En l’espèce, une promesse synallagmatique de vente est conclue sous la condition suspensive de l’obtention par l’acquéreur d’un prêt de 241 000 € pour une durée maximale de deux ans (!) et au taux d’intérêt maximum de 2 % l’an. Indiquons tout de suite que c’est cette durée anormalement basse au regard du montant à rembourser qui fait naître le litige. En effet, le candidat emprunteur sollicite ici deux prêts bancaires, mais à chaque fois pour une durée très supérieure à celle prévue, en l’occurrence 25 ans. Le premier prêt, en outre demandé pour un montant supérieur à celui posé dans l’avant-contrat, lui est refusé. Le second, demandé cette fois pour un montant très légèrement inférieur à celui fixé par la promesse est accepté dans le délai prévu pour la réalisation de la condition suspensive mais « sous réserve de l’accord des assurances et d’une caution ». Finalement, un mois plus tard, l’acquéreur informe le vendeur de son intention de mettre fin à l’achat de la maison pour non acceptation du prêt. Il ne se présente pas à la réitération notariée de la vente prévue deux mois plus tard. Précisons encore qu’un dépôt de garantie de 5 000 € a été effectué lors de l’avant-contrat, qui prévoit en outre une clause pénale à hauteur de 22 500 €, « au cas où toutes les conditions relatives à l’exécution des présentes étant remplies, l’une des parties ne régulariserait pas l’acte authentique et ne satisferait pas ainsi aux obligations alors exigibles ».
A la suite de la non-réitération de l’acte, le vendeur assigne l’acquéreur en paiement de la clause pénale devant le tribunal judiciaire de Grenoble, qui le déboute. Le vendeur fait appel de ce jugement. La Cour de Grenoble devait donc juger si la condition suspensive était réputée accomplie, au regard du comportement de l’acquéreur dans le cadre de chacun des deux prêts sollicités. En effet, aux termes de l’article 1304-3 du Code civil, « La condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement ».
S’agissant du premier prêt, non obtenu, il appartenait à l’acquéreur, selon une jurisprudence constante, de démontrer1 que la demande de financement était conforme aux caractéristiques du prêt posées dans la promesse : type de prêt, montant maximal, durée maximale, taux d’intérêt maximal2, ce que rappelle la cour. C’est en effet au regard des prévisions contractuelles que s’apprécient les diligences de l’acquéreur3. En présentant une demande de prêt non conforme, l’acquéreur empêche l’accomplissement de la condition. A cet égard, il est acquis en jurisprudence qu’une demande de prêt pour un montant supérieur à celui figurant à l’acte n’est pas conforme4, ce qui était le cas en l’espèce. En revanche, mais sans que cela ait un véritable enjeu ici puisque, quant au montant, la demande était déjà non conforme, reste entière la question de la conformité d’une demande de prêt pour une durée supérieure à celle indiquée dans la promesse5, ce qui était également le cas ici. Il n’est pas sûr que la solution applicable en cas de demande d’un montant inférieur au montant maximal indiqué, à savoir la conformité d’une telle demande, puisse être appliquée a pari6. Certes, la demande formulée, soit pour un montant inférieur soit pour une durée supérieure, n’est pas de nature à porter atteinte aux intérêts du créancier. Bien au contraire, de telles modifications donnent au candidat emprunteur davantage de chances d’obtenir le prêt érigé en condition, puisque les conditions de remboursement sont moins drastiques et donc plus facilement réalisables. Il reste toutefois que, contrairement à une demande pour un montant inférieur, stricto sensu, une demande pour une durée supérieure à une durée posée comme maximale peut difficilement être considérée conforme aux stipulations contractuelles7.
Quoiqu’il en soit, au regard du montant sollicité, la non-conformité de la demande n’était pas contestée en l’espèce. Ne s’avouant pas pour autant vaincu, l’acquéreur faisait crânement valoir une jurisprudence également classique de la Cour de cassation, selon laquelle la sanction de l’article 1304-3 ne joue pas lorsque l’acquéreur peut démontrer que, même en présence d’une demande de prêt conforme, le prêt ne lui aurait pas été accordé8. Dans ce cas, l’acquéreur ne peut être considéré comme ayant empêché l’accomplissement de la condition. Si la Cour de cassation, tout comme la cour d’appel ici, considèrent dans cette hypothèse qu’il n’existe aucune faute de l’acquéreur, il nous semble plutôt que c’est stricto sensu le lien de causalité entre la faute (id est l’inexécution des diligences prévues au contrat, indéniable ici) et le refus du prêt qui fait défaut. Pour en revenir aux faits, comme souvent, c’est l’insuffisance des capacités financières de l’acquéreur, mise en avant par ce dernier, qui permet à la cour de conclure au probable refus d’une demande de prêt conforme. En effet tant les ressources mensuelles de l’acquéreur (3 000 €) que l’éventuelle vente de son seul bien immobilier ne pouvaient permettre le remboursement en deux ans seulement de la somme de 241 000 €.
La cause paraissait ainsi entendue et se profilait une confirmation du premier jugement écartant le jeu de l’article 1304-3 du Code civil. Il n’en est rien. La Cour de Grenoble n’arrête pas là son raisonnement. Il faut dire qu’ici la posture judiciaire de l’acquéreur frisait la provocation : le vendeur trouvait un peu fort que l’acquéreur se prévale haut et fort d’une condition suspensive irréalisable alors que c’était lui qui avait défini les caractéristiques du prêt à solliciter, dont la fameuse durée de deux ans.
Sensible à l’argument du vendeur, la Cour de Grenoble infirme ici le premier jugement. Elle considère que l’acquéreur, qui démontre avec force arguments son incapacité initiale à rembourser le prêt même prévu dans l’acte, s’est donc engagé avec une légèreté blâmable à l’égard du vendeur. La Cour de Grenoble semble rattacher cette légèreté blâmable à la mauvaise foi de l’article 1304-3 du Code civil, qu’elle vise au début des motifs. C‘est bien la condition réputée accomplie qui permet le jeu de la clause pénale. Par cette solution, la Cour d’appel de Grenoble innove. La faute de l’acquéreur, sanctionnée à l’article 1304-3, s’entend donc désormais non seulement d’un comportement postérieur à l’insertion de la clause conditionnelle, à savoir l’absence de diligence contractuelle (demande non conforme) mais aussi d’un comportement concomitant à l’insertion de cette clause, id est l’adhésion à la clause et donc au contrat qui l’héberge, sachant que la clause est irréalisable. La légèreté blâmable retenue semble pouvoir couvrir à la fois l’hypothèse dans laquelle c’est l’acquéreur qui est l’auteur intellectuel de la clause (ce que prétendait ici le vendeur) et l’hypothèse d’une clause rédigée par le vendeur ou par les deux parties. En définitive, l’élément décisif est la connaissance de l’acquéreur, au jour de l’acte, de son impossibilité à réaliser la condition. Il faut d’ailleurs préciser que cette connaissance initiale de l’acquéreur est ici en quelque sorte présumée par la Cour de Grenoble, qui ne s’attarde pas sur ce point. Une telle connaissance est déduite de l’affirmation, par l’acquéreur en instance d’appel, du caractère irréalisable de la condition.
La solution rendue par la Cour d’appel de Grenoble apparaît opportune. En effet l’engagement sous condition suspensive est particulièrement intéressant et sécurisant pour le bénéficiaire de la condition, lui évitant le double écueil de l'immobilisme et de la précipitation. A même de saisir une belle occasion (ici d’achat) avant même d’être sûr de le faire raisonnablement, le bénéficiaire de la condition s’engage en toute sécurité puisque si l’évènement espéré ne se produit pas (ici l’obtention du prêt), le bénéficiaire de la condition suspensive ne sera pas engagé. Lorsqu’il est clair dès le départ que l’événement conditionnel ne peut se réaliser, le bénéficiaire de la condition ne saurait abuser d’un tel mécanisme, qui conduit le vendeur à immobiliser inutilement son bien. En outre, la solution posée par la Cour d’appel de Grenoble n’est pas contraire à la lettre de l’article 1304-3 : insérer ou adhérer à une clause conditionnelle que l’on sait irréalisable, c’est bien empêcher, par avance, son accomplissement.
S’agissant du second prêt, la difficulté était qu’il avait été obtenu dans les délais mais « sous réserve de l’accord des assurances et d’une caution ». La Cour de Grenoble considère que l’acquéreur avait « obtenu le principe d’un accord de financement, de sorte que la non réitération de la vente [lui] est imputable à tort ». Il faut donc en déduire que, pour la Cour de Grenoble, la condition suspensive d’obtention du prêt était accomplie. Une telle analyse est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. En effet, la Cour de cassation estime de manière générale que la condition est accomplie lorsque la banque a émis une volonté ferme et définitive d’octroyer un prêt conforme aux prévisions de l’avant-contrat9, peu important la forme que revêt cet accord. En revanche, un simple engagement de la banque à poursuivre la négociation de bonne foi ne suffit pas10. Comment dès lors analyser l’accord de la banque « sous réserve de l’acceptation à l’assurance des emprunteurs » ? Un tel accord est-il ferme et la condition ainsi accomplie ? La Cour de cassation a déjà eu à traiter d’une telle clause qui, selon elle, « ne porte pas atteinte au caractère ferme de l'offre de crédit caractérisant l'obtention d'un prêt au sens de l'article « L. 312-16 du Code de la consommation [aujourd’hui art. L 313-41] »11. En réalité, une telle réserve doit être considérée comme une condition résolutoire (non-acceptation par l’assureur) affectant le contrat de prêt, par ailleurs considéré comme obtenu dans les rapports vendeur/acquéreur-emprunteur. L’arrêt a été confirmé, à propos d’une clause similaire à celle de l’arrêt commenté, réservant l’accord de l’établissement bancaire non seulement à l’acceptation par l’assureur mais aussi à la prise d’une garantie (ici engagement de caution). La Cour de cassation minimise la portée d’une telle clause, qualifiée de « formule d’usage », « ne rendant pas cet accord conditionnel et ne portant pas atteinte à son caractère ferme »12. Malgré une motivation lapidaire, la Cour de Grenoble est donc dans la droite ligne de la Cour de cassation.
On pourrait tout de même s’interroger sur la réelle fermeté d’un accord sous réserve d’un engagement de caution. En effet, quant à l’obtention de l’assurance, il est certain que l’établissement bancaire n’intervient plus à ce stade, sa décision pouvant être considérée comme ferme13. Peut-on dire la même chose de l’engagement de caution ? L’établissement bancaire ne garde-t-il pas la main sur le choix d’une caution solvable, dont il sera co-contractant ? La question se pose du moins, lorsque la solvabilité de la caution est effectivement en jeu c’est à dire hors du cas d’une caution professionnelle (type crédit-logement).
Il faut enfin remarquer que dans les hypothèses jugées par la Cour de cassation, c’était le vendeur qui se prévalait de la défaillance de la condition dans le délai fixé, faute de fermeté de l’offre. Sans plus attendre, ce dernier avait en effet dès l’expiration du délai soit revendu le bien à un tiers, soit loué le bien précédemment offert à la vente. Or en l’espèce, c’était l’acquéreur-consommateur qui, non content d’exciper d’une condition irréalisable, faisait état d’une offre de prêt non ferme et définitive afin de justifier la non-réitération de l’acte. Même si la solution posée par la Cour de cassation rejoignait les intérêts du consommateur, il nous semble n’y avoir aucune raison valable pour que les juges établissent une solution différente lorsque c’est le consommateur qui en pâtit. Dans tous les cas, il s’agit de déterminer objectivement si l’accord de l’établissement bancaire est ferme et la règle posée vaut que ce soit le vendeur ou l’acquéreur qui conteste ce caractère ferme. Du reste, on s’aperçoit qu’à chaque fois, celui qui conteste la fermeté de l’accord est de mauvaise foi.
Les conséquences de l’accomplissement effectif (2e prêt) ou fictif (1er prêt) de la condition sont classiques : il est ainsi de jurisprudence constante que le candidat emprunteur qui obtient le prêt sollicité dans le délai d’accomplissement de la condition et refuse la réitération est fautif au regard de l’article 1304-3 du Code civil. La défaillance du contractant bénéficiaire de la condition rend applicable la clause pénale. Conformément à l’alinéa deux de l’article 1231-5 du Code civil, les juges grenoblois réduisent en l’espèce la pénalité prévue, jugée « manifestement excessive au regard de la durée d’immobilisation du bien ». De 22 500 €, elle passe ainsi à 5 000 €, ce qui correspondait au dépôt de garantie14. Il semble même que le pouvoir modérateur des juges grenoblois ait ici joué d’office, ce qui est permis par le texte mais assez rare. En l’espèce, l’acquéreur intimé n’avait en effet conclu, si l’on se fie au rappel procédural effectué par la Cour, qu’à la confirmation du jugement excluant l’application de la clause pénale.
Conseil
L’arrêt met en relief de nouvelles précautions à prendre lors la rédaction de la clause conditionnelle d’obtention du prêt insérée dans un avant-contrat de vente. Non seulement les caractéristiques du prêt à solliciter sont à mentionner, dans l’intérêt du vendeur, mais ces caractéristiques ne doivent pas être fantaisistes, dans l’intérêt des deux parties. En effet, le vendeur doit veiller à ne pas immobiliser son bien pour une vente qui n’a aucune chance d’aboutir. Quant à l’acquéreur, si d’emblée le prêt sollicité apparaît hors de portée de ses capacités de remboursement, il est fautif à s’être engagé dans la vente et devra répondre de cette faute devant le vendeur, par le jeu de l’article 1304-3 du Code civil.
Plus que jamais, il convient donc de conseiller aux parties à l’avant-contrat de confier la rédaction de l’acte à un professionnel (agent immobilier ou mieux encore notaire), qui, chargé de garantir l’efficacité de l’acte instrumenté, devra vérifier le caractère réaliste des modalités du prêt érigé en condition suspensive.