Les obligations d’une métropole en matière d’aménagements cyclables sur les voies urbaines

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Décision de justice

CAA Marseille, 7e chambre – N° 22MA02798 – Métropole Aix-Marseille – 26 mai 2023

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA02798

Numéro Légifrance : CETATEXT000047613460

Date de la décision : 26 mai 2023

Index

Rubriques

Environnement

Résumé

L’article L. 228-2 du code de l’environnement impose la mise au point d’itinéraires cyclables à l’occasion de la réalisation ou de la rénovation d’une voie urbaine. La décision illustre les obligations qui pèsent sur les collectivités locales et les établissements publics de coopération intercommunale en la matière. Ces derniers peuvent choisir différents types d’aménagements prévus par la loi. L’article 61 de la loi no 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) a élargi la gamme des aménagements cyclables qu’une personne publique réalisant ou rénovant une voie urbaine est susceptible de choisir, au-delà des seuls « pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants » qui étaient mentionnés initialement par le texte dans sa version issue de l’article 20 la loi no 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie. Le législateur a ainsi précisé en 2019 à l’article L. 228-2 du code de l’environnement que les aménagements peuvent prendre la forme de « de pistes, de bandes cyclables, de voies vertes, de zones de rencontre ou, pour les chaussées à sens unique à une seule file, de marquages au sol », chacune de ces notions trouvant sa définition à l’article R. 110-2 du code de la route. La Cour relève en l’espèce que s’agissant d’un tronçon donné, les aménagements envisagés par une métropole, notamment l’instauration d’une « zone 30 », n’entrent pas dans les prévisions du législateur et que pour un autre tronçon de l’itinéraire cycliste aucun aménagement n’a été réalisé. La Cour confirme ainsi l’annulation du refus d’une métropole de réaliser des aménagements cyclables supplémentaires sur ces deux tronçons.

Conclusions du rapporteur

Olivier Guillaumont

Rapporteur public

DOI : 10.35562/amarsada.385

1.

Se déplacer à vélo dans certaines villes n’est pas toujours un long fleuve tranquille…

L’association « collectif vélo en ville » a demandé au TA de Marseille d’annuler la décision du 14 mai 2020 par laquelle la métropole Aix‑Marseille‑Provence a implicitement refusé de mettre en place des aménagements cyclables supplémentaires sur l’intégralité du boulevard de la Blancarde à Marseille à l’occasion de la requalification de ce boulevard.

Par jugement du 15 septembre 2022 le tribunal a fait partiellement droit à sa demande.

Il a annulé la décision du 14 mai 2020 en tant qu’elle refuse la réalisation d’aménagements cyclables supplémentaires sur le boulevard de la Blancarde à Marseille, entre la rue Jeanne de Chantal et la rue Cadolive.

Et il a enjoint à la métropole Aix‑Marseille‑Provence de procéder aux aménagements cyclables sur deux tronçons du boulevard de la Blancarde concernés par l’opération de requalification.

La métropole fait appel de ce jugement et a déposé également une requête à fin de sursis à exécution.

2.

La régularité du jugement est contestée.

Il est soutenu qu’il serait entaché d’un défaut de motivation en méconnaissance des dispositions de l’article L. 9 du code de justice administrative. Mais ce moyen manque en fait.

3.

Il est également reproché aux premiers juges d’avoir écarté l’une des FNR soulevées en première instance tirée du défaut de qualité pour agir de l’association.

Nous ne partageons pas cette analyse.

En effet, d’une part, l’article 13 des statuts de l’association prévoit que « le conseil d’administration est l’organe délibératif de droit de l’association pour toutes les questions qui ne sont pas réservées à l’assemblée générale. (…) Il autorise son président à ester en justice par vote à la majorité des deux tiers des membres composant le conseil d’administration ». D’autre part, il ressort des pièces du dossier, que par délibération du 12 février 2020, le conseil d’administration a approuvé à l’unanimité des neuf membres présents

« l’action en justice suivante : Recours gracieux envoyé à la Métropole Aix‑Marseille au plus tôt et en l’absence de réponse de la dite Métropole signifiant ainsi un refus implicite, le collectif Vélos en Ville saisit le tribunal administratif administratif de Marseille la Métropole Aix‑Marseille au motif du non-respect de la loi LAURE (L. 228‑2 du code de l’environnement) et de la loi d’accessibilité, lors des travaux boulevard de la Blancarde compte tenu de l’absence d’aménagements cyclables et de cheminement piéton et choisit l’avocat Benoit Candon pour représenter l’association. ».

Me Candon a saisi le TA sur ce fondement le 15 juillet 2020.

La circonstance que la délibération ne précise pas expressément que le CA autorise son président, réélu à la tête de l’association en juin 2020, à ester en justice nous semble sans incidence dans cette configuration. La délibération du 12 février 2020, prise à l’unanimité, lui donnait implicitement mais nécessairement délégation pour agir en justice via Me Candon. Dans les circonstances de l’espèce, exiger que la délibération précise expressément que le CA autorise le Président à agir en justice confinerait à notre sens à un formalisme excessif, alors qu’à l’évidence l’intention des membres du CA était bien celle-là et que la délibération a été bien été mise en œuvre dès lors que Me Candon a été saisi.

Vous pourriez confirmer le TA sur ce point par adoption des motifs.

4.

Nous en venons maintenant au fond.

Il convient de se référer à l’article L. 228‑2 du code de l’environnement.

Interprétant l’article L. 228‑2 du code de l’environnement dans sa version antérieure à la loi LOM, le CE a jugé (CE, no 432095, 30 novembre 2020, Commune de Batz sur Mer en B sur ce point) qu’il

« résulte de ces dispositions que l’itinéraire cyclable dont elles imposent la mise au point à l’occasion de la réalisation ou de la rénovation d’une voie urbaine doit être réalisé sur l’emprise de la voie ou le long de celle‑ci, en suivant son tracé, par la création d’une piste cyclable ou d’un couloir indépendant ou, à défaut, d’un marquage au sol permettant la coexistence de la circulation des cyclistes et des véhicules automobiles. Une dissociation partielle de l’itinéraire cyclable et de la voie urbaine ne saurait être envisagée, dans une mesure limitée, que lorsque la configuration des lieux l’impose au regard des besoins et contraintes de la circulation ».

L’article 61 de la loi no 2019‑1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) a élargi la gamme des aménagements cyclables qu’une personne publique réalisant ou rénovant une voie urbaine est susceptible de choisir, au-delà des seuls « pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants » qui étaient mentionnés initialement par le texte dans sa version issue de l’article 20 la loi no 96‑1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, dite « LAURE »1. Le législateur a ainsi précisé en 2019 à l’article L. 228‑2 du code de l’environnement que les aménagements peuvent prendre la forme de « de pistes, de bandes cyclables, de voies vertes, de zones de rencontre ou, pour les chaussées à sens unique à une seule file, de marquages au sol », chacune de ces notions trouvant sa définition à l’article R. 110‑2 du code de la route.

Comme l’a relevé le TA, il est constant que le boulevard de la Blancarde à Marseille est une voie urbaine. Si les tronçons compris entre la rue Cadolive et la rue Jeanne de Chantal ont fait l’objet d’une rénovation destinée notamment à instaurer des cheminements piétons, une réduction de la vitesse de circulation par la mise en place d’une zone limitée à trente kilomètres par heure et un aménagement cyclable, et entrent ainsi dans le champ d’application de l’article L. 228‑2 du code de l’environnement, le tronçon du boulevard de la Blancarde compris entre le boulevard Françoise Duparc et la rue Jeanne de Chantal, à la date de la décision en litige, n’avait pas fait l’objet d’une rénovation. L’association précise qu’elle ne fait pas d’appel incident sur ce dernier tronçon.

Vous n’aurez par conséquent à vous prononcer que sur deux tronçons du boulevard de la Blancarde.

5.

Commençons par le tronçon du boulevard de la Blancarde situé entre la rue Jeanne de Chantal et le boulevard Louis Botinelly.

Il ressort des pièces du dossier que la métropole Aix‑Marseille‑Provence a choisi d’aménager cette partie de chaussée en deux voies de circulation partagée pour les automobiles, bus et vélos, des places de stationnement longitudinal et enfin des trottoirs. Sur ce tronçon, aucun itinéraire cycliste n’est prévu, ni par une piste cyclable, ni par un marquage au sol.

Pour justifier le choix de la priorisation de la conservation de places de stationnement et de larges trottoirs, la métropole défenderesse fait valoir que les contraintes de circulation, d’étroitesse de la voie et de ses accotements, de dynamisme commerçant et de caractère résidentiel du quartier l’ont rendue nécessaire, et qu’une zone limitée à trente kilomètres par heure a été mise en place.

Mais comme le relève M. Romain Victor dans ses conclusions sur Commune de Batz-sur-Mer (précité) il résulte des dispositions précitées de l’article L. 228‑2 du code de l’environnement que « les aménagements cyclables sont obligatoires (ils « doivent être mis au point »), dès lors qu’une voie urbaine est réalisée ou rénovée. Et si le texte prescrit de tenir compte des « besoins et contraintes de la circulation », ces besoins et contraintes n’ont lieu d’être pris en considération que pour déterminer quels aménagements doivent être créés (« pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants »), dont on sait qu’ils sont plus ou moins sûrs pour les cyclistes et plus ou moins coûteux pour la personne publique qui les réalise, et non pour déterminer si des aménagements doivent être créés ».

Et dans sa décision (CE, no 432095, 30 novembre 2020, Commune de Batz sur Mer en B sur ce point) le Conseil est particulièrement clair dès lors qu’aucun aménagement n’a été réalisé « le projet contesté [est] arrêté en méconnaissance des dispositions de l’article L. 228‑2 du code de l’environnement. ».

Par ailleurs, comme indiqué précédemment les dispositions de l’article 61 de la loi no 2019‑1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) ont élargi la gamme des aménagements cyclables qu’une personne publique réalisant ou rénovant une voie urbaine est susceptible de choisir, au-delà des seuls « pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants » qui étaient mentionnés initialement par le texte dans sa version initiale. Le législateur a ainsi précisé en 2019 à l’article L. 228‑2 du code de l’environnement que les aménagements peuvent prendre la forme de « de pistes, de bandes cyclables, de voies vertes, de zones de rencontre ou, pour les chaussées à sens unique à une seule file, de marquages au sol », chacune de ces notions trouvant sa définition à l’article R. 110‑2 du code de la route. La plupart des décisions citées par la métropole portent sur l’ancienne version du texte. S’agissant du tronçon concerné, nous relevons, comme l’ont fait les premiers juges que, contrairement à ce que soutient la métropole, l’institution d’une « zone 30 » n’est pas au nombre des aménagements prévus l’article L. 228‑2 du code de l’environnement que ce soit dans la rédaction antérieure ou postérieure à la loi de 2019. Et il faut préciser que dans les « zones de rencontre », aménagement envisagé par le législateur depuis 2019, la vitesse des véhicules est limitée à 20 km/h (article R. 110‑2 du code de la route).

Si comme le soutient la métropole les dimensions de la voie empêchaient la réalisation de d’aménagements pour les cyclistes, elle n’établit nullement avoir exploré toutes les possibilités, notamment celle d’instaurer une telle zone de rencontre.

Par ailleurs, il résulte de l’arrêt Commune de de Batz‑sur‑Mer que les collectivités peuvent prévoir un itinéraire cyclable de substitution lorsque la configuration des lieux l’impose au regard des besoins et contraintes de la circulation (« Une dissociation partielle de l’itinéraire cyclable et de la voie urbaine ne saurait être envisagée, dans une mesure limitée, que lorsque la configuration des lieux l’impose au regard des besoins et contraintes de la circulation »2). En l’espèce, aucun itinéraire alternatif n’a été prévu pour les cyclistes, malgré le caractère structurant de cet axe au sein du « plan vélo » adopté par la métropole Aix‑Marseille‑Provence en 2019.

Dans ces conditions, la Métropole n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont considéré que le refus opposé à sa demande d’aménagement d’itinéraires cyclables sur cette portion méconnaissait l’article L. 228‑2 du code de l’environnement.

6.

Venons‑en maintenant au second du boulevard de la Blancarde en cause ; à savoir la partie située entre le boulevard Louis Botinelly et la rue Cadolive.

Il ressort des pièces du dossier que la métropole Aix‑Marseille‑Provence a choisi d’aménager ce tronçon en deux voies de circulation, des trottoirs ainsi qu’une piste cyclable unidirectionnelle en montée.

Pour justifier ce choix et l’absence d’aménagement cyclable en descente, la métropole fait valoir l’étroitesse de l’emprise de la voie et de ses accotements, mesurée à une largeur totale de 11,90 mètres, et se prévaut de l’étude du centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, qui privilégie les pistes cyclables en montée afin de réduire les effets négatifs du différentiel de vitesse entre les véhicules à moteurs et les bicyclettes, ainsi que de la recommandation selon laquelle la largeur des trottoirs devrait être supérieure à 1,80 mètre.

Toutefois, alors que la métropole a fait le choix, sur le tronçon suivant, de réduire ponctuellement le cheminement piéton en deçà de ce seuil, à 1,40 mètre, afin d’aménager des places de stationnement, elle n’établit pas que la largeur de la voie empêchait un aménagement conforme, dans les deux sens de circulation, aux exigences de l’article L. 228‑2 du code de l’environnement. Encore une fois, il résulte de la volonté particulièrement ambitieuse du législateur que les aménagements cyclables sont obligatoires dès lors qu’une voie urbaine est réalisée ou rénovée. Dans ces conditions, le juge pas davantage que les cyclistes ne peuvent se satisfaire d’aménagements discontinus, s’arrêtant brutalement, ou d’aménagements conçus uniquement dans un sens de circulation.

Dès lors, c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que l’association requérante était fondée à soutenir que cet article avait été méconnu. 

7.

Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la métropole enregistrée sous le no 22MA02798 doit être rejetée.

Par ces motifs, nous concluons :

- Au rejet de la requête no 22MA02798.

- Au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête no 22MA02797 de la métropole Aix‑Marseille‑Provence à fin de sursis à exécution du jugement du 15 septembre 2022 du tribunal administratif de Marseille.

Notes

1 Dans sa version issue de l’article 61 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) cet article précise : « A l’occasion des (…) des rénovations des voies urbaines, (…) doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d’aménagements prenant la forme de pistes, de bandes cyclables, de voies vertes, de zones de rencontre ou, pour les chaussées à sens unique à une seule file, de marquages au sol, en fonction des besoins et contraintes de la circulation. (…) / Le type d’aménagement de ces itinéraires cyclables doit tenir compte des orientations du plan de mobilité, lorsqu’il existe ». Retour au texte

2 Le RAPU précise : « Sans que cette concession ne dénature nullement la volonté du législateur, bien au contraire, l’exigence d’un aménagement sur la voie refaite (dont chacun sait qu’il peut n’être que d’un intérêt assez médiocre s’il ne s’agit que de peinture au sol) peut parfaitement céder, dans l’hypothèse où la personne publique, au fond, a mieux à proposer aux cyclistes, par exemple lorsqu’elle créée une « vraie » piste cyclable le long de la voie ou, si ce n’est pas exactement le long de la voie, suivant un tracé qui ne s’écarte de la voie refaite que « dans une mesure limitée », pour reprendre les termes des arrêts de la cour administrative d’appel de Paris que nous avons cités, c’est-à-dire dans un mesure acceptable pour les cyclistes, l’itinéraire bis créé devant donc se situer dans un environnement raisonnablement proche, sans les contraindre à des détours qu’au demeurant, ils n’emprunteraient pas. C’est à cette condition seulement qu’il nous semble pouvoir être admis, à titre exceptionnel, une dérogation à l’obligation de créer un itinéraire cyclable sur la voie. » Retour au texte

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