Financement de matériel photovoltaïque : le prêteur commet une faute dans le déblocage des fonds s’il ne s’assure pas préalablement de la bonne exécution du contrat de fourniture et d’installation

DOI : 10.35562/bacage.322

Décision de justice

CA Grenoble, 1re ch. civ. – N° RG 20/01658 – 22 mars 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 20/01658

Date de la décision : 22 mars 2022

Résumé

Solution – La Cour d’appel de Grenoble estime que le prêteur de deniers, qui a débloqué et versé au prestataire les fonds destinés à financer une centrale photovoltaïque, est fautif s’il ne s’est pas d’abord assuré de la bonne exécution du contrat de fourniture et d’installation, et notamment du raccordement effectif au réseau électrique. Le préjudice causé au consommateur-emprunteur prive alors l’établissement de crédit de sa créance de restitution du capital prêté.

Au cours des dernières années, le contentieux de l’exécution des contrats de fourniture et d’installation de matériel photovoltaïque et des contrats de crédit affectés a révélé l’existence de pratiques déloyales contre lesquelles le juge s’est efforcé de lutter, notamment au travers de l’engagement de la responsabilité de l’établissement de crédit. En particulier, lorsque celui-ci débloque le capital emprunté avant que l’installation photovoltaïque ne soit effectivement mise en bon état de fonctionnement et raccordée au réseau électrique, il peut en résulter un comportement fautif de sa part, dont l’appréciation relève alors du pouvoir souverain des juges du fond. L’arrêt sous commentaire, rendu par la Cour d’appel de Grenoble le 22 mars 2022, en fournit une illustration très nette.

Dans les faits, lors d’un démarchage à domicile, un couple de particuliers a conclu avec un représentant d’une société un contrat pour la fourniture et la pose d’une installation photovoltaïque. Comme c’est d’usage, un contrat de crédit affecté a été simultanément signé auprès d’une banque pour assurer le financement de l’opération. La configuration contractuelle concrétisait en ce sens un lien d’accessoire entre le contrat principal de pose des panneaux photovoltaïques et le contrat de crédit, les deux actes constituant une « opération commerciale unique » aux termes de l’article L. 311-1, 11, du Code de la consommation. La société a cependant, par la suite, été mise en liquidation judiciaire. Dans ce contexte, le couple a exercé une action contre l’établissement bancaire et le liquidateur judiciaire de la société défaillante en résolution des contrats de vente et de crédit. Le jugement de première instance a ensuite effectivement prononcé la résolution des contrats.

Dans son arrêt, la Cour d’appel de Grenoble rappelle d’abord que, si « la résolution d’un contrat de prêt emporte l’obligation pour l’emprunteur de rembourser au prêteur le capital prêté », il résulte toutefois des articles L. 312-48 et L. 312-55 du Code de la consommation, que « le prêteur qui a fautivement débloqué les fonds est privé de son droit à restitution du capital emprunté ». En effet, selon l’article L. 312-48, « Les obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de la livraison du bien ou de la fourniture de la prestation ». Et en vertu de l’article L. 312-55, le contrat principal « est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé ». Le juge en déduit que « Le prêteur ne peut débloquer les fonds que lorsque l’installation photovoltaïque est raccordée et mise en service ». Un déblocage anticipé peut corrélativement s’avérer fautif et la régularité du transfert des fonds en ressort étroitement conditionnée. Pour le dire autrement, l’organisme de crédit supporte un devoir de vigilance sur l’opération commerciale, qui lui impose de vérifier que les démarches indispensables à l’efficience du contrat principal ont été dûment accomplies et que la livraison effective du matériel comporte la pose des panneaux photovoltaïques ainsi que les démarches nécessaires au raccordement au réseau.

Ainsi, le prêteur de deniers commet une faute s’il débloque les fonds alors que la prestation relative à l’installation des panneaux photovoltaïques n’est pas complète et qu’elle n’a pas été exécutée conformément aux conditions portées sur l’offre préalable1. Cela signifie qu’il doit se montrer attentif au contenu et à l’exécution du contrat d’installation et de fourniture2. Dans la mesure où le contrat de prestation et le contrat de crédit forment une opération commerciale unique, le prêteur de deniers ne peut en effet décider de se préoccuper exclusivement du second. La bonne exécution du contrat principal importe tout autant, dans un objectif de protection du consommateur-emprunteur. Au résultat, l’établissement bancaire est pour ainsi dire tenu d’une « mission de police du marché du photovoltaïque »3, qui consiste concrètement à sélectionner des professionnels fiables dans le secteur des sources d’énergie renouvelable déployées chez les particuliers. Surtout, au plan de la sanction, la reconnaissance d’un comportement fautif du prêteur de deniers, accompagnée de la résolution des contrats de prestation et de crédit, conduit à priver ce prêteur de la créance de restitution du capital emprunté. Cette sanction procède de la réparation du préjudice tenant à ce que l’emprunteur se retrouve en situation de devoir payer le prix d’une installation non livrée et dysfonctionnelle, sans avoir la perspective de pouvoir se retourner utilement contre le fournisseur soudainement en déconfiture.

Dans l’affaire commentée, pour justifier le déblocage des fonds, l’établissement de crédit se contentait de mettre en avant un certificat de livraison aux termes duquel l’emprunteur indiquait que les travaux de livraison et fourniture de l’installation photovoltaïque avaient été « pleinement effectués conformément au contrat principal de vente ». Mais le juge estime que la simple livraison du matériel « ne vaut pas installation du dispositif photovoltaïque » et que le bon de commande mentionne que le vendeur-installateur s’est engagé à raccorder l’installation au réseau électrique. Dès lors, pour la cour d’appel, « la banque, en débloquant les fonds sans s’assurer que le vendeur-installateur avait rempli l’intégralité de ses obligations, étant relevé que la centrale photovoltaïque n’a jamais été raccordée, a commis une faute de nature à la priver du remboursement du capital emprunté ». L’installation photovoltaïque étant parfaitement inutile pour les consommateurs-emprunteurs, le juge en déduit que la banque, « qui s’est associée avec un partenaire peu fiable dans une objectif de profit », est bien fautive. C’est là une application classique de la jurisprudence désormais constante de la première chambre civile de la Cour de cassation. En effet, selon la juridiction suprême, si « La résolution ou l’annulation d’un contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat constatant la vente ou la prestation de services qu’il finance, emporte pour l’emprunteur l’obligation de restituer au prêteur le capital prêté », « le prêteur qui a versé les fonds sans s’être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de sa complète exécution, peut être privé en tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l’emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute »4. L’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble reprend cette solution jurisprudentielle et marque par-là même toute l’importance du devoir de vigilance et de vérification qui pèse sur le prêteur de deniers quant à la bonne exécution du contrat principal de fourniture et d’installation du matériel photovoltaïque.

Dans une série d’arrêts du 13 septembre 20225, les juges grenoblois ont encore confirmé ce devoir de vigilance du prêteur. À chaque fois, la faute de l’établissement bancaire a été retenue dans la mesure où il avait débloqué les fonds sans s’assurer préalablement que le vendeur-installateur avait rempli l’intégralité de ses obligations.

Conseil

L’établissement de crédit qui conclut un contrat de prêt destiné à financer une centrale photovoltaïque chez un particulier, doit être particulièrement vigilant à l’égard du bon accomplissement de sa mission par le prestataire. Il doit s’assurer de l’exécution complète du contrat principal avant de débloquer les fonds. En ce sens, le prêteur de deniers est tenu de vérifier le contenu du bon de commande, qui doit comporter les mentions relatives à la productivité effective de l’installation et aux conditions essentielles d’exécution du contrat, conformément aux dispositions du Code de la consommation sur les contrats conclus hors établissement6. Le prêteur doit s’assurer que la livraison effective de l’installation a bien eu lieu, qu’elle est en parfait état de marche et que le prestataire a concomitamment effectué les démarches nécessaires au raccordement du matériel photovoltaïque au réseau électrique.

Notes

1 Cass. civ. 1re, 12 déc. 2018, n° 17-20.882, inédit. Retour au texte

2 Pour une vue d’ensemble du contentieux, v. J. Lasserre Capdeville, « Le banquier et le financement de panneaux photovoltaïques : synthèse d’une jurisprudence nettement moins hostile au prêteur », JCP E, 2021, 1565. Retour au texte

3 Selon l’expression de D. Legeais : JCP E, 2019, n° 3, 1028, note sous Cass. civ. 1re, 12 déc. 2018, n° 17-20.907, préc. Retour au texte

4 Cass. civ. 1re, 25 nov. 2020, n° 19-14.908, publié, RDBF, 2021, n° 1, comm. 4, obs. N. Mathey. Retour au texte

5 CA Grenoble, 1re ch. civ., 13 sept. 2022, n° 20/02901, n° 20/02891, n° 20/02885, n° 20/02784 et n° 21/03715. Retour au texte

6 C. consomm., art. L. 221-1 s. Retour au texte

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Référence électronique

Louis Fériel, « Financement de matériel photovoltaïque : le prêteur commet une faute dans le déblocage des fonds s’il ne s’assure pas préalablement de la bonne exécution du contrat de fourniture et d’installation », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 24 octobre 2023, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=322

Auteur

Louis Fériel

Docteur en droit privé, enseignant-chercheur contractuel, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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