La servitude de passage en cas d’enclave est une servitude légale d’utilité privée dont la finalité est d’organiser l’accès à la voie publique du fonds concerné. Le droit de passage du propriétaire du fonds dominant enclavé est protégé par l’article 682 du Code civil, qui énonce que « Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante (…) est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner ». Le droit de passage constitue alors une charge pour le fonds servant, et doit être réduit à son expression la plus simple pour limiter l’atteinte portée au droit de propriété du fonds voisin. De plus, il s’analyse simultanément comme un moyen de libération juridique du fonds dominant, qui échappe ainsi au désavantage de l’enclavement résultant de la configuration matérielle des lieux. Le droit de passage naît automatiquement de cette configuration matérielle et son exercice rend donc compte de l’équilibre à déterminer et à maintenir entre les prérogatives respectives des propriétaires des fonds dominant et servant. Au demeurant, comme le note la doctrine, « Le droit de passage soulève de nombreuses difficultés parce qu’il met en conflit deux intérêts contradictoires, celui du propriétaire du fonds enclavé, qui entend avoir une utilisation normale de son bien, et celui du fonds sur lequel se fait le passage qui ne veut pas subir d’empiètement à ses prérogatives »1. Du côté du fonds servant, il en découle que le propriétaire doit faire disparaître toute entrave empêchant le passage. Il doit respecter l’existence de la servitude légale et ne peut se retrancher derrière le droit de clôture pour annihiler le désenclavement qu’elle assure. C’est ce qu’exprime très clairement un arrêt rendu le 4 janvier 2022 par la Cour d’appel de Grenoble.
En l’espèce, un couple avait été condamné sous astreinte par un jugement de première instance du 14 décembre 2017, confirmé en appel, à faire disparaître toute entrave empêchant l’exercice d’une servitude de passage au profit du fonds voisin. Suite à cette condamnation, les propriétaires du fonds dominant ont assigné les propriétaires du fonds servant en raison de l’inexécution par ces derniers de leur obligation de respecter l’existence de cette servitude de passage. Ils ont demandé au juge de l’exécution la liquidation de l’astreinte précédemment prononcée. Le juge a liquidé l’astreinte, ce que les propriétaires du fonds servant ont ensuite contesté en faisant valoir qu’ils avaient laissé le passage litigieux libre, sans donc qu’il puisse en résulter une méconnaissance de la servitude de passage.
Dans la décision sous commentaire. Le juge rappelle en premier lieu l’obligation des propriétaires du fonds servant de « faire disparaître toute entrave, à démolir la barrière et à dégager tout objet empêchant l’exercice de la servitude de passage », résultant du jugement de condamnation de 2017. À cet égard, il est certain que le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer, compte tenu de l’état des lieux et des circonstances de la cause, si un fonds est ou non enclavé, si l’issue dont dispose un fonds sur la voie publique pour son exploitation est suffisante et si l’enclave est ou non le résultat d’opérations volontaires du propriétaire du fonds dominant2. Mais le raisonnement juridique s’est ici noué sur un autre aspect : l’existence d’un portail bloquant le passage et de l’encombrement de ce passage par divers objets. Selon le juge, parce qu’il est verrouillé de l’intérieur et qu’il ne peut s’ouvrir de l’extérieur, ce portail « constitue une entrave à l’exercice du passage dans le sens extérieur/intérieur ». Or si les propriétaires du fonds servant ont bien retiré la barrière qui était mentionnée dans le jugement de condamnation, ils ont cependant installé à la place ce portail. Autrement dit et comme le constate l’arrêt annoté, ils ont, « sous couvert du droit de se clore (…) remplacé une entrave par une autre, à savoir un portail ne pouvant être ouvert de l’extérieur ». Certes, il est de principe que le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage n’est tenu que d’observer une attitude purement passive : il a l’obligation de ne rien faire qui puisse y contrevenir, en diminuer l’usage ou la rendre plus incommode. Par ailleurs, cette obligation se donne à comprendre comme une charge réelle qui pèse sur le fonds servant et qui a vocation à le suivre dans ses mutations successives3. Là aussi, les juges du fond disposent de leur pouvoir souverain pour apprécier les circonstances modificatives de l’usage de la servitude de passage4. Au plan des sanctions, le manquement à cette obligation de passivité du propriétaire du fonds servant induit l’obligation de réparer le préjudice causé au propriétaire du fonds dominant. Bien sûr, les obstacles irrégulièrement portés à la libre circulation doivent être supprimés.
Simplement, il faut également mettre en compte que le propriétaire du fonds servant, débiteur du passage, conserve le droit d’y faire des travaux, même de clôture, dès lors que ceux-ci ne diminuent pas ni ne rendent plus incommode l’exercice du passage par son bénéficiaire5. L’article 647 du Code civil affirme après tout le droit de tout propriétaire foncier de clôturer son fonds, en énonçant que « Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682 ». De sorte qu’un propriétaire peut toujours user de son droit de se clore dans la mesure où la clôture envisagée ne préjudicie pas à l’exercice de la servitude. Partant, le juge vérifie que les caractéristiques de la clôture ne viennent pas concrètement neutraliser les droits du voisinage. Comme le relève B. Grimonprez, « Pratiquement, il faut que la clôture soit équipée d’une porte ou d’une barrière mobile que le titulaire du droit de passage doit pouvoir facilement franchir. Si la porte est verrouillée ou cadenassée, il convient de remettre un jeu de clés à celui qui doit passer »6. L’essentiel tient à ce que l’accès puisse être permanent. Au reste, il est jugé qu’un portail destiné à clore un fonds servant et dont les conditions d’ouverture ou d’accessibilité sont limitées, peut justement caractériser une entrave au bon exercice du droit de passage du fonds dominant7. Dans l’espèce sous commentaire, le conflit entre le droit de clôture et le droit des servitudes est résolu par la prévalence du second sur le premier : l’impossibilité d’ouvrir le portail de l’extérieur matérialise l’entrave au droit de passage et l’illicéité du comportement du propriétaire du fonds servant. Le maintien de l’entrave amène le juge à constater le manquement du propriétaire du fonds servant à son obligation de respecter la servitude de passage. Ce manquement étant suffisamment établi, la cour d’appel de Grenoble estime que c’est donc à bon droit que le premier juge a prononcé la liquidation de l’astreinte en tenant compte de l’exécution partielle que constitue l’enlèvement de la barrière. Finalement, le manquement justifie le prononcé d’une astreinte définitive de 80 euros par jour de retard.
Conseil - Le propriétaire d’un fonds servant grevé d’une servitude de passage en cas d’enclave a l’obligation de ne pas entraver l’accès du fonds dominant à la voie publique. L’installation d’un portail verrouillé de l’intérieur et qui ne peut s’ouvrir depuis l’extérieur constitue une telle entrave.