1.
Dans la première partie du XXe siècle la compagnie électrique du littoral méditerranéen et d’autres sociétés ont développé différents projets de centrales hydroélectriques spécifiquement dans la vallée de la Tinée. Compte tenu de l’altitude et de la configuration, encaissée, des lieux, certains de ces projets n’ont pas vu le jour, d’autres ont pris de très nombreuses années avant de se concrétiser. Des travaux titanesques ont parfois été nécessaires. Nous ne résistons pas à vous conseiller la balade, en réalité une exigeante randonnée en balcon, dite du « chemin de l’Énergie ». L’itinéraire taillé dans les années 30 à flanc de montagne chemine notamment par différents tunnels – certains sont malheureusement effondrés – et conduit, après plus de 1 000 mètres de dénivelé à la prise d’eau située au lac des Rabuons à 2 500 mètres qui alimente une centrale éclectique et qui fonctionne encore aujourd’hui. L’hydroélectricité existe ainsi de longue date dans la région et en particulier à Saint‑Étienne‑de‑Tinée.
Les requêtes qui viennent d’être appelées concernent une micro‑centrale située de l’autre côté de la vallée sur le torrent dit de Roya, torrent qui se jette dans la Tinée au lieu‑dit le Mourefret au sud de Saint‑Étienne‑de‑Tinée1.
Par arrêté du 29 juillet 1991 le préfet des Alpes‑Maritimes a autorisé la commune à exploiter l’énergie électrique du torrent dit de Roya avec faculté de transférer cette autorisation. Il semble que la commune, à l’initiative du projet, envisageait d’assurer elle‑même la construction et l’exploitation mais elle y a renoncé et transféré l’autorisation à la société Hydro Saint‑Étienne‑de‑Tinée en mai 1993.
Les choses ne se sont concrétisées que 3 ans plus tard. Par contrat du 24 juin 1996, modifié par avenant du 18 juin 1997, la commune de Saint‑Étienne‑de‑Tinée a donné à « bail de longue durée », pour une période de 99 ans à compter du 29 juillet 1991, à la société Hydro Saint‑Étienne‑de‑Tinée, une parcelle de terre nue en bordure du torrent Roya à l’effet que celle‑ci y construise puis y exploite une micro‑centrale hydro‑électrique. Ce contrat est indissociable de la qualité de permissionnaire de l’autorisation d’exploiter l’énergie du torrent, obtenue par la commune et transférée au preneur.
Avec l’agrément du bailleur, la société Hydro Saint‑Étienne‑de‑Tinée a cédé ce droit au bail à la SCI La Viennoiserie par acte du 23 octobre 2009. Cette dernière a conclu un bail de sous‑location avec la société établissements Gheerbrant le même jour. La cession de l’autorisation de disposer de l’énergie du cours d’eau du vallon de Roya aux établissements Gheerbrant avait été autorisée préalablement par le préfet par arrêté du 5 juin 2008.
Par deux titres exécutoires des 6 septembre 2019 et 23 octobre 2020, le maire de la commune de Saint‑Étienne‑de‑Tinée a mis à la charge de la SCI La Viennoiserie, pour chacun des exercices 2019 et 2020, la redevance prévue contractuellement pour le droit d’exploitation et la prise à bail, correspondant, eu égard au chiffre d’affaires généré par l’activité, au montant plancher minimum de 74 700 euros par an.
Par ses requêtes, enregistrées sous les nos 23MA01580 et 23MA01583, la SCI La Viennoiserie relève appel du jugement du tribunal administratif de Nice du 25 avril 2023 ayant rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de ces titres exécutoires comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. Par ses requêtes, enregistrées sous les nos 23MA01582 et 23MA01584, elle vous demande d’ordonner le sursis à l’exécution de ce jugement.
2.
Il convient de préciser que la SCI La Viennoiserie avait contesté les redevances réclamées par la commune au titre d’années antérieures devant les juridictions judiciaires. Le TGI a rejeté ses demandes au fond sans soulever l’incompétence de l’ordre judiciaire. La cour d’appel d’Aix‑en‑Provence a confirmé le jugement par un arrêt du 29 novembre 2022, après que l’exception d’incompétence de l’ordre judiciaire ait été rejetée par ordonnance du 3 mars 2021. Ceci précisé, aucune autorité de chose jugée au judiciaire ne ferait obstacle à la reconnaissance de la compétence des juridictions administratives pour connaître des requêtes de ce jour qui portent, vous l’avez compris, sur des années et donc des redevances différentes.
3.
Nous l’avons dit le TA a conclu à l’incompétence des juridictions administratives.
La question de la détermination de l’ordre juridictionnel est en l’espèce loin d’être aisée.
Deux décisions assez récentes du Tribunal des conflits et de la Cour de cassation doivent être mobilisées. Mais, c’est assez inhabituel, elles ne vous éclaireront pas totalement dès lors notamment qu’elles apparaissent pour partie contradictoires.
La décision du TC date du 9 octobre 2023 (T. confl., 9 oct. 2023, no 4284, Sté IGIC en A). Les faits ayant donné lieu à ce précédent sont très proches de l’affaire de ce jour : une commune qui était titulaire d’une autorisation préfectorale lui permettant de disposer de l’énergie d’une rivière, avait conclu avec une société une convention confiant à cette dernière, pour une durée de vingt‑neuf ans et moyennant le versement d’une redevance annuelle, la construction, la gestion et l’exploitation d’une centrale de production d’énergie hydroélectrique, l’électricité ainsi produite étant vendue à Électricité de France (EDF). Différentes péripéties plus tard un litige s’est noué au terme duquel la société IGIC a contesté les titres exécutoires émis par la commune en vue du recouvrement des redevances dues en exécution de la convention.
Nous analyserons plus loin dans le détail le raisonnement du TC qui a abouti à écarter la compétence de la juridiction administrative mais vous le pressentez la compétence juridictionnelle dépend essentiellement de la question de savoir si le contrat dont il est fait application est un contrat administratif ou un contrat de droit privé.
Et il convient de déterminer s’il existe un critère légal ou un critère jurisprudentiel permettant de déterminer la nature du contrat.
4.
Le contrat en cause peut‑il être analysé comme un contrat administratif par détermination de la loi ?
S’agissant de cette première étape, l’arrêt du 9 octobre 2023 Sté IGIC du Tribunal des conflits éclaire sur le raisonnement à suivre au regard de la spécificité des ouvrages de production d’énergie hydroélectrique concédés.
Il convient de se référer ici à la loi, aujourd’hui abrogée, du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, en vigueur à la date de la signature de la convention et de son avenant.
Cette rédaction est identique à celle qui était applicable à la convention dont a eu à connaître le TC dans l’affaire Sté IGIC.
Le raisonnement du TC passe tout d’abord par un rappel des articles 1er et 2 de cette loi. Dans sa version en vigueur à la date de la signature de la convention l’article 1er prévoit que : « Nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l’État ». Aux termes de l’article 2 de cette loi : « Sont placées sous le régime de la concession les entreprises dont la puissance excède 4 500 kilowatts. Sont placées sous le régime de l’autorisation toutes les autres entreprises ».
Le TC juge que
« S’il résulte de ces dernières dispositions ainsi que de l’article 10 de cette même loi, qui prévoit que des obligations sont imposées aux exploitants de ces centrales, que le législateur a entendu donner à l’ensemble des ouvrages de production d’énergie hydroélectrique concédés, que la personne qui en est propriétaire soit publique ou privée, le caractère d’ouvrage public, l’installation hydraulique en cause est d’une puissance inférieure à 4 500 kilowatts et ne relève pas du régime de la concession en application de ces dispositions. Le contrat en litige n’a, par suite, pas la nature d’un contrat administratif par détermination de la loi ».
Il résulte des conclusions de M. Jean Lecaroz que le raisonnement suivi par le TC s’inspire de deux décisions du Conseil d’État (CE, 3e et 8e sous‑sections réunies, 11 décembre 2000, ministre de l’environnement, no 169437 en B et avis contentieux du CE du 29 avril 2010, M. et Mme Beligaud no 323179 en A).
Vous devez vérifier ce premier critère.
En l’espèce, il résulte de l’instruction que les ouvrages dont il est question constituent une « microcentrale ». Voyez sur ce point le contrat de bail qui utilise cette qualification. Cette terminologie de « microcentrale » est techniquement utilisée pour les installations d’une puissance variant de 20 à 500 kilowatts (kW). Il résulte de la mesure d’instruction effectuée que la puissance totale de l’installation est de 2 700 kW (cf. Contrat d’achat de l’énergie électrique produite par une installation hydraulique, plus précisément 2 430 kW cf. notamment le contrat d’achat) c’est à dire légèrement inférieure à la puissance autorisée, fixée à 2 800 kW par l’arrêté préfectoral du 29 juillet 1991 (article 1er). L’installation hydraulique en cause est ainsi d’une puissance inférieure à 4 500 kilowatts et ne relève pas du régime de la concession en application des dispositions précitées de la loi de 1919.
Par ailleurs, comme le rappelle le rapporteur public dans l’affaire Société IGIC si l’article 17, alinéa 1er, de la loi de 1919 prévoit que « les entreprises peuvent, à tout époque, par un accord entre l’État et le permissionnaire, être placées sous le régime de la concession », aucun accord en ce sens n’a été conclu entre la société et l’État, qui a visiblement toujours maintenu le régime de l’autorisation pour l’exploitation en cause.
5.
Ce critère légal n’étant pas rempli, il convient de vérifier s’il existe d’autres critères légaux. C’est là que les choses se compliquent.
Le seul critère légal envisagé par le TC est celui de la puissance de l’installation fixé par la loi de 1919. Dans l’affaire qui lui était soumise le TC a constaté que la puissance était inférieure au seuil de 4 500 kilowatts et en a tiré la conclusion que « Le contrat en litige n’a, par suite, pas la nature d’un contrat administratif par détermination de la loi ».
Disons‑le clairement, nous ne sommes pas du tout à l’aise avec ce raisonnement, car le TC n’a pas étudié la question de savoir si le contrat en cause avait la nature d’un BEA alors qu’un contrat ayant les caractéristiques d’un BEA est un contrat administratif par détermination de la loi.
Le TC semble s’être borné à indiquer que lorsque le critère de la puissance n’est pas rempli, la convention en cause n’est pas un contrat administratif sauf si le co‑contractant de l’administration est chargée de l’exécution d’un service public ou si l’installation est directement affectée à ce service public.
Dans son arrêt le TC a jugé en l’espèce que
« l’activité de production d’électricité exercée, dans le seul but de la céder à EDF, par la société ne peut être regardée, en l’espèce, comme poursuivant un but d’intérêt général, de sorte que le contrat ne revêt pas le caractère d’une délégation de service public. Il ne constitue pas davantage, pour le même motif, un contrat de concession de travaux publics et n’a pas pour objet d’autoriser l’occupation de dépendances du domaine public. Enfin, le contrat litigieux ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ».
Le Tribunal des conflits a ainsi écarté deux hypothèses de qualification jurisprudentielle d’un contrat en contrat administratif, à savoir, d’une part, celui de la participation directe du cocontractant de l’administration à une mission de service public et, d’autre part, celui de l’exorbitance.
Il nous semble inutile de faire de longs développements pour adopter sur ce point, comme sur l’analyse du critère de la puissance de l’installation, la même analyse que le TC : le contrat en cause n’associe nullement le cocontractant de la commune à une mission de service public et le contrat ne comporte pas davantage de clauses exorbitantes du droit commun.
Mais ce raisonnement et cette conclusion nous semblent insuffisants pour exclure la qualification de BEA.
6.
Ainsi, il est frappant de constater que le TC ne s’est pas expressément interrogé dans sa décision sur l’existence possible d’une autre hypothèse de détermination légale à savoir celle du BEA.
Il est frappant de constater qu’après avoir évacué le critère légal lié à la puissance de l’ouvrage hydroélectrique, le TC juge que « Le contrat en litige n’a, par suite, pas la nature d’un contrat administratif par détermination de la loi ». Autrement dit, aucun autre critère légal ne semble avoir été envisagé par le TC.
Sur ce point, l’arrêt du TC est en décalage avec une décision remarquée de la Cour de cassation du 15 juin 2023 (Cass. 3e civ., 15 juin 2023, no 21‑22.816). Avant de la lire, cela nous semble nécessaire, il convient de rappeler que le contrat qui nous concerne est un bail de longue durée et que la société requérante soutient qu’il ne s’agit pas d’un simple bail emphytéotique2 mais d’un bail emphytéotique administratif3. Vous savez que la catégorie des BEA est issue de dispositions de la loi no 88‑13 du 5 janvier 1988 d’amélioration de la décentralisation (art. 13) codifiées à l’article L. 1311‑2 du code général des collectivités territoriales.
À la date de signature du contrat et de son avenant cet article était rédigé ainsi (version en vigueur du 24 février 1996 au 28 février 2002) :
« Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet, en faveur d’une personne privée, d’un bail emphytéotique prévu à l’article L. 451‑1 du code rural, en vue de l’accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d’une mission de service public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence.
Un tel bail peut être conclu même si le bien sur lequel il porte, en raison notamment de l’affectation du bien résultant soit du bail ou d’une convention non détachable de ce bail, soit des conditions de la gestion du bien ou du contrôle par la personne publique de cette gestion, constitue une dépendance du domaine public, sous réserve que cette dépendance demeure hors du champ d’application de la contravention de voirie ».
La rédaction initiale distinguait ainsi deux hypothèses de BEA : ceux conclus pour confier une mission de service public et ceux conclus en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence.
Aujourd’hui, tel n’est plus le cas, un BEA ne peut être conclu pour confier une mission de SP, dans une telle hypothèse, la personne publique doit se tourner vers un autre montage contractuel imposant nécessairement une phase de publicité et de mise en concurrence.4
En application du 2° de l’article L. 1311‑3 du même code les droits résultant d’un tel bail ne peuvent être cédés qu’avec l’agrément de la collectivité territoriale et, en application du 4° du même article : « Les litiges relatifs à ces baux sont de la compétence des tribunaux administratifs ».
Un BEA est donc un contrat administratif par détermination de la loi. Il est par conséquent surprenant que le TC indique dans sa décision que le contrat en litige n’a « pas la nature d’un contrat administratif par détermination de la loi » sans avoir envisagé cette hypothèse alors que les faits de l’espèce devaient à notre sens conduire à l’envisager.
La doctrine a pointé le décalage entre la décision du TC et celle de la Cour de cassation.
Voyez notamment l’analyse de Jean‑François Giacuzzo « La convention privée d’exploitation d’une centrale hydroélectrique située sur le domaine communal » à la RDI 2024 et le point de vue de Gabriel Eckert intitulé « L’étrange destin du bail emphytéotique administratif » à la revue Contrats et Marchés publics de mars 2024.
Il existe en effet, à la première lecture, un décalage assez saisissant entre les deux décisions.
Ainsi alors que la Cour de cassation juge que « la mise à disposition, par l’effet d’un bail emphytéotique, d’une centrale hydroélectrique, en vue de la production et de la vente d’électricité à un fournisseur d’énergie, en ce qu’elle favorise la diversification des sources d’énergie et participe au développement des énergies renouvelables, constitue une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la commune. », l’analyse du TC est différente :
« l’activité de production d’électricité exercée, dans le seul but de la céder à EDF, par la société ne peut être regardée, en l’espèce, comme poursuivant un but d’intérêt général, de sorte que le contrat ne revêt pas le caractère d’une délégation de service public. Il ne constitue pas davantage, pour le même motif, un contrat de concession de travaux publics et n’a pas pour objet d’autoriser l’occupation de dépendances du domaine public. Enfin, le contrat litigieux ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ».
En réalité ce qui nous semble, à la réflexion, le plus frappant est constater que ni la décision du TC, ni les conclusions n’évoquent l’hypothèse du BEA alors que les faits de l’espèce, nous l’avons dit assez proche de la configuration de ce jour, pouvait conduire a minima à examiner l’hypothèse. C’est d’autant plus troublant que l’arrêt de la Cour de cassation, rendu quatre mois avant la décision du TC, qualifie le contrat dont elle était saisie de BEA.
Une lecture plus approfondie des deux décisions nous conduit à penser au final qu’il n’y a ainsi pas de contradiction frontale entre la position du TC et de la Cour de cassation dès lors que précisément le TC n’a pas envisagé l’hypothèse du BEA.
Le TC s’est interrogé sur le caractère administratif du contrat après avoir vérifié une hypothèse de critère légal tenant à la puissance de l’installation puis les critères jurisprudentiels dont le critère du service public. La Cour de cassation s’est posée la même question mais en vérifiant un autre critère légal : celui de l’existence d’un BEA qui n’est pas nécessairement subordonnée à l’identification d’une participation du co‑contractant à une mission de service public mais plus simplement au constat que le contrat participe de la « réalisation d’une opération d’intérêt général » relevant de la compétence de la collectivité concernée.
Comme l’indique Gilles Pellissier dans ses conclusions sur CE 23 mars 2018 Office public d’HLM Mistral Habitat no 408179 :
« Le bail conclu par la commune de Roussillon avec l’Office départemental d’HLM était un bail emphytéotique qui avait pour objet de permettre la construction de logements sociaux. Si ce projet n’est pas l’accomplissement d’un service public municipal, puisque le logement social est une compétence du département, qui exerce la tutelle sur l’établissement cocontractant, il peut à notre avis être regardé comme « une opération d’intérêt général relevant » de la compétence de la commune. En effet, la notion d’opération d’intérêt général relevant de la compétence d’une personne publique est plus large que celle de mission de service public accomplie pour son compte. Il suffit que l’opération se rattache aux intérêts généraux qu’elle peut poursuivre (voyez par exemple un avis de la section sociale du Conseil d’État no 356‑101 du 16 juin 1994 qui considère qu’un établissement public hospitalier pour conclure un bail emphytéotique administratif pour la réalisation d’hébergements hôteliers destinés principalement à ses patients) »5.
L’analyse de la Cour de cassation s’inscrit dans cette logique. Dans cet arrêt la Cour de cassation juge :
« 6. Selon l’article L. 1311‑2, alinéa 1, du code général des collectivités territoriales, dans sa version en vigueur au 18 mars 2013, un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique prévu à l’article L. 451‑1 du code rural et de la pêche maritime en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence. Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif.
7. Selon l’article L. 1311‑3, 4°, du même code, les litiges relatifs aux baux emphytéotiques administratifs sont de la compétence des tribunaux administratifs.
8. Selon les articles L. 100‑1 et L. 100‑2 du code de l’énergie, dans leur version en vigueur au 18 mars 2013, la politique énergétique vise notamment à préserver la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre. Pour atteindre cet objectif, l’État, en cohérence avec les collectivités territoriales, veille, en particulier, à diversifier les sources d’approvisionnement énergétique, réduire le recours aux énergies fossiles et augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale.
9. Selon l’article L. 1111‑2 du code général des collectivités territoriales, les communes concourent avec l’État à la protection de l’environnement et à la lutte contre l’effet de serre par la maîtrise et l’utilisation rationnelle de l’énergie.
10. Il en résulte que la mise à disposition, par l’effet d’un bail emphytéotique, d’une centrale hydroélectrique, en vue de la production et de la vente d’électricité à un fournisseur d’énergie, en ce qu’elle favorise la diversification des sources d’énergie et participe au développement des énergies renouvelables, constitue une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la commune.
11. La cour d’appel a, dès lors, retenu, à bon droit, abstraction faite de motifs surabondants critiqués par la seconde branche du moyen, que la convention liant la commune et la société était un bail emphytéotique administratif.
12. Elle en a exactement déduit que le litige né de ce bail relevait des juridictions de l’ordre administratif. »
La position de la Cour de cassation nous semble cohérente6.
À la réflexion, il est possible de considérer que la décision du TC ne disqualifie nullement la position de la Cour de cassation dès lors que les deux décisions ne vérifient pas les mêmes critères légaux. Le seul véritable point d’interrogation réside dans le fait que le TC ne s’est pas interrogé sur l’existence d’un BEA ; c’est le seul point délicat dès lors que la compétence est une question d’ordre public.
Quoi qu’il en soit, il convient de relever que le TC ne se prononce pas expressément sur l’hypothèse du BEA et réserve implicitement en quelque sorte sa réponse sur ce point.
Il vous appartient de vérifier l’ensemble des critères applicables comme l’a fait le TA d’Orléans dans une jugement du 18 janvier 2024 qui portait sur l’affaire jugée par la Cour de cassation. Nous relevons au passage que dans cette affaire le TA d’Orléans cite expressément la décision du TC pour néanmoins se déclarer compétent. On comprend à la lecture du jugement que vos collègues se sont posées les mêmes questions et ont finalement tranché pour la compétence des juridictions administratives en identifiant un BEA. Le jugement réalise un équilibre subtil entre la décision de la Cour de cassation et celle du TC. Vos collègues se sont appuyés sur l’existence d’un barrage et d’un plan d’eau en amont de la centrale hydroélectrique pour ne « déjuger » ni l’un ni l’autre.
Vous ne disposez pas d’élément similaire en l’espèce.
Alors que faire ?
7.
Nous avons envisagé trois solutions.
La première, qui avait initialement notre préférence, consistait à partir du constat déjà évoqué : le TC n’a pas expressément envisagé l’hypothèse du BEA et n’a ainsi pas disqualifié l’analyse de la Cour de cassation.
Partant de ce constat, il pourrait être jugé qu’en l’espèce, à la date de conclusion du contrat, les communes disposaient de la clause générale de compétence et il est à notre sens clair que le contrat doit être analysé dans cette perspective comme ayant été conclu « en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de [la] compétence » de la commune.7. En tout état de cause, si la clause générale de compétence est aujourd’hui supprimée, cette suppression, ne conduit pas à changer l’analyse dès lors que l’article L. 1111‑2 du code général des collectivités territoriales précise que les communes concourent avec l’État à la protection de l’environnement et à la lutte contre l’effet de serre par la maîtrise et l’utilisation rationnelle de l’énergie.
La Cour de cassation s’est précisément fondée sur ces dispositions pour conclure que la mise à disposition, par l’effet d’un bail emphytéotique, d’une centrale hydroélectrique, en vue de la production et de la vente d’électricité à un fournisseur d’énergie, en ce qu’elle favorise la diversification des sources d’énergie et participe au développement des énergies renouvelables, constitue une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la commune.
Cette analyse nous apparaît parfaitement fondée. Voyez en ce sens également l’avis de M. Thomas Pez‑Lavergne dans ses conclusions sur CE 28 juin 2023 Société Voltalia no 456291. Le litige portait dans cette affaire sur un bail emphytéotique ayant pour objet la réalisation d’un parc photovoltaïque. Thomas Pez‑Lavergne précise dans ses conclusions :
« nous serions enclins à rattacher la production d’électricité photovoltaïque en question à une opération d’intérêt général au sens des dispositions du code général des collectivités territoriales relatives au bail emphytéotique […]. Et nous pourrions considérer que le bail emphytéotique promis correspond à un « bail emphytéotique administratif » au sens de l’article L. 1311‑2 de ce code et qu’en conséquence les litiges qui y sont relatifs sont portés devant la juridiction administrative en vertu du 4° de l’article L. 1311‑3 du même code et du 5° de l’article L. 2331‑1 du code général de la propriété des personnes publiques (V. en ce sens [l’arrêt précité] : Cass. Civ. 3, 15 juin 2023, Société Hydro‑électrique du Boutet c/ commune de Châtres‑sur‑Cher, no 21‑22.816, Bull. : La mise à disposition, par l’effet d’un bail emphytéotique consenti par une commune à une société, d’une centrale hydroélectrique, en vue de la production et de la vente d’électricité à un fournisseur d’énergie, en ce qu’elle favorise la diversification des sources d’énergie et participe au développement des énergies renouvelables, constitue une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la commune. En conséquence, c’est à bon droit qu’une cour d’appel retient qu’il s’agit d’un bail emphytéotique administratif au sens de l’article L. 1311‑2, alinéa 1, du code général des collectivités territoriales et en déduit que le litige né de ce bail relève des juridictions de l’ordre administratif.) ».
Ajoutons, également qu’il existe une forte tradition d’hydroélectricité dans la zone et que les projets locaux se sont développés à l’initiative d’opérateurs indépendants d’EDF et des collectivités. Cela donne une teinte spécifique à l’espèce.
Au regard de ce qui précède il nous semble qu’il est parfaitement possible d’identifier une opération d’intérêt général relevant de la compétence de la commune. Toutes les autres conditions fixées par la loi étant remplies (droits réels ne pouvant être cédé sans agrément de la collectivité8…) vous pourriez en conclure que le contrat litigieux est un BEA et présente donc un caractère administratif par détermination de la loi.
Et nous vous aurions proposé d’examiner au fond le dossier. Et sans difficulté aucune nous aurions conclu au rejet des prétentions de la SCI dès lors qu’aucun moyen n’est fondé. En synthèse : d’une part, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 2125‑13 du code général de la propriété des personnes publiques est inopérant dès lors que le cours d’eau en cause n’a pas été classé dans le domaine public fluvial. D’autre part, les conditions d’application de la théorie de l’imprévision ou de la force majeure ne sont pas réunies9.
Nous aurions à coup sûr conclu en ce sens avant le 9 octobre dernier, c’est‑à‑dire avant la décision du TC. Mais il ne serait pas raisonnable de ne pas tenir compte de cette réalité à laquelle en quelque sorte, pour reprendre la formule de Lacan, nous nous « cognons » (Lacan « Le réel, c’est quand on se cogne. »).
8.
La deuxième solution pourrait consister à considérer que le TC a implicitement mais nécessairement examiné dans sa décision l’hypothèse du BEA et que sa solution vaut implicitement mais nécessairement pour cette hypothèse.
Cette solution peut sembler au final la plus cohérente ou à tout le moins la plus simple. D’une part, elle serait logique du point de vue institutionnel : le TC est précisément fait pour éclairer les juridictions des deux ordres sur la répartition des compétences. D’autre part, la décision du TC est plus récente que la décision de la Cour de cassation.
Mais cette solution est le miroir inversé de la première et vous aurez par conséquent compris, en creux, pourquoi nous ne nous résolvons pas à vous la proposer : même si la décision du TC est postérieure à celle de la Cour de cassation, nous pensons que le TC ne s’est pas prononcé, ni explicitement ni implicitement sur l’hypothèse du BEA.
9.
Ces deux premières solutions écartées nous vous en proposons une troisième : soumettre la question au TC.
Les juridictions administratives ont la faculté, en cas de difficulté sérieuse, de soumettre au Tribunal des conflits une question relative à la compétence de l’ordre administratif sur un litige, même en l’absence de décision de l’ordre judiciaire déclinant la compétence de cet ordre de juridiction relativement au même litige (art. 35 du décret no 2015‑233 du 27 février 2015).
Une telle solution serait à notre sens parfaitement justifiée.
Au‑delà de l’affaire que vous avez à juger, les problématiques et difficultés que nous avons identifié ne permettent pas aux acteurs publics et privés d’avoir une visibilité sur la nature des montages contractuels en cause. Au‑delà des installations hydroélectriques sont également concernées les montages contractuels portés par des collectivités sur des projets de centrales solaires et pourquoi pas des projets d’éoliennes ou des installations géothermiques.
Pour l’ensemble de ces projets et contrats la question peut légitimement être posée : la production renouvelable correspond‑t‑elle oui ou non à une opération d’intérêt général au sens des dispositions du code général des collectivités territoriales relatives au bail emphytéotique ? Pour notre part, comme Thomas Pez‑Lavergne dans les conclusions précitées (sur CE 28 juin 2023 Société Voltalia) s’agissant de la production d’électricité à partir de centrales solaires, nous considérons que le bail emphytéotique passé par une collectivité pour de tels projets correspond à un « bail emphytéotique administratif » au sens de l’article L. 1311‑2 du CGCT et qu’en conséquence les litiges qui y sont relatifs sont portés devant la juridiction administrative en vertu du 4° de l’article L. 1311‑3 du même code et du 5° de l’article L. 2331‑1 du code général de la propriété des personnes publiques10.
Par ces motifs, nous concluons :
-
Renvoi de l’affaire au Tribunal des conflits.
-
Il est sursis à statuer sur la requête jusqu’à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de l’ordre de juridiction compétent pour y statuer.