En 2011, la commune de Grasse a entrepris la construction d’une médiathèque, située rue Charles‑Nègre. Pour cette réalisation, les architectes ont été récompensés par le prix de l’Équerre d’argent en 2022. Malgré cette réussite architecturale, l’exécution des travaux a donné lieu à d’importantes difficultés, du fait de l’effondrement d’un immeuble adjacent au cours des opérations de construction.
Les opérations de travaux ont commencé le 12 mai 2014. Le 7 novembre 2015, au cours de la réalisation des travaux de gros-œuvre, deux immeubles situés aux nos 47 et 49 de la rue Droite se sont effondrés.
L’expertise a permis de révéler que l’effondrement trouvait son origine dans la fragilisation des édifices et les vibrations issues des travaux exécutés entre mars 2014 et novembre 2015. D’après l’expertise, les causes principales de l’effondrement sont les suivantes : la fragilisation des édifices du fait des opérations de fouille, l’enlèvement du parquet qui assurait une poussée horizontale, et les vibrations issues des opérations de gros‑œuvre. D’une façon générale, l’expert a relevé l’absence de réactivité et des intervenants, qui ont eu connaissance du risque d’effondrement et n’ont pas pris les mesures suffisantes.
La société Hadès était en charge de la réalisation des études d’archéologie préventive préalables. La commune a confié à la société Cari Bâtiment, devenue société Fayat Bâtiment, le lot no 1 de l’opération, intitulé « structure-clos couvert ». La maîtrise d’œuvre était assurée par un groupement dont le mandataire était la société Beaudouin‑Husson Architectes, sous contrôle technique de la société Apave Sudeurope.
À la suite du dépôt du rapport d’expertise le 23 novembre 2016, la commune de Grasse a saisi le tribunal administratif de Nice de deux demandes tendant à la condamnation in solidum des sociétés Beaudouin‑Husson Architectes, Hadès, Apave Sudeurope et Fayat Bâtiment à lui payer la somme de 6 199 978,30 euros toutes taxes comprises. Elle a également sollicité la condamnation de son assureur à lui verser une indemnité d’assurance de même montant, dans le cas où sa demande indemnitaire dirigée contre les constructeurs serait rejetée.
Le tribunal administratif de Nice a condamné les sociétés Beaudouin‑Husson Architectes et Fayat Bâtiment à verser à la commune de Grasse deux indemnités de 1 117 336 euros TTC et 869 040 euros TTC. Ce jugement a fait l’objet de deux requêtes en appel, présentées par la commune de Grasse (instance no 23MA01228) et par la société Beaudouin‑Husson Architectes (instance no 23MA01267). La commune conteste à titre principal le rejet par le tribunal administratif de Nice de ses conclusions dirigées contre certains intervenants et l’évaluation du montant du préjudice retenu par les premiers juges. La société Beaudouin‑Husson Architectes conteste le montant de l’indemnité fixé par les premiers juges et le rejet de ses conclusions d’appel en garantie dirigés contre les sociétés Hadès, Apave Sudeurope, Touzanne et associés et Fayat Bâtiment.
Sur l’intervention de l’assureur de la société Fayat
La société SMA SA, assureur de la société Fayat Bâtiment, présente une demande d’intervention dans les deux affaires. Toutefois, l’assureur d’un constructeur dont la responsabilité en matière de travaux est recherchée par le maître de l’ouvrage n’est pas recevable à intervenir en cette qualité devant le juge administratif saisi du litige, dès lors que la décision à intervenir n’est pas susceptible de préjudicier ses droits. Voyez sur ce point les décisions CE, 9 avril 1975, Consorts Gonnod, no 92025 et CE, 18 novembre 2011, Compagnie d’assurances Axa-France-IARD, no 346257.
Vous rejetterez donc la demande d’intervention volontaire de la société SMA SA.
I/ Sur l’appel principal de la commune de Grasse et les appels incidents
I/ 1. Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Apave
La société Apave Infrastructures et Construction oppose aux demandes de la commune Grasse une fin de non-recevoir tirée de ce que la commune aurait dirigé ses conclusions contre la société Apave, distincte de la société Apave Sudeurope SAS aux droits et obligations de laquelle elle vient. Vous écarterez cette fin de non-recevoir, dès lors qu’il ne fait pas de doute que la commune a bien entendu engager la responsabilité de la société Apave Sudeurope SAS, qui est nommément visée dans l’entête de son mémoire introductif d’instance, comme dans son mémoire d’appel.
I/ 2. Sur l’engagement de la responsabilité solidaire des constructeurs
En première instance, la commune avait sollicité l’engagement de la responsabilité contractuelle des sociétés suivantes : SELARL Beaudouin Architectes (maître d’œuvre), Hadès (études d’archéologie préventive), la société Apave (en charge du contrôle technique) et la société Fayat bâtiments, entreprise titulaire du lot no 1 (structure clos couvert).
Le tribunal administratif de Nice a rejeté les demandes de la commune dirigées contre la société Hadès et la société Apave, au motif que les fautes de ces deux sociétés n’étaient pas établies. Le tribunal a également rejeté la demande de condamnation solidaire. L’appel principal de la commune de Grasse porte sur ces trois points. La commune conteste également l’évaluation des préjudices faite par les premiers juges.
I/ 2.1 Concernant l’engagement de la responsabilité de la société Hadès
Concernant en premier lieu l’engagement de la responsabilité contractuelle de la société Hadès, l’appel principal de la commune nous semble fondé.
La faute commise par la société Hadès nous paraît solidement établie par le rapport d’expertise. En effet, l’expert a relevé à la page 53 de son rapport que la société Hadès avait procédé à un affouillement le long des murs mitoyens, opérations qui ont entraîné une déstabilisation des fondations.
L’expert a ensuite relevé à la page 68 du rapport que les travaux de décroutage entrepris par la société Hadès sur les bâtiments du 47 et du 49 de la rue Droite et du 1, 3, 5 et 7 de la rue Nègre avaient entraîné une fragilisation de l’édifice, et que ces opérations étaient au nombre des activités à l’origine des vibrations qui ont provoqué l’effondrement.
La société Hadès a fait valoir en première instance qu’il s’était écoulé huit mois entre la fin de son intervention et la date de l’effondrement, le 7 novembre 2015. Toutefois, l’expert a expressément mentionné dans son rapport les raisons pour lesquelles les opérations de fouille et de décroûtage avaient contribué à la fragilisation des édifices, compte tenu de l’ancienneté du bâti (p. 51 du rapport). Ces analyses ne sont pas utilement contredites par la société Hadès.
Les opérations du marché de fouille archéologies n’ont donc pas été réalisées dans les règles de l’art et la faute de la société Hadès est établie. Cette faute est de nature à engager la responsabilité contractuelle de la société. La commune est donc fondée à contester le jugement sur ce point.
I/ 2.2 Concernant l’engagement de la responsabilité de la société Apave
Les fautes contractuelles commise par la société Apave, contrôleur technique, nous semblent également solidement établies par le rapport d’expertise. Voyez le point 7.4.1 de l’expertise à la page 70 du rapport.
Aux termes de l’acte d’engagement du 16 mars 2012, la société Apave était en charge d’une mission « AV » ayant pour objet la stabilité des avoisinants, et d’une mission « LE » relative à la solidité des existants. La société Apave met en avant le fait qu’elle a produit en 2014 plusieurs avis suspendus relatifs à la solidité et au confortement en phase travaux et qu’il y avait un diagnostic prévu par les stipulations du marché de maîtrise d’œuvre. Elle fait valoir qu’elle a recommandé un diagnostic de charges dans le rapport de visite no 12 en date du 3 septembre 2014. Mais ses missions contractuelles, comme l’a relevé l’expert, lui imposaient de signaler la nécessité d’un diagnostic des bâtiments existants dès le stade de son rapport initial. L’absence de recommandation initiale est fautive.
L’expert a également relevé que la société Apave avait alerté de façon insuffisante le maître de l’ouvrage sur la destruction des planchers, alors que les risques que cela faisait peser sur la solidité des ouvrages étaient manifestes.
L’expert a par ailleurs relevé à la page p. 84 du rapport que la société Apave aurait dû dès le départ signaler au maître de l’ouvrage les remarques de la société Veritas SPS concernant les vibrations des engins de chantier relevées dès le 26 juin 2015, réitérés plusieurs fois entre juillet et septembre 2015. L’intervention de la société Apave, qui ne s’est rendue sur les lieux que le 28 septembre 2015 et n’a fourni de recommandations qu’à la suite de cette visite, était donc tardive. Par son inaction, la société Apave a donc manqué à ses obligations de contrôle et contribué à la survenance de l’effondrement.
La commune est donc fondée à soutenir que la société Apave a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité contractuelle.
I/ 2.3 Sur la responsabilité du mandataire du groupement de maîtrise d’œuvre
Au titre de l’appel incident, la société Beaudouin‑Husson Architectes ne conteste pas utilement les constations expertales permettant d’établir sa faute, à savoir le défaut de direction des travaux et de surveillance, l’insuffisance du suivi des travaux, l’insuffisance des études de diagnostic compte tenu de l’ancienneté des bâtiments, les erreurs dans la description des ouvrages dans les lots, et l’absence de mise en place d’appareillage de mesure de signaux vibratoires et de contrôle des déformations. Voyez le rapport d’expertise p. 69. En appel, l’essentiel de son argumentation porte sur la faute exonératoire de la commune, sur laquelle nous reviendrons.
I/ 2.4 Sur la responsabilité du titulaire du lot (Fayat Bâtiments)
Au titre de l’appel incident, la société Fayat conteste quant à elle la régularité de l’expertise. Elle fait valoir que l’expert n’a pas convoqué une partie en cause, mais elle n’indique pas laquelle. Son moyen n’est donc pas assorti des précisions utiles permettant d’en apprécier la portée.
Elle fait valoir en second lieu que l’expert n’a pas répondu à tous les dires et à toutes les objections techniques qui lui ont été adressées. Toutefois, l’expert a consigné l’ensemble des dires, comme le prévoient les dispositions de l’article R.621‑7 du code de justice administrative. Les opérations d’expertise n’ont donc pas eu un caractère irrégulier et le moyen sera écarté.
Par ailleurs, la société Fayat ne conteste pas sérieusement les fautes retenues par les premiers juges pour fonder sa responsabilité contractuelle, notamment les manquements dans la réalisation des études d’exécution. Ces fautes sont établies au regard des constatations issues du rapport d’expertise. Voyez notamment le point 7.5, page 71 et suivantes du rapport1.
I/ 2.5 Sur la demande de condamnation in solidum
Le tribunal administratif de Nice a étrangement rejeté la demande de condamnation in solidum présentée par la commune de Grasse en première instance. La contestation du jugement sur ce point est un peu ambigüe, la commune de Grasse semblant reconnaître dans ses écritures l’absence de fondement de sa demande. Mais ensuite, dans ses conclusions finales, elle précise qu’elle sollicite la condamnation des intervenants « selon le pourcentage de responsabilité que la cour établira, voire in solidum ». Vous devrez donc considérer qu’elle maintient sa demande de condamnation in solidum et qu’elle conteste le jugement sur ce point.
Les premiers juges ont fait valoir au point 40 du jugement que les fautes contractuelles des participants n’avaient pas concouru également au même dommage. Mais la condamnation in solidum n’est pas conditionnée à l’équivalence des causes. La demande est fondée dès lors que les personnes mises en cause ont contribué à la réalisation de la totalité du dommage.
Voyez sur ce point les décisions CE, Section, 8 novembre 1968, Compagnie d’assurances générales contre l’incendie et les explosions no 66378 et CE, Société Valode et Pistre et autres, 27 juin 2018, nos 409608, 409657 et 4096832.
En l’espèce, le dommage est l’effondrement de l’immeuble et il ressort clairement du rapport de l’expertise que toutes les entreprises mises en cause ont contribué à l’entier dommage. La condamnation solidaire traduit le fait matériel que chacune des parties est responsable de la totalité du dommage.
Vous pourrez donc considérer que la commune est fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande de condamnation in solidum et faire droit à cette demande.
I/ 3. Sur la faute exonératoire du maître de l’ouvrage (point 34 du jugement)
Au point 34 du jugement, au titre de la faute exonératoire du maître de l’ouvrage, le tribunal administratif de Nice a retenu la vétusté des deux bâtis de la rue Droite, l’absence de possibilité pour le maître d’œuvre, la société Fayat et ses sous-traitants de procéder à une visite complète des lieux lors de la phase d’études et en troisième lieu l’absence de prise de décision du maître de l’ouvrage au vue des comptes‑rendus de chantier et des rapports du contrôleur technique faisant état des problèmes de fragilité. Le tribunal administratif de Marseille a retenu à ce titre une part de responsabilité du maître de l’ouvrage à hauteur de 15 % du montant des préjudices.
Au titre de l’appel principal, la commune de Grasse conteste l’existence d’une faute exonératoire. Au titre de l’appel incident, la société Beaudouin‑Husson Architectes, maître d’œuvre, et la société Fayat, titulaire du lot, demandent à ce que le taux de responsabilité au titre de la faute exonératoire du maître de l’ouvrage soit majoré.
La commune de Grasse nous semble fondée à contester la première faute retenue par le tribunal administratif de Nice. L’objet du marché était la réhabilitation des lieux, et l’état de vétusté des bâtiments ne saurait être retenu comme une faute du maître de l’ouvrage. Il en va de même de la décision de ne pas détruire les bâtiments existants, solution technique d’ailleurs recommandée par l’architecte des Bâtiments de France. Il appartenait aux constructeurs de proposer des solutions permettant de répondre à cette demande du maître de l’ouvrage. Enfin, il ne peut être reproché à la commune un défaut d’entretien de ces bâtiments anciens.
La commune de Grasse nous semble également fondée à contester la deuxième faute retenue par le tribunal administratif de Nice. En effet, rien ne permet d’établir que l’impossibilité initiale de visiter les lieux serait à l’origine du sinistre. Il résulte en outre des éléments du dossier que les lieux qui n’ont pas pu être vus dans un premier temps ont ensuite été libérés, sans que le maître d’œuvre ou l’entreprise ne sollicitent leur visite. Le maître de l’ouvrage ne s’est jamais opposé à une telle visite et sa faute n’est pas établie.
En revanche, concernant l’absence de prise de décision du maître de l’ouvrage, qui était destinataire des alertes et des rapports sur la solidité de l’ouvrage et les risques d’effondrement, la faute est établie. L’expert, à la page 84 de son rapport (point 5.7) a retenu un « défaut de réaction du maître de l’ouvrage à la réception des comptes-rendus de l’Apave ». La société Fayat bâtiment soutient également à juste titre qu’au vu de ces avis et des comptes‑rendus de chantier, le maître de l’ouvrage a commis une faute en n’exigeant pas du maître d’œuvre une révision du projet.
Les autres fautes invoquées par la société Beaudouin‑Husson Architectes et la société Fayat ne sont pas établies. Le moyen tiré du défaut de réaction aux alertes du bureau d’études sols ERG sur la fragilisation par les fouilles archéologiques manque en fait, dès lors qu’un étaiement a été mis en place. Le défaut d’achèvement des travaux de réseaux d’eau pluviales, dont la commune était maître de l’ouvrage, est sans lien direct avec les dommages. Il n’est pas non plus établi que le maître de l’ouvrage aurait commis une faute dans la définition de la nature et de l’étendue de ses besoins.
Par ailleurs, la société Fayat Bâtiment et la société Beaudouin‑Husson Architectes ne sont pas fondées à soutenir que le maître de l’ouvrage aurait commis une faute en n’ordonnant pas la réalisation des travaux supplémentaires de confortement. Les devis transmis le 23 octobre 2015 par le maître d’œuvre pour procéder à de tels travaux ont été établis tardivement et aucune négligence fautive de la commune n’est établie.
Il résulte de ce qui précède que la seule faute exonératoire commise par le maître de l’ouvrage nous semble être son absence de prise de décision au vu des alertes relatives à la solidité de l’ouvrage et aux risques d’effondrement. Cette faute est rattachable à l’exercice de ses pouvoirs de contrôle dans la direction du marché. Nous vous proposons de retenir, comme l’a fait m’expert, une part de responsabilité de l’ordre de 6 % des dommages.
La commune de Grasse est donc fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nice a retenu une faute exonératoire de responsabilité à hauteur de 15 % du montant du préjudice, au lieu de la part de responsabilité de 6 % proposée par l’expert.
I/ 4. Sur la force majeure
La commune de Grasse conteste ensuite l’exonération de 5 %, prononcée au point 37 du jugement attaqué au titre des inondations survenues dans les deux semaines précédant le sinistre et de l’état de vétusté des bâtiments.
L’expert n’a identifié aucune cause d’effondrement extérieure aux parties. Il a explicitement exclu l’influence du séisme survenu à Barcelonnette en novembre 2015 et n’a pas mentionné les inondations au titre des causes de l’effondrement, alors même que cette hypothèse lui avait été soumise. Le rôle joué par les inondations dans la survenance du sinistre n’est donc pas établi. En tout état de cause, il n’est pas démontré que ces inondations seraient survenues de manière imprévisible et que leurs effets auraient été irrésistibles. L’exonération de responsabilité au titre de la force majeure doit donc être écartée.
La commune de Grasse est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nice a retenu une cause exonératoire de responsabilité de 5 %.
I/ 5. Sur l’évaluation du préjudice
En première instance, dans le dernier état de ses écritures, la commune a sollicité le versement d’une somme de 6 199 973,30 euros, augmentée des frais financiers de 327 868,50 euros TTC. Elle conteste en appel le quantum retenu par les premiers juges.
I/ 5.1 Frais de remise en état (6 199 973,30 euros)
Concernant les frais de remise en état, la commune de Grasse sollicite le versement d’une somme de 6 199 973,30 euros, nettement supérieure à l’évaluation de 3 597 752,74 euros TTC faite par l’expert. Vous noterez que le montant du préjudice doit bien être calculé TTC, puisqu’il correspond à des travaux ou des prestations pour lesquels la commune doit acquitter la TVA.
Le chiffrage de l’expert comprenait le coût des études nécessaires à la préparation de la reprise des travaux, évalué à 400 238,51 euros TTC, le coût des travaux nécessaires au confortement et à la reprise des travaux, à hauteur de 3 597 752,74 euros TTC, et le coût de la reconstruction des immeubles situés aux 47 et 49 rue Droite, estimé à 977 827,29 euros après prise en compte d’un abattement de vétusté de 30 %.
La commune de Grasse fait valoir que le montant réel des travaux dépasse cette évaluation. Elle soutient plus particulièrement, sans être utilement contredite sur ce point, que la réhabilitation de l’immeuble effondré l’a contrainte à engager des frais supplémentaires au titre de l’obligation de mise aux normes parasismiques, mise aux normes non requise dans l’état antérieur du projet.
Le tableau produit au dossier par la commune de Grasse pour justifier sa demande fait état des écarts entre l’évaluation initiale de l’expert et les dépenses réellement engagées pour la remise en état. Ce tableau comporte des références précises à des avenants, des notes d’honoraires, et des factures, qui sont produites au dossier.
Les parties adverses font toutefois valoir que certaines prestations dont la commune réclame le paiement ne sont pas la conséquence du sinistre, ou qu’elles correspondent à des dépenses qui auraient en tout état de cause été engagées pour l’exécution des travaux prévus dans le cadre du projet initial.
Il est impossible, en l’état de l’instruction, de vérifier le bienfondé du quantum réclamé par la commune de Grasse. Il y a donc lieu selon nous de prescrire une expertise complémentaire pour évaluer, au regard des travaux de reprise effectivement réalisés par la commune, les coûts qu’elle a effectivement supportés en lien direct avec le sinistre.
I/ 5.2 Frais financiers (327 868,50 euros)
La commune sollicite l’indemnisation de ses frais financiers à hauteur de 327 868,50 euros toutes taxes comprises.
Vous rejetterez cette demande, la commune ne justifiant pas de la réalité de l’emprunt auquel se rattacherait les intérêts qu’elle expose. Par ailleurs, à supposer qu’un tel emprunt ait bien été souscrit pour financier les travaux de remise en état, les intérêts légaux qui peuvent être versés au maître de l’ouvrage à raison de la condamnation prononcée sont réputés couvrir le coût des emprunts éventuels contractés pour réaliser les travaux.
II/ Sur les appels en garantie
Les parties intimées présentent des conclusions d’appels en garantie, pour la plupart croisées.
La répartition de la charge finale de la condamnation entre ces sociétés à raison de leur fautes respectives doit être calculée après prise en compte de la part de 6 % laissée à la charge de la commune. Les parts de responsabilité établies par le rapport d’expertise ne nous semblent pas utilement contestées. Elles portent toutefois sur le montant global du préjudice et devront donc être recalculées après extraction de la part de 6 % laissée à la charge du maître de l’ouvrage au titre de la faute exonératoire.
II/ 1 Sur les appels en garantie de la société Apave
La société Apave a demandé en première instance à être couverte en garantie des condamnations qui pourrait être prononcées à son encontre par dix autres intervenants. Elle a repris, à l’appui de son argumentation, les conclusions du rapport d’expertise.
Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire d’un marché de travaux peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à l’opération de construction, lorsqu’il n’est lié à eux par aucun contrat, notamment le sous‑traitant d’un autre constructeur (CE, 24 juillet 1981, Société générale d’entreprise, no 13519 ; CE, 26 mai 1982, Ville de Chamonix, no 16488, CE, 11 octobre 2021, Société coopérative métropolitaine d’entreprise générale, no 438872).
La juridiction administrative est compétente pour connaître d’un tel litige (TC, 24 novembre 1997, Société de Castro no 03060 et TC, 2 juin 2018, Souscripteurs des Lloyds de Londres c/ commune de Dainville, no 3621). Vous écarterez donc l’exception d’incompétence soulevée par la société Sogefon à l’encontre de l’appel en garantie dirigé contre elle par la société Apave.
Par ailleurs, la responsabilité des personnes appelées en garantie ne peut être engagée qu’à hauteur de leurs fautes propres respectives. La société Apave n’est donc pas fondée à solliciter la condamnation in solidum de l’ensemble des dix sociétés qu’elle appelle en garantie.
L’expert a proposé le partage de responsabilité suivant : outre les 6 % laissés à la charge de la commune de Grasse au titre de la faute exonératoire, l’expert a conclu à un taux de responsabilité de 20 % pour la société Fayat (titulaire du lot n°1), 35 % pour la SARL CBC, sous-traitante de la société Fayat, 5 % pour la société Sogefon, également sous-traitante de la société Fayat, 10 % pour la société Beaudouin-Husson Architectes (architecte maître d’œuvre), 5 % pour la société C & E Ingénierie Bureau d’études structures (groupement de maîtrise d’œuvre), 5 % pour la société Touzanne & Associés (groupement de maîtrise d’œuvre), 10 % pour la société Apave Infrastructures et Construction France (contrôleur technique) et 4 % pour la société Hadès (marché de fouilles).
Concernant les fautes respectives des dix sociétés mises en cause par la société Apave, les constatations du rapport d’expertise ne sont pas utilement contestées par les parties mises en cause. Nous avons déjà abordées les fautes de la société Beaudouin‑Husson Architectes et de la société Fayat.
Les fautes des autres membres du groupement de maîtrise d’œuvre, la société C & E Ingénierie Bureau d’études structure et société Touzanne & Associés sont également établies par le rapport d’expertise. Pour la société Touzanne & Associés, l’expert a relevé l’insuffisance du cahier des clauses techniques particulières du lot no 1. La société C & E Ingénierie Bureau d’études structure, en charge des études de structure, a commis une faute de ne réalisant pas un diagnostic suffisant des lieux. Compte tenu de ces fautes, il y a lieu de retenir les taux de responsabilité fixés par l’expert.
Concernant les sous-traitants de la société Fayat, les sociétés CBC en charge des opérations de terrassement et de démolition et Sogefon, qui a effectué les travaux de fondation spéciales, les fautes résultant de leur rôle dans la déstabilisation des édifices par le phénomène de vibrations est établi par le rapport d’expertise (p. 68 et 83 du rapport). Il y a lieu de retenir les taux de responsabilité fixés par l’expert à hauteur de 35 % pour CBC et 5 % pour Sogefon.
Au regard de la faute commis par la société Hadès, nous vous proposons également de retenir le taux de 4 % fixé par l’expert.
Il en résulte que la société Apave est fondée à demander être couverte en garantie par les 10 sociétés mentionnées pour les sommes qui pourraient lui être réclamées, à raison des parts de responsabilité fixées par le rapport d’expertise et qui viennent d’être mentionnées.
II/ 2 Sur les conclusions d’appel en garantie de la société Fayat
Pour les motifs invoqués précédemment, la société Fayat Bâtiment n’est pas fondée à solliciter la condamnation in solidum de l’ensemble des sociétés qu’elle appelle en garantie.
Au regard des éléments établis notamment par le rapport d’expertise, la société Fayat Bâtiment devra être relevée et garantie des condamnations mises à sa charge en principal, accessoires et frais par la société Beaudouin‑Husson Architectes, par la société Apave et par la société Hadès, responsables respectivement de 10 %, 10 % et 4 % du montant du préjudice, à raison de ces parts de responsabilité.
II/ 2.1 Sur les conclusions d’appel en garantie de la société Beaudouin‑Husson Architectes
Dans ses conclusions principales présentées dans l’instance no 23MA01267, la société Beaudouin‑Husson Architectes demande à être couverte en garantie par la société Hadès, responsable de 4 % du sinistre, par la société Apave responsable pour 10 %, et par la société Touzanne et associés et par la société Fayat Bâtiment responsable selon elle à hauteur de 80 % des dommages.
Au regard des éléments du rapport d’expertise, la société Beaudouin‑Husson Architectes est seulement fondée à demander à être couverte en garantie des condamnations mises à sa charge par les sociétés Hadès, Apave et Fayat Bâtiment, responsables respectivement de 4 %, de 10 % et 20 % du montant des dommages, à raison de cette répartition.
Les conclusions d’appel en garantie dirigées contre un autre membre du groupement de maîtrise d’œuvre relèvent de votre compétence, dès lors que le contrat de droit privé répartissant les tâches entre les membres du groupement ne pose pas de difficulté (TC, 9 février 2015, Société Ace European Group Limited c/ M. Targe et autres, no 3983). En l’espèce, vous n’avez pas d’information sur cette convention de répartition, mais vous pourrez toutefois considérer que la réparation des tâches était claire, puisque la société Touzanne & Associés était chargée d’établir le cahier des clauses techniques particulières du lot no 1. La faute commise par cette société est établie par le rapport d’expertise, et la société Beaudouin-Husson Architectes est fondée à l’appeler en garantie pour la couvrir des sommes qui pourraient lui être réclamées, à raison d’un taux de responsabilité de 5 %.
II/ 2.2 Sur l’appel en garantie de la société Sogefon
La société Sogefon avait présenté en première instance des conclusions d’appel en garantie. Mais elle n’a pas été condamnée à indemniser la commune et elle n’a été condamnée que dans la mesure des fautes qu’elle a elle-même commise. Elle n’est donc pas fondée à appeler en garantie d’autres parties pour ses fautes propres.
Par ces motifs, nous concluons :
Au rejet de la demande d’intervention de la société SMA SA.
Au rejet des conclusions d’appel de la commune de Grasse relatives à l’indemnisation de ses frais financiers.
À ce que les sociétés Fayat Bâtiment, Beaudouin-Husson Architectes, Hadès et Apave Infrastructures et Construction soient déclarées responsables in solidum du préjudice correspondant aux frais de remise en état supportés par la commune de Grasse en conséquence du sinistre intervenu le 7 novembre 2015.
À ce que la responsabilité dans la survenance de ce dommage soit répartie, dans la limite des appels en garantie des différentes parties, entre les sociétés Fayat Bâtiment, CBC, Sogefon, Beaudouin-Husson Architecte, C&E Ingénierie Bureau d’études structures, Touzanne & Associés, Apave Infrastructures et Construction et Hadès à hauteur, respectivement, de 20 %, 35 %, 5 %, 10 %, 5 %, 5 %, 10 % et 4 % du montant des dommages, 6 % du montant des dommages restant la charge de la commune de Grasse.
Au rejet du surplus des conclusions d’appel en garantie présentées par les parties.
À ce qu’il soit ordonné avant dire droit une expertise complémentaire en vue d’évaluer le montant du préjudice effectivement subi par la commune de Grasse.