Le titre de séjour pour un motif humanitaire peut être accordé à l’étranger victime de violences conjugales, empêché de bénéficier d’une ordonnance de protection judiciaire du fait de la mise en œuvre d’une procédure de comparution immédiate conduisant au prononcé de mesures définitives de protection

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Décision de justice

CAA Marseille, 3e chambre – N° 23MA01295 – 12 février 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 23MA01295

Numéro Légifrance : CETATEXT000049282280

Date de la décision : 12 février 2024

Index

Mots-clés

titre de séjour pour motif humanitaire, violence conjugale, ordonnance de protection, comparution immédiate

Rubriques

Étrangers

Résumé

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 425‑6 et L. 425‑8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que, lorsque, comme en l’espèce, l’étranger, victime de violences commises à son encontre par son conjoint n’a pu bénéficier, du fait de la mise en œuvre d’une procédure de comparution immédiate, d’une ordonnance de protection prise en urgence par le juge aux affaires familiales sur le fondement de l’article 515‑9 du code civil, mais que son conjoint a été condamné à une peine assortie de mesures définitives de protection telles que celles prévues aux 9° et 13° de l’article 132‑45 du code pénal qui, par leur objet et leur nature, sont équivalentes aux mesures provisoires que peut prononcer le juge civil en application des 1° et 1° bis de l’article 515‑11 du code civil, il est fondé à demander la délivrance de la carte de séjour temporaire prévue par l’article L. 425‑6 avant de pouvoir prétendre, le cas échéant, à l’occasion du renouvellement de ce titre, à la délivrance d’une carte de résident en application de l’article L. 425‑8.

Rapproch. CAA, Lyon, 23 février 2023, Préfet de la Côte‑d’Or, no 22LY01745.

Conclusions du rapporteur public

Didier Ury

Rapporteur public

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DOI : 10.35562/amarsada.489

Madame A, de nationalité tunisienne, âgée de quarante-trois ans, est entrée en France le 27 juillet 2019 sous visa de court séjour pour y rejoindre son époux, ressortissant tunisien, qu’elle avait épousé le 23 août 2017 en Tunisie, et qui demeurait en situation irrégulière en France. Il ressort de ses dires, que dès le début de leur vie commune, son époux se montrait violent. Le 29 décembre 2000 elle subissait de graves coups et blessures pour lesquels son mari sera condamné le 11 janvier 2021 par le tribunal correctionnel de Toulon à une peine de dix‑huit mois d’emprisonnement dont six mois avec sursis et mise à l’épreuve avec interdiction d’entrer en contact avec elle, et se rendre à son domicile.

Le préfet du Var rejetait le 6 décembre 2022 sa demande de délivrance du droit au séjour. Le préfet fondait sa décision sur l’absence de méconnaissance des articles L. 423‑1 et L. 423‑5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, au motif que son conjoint n’était pas de nationalité française, outre qu’elle vivait seule et qu’elle ne justifiait pas d’une insertion professionnelle. Il lui faisait également obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours. La requérante relève appel du jugement no 2300053 du 20 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête dirigée contre cet arrêté. Elle vous demande d’annuler ce jugement et d’enjoindre au préfet de lui délivrer la carte sollicitée.

La réforme du 16 juin 2011 a simplifié l’état du droit en regroupant les dispositions relatives au droit au séjour des victimes de violence conjugale. Depuis cette date, en application de l’article L. 423‑6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ancien article L. 316‑3, le préfet doit délivrer une carte de séjour mention « vie privée et familiale », à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515‑9 du code civil, en raison des violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, ou partenaire de Pacs ou concubin. En application de l’article L. 425‑8 du même code, en cas de condamnation de l’auteur des violences, une carte de résidence est délivrée à l’étranger détenteur du droit au séjour en application de l’article L. 425‑6 précité.

Il résulte des dispositions de l’article L. 425‑6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, que la première délivrance de la carte de séjour temporaire qu’il prévoit est en principe subordonnée au bénéfice effectif d’une ordonnance de protection (CAA de Lyon, 23 février 2023, no 22LY01745, Préfet de la Côte‑d’Or contre Mme Zoia Tsintsadze, point 8).

Il est constant que la requérante ne justifie pas disposer d’une ordonnance de protection du juge aux affaires familiales (JAF). Si elle se prévaut du jugement de condamnation de son mari, cette décision n’est pas assimilable à une ordonnance de protection, qui est accordée en urgence par le JAF, pas plus que le dépôt d’une plainte pour violence conjugale, ni d’une plainte pour violation de l’obligation ou de l’interdiction imposée par le conjoint violent au conjoint violent. S’il résulte des débats parlementaires que l’intention du législateur a été d’accorder aux personnes en situation irrégulière victimes de violence conjugale, la possibilité effective de rechercher la protection des autorités françaises, cette volonté n’est pas traduite dans le texte de l’article L. 425‑6 susmentionné. Même avec un effort d’interprétation, vous ne pouvez pas combler la distance entre la lettre de cette disposition et l’esprit du législateur. Par suite, la requérante n’entre définitivement pas dans les prévisions de cet article.

Vous devez ensuite vérifier que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation portée sur la situation personnelle de l’intéressée, notamment au regard de sa situation de victime de violence conjugale reconnue par le juge pénal, sur lequel le préfet a statué par la négative dans l’arrêté attaqué, au regard de son pouvoir de régularisation.

A ce titre, la requérante se prévaut d’une décision de votre cour du 6 février 2023, no 22MA01260, Mme Lakhdar Chaouche épouse Kassouri, qui statue que dès lors que la situation d’une ressortissante algérienne est entièrement régie par les stipulations de l’accord franco-algérien, celle-ci ne peut utilement invoquer les dispositions de l’article L. 423‑5 précité, et qu’alors il appartient au préfet, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’apprécier, compte tenu de l’ensemble des éléments de la situation personnelle de l’intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l’opportunité d’une mesure de régularisation. Mais, Mme Haj Kalifa étant une ressortissante tunisienne, elle ne peut que revendiquer l’exercice du pouvoir de régularisation du préfet, et non celui de son pouvoir discrétionnaire.

Il ressort des éléments du dossier que la requérante est hébergée dans un centre ad hoc de réinsertion, qu’elle dispose d’une sœur de nationalité française résidant à Toulon, et qu’elle justifie d’une promesse d’embauche comme aide cuisinier. Toutefois, Mme A qui est sans enfant, a vécu dans son pays d’origine jusqu’à l’âge de trente-neuf ans, où demeure son père, et il n’est pas établi qu’elle y serait dépourvue de toute attache, outre qu’elle ne justifie d’aucune insertion particulière en France, malgré une action de bénévolat aux Restos du Cœur. Le seul fait qu’elle ait subi sur le territoire national des violences conjugales n’est pas un élément qui suffit à lui seul à la faire bénéficier d’un droit au séjour en France. En ce sens vous pouvez vous référer à des jurisprudences nombreuses et concordantes pour refuser la reconnaissance de l’existence d’une erreur d’appréciation manifeste de la situation de l’étranger (16BX01262, 14LY02242, 22DA00158).

Enfin, pour les raisons susmentionnées, nous ne voyons pas dans l’arrêté attaqué de violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Par ces motifs nous vous proposons de rejeter la requête de Mme A, qui ne peut prétendre à bénéficier du remboursement de ses frais de procès.

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