code de l’urbanisme, et du SCoT avec la loi Montagne à l’article L. 131‑1 du code de l’urbanisme. La compatibilité du SCoT avec la loi Montagne ne ferait-elle pas alors filtre entre l’autorisation d’urbanisme et cette loi ?

Résumé

L’affaire traitée par la cour administrative d’appel de Marseille dans cet arrêt du 7 novembre 2023 no 22MA00759, porte sur la légalité d’un permis d’aménager au regard de la loi Montagne. Le requérant soutient que le plan local d’urbanisme s’insère en continuité d’un hameau existant et que ce plan local d’urbanisme fait écran entre le permis d’aménager et la loi Montagne. En l’espèce, la cour administrative d’appel de Marseille réfute l’argument de l’écran en considérant qu’aucune incompatibilité ou inconformité n’apparaît entre le PLU, le permis d’aménager et la loi Montagne. Elle juge ensuite en suivant la jurisprudence du Conseil d’État, qu’en l’absence de groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, ce projet ne s’insère pas en continuité du hameau de Casone.

Notes

1 CE, sect., 31 mars 2017, SARL Savoie Lac Investissements, no 392186, publié au recueil Lebon. Retour au texte

2 CE, 6e ch, 20 novembre 2017, M. et Mme. A et Geneviève B, no 405327, Inédit au recueil Lebon ; CE, 10e et 9e SSR., 16 avril 2012, M. A, no 323555, mentionnée aux tables du recueil Lebon ; CE, 5 février 2001, M. X, no 217798, Inédit aux recueil Lebon ; CE, 1re et 4e Ch. réun., 02 octobre 2019, M. E et l’association La Clave et le Bas Estéron, no 418666, mentionnée aux tables du recueil Lebon. Retour au texte

3 Considérant 7 et 8 de l’arrêt commenté. Retour au texte

4 Article L. 152‑1 du code de l’urbanisme. Retour au texte

5 CE, sect., 31 mars 2017, SARL Savoie Lac Investissements, no 392186, publié au recueil Lebon. Retour au texte

6 CE, 2e et 7e Ch. réun., 31 janvier 2020, Commune de Thorame-Haute, no 416364, mentionnée aux tables du recueil Lebon. Retour au texte

7 Article L. 122‑5 du code de l’urbanisme. Retour au texte

8 Article L. 122‑6 du code de l’urbanisme. Retour au texte

9 P. Merlin, F. Choay (dir.), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, PUF, 2010. Retour au texte

10 Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, publiée au JO le 27/10/2009. Retour au texte

11 CE, 1re et 4e Ch. réun., 22 mars 2024, SARL AC Promotions, no 463970, mentionné aux tables Lebon. Retour au texte

12 Ces constructions, aux nombres de deux, sont séparées par une voie publique et encadrées en violet. Retour au texte

13 Ce permis de construire est encadré en jaune. Retour au texte

14 Trois constructions situées au nord de la voie publique et une construction située au sud de celle‑ci. Retour au texte

15 CE, 6e ch, 20 novembre 2017, M. et Mme. A et Geneviève B, no 405327, Inédit au recueil Lebon. Retour au texte

16 CE, 1re et 4e Ch. réun., 02 octobre 2019, M. E et l’association La Clave et le Bas Estéron, no 418666, considérant 8. Retour au texte

17 CE, 3 / 8 SSR, 5 février 2001, Mme. Y, no 217796, mentionné aux tables Lebon Retour au texte

18 Article L. 122‑5‑1 du code de l’urbanisme. Retour au texte

19 Considérant 9 de l’arrêt commenté. Retour au texte

20 CE, 5 février 2001, M. X, no 217798, Inédit aux recueil Lebon  Retour au texte

21 CE, 10e et 9e SSR., 16 avril 2012, M. A, no 323555, mentionnée aux tables du recueil Lebon. Retour au texte

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0