Le contrat de vente d’une parcelle grevée d’une servitude de passage de réseaux en tréfonds peut prévoir qu’en cas de dommage du fait du propriétaire du fonds servant, les frais de réparation incomberont à ce dernier

DOI : 10.35562/bacage.237

Décision de justice

CA Grenoble, 2e ch. civ. – N° RG 10/04454 – 15 mars 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 10/04454

Date de la décision : 15 mars 2022

Résumé

Solution - Le bénéficiaire d’un droit de passage est fondé à se prévaloir d’une desserte complète de son fonds, ce qui inclut, en plus du passage en surface, les réseaux nécessaires dans le tréfonds. S’il est de principe que les travaux requis par l’exercice de la servitude sont à la charge du maître de cette servitude – soit le propriétaire du fonds dominant – une clause contraire peut prévoir qu’en cas de dommage causé aux canalisations souterraines à l’occasion de travaux de construction menés par le propriétaire du fonds servant, c’est ce dernier qui sera tenu d’assumer les frais de réparation.

Index

Mots-clés

servitude de passage

Rubriques

Droit des biens

En matière de servitude de passage en cas d’enclave, l’article 682 du Code civil prévoit que « Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante (…) est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner ». Les termes « sur les fonds de ses voisins » font aujourd’hui l’objet d’une interprétation jurisprudentielle élargie. L’idée selon laquelle le passage ne peut s’exercer sur la surface du fonds voisin a vécu et il est désormais admis que le droit de passage accordé au propriétaire enclavé aux termes de l’article 682, ne vise pas seulement la surface du sol, mais peut également comprendre le dessous afin d’assurer les communications nécessaires à l’utilisation normale du fonds enclavé1. Une telle interprétation de l’article 682 conduit, en particulier, à considérer que l’assiette d’une servitude de passage pour cas d’enclave peut être utilisée pour la pose des canalisations nécessaires à la satisfaction des besoins d’une construction édifiée sur une propriété enclavée2. En effet, le bénéficiaire d’un droit de passage est fondé à se prévaloir d’une desserte complète de son fonds, ce qui inclut, en plus du passage en surface, les réseaux nécessaires dans le tréfonds. Une difficulté peut néanmoins survenir lorsque les canalisations souterraines sont endommagées à l’occasion de travaux de construction menés par le propriétaire du fonds servant. Si, dans une telle situation, les fonds dominant et servant ont été cédés presque concomitamment par un même vendeur, et que l’acquéreur du fonds dominant demande la remise en état des canalisations au propriétaire du fonds servant, celui-ci peut-il se retourner contre ledit vendeur ? C’est précisément la question posée dans un arrêt rendu le 15 mars 2022 par la Cour d’appel de Grenoble.

Dans les faits, une SARL a cédé à un couple une maison d’habitation avec terrain. Peu après, la même SARL a vendu une parcelle voisine à une autre personne. Le deuxième acte de vente conclu renvoyait à une note concernant les servitudes créées lors de la première vente. Il était notamment mentionné une servitude de passage de réseau en tréfonds et un puits perdu, tous deux au profit de la parcelle premièrement cédée. Puis, l’acquéreur de la deuxième parcelle a mené des travaux de construction d’une maison d’habitation. À cette occasion, il a endommagé les canalisations et le puits perdu profitant au fonds dominant. Le propriétaire de celui-ci a alors assigné l’acquéreur de la deuxième parcelle en remise en état pour réinstaurer l’évacuation des eaux et l’exercice de la servitude.

Dans sa décision, le juge constate d’abord qu’il est expressément stipulé dans le deuxième contrat de vente l’existence d’une servitude conventionnelle de passage de réseaux en tréfonds au profit de la première parcelle cédée. De plus, il est convenu que « le propriétaire du fonds dominant fera entretenir cette servitude à ses frais et qu’en cas de détérioration des canalisations ou des gaines du fait du propriétaire du fonds servant, ce dernier devra en faire effectuer les réparations à ses frais ». Une telle stipulation n’est aucunement illicite. En effet, les articles 697 et 698 du Code civil énoncent respectivement que « Celui auquel est due une servitude a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver » et que « Ces ouvrages sont à ses frais, et non à ceux du propriétaire du fonds assujetti, à moins que le titre d’établissement de la servitude ne dise le contraire ». Il en résulte qu’à moins d’une clause contraire, les travaux requis par l’exercice de la servitude sont à la charge du maître de cette servitude, soit le propriétaire du fonds dominant. C’est là une conséquence directe du principe suivant lequel le propriétaire du fonds asservi n’a qu’une obligation passive de laisser jouir le propriétaire du fonds dominant qui doit, de son côté, prendre l’initiative de la réalisation des travaux éventuellement nécessités par l’usage normal de la servitude. Mais en l’espèce, la stipulation contractuelle complète le droit positif en ajoutant une précision : si la servitude de passage de réseaux en tréfonds est détériorée du fait du propriétaire du fonds servant, alors c’est à celui-ci qu’incombe la charge de la remise en état. Or cet aménagement de la relation de voisinage spécialement prévu dans le contrat de vente de la parcelle constituant le fonds servant n’a pas pu échapper à l’acquéreur. Au demeurant, le juge insiste sur le fait que les propriétaires du fonds dominant et ceux du fonds servant ont contracté avec la SARL en connaissance de cause : l’information relative à l’existence de la servitude de passage de réseaux en tréfonds a bien été délivrée lors de la conclusion des contrats.

Il est sûr que l’inverse eût été potentiellement préjudiciable. L’article 1638 du Code civil dispose que, « Si l’héritage vendu se trouve grevé, sans qu’il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu’elles soient de telle importance qu’il y ait lieu de présumer que l’acquéreur n’aurait pas acheté s’il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n’aime se contenter d’une indemnité », ce qui ouvre le cas échéant à l’acquéreur du fonds servant la possibilité d’exercer une action pour remettre en cause l’acte de vente. Mais ce moyen n’a pas été soulevé en l’espèce, et la SARL, en sa qualité de lotisseur, a fait exécuter les divers ouvrages liés au programme de lotissement envisagé, avant d’obtenir une autorisation de lotir, ce qui a in fine permis à l’acquéreur du fonds servant d’entreprendre les travaux à l’origine de l’endommagement de la servitude.

Suite à cet incident et dans une finalité consensuelle, la SARL a proposé aux acquéreurs de la première parcelle de réaliser un puits perdu commun aux deux parcelles à ses frais, de façon à garantir le bon exercice de la servitude de passage de réseaux en tréfonds. Selon le juge, la SARL s’est par-là même « engagée, dans ce contexte précis, à assumer et prendre en charge les travaux de réalisation du puits perdu », s’obligeant conséquemment à respecter « un engagement unilatéral de volonté au sens de l’article 1100-1 du Code civil ». Pour rappel, depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février de réforme du droit des contrats et la loi n° 2018-287 de ratification du 20 avril 2018, l’article 1100-1 énonce que « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit » susceptibles d’« être conventionnels ou unilatéraux ». En première approche, la référence à l’article 1100-1 est ambigüe puisque l’engagement unilatéral paraît évoqué à l’article 1100 alinéa 2 du Code civil, duquel il résulte que les obligations « peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui ». Mais le rapport au Président de la République sur l’ordonnance du 10 février 2016 énonce que l’article 1100-1, « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci ». De sorte que l’engagement unilatéral de volonté se conçoit tel « l’acte unilatéral ayant la spécificité de créer des obligations à la charge du déclarant »3. En cela, il pose la délicate question de savoir si une personne peut créer à sa charge une obligation à l’égard d’un tiers, sans manifestation du consentement de ce dernier.

En toute hypothèse, le juge estime ensuite que le contexte de formation de cet engagement unilatéral de volonté a évolué : les acquéreurs du fonds dominant ont assigné ceux du fonds servant en remise en état des canalisations et du puits perdu. La procédure judiciaire s’est clôturée par la conclusion d’un protocole transactionnel aux termes duquel le propriétaire du fonds servant s’est engagé, au profit du propriétaire du fonds dominant, à faire réaliser à ses frais les travaux de création d’un nouveau puits avec curage des canalisations. Toutefois, le propriétaire du fonds servant dernier a finalement décidé de se retourner contre la SARL venderesse aux fins d’obtenir le remboursement des sommes dépensées. Or pour le juge, la transaction a emporté une évolution contextuelle de nature à empêcher le propriétaire du fonds servant de pouvoir opposer à la SARL l’inexécution de son engagement unilatéral de volonté. En outre, le juge considère que la SARL n’a pas manqué aux obligations lui incombant en qualité de lotisseur et de vendeur d’immeuble. Enfin, dans la mesure où le second contrat de vente comporte une clause prévoyant expressément qu’il incombe au propriétaire du fonds servant « d’assumer la charge des dommages survenus aux canalisations et gaines » lorsqu’ils découlent de son fait, c’est bien ce dernier qui doit répondre des travaux de remise en état. Un paradoxe tend à se faire jour dans la constatation de l’existence d’un engagement unilatéral de volonté suivie de la récusation immédiate de toute opposabilité à raison de l’évolution du contexte dans lequel cet engagement a été émis. En effet, au point de vue de son régime juridique, il est avancé en doctrine que les engagements unilatéraux de volonté à durée indéterminée « peuvent être révoqués unilatéralement sous réserve, comme en matière de contrats, de respecter un certain préavis dont la durée dépend des circonstances et, en tout état de cause, d’en informer les bénéficiaires »4. Une telle analyse corrobore l’article 1100-1 alinéa 2 du Code civil, qui prévoit que les actes unilatéraux « obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats ». Cela signifie qu’en l’absence de révocation avec préavis et de délivrance préalable de l’information correspondante, un engagement unilatéral de volonté ne saurait perdre sa force obligatoire. Partant, l’évolution du contexte tirée de la conclusion du protocole transactionnel entre les propriétaires des fonds dominant et servant, peut paraître bien vulnérable pour en déduire l’inopposabilité d’un tel engagement.

Conseil - Il découle de l’article 698 du Code civil que l’entretien et la réparation d’une servitude de passage de réseaux en tréfonds incombent par principe au propriétaire du fonds dominant. Toutefois, une stipulation du contrat de vente de l’immeuble grevé de cette servitude peut prévoir qu’en cas de détérioration du fait du propriétaire du fonds servant, c’est ce dernier qui devra assumer à ses frais les réparations.

Notes

1 En ce sens, v. Cass. civ., 22 nov. 1937, Bull. civ., n° 218. Retour au texte

2 Cass. civ. 3e, 14 déc. 1977, n° 76-11.254, Bull. civ. III, n° 451. Retour au texte

3 G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, Dalloz, 2e éd., 2018, n° 66, p. 65. Retour au texte

4 M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. 1 – Contrat et engagement unilatéral, PUF, coll. Thémis, 6e éd., 2021, n° 1126, p. 884. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Louis Fériel, « Le contrat de vente d’une parcelle grevée d’une servitude de passage de réseaux en tréfonds peut prévoir qu’en cas de dommage du fait du propriétaire du fonds servant, les frais de réparation incomberont à ce dernier », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 24 octobre 2023, consulté le 24 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=237

Auteur

Louis Fériel

Docteur en droit privé, enseignant-chercheur contractuel, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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