L'article L. 3124‑2 du code de la commande publique, qui s'oppose seulement à ce que l'autorité concédante choisisse une offre irrégulière, ne fait en tout état de cause pas obstacle à ce qu'elle invite les candidats à régulariser leurs offres au cours de la procédure de négociation. L'article L. 3124‑1 du même code, quant à lui, ne fait pas obstacle à la régularisation de l'offre qui a pour objet, non de modifier les caractéristiques minimales des documents de la consultation, mais de rendre l'offre conforme à ces caractéristiques.
La régularisation d'une offre irrégulière est possible dans le cadre de la négociation d'un contrat de concession.
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Décision de justice
CAA Marseille, 6e chambre – N° 22MA02071 – Communauté d'agglomération Provence Alpes Agglomération c/ SARL Ciné Espace Evasion – 27 novembre 2023
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 22MA02071
Numéro Légifrance : CETATEXT000048500477
Date de la décision : 27 novembre 2023
Index
Rubriques
Marchés et contratsTextes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
DOI : 10.35562/amarsada.378
La société Ciné Espace Evasion s’est portée candidate à l’attribution par la communauté d’agglomération Provence Alpes Agglomération du contrat d’exploitation du complexe cinématographique situé sur le territoire de la commune de Château‑Arnoux‑Saint‑Auban, pour une durée de cinq ans.
A l’issue de la procédure de consultation lancée par avis d’appel au public du 6 juin 2019, l’offre de Ciné espace évasion a été rejetée. Son offre a été classée en seconde position derrière celle de l’Association de gestion du cinématographique. Elle obtenu la note de 64 sur 100 contre 70 sur 100 pour le candidat attributaire.
Saisi par la société Ciné Espace Evasion d’un recours en contestation de la validité du contrat, le tribunal administratif de Marseille, par un jugement no°2003522 en date du 21 juin 2022, en a prononcé la résiliation juridictionnelle au 1er février 2023. Saisi également de conclusions indemnitaires, le tribunal administratif de Marseille a condamné la collectivité à verser à la société Ciné Espace Evasion une somme de 99 000 euros.
La communauté d’agglomération Provence Alpes Agglomération relève appel de ce jugement.
Sur la compétence de la juridiction administrative
Vous êtes compétents pour statuer sur le litige. En effet, le contrat d’exploitation du cinéma est à notre sens un contrat administratif, dès lors qu’il est conclu par une personne publique et qu’il concerne l’exercice d’une mission de service public (CE, Sect., 20 avril 1956, Epoux Bertin, no°98637).
L’existence d’une mission de service public nous paraît en l’espèce caractérisée par la présence d’une activité d’intérêt général et par le contrôle exercé par la personne publique sur la gestion de l’exploitation.
Les exigences de programmation mentionnées à l’article 3.1 du contrat [« missions concédées » numéroté par erreur 3.2], notamment la diffusion de films « arts et essais » labellisés par le CNC, la diversité des spectacles, une « programmation minimale de référence », et des « actions culturelles spécifiques », en particulier pour les scolaires, sont de nature à caractériser une activité d’intérêt général. Les stipulations du contrat prévoient un contrôle de l’activité par la personne publique à travers la production d’un rapport annuel et un mécanisme de pénalités.
La collectivité a donc bien entendu confier à son co-contractant une mission de service public.
Sur ces points voyez les jurisprudences CE, Sect., 6 avril 2007, Ville d’Aix en Provence, no°284736 ; CE, 23 mai 2011, Commune de Six-Fours-Plage, no°3425201 et CE, Sect., 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés (APREI), no°2645412.
Sur le bien-fondé du jugement
Le tribunal administratif de Marseille a considéré que l’offre initiale de la Société Ciné Espace Evasion ne respectait pas la prescription du cahier des charges concernant la redevance de 70 000 euros qui devait être versée au titre des « droits d’entrée ». Cette clause étant une caractéristique minimale qui ne permettait pas d’apprécier la conformité de l’offre aux exigences du cahier des charges et de la comparer utilement avec les autres offres, le tribunal a jugé que l’autorité délégante devait, dès l’ouverture des plis, rejeter cette offre comme irrégulière. Selon les premier juges, l’autorité délégante ne pouvait, comme elle l’a fait, engager de négociation avec ce candidat en lui demandant de régulariser son offre.
Le cahier des charges prévoyait effectivement, au titre des dispositions financières (article 9.3.1 du cahier des charges du concessionnaire), le versement de droits d’entrée de 70 000 euros hors taxe (HT), « correspondant aux coûts exposés par la communauté au titre des équipements du complexe cinématographique ».
Il est constant qu’initialement l’offre de l’association attributaire ne comprenait pas ces droits d’entrée de 70 000 euros. Cette omission résultait sans doute, comme l’explique la communauté d’agglomération, du fait que ces droits d’entrée correspondaient aux investissements non amortis engagés par l’association, en sa qualité de précédent exploitant du cinéma.
L’autorité concédante a néanmoins admis l’association à la négociation, en lui demandant de régulariser son offre, ce que l’association a fait. Il est constant qu’à l’issue de la négociation, l’offre de l’association avait sur ce point été régularisée.
Le point en litige est donc de déterminer si l’autorité concédante était tenue d’écarter l’offre irrégulière dès le stade de l’ouverture des plis, avant l’engagement de la négociation, et sans possibilité de solliciter une régularisation.
L’obligation d’écarter les offres irrégulières résulte des dispositions de l’article L. 3124‑2 du code de la commande publique, en vertu desquelles « l’autorité concédante écarte les offres irrégulières ou inappropriées ». L’article L. 3124‑3 du même code dispose que « une offre est irrégulière lorsqu’elle ne respecte pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ». Le cahier des charges était au nombre des documents de la consultation.
Les dispositions des articles L. 3124‑2 et L. 3124‑3 du code de la commande publique sont applicables dans le cadre de la procédure allégée mentionnée à l’article R. 3126‑1 du code de la commande publique. En effet, les dispositions de cet article R. 3126‑1 prévoient (1°) que les contrats de concession dont « la valeur estimée est inférieure au seuil européen », de même que les contrats portant sur des services culturels (2° b), sont passés « conformément aux règles de procédure prévues au présent titre, sous réserve des règles particulières prévues au présent chapitre ». Le chapitre VI du titre II et les deux articles L. 3124‑2 et L. 3124‑3 du code de la commande publique sont donc bien applicables au litige.
Toutefois, selon nous, l’omission du droit d’entrée ne faisait pas obstacle à ce que l’association soit admise à la négociation, et l’autorité concédante avait bien la possibilité d’inviter l’association de gestion du cinématographique à régulariser son offre.
En effet, rien n’indique dans les dispositions applicables du code de la commande publique que l’irrégularité de l’offre devrait être constatée dès l’ouverture des plis.
Par analogie, dans le cadre d’une procédure adaptée d’attribution de marchés publics, où le pouvoir adjudicateur peut négocier avec un candidat ayant déposé une offre tous les éléments de celle-ci, et donc choisir librement dans le respect du principe d’égalité les candidats avec lesquels il souhaite négocier, le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’éliminer d’emblée les offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables. Il n’est tenu de le faire, sans les classer, que pour celles qui sont demeurées telles à l’issue de la négociation. Voir sur ce point CE, 30 novembre 2011, Ministre de la défense c/ EURL Qualitech, no°353121.
Vous le savez, le principe de libre négociation s’applique au droit des concessions3. Voyez les dispositions de l’article L. 3124‑1 du code de la commande publique.
En l’espèce, la demande de régularisation de la communauté d’agglomération n’a pas eu pour objet d’engager une négociation sur le montant de la redevance relative aux « droits d’entrée ». L’autorité délégante s’est bornée à demander la réintégration de cette redevance dans les projections financières. La demande de régularisation a ainsi eu pour effet de rendre l’offre conforme aux conditions et caractéristiques minimales de l’offre, sans impliquer de négociation sur ces conditions et caractéristiques minimales.
Ensuite, l’article 1.1.4 du règlement de la consultation n’interdisait pas la négociation avec une offre irrégulière. Cet article se borne à mentionner que « L’autorité concédante écartera les offres irrégulières ou inappropriées », soit des prescriptions équivalentes à celles de l’article L. 3124‑1 du code de la commande publique. Leur portée n’est donc pas différente.
Dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu’aucune disposition ni aucun principe ne s’opposait à ce que l’autorité concédante invite l’Association de gestion du cinématographe à régulariser son offre est fondé. Vous devrez donc censurer le motif retenu par les premiers juges pour résilier le contrat.
Sur les autres moyens
Vous devrez examiner, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, si aucun autre moyen n’est de nature à justifier à ce qu’il soit fait droit à l’action en contestation du contrat. Voyez sur ce point CE, 6 juillet 2007, Ville de Paris, no°298032. Voyez également la décision CE, 26 mars 2014, Commission de protection des eaux de Franche-Comté, no°370300.
En premier lieu, la société Ciné Espace Evasion soutient que la communauté d’agglomération n’a pas invité l’association attributaire à régulariser son offre. Ce moyen manque en fait, la demande de régularisation ayant été formulée par le courrier du 9 décembre 2019.
En deuxième lieu, la société Ciné Espace Evasion invoque une rupture d’égalité entre candidats, du fait de l’exonération de droits d’entrée dont aurait bénéficié l’association attributaire. Toutefois, nous l’avons vu, l’autorité délégante a sollicité la régularisation de l’offre sur ce point. La candidate attributaire a procédé à cette régularisation en intégrant la redevance dans son offre. Ce moyen doit donc être écarté.
En troisième lieu, la société Ciné Espace Evasion invoque une modification substantielle des conditions de mise en concurrence, en raison de la régularisation de l’offre de l’association. Toutefois, la régularisation de l’offre de l’association n’avait pour objet de modifier ni l’objet de la concession, ni les critères d’attribution, ni les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. Le manquement au principe d’impartialité n’est pas établi. Vous écarterez donc le moyen.
En quatrième lieu, la société Ciné Espace Evasion soutient que l’association a bénéficié d’informations privilégiées concernant les équipements de cinéma, ce qui constituerait une rupture d’égalité entre candidats. Elle fait valoir que l’inventaire des biens de la concession figurant en annexe du cahier des charges était incomplet, alors que le candidat « sortant » avait une information complète sur cet inventaire, qui serait celui figurant en annexe 2 du contrat. Toutefois, l’inventaire des biens mobiliers et matériels figurant en annexe 2 du contrat ne se limite pas aux biens de la concession, et intègre probablement des biens propres du concessionnaire. L’écart entre les deux inventaires n’est donc pas constitutif d’une rupture d’égalité entre les candidats. En tout état de cause, il n’est pas établi que cette circonstance, à supposer avérée, aurait eu une incidence sur la présentation de offres.
En cinquième lieu, concernant les données relatives à la masse salariale, la société Ciné Espace Evasion indique elle-même que ces données lui ont été fournies à sa demande. Elle a eu les informations le 23 septembre 2019, soit assez longtemps avant la date de remise des offres le 18 octobre 2019. Si elle allègue que ces données étaient imprécises et incomplètes, ces affirmations sont imprécises et non étayées. Vous écarterez le moyen.
En sixième lieu, la société Ciné Espace Evasion allègue qu’elle disposait de moins d’informations que le candidat titulaire de l’ancienne délégation concernant les données relatives au volume des recettes et des entrées. Toutefois, elle ne nous semble pas fondée à soutenir que l’autorité délégante aurait dû fournir une information intégrale sur l’exploitation de l’ancien délégataire, y compris des informations relatives à sa politique commerciale et sa stratégie marketing. Il revenait à la société Ciné Espace Evasion de proposer son projet propre, avec une offre de programmation spécifique, et, si elle l’estimait utile, de procéder à une étude de marché.
En septième lieu, la société Ciné Espace Evasion soutient que l’information relative au « soutien financier de l’Etat à l’industrie cinématographique » (SFIEC) ne lui a pas été fournie. Si la société fait valoir que le compte SFIEC est déficitaire au moment de la passation, il n’est pas établi que cette situation serait structurelle, durable ou qu’elle aurait pesé sur l’exploitation pour les années ultérieures. L’information était donc sans incidence sur la formation des offres et il n’y a pas eu sur ce point de rupture d’égalité entre candidats. Vous écarterez le moyen.
En huitième lieu, la société Ciné Espace Evasion invoque l’introduction de sous-critères de notation, notamment un sous-critère relatif au nombre d’entrées prévisionnelles pour l’appréciation du critère no°1 « qualité du projet culturel et éducatif ».
Selon l’article 4 du règlement de la consultation, le critère de sélection no°1, noté sur 40, était évalué au regard de quatre éléments d’appréciation : 1/ l’engagement et garanties de maintien de labels « Art et essai » ; 2/ l’attractivité de l’offre appréciée au regard de son contenu, de sa diversité ; 3/ l’adéquation de niveau des propositions de tarification et 4/ la qualité de la stratégie commerciale et marketing.
Le paramètre du nombre d’entrées prévisionnelles a été pris en compte au titre de l’attractivité de l’offre. Pour valoriser l’offre de l’association attributaire sur ce point, l’autorité délégante a mis en valeur le fait qu’elle présentait des prévisions d’entrées supérieures à celles des autres concurrents pour la programmation « art et essais » et pour les scolaires. Si la société requérante soutient que ce paramètre était purement déclaratif et que son offre présentait une plus grande diversité de programmation que celle de l’association, il résulte de l’examen du dossier que les prévisions de fréquentation résultaient directement des propositions tarifaires. Or, la proposition tarifaire de l’association était plus favorable pour la programmation « art et essai » et les scolaires. La prévision de fréquentation étant liée à la politique tarifaire, elle présentait un caractère suffisamment objectif et entrait pleinement dans le cadre de l’évaluation de l’attractivité de l’offre. Ainsi, c’est sans commettre d’erreur que la communauté d’agglomération a pris en compte ce paramètre pour évaluer l’attractivité des offres. Vous écarterez donc le moyen.
En neuvième lieu, la société Ciné Espace Evasion invoque le caractère partial de l’appréciation des offres. Toutefois, l’erreur d’analyse relevée par la société concernant les travaux de gestion du site, qui consiste seulement à dire que le rapport d’analyse des offres aurait comparé à tort des frais de personnel et des frais de structure, ne remet pas en cause la comparaison des coûts opérée par l’autorité délégante. Cet élément ne caractérise pas un défaut d’impartialité et vous écarterez le moyen.
Les autres éléments invoqués par la société Ciné Espace Evasion relatifs aux « a priori à l’encontre du candidat évincé » sont assez confus et ne nous semblent pas davantage caractériser un défaut d’impartialité susceptible d’entacher la procédure d’attribution d’irrégularité.
Il résulte de tout ce qui précède que la communauté d’agglomération Provence Alpes Agglomération est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a fait droit aux demandes de la société Ciné Espace Evasion.
Sur l’appel incident
Par la voie de l’appel incident, la société Ciné Espace Evasion sollicite l’indemnisation du préjudice correspondant à ses frais de soumissionnement et à son manque à gagner. Il résulte de ce qui précède que cet appel incident doit être rejeté.
Par ces motifs nous concluons
A l’annulation des articles 1er, 2, 3 et 5 du jugement no°2003522 du 21 juin 2022 du tribunal administratif de Marseille.
A ce que les demandes auxquelles ces articles font droit soient rejetées.
Au rejet du surplus des conclusions des parties.
Notes
1 14-01 L'existence d'une délégation de service public suppose de caractériser la volonté d'une personne publique d'ériger des activités d'intérêt général en mission de service public et d'en confier la gestion à un tiers, sous son contrôle (1). Ni la nature des prestations exercées, ni les circonstances que la personne publique était à l'origine de l'activité en cause, la subventionnait et mettait des lieux à disposition de l'exploitant, ne suffisent pour caractériser l'existence d'une mission de service public, lorsque, n'exerçant notamment aucun contrôle sur l'activité en cause, la personne publique ne peut être regardée comme faisant preuve d'une implication suffisante pour caractériser une telle mission. Retour au texte
2 14-01 Indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public. Même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission. Retour au texte
3 Aux termes de l’article 1411-5 du CGCT, « l'autorité habilitée à signer la convention de délégation de service public peut organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans les conditions prévues par l'article L. 3124-1 du code de la commande publique. ». L’article L.3124-1 du code de la commande publique dispose que : « Lorsque l'autorité concédante recourt à la négociation pour attribuer le contrat de concession, elle organise librement la négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat./La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. ». Retour au texte
Droits d'auteur
Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.
Commentaire
Marie Micaelli
Doctorante en droit public, Centre de Recherches Administratives (CRA), Faculté de droit d’Aix-en-Provence
DOI : 10.35562/amarsada.497
Par l’affaire commentée, la cour administrative de Marseille avait à se prononcer sur la validité du contrat d’exploitation d’un complexe cinématographique situé sur le territoire de la commune de Château‑Arnoux‑Saint‑Auban, contrat conclu entre la communauté d’agglomération Provence Alpes Agglomération et l’Association de gestion du cinématographe. Saisi par un concurrent évincé – la société Ciné Espace Évasion – le tribunal administratif de Marseille prononça la résiliation juridictionnelle le 21 juin 2022 et condamna la communauté d’agglomération à lui verser une indemnité au titre du préjudice subi.
Après avoir implicitement qualifié le contrat litigieux de concession de service public portant sur l’exploitation d’un complexe cinématographique, la cour a confirmé la possibilité pour l’autorité concédante d’inviter un candidat à procéder à la régularisation de son offre irrégulière dans le cadre de la négociation, nonobstant l’absence de règle expresse le prévoyant au sein du code de la commande publique.
Le professeur Gabriel Eckert a récemment mis en avant la richesse de l’activité jurisprudentielle au titre de l’année 2023 s’agissant du droit des concessions et des délégations de service public que beaucoup de décisions ont permis de clarifier1. Par les précisions utiles qu’elle apporte sur le régime de la régularisation des offres irrégulières, la décision commentée s’inscrit indéniablement en ce sens. En effet, l’apport majeur de l’arrêt réside dans la confirmation expresse de la possibilité de régulariser une offre irrégulière dans le cadre de la négociation d’un contrat de concession, solution inédite directement inspirée du droit des marchés publics (II) Plus classiquement, la cour confirme la qualification de l’activité concédée en l’espèce – activité d’exploitation d’un complexe cinématographique – de service public, solution prévisible au regard de la jurisprudence antérieure (I).
I. La qualification prévisible de l’activité d’exploitation cinématographique de service public
Le premier point qui retiendra ici notre attention – et qui ne posait en l’espèce, aucune difficulté – est celui de la qualification du contrat conclu par la communauté d’agglomération, lequel portait sur l’exploitation d’un complexe cinématographique. La qualification de l’activité de service public était en effet un préalable à la qualification du contrat conclu et à l’application du régime juridique et contentieux en découlant2. Contrairement au géant outre-Atlantique, pour lequel l’activité cinématographique est l’apanage du secteur privé et en particulier, celui des fleurons hollywoodiens de la côte californienne, la France nourrit une véritable « exception culturelle » dont les racines intellectuelles remontent à l’Ancien Régime3. Bien qu’elle ait varié en fonction des circonstances et surtout de l’idéologie du moment, plus ou moins libérale4, il est aujourd’hui parfaitement admis qu’une collectivité territoriale puisse gérer un complexe cinématographique, à condition toutefois qu’elle décide de l’exploiter sous la bannière du service public et qu’elle respecte la liberté du commerce et de l’industrie – ce qui est généralement le cas lorsque la collectivité, exerçant un très fort volontarisme en la matière, entend placer le service public culturel en dehors de la sphère commerciale5. En dépit de « l’exception culturelle » française6, laquelle légitime le soutien massif de la puissance publique au secteur culturel, l’absence de la qualification de service public « entraîne l’interdiction de l’activité par le Conseil d’État sur le fondement de la liberté du commerce et de l’industrie »7.
Dans l’affaire commentée, la qualification de l’activité ne faisait nul doute au regard des critères dégagés par la jurisprudence APREI8, à savoir, la présence d’une activité d’intérêt général – ici suffisamment caractérisée au regard des missions déléguées à l’exploitant, notamment celles de mener des actions culturelles spécifiques à destination des scolaires, d’assurer une certaine diversité et qualité de la programmation et surtout d’insérer le projet d’exploitation « dans le développement culturel, économique et touristique du territoire » (considérant no°13) et le contrôle exercé par la communauté de communes sur la programmation cinématographique. Cet aspect de l’arrêt, très classique, contraste avec l’autre question tranchée par la cour, plus novatrice.
II. La confirmation expresse de la possibilité de régulariser une offre irrégulière dans le cadre de la négociation d’un contrat de concession
La cour avait dans un second temps à se prononcer sur la légalité de la régularisation à laquelle avait été invitée la société concessionnaire à propos du paiement de « droits d’entrée » que prévoyaient le cahier des charges de la concession. Comme le rapporte l’arrêt, le tribunal avait estimé en premier instance que
« la communauté d’agglomération n’avait pu, sans méconnaître l’article L. 3124-2 du code de la commande publique, engager une négociation avec l’Association de gestion du cinématographe, qui, faute de prévoir le paiement du droit d’entrée prévu par l’article 9.3.1 du cahier des charges de la concession, était irrégulière » (considérant n°3).
Suivant l’avis de son rapporteur public François Point, la cour a rapidement écarté cet argument, au motif que si l’article L. 3124‑2 du code de la commande publique impose à l’autorité concédante d’écarter les offres irrégulières ou inappropriées,
« cette disposition, qui s’oppose seulement à ce que l’autorité concédante choisisse une offre irrégulière, ne fait en tout état de cause pas obstacle à ce qu’elle invite le candidat concerné à régulariser son offre au cours de la procédure de négociation ».
Dans le même considérant, la Cour ajoute que
« si l’article L. 3124-1 du code de la commande publique prévoit que [ la négociation ne peut porter sur l’objet de la régularisation de l’offre qui a pour objet, non de modifier les caractéristiques minimales des documents de la consultation, mais de rendre l’offre conforme à ces caractéristiques ] ».
Il en résulte logiquement que
« c’est à tort que le tribunal administratif a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 3124-2 du code de la commande publique » (considérant no°5).
Bien que leur régime ait été peu à peu unifié par la consécration progressive de règles communes, notamment procédurales, les contrats de concession diffèrent encore grandement des marchés publics au regard de la place accordée à la négociation contractuelle, encouragée chez les premiers, limitée au sein des seconds. En effet, en vertu de l’article L. 3124‑1 du code de la commande publique,
« Lorsque l’autorité concédante recourt à la négociation pour attribuer le contrat de concession, elle organise librement la négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État ».
Le spectre d’action est particulièrement large, seuls étant exclus du champ de la négociation « l’objet de la concession, les critères d’attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ». En l’espèce, il y a lieu de constater que la cour a suivi les recommandations de son rapporteur public qui a justement écarté l’hypothèse d’une négociation engagée entre les deux contractants9. En somme, indépendamment de cette faculté laissée à la discrétion des parties, rien ne s’opposait à ce que la communauté d’agglomération invite son cocontractant à intégrer l’obligation de versement d’un droit d’entrée dans l’offre (considérant no°8), pas même l’absence de texte. Cette solution, désormais bien ancrée à propos des marchés publics où la négociation se démocratise, se justifie d’autant plus dans un contrat de concession au sein duquel les marges de manœuvre sont plus importantes.
À l’évidence, on relèvera ici l’influence du droit des marchés publics, lequel offre depuis 2016 la possibilité au pouvoir adjudicateur d’inviter les soumissionnaires à procéder à la régularisation de leurs offres irrégulières indépendamment de la procédure suivie, « à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses » (art. R. 2152‑2 du code de la commande publique) et sous réserve que la négociation soit ouverte10. La jurisprudence administrative a ultérieurement précisé qu’il s’agissait dans ce cas d’une simple faculté pour l’acheteur11, celle-ci ne contredisant pas les exigences découlant du principe d’égalité de traitement des candidats12. L’étude de la jurisprudence passée montre que ce n’est pas la première fois que le droit des marchés publics se trouve être une source d’inspiration pour la jurisprudence administrative en matière d’offres irrégulières13 ; il y a donc tout lieu de penser que le raisonnement par analogie sera de nouveau mobilisé dans les années à venir, contribuant à unifier davantage le régime de ces deux contrats.
Notes
1 ECKERT G., « Un an de droit des concessions et des délégations de service public », Contrats et Marchés publics, n°3, Mars 2024, chron. 3. Retour au texte
2 Conformément à la jurisprudence Époux Bertin CE, Sect., 20 avril 1956, Époux Bertin et ministre de l’Agriculture c/ consorts Grimouard et autres Retour au texte
3 ESCLATINE C., « Exception culturelle française : étatisme ou chance historique ? », Géoéconomie, vol. 65, no. 2, 2012, pp. 183-193. Retour au texte
4 Le Conseil d’État a ainsi jugé, en 1926, que « l’exploitation d’un cinématographe constitue une entreprise commerciale et que, par suite, en règle générale, elle est réservée à l’initiative privée » (CE, 11 juin 1926, Raynaud, p. 590). Retour au texte
5 AMIEL O., « Conflit autour de la notion de service public culturel d’exploitation cinématographique », AJDA, 2008, p. 23. Retour au texte
6 Pour FUMAROLI M., L’État culturel. Essai sur une religion moderne, Éditions de Fallois, Paris, 1991, 305 p. Retour au texte
7 CE, 4 juillet 1984, Département de la Meuse c/ Poilera, n°20046 cité par LE ROY M., « Cinéma », JurisClasseur Administratif, Fasc. 267. Retour au texte
8 Les critères posés par cette décision du Conseil d’État sont bien connus : « Considérant qu’indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette de fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public ; que, même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission (…) », CE, Sect., 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, no°264541. Retour au texte
9 Dans ses conclusions, François Point relève qu’« en l’espèce, la demande de régularisation de la communauté d’agglomération n’a pas eu pour objet d’engager une négociation sur le montant de la redevance relative aux « droits d’entrée. L’autorité délégante s’est bornée à demander la réintégration de cette redevance dans les projections financières. La demande de régularisation a ainsi eu pour effet de rendre l’offre conforme aux conditions et caractéristiques minimales de l’offre, sans impliquer de négociation sur ces conditions et caractéristiques minimales ». Voir POINT F., Conclusions sous l’affaire commentée. Retour au texte
10 L’article R.2152-1 du code de la commande publique prévoit a contrario que « dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d’appel d’offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées ». Retour au texte
11 CE, 21 mars 2018, Département des Bouches-du-Rhône, no°415929. Retour au texte
12 CE, 30 novembre 2011, Ministère de la Défense c/ EURL Qualitech, no°353121. Retour au texte
13 Voir notamment à propos d’une offre méconnaissant la législation CE, 18 septembre 2017, Ville de Paris, no°410336. Retour au texte
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