L’affaire mérite d’abord d’être signalée pour son contexte transfrontière et par l’utilisation subséquente de mécanismes européens destinés à accélérer le règlement des litiges transfrontaliers et faciliter leur exécution. Au cas particulier, un litige se noue entre une personne physique résidant ou domiciliée en France et une société de droit luxembourgeois, qui se prétend créancière. La procédure, assez longue, peut être découpée en quatre phases. Tout d’abord (1re phase), la société luxembourgeoise obtient d’un juge luxembourgeois la délivrance d’une injonction de payer européenne, conformément au règlement no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006. Rappelons qu’une telle procédure, dont l’objet est de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers, concerne les créances pécuniaires incontestées1, liquides et exigibles2, de nature civile et commerciale3. Il faut également savoir que l’ordonnance signifiée au débiteur n’acquiert force exécutoire qu’en l’absence d’opposition dans les 30 jours de la signification4 ; dans ce cas, elle est reconnue et exécutée dans un autre État membre sans le besoin d’une décision d’exequatur5.
Contestant la créance, le débiteur forme ici régulièrement opposition à l’injonction de payer ; le tribunal d’arrondissement de Luxembourg le condamne, en 2017, à payer à la société luxembourgeoise le montant de la créance. Le jugement fait l’objet d’une notification par voie postale au débiteur ainsi que d’une signification à personne « en application du règlement CE 1393/2007 du 13 novembre 20076 » (phase 2).
Un commandement de saisie‑vente est alors délivré, lançant les opérations d’exécution. C’est cependant sans compter sur l’opiniâtreté du débiteur, qui soulève alors, dans le but de paralyser la force exécutoire du jugement luxembourgeois, la nullité des actes de notification de ce dernier, au motif qu’ils ne mentionnent pas l’existence des voies et modalités de recours. Saisi de ce litige, le juge de l’exécution de Valence, dont la décision est exécutoire7, déclare valables les actes de notification, ce qui est confirmé en appel. L’ordonnance du juge de l’exécution est signifiée au débiteur mais non l’arrêt d’appel (phase 3).
Un an après, le créancier saisit le tribunal judiciaire de Valence d’une demande de partage d’une maison indivise entre le débiteur et sa compagne et, à cette fin, de la vente préalable sur licitation du bien immobilier, ce qui est ordonné par le juge (phase 4).
C’est de l’appel de ce jugement, interjeté par le débiteur et sa compagne, concluant au débouté du créancier de ses demandes en partage et licitation, qu’a eu à connaître la cour d’appel de Grenoble dans la présente affaire. Du rappel, effectué par la cour, des arguments que font valoir les appelants, il ressort que sont contestées d’une part l’existence des conditions de l’action oblique tenant à la qualité de la créance, à la carence du débiteur et au péril affectant les droits du créancier et d’autre part la force exécutoire de l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble, non signifié. Quant à ce second élément, il faut donc supposer, pour qu’il soit utilement invoqué, que les appelants considèrent que l’exercice de l’action oblique requiert la titularité, par le créancier, d’un titre exécutoire efficace. Il faut donc également comprendre que l’absence de signification de l’arrêt d’appel tranchant lui‑même la question de la régularité de la signification du jugement luxembourgeois (qui est donc le titre exécutoire) rendrait inefficace ce titre. La cour de Grenoble reçoit ces arguments. S’agissant de la question relative au titre exécutoire, elle affirme que « le simple fait de demander le partage du bien indivis au lieu et place [du débiteur] s’analyse en une mesure conservatoire, qui n’a pour but que de faire rentrer [le débiteur] dans ses droits, nul n’étant obligé de rester dans l’indivision », mais que « le créancier doit justifier d’un titre exécutoire, que ce soit sur le fondement de l’action oblique ou du partage de l’indivision, pour obtenir une licitation du bien indivis ». Par ailleurs, affirmant que l’exécution forcée est subordonnée à la signification du jugement et de l’arrêt le confirmant, la cour de Grenoble, qui constate que l’arrêt d’appel déclarant valable la signification du jugement luxembourgeois n’a pas été signifié, sursoit à statuer sur la demande de licitation, « l’affaire étant renvoyée à la mise en état pour que la société [créancière] justifie de la signification de l’arrêt ».
Cette double motivation mérite explication, tant au regard de la nature de l’action en partage et licitation que des conditions de l’exécution en France d’un jugement étranger.
1. La nature de l’action en partage et licitation
Une variété d’action oblique. Il est depuis longtemps acquis en jurisprudence8 que l’action en partage et licitation d’un bien indivis exercé par le créancier personnel d’un indivisaire sur le fondement de l’article 815‑17 alinéa trois du Code civil est une variété d’action oblique, définie et régie à l’article 1341‑1 du même Code. Visant les deux textes, la cour de Grenoble s’inscrit dans cette ligne jurisprudentielle continue9. Il est également acquis que l’action fondée sur l’article 815‑17 du Code civil est, en conséquence, soumise à toutes les conditions de l’action oblique. L’action ne peut ainsi être engagée que « lorsque la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier10 ». Appréciant souverainement et globalement cette double question de fait11, relative à la carence du débiteur et à l’intérêt du créancier à agir, la cour de Grenoble estime ces conditions remplies, ce qui est montré « notamment par l’absence de tout règlement spontané, la résistance du débiteur aux procédures et actes d’exécution et par l’échec des multiples tentatives de saisies‑attribution ». Par ailleurs, malgré ce qu’avançaient les appelants, la créance monétaire, résultant du jugement du tribunal luxembourgeois, est sans surprise jugée certaine, liquide et exigible12.
Les liens entre partage en nature et licitation. La dualité de régime auquel sont soumises par la cour de Grenoble l’action en partage et l’action en licitation pose la question des liens entre partage en nature et licitation. La licitation permet le partage : elle constitue une opération de vente d’un bien indivis préalable au partage (lorsque la vente est opérée au profit d’un tiers, les deniers issus de la vente faisant ensuite l’objet du partage proprement dit) ou un substitut au partage en nature (lorsque le bien est acquis par un indivisaire, comme s’il avait été mis dans son lot par le partage). La licitation ne doit être ordonnée par le juge que lorsque les biens indivis ne sont pas commodément partageables en nature13. Tel était le cas ici puisque le seul bien composant l’indivision était une maison d’habitation et ses dépendances, difficilement divisible en deux moitiés sans dénaturation ni dépréciation14. Si une telle condition est spécifiquement exigée pour la licitation, c’est que cette dernière apparaît subsidiaire au regard du partage en nature, qui demeure le principe. Pour le reste, les conditions de fond d’une demande en licitation sont les exactement les mêmes que celles d’une demande en partage. Ainsi, les obstacles au partage (bien impartageable relevant de l’indivision forcée et perpétuelle, décision de sursis au partage ou de maintien en indivision, convention d’indivision) constituent nécessairement des obstacles à la licitation15. En bref, le régime des deux actions apparaît unitaire. La décision de la cour étonne donc, qui impose pour la licitation une condition spécifique (la détention d’un titre exécutoire), non rattachable à la subsidiarité de l’institution.
La qualification de l’action oblique au regard du droit de l’exécution. Inhabituel, ce régime dualiste se justifie‑t‑il ? La cour d’appel de Grenoble invite à trouver cette justification du côté du droit de l’exécution. À cet égard, il faut rappeler qu’un vif débat a autrefois mobilisé doctrine et jurisprudence, sur la question de la nécessité ou non pour le créancier exerçant l’action oblique de détenir un titre exécutoire16. Il faut convenir que l’action oblique et les saisies exécutoires ne sont pas sans ressemblances : ainsi l’action oblique, permettant l’exercice des droits et actions dont le débiteur est titulaire à l’encontre des tiers, peut évoquer la figure tripartite des saisies de créances17. En outre, tout comme le créancier exerçant une mesure d’exécution forcée, le créancier agissant par la voie oblique doit se prévaloir d’une créance certaine, liquide et exigible18. Ressemblance n’est pas équivalence et la Cour de cassation a finalement tranché en faveur de l’absence de condition tenant à la détention d’un titre exécutoire19. Une telle solution est parfaitement justifiée et la doctrine contemporaine quasi‑unanime l’agrée20. En effet, l’action oblique n’a nullement le caractère satisfactoire que présente pour le créancier une mesure d’exécution forcée. L’action oblique, « n’a pour but que de faire rentrer [le débiteur] dans ses droits21 », ce que reconnaît la cour d’appel de Grenoble. Par l’action en partage et licitation, application de l’action oblique, le débiteur, autrefois dans une situation de propriété collective, reçoit dans son patrimoine des droits de propriété exclusive, désormais saisissables par le créancier personnel (mais aussi par d’autres créanciers, l’action oblique n’instituant aucune primauté en faveur du créancier l’ayant exercé). L’action oblique n’est donc à l’évidence qu’un préalable à l’exécution forcée, ne requérant par conséquent à ce stade aucun titre exécutoire.
La solution est acquise. Cependant, si la cour de Grenoble la retient, elle en restreint toutefois notablement la portée. En effet, la solution ne vaudrait que « lorsque l’action n’a qu’un but conservatoire et ne présente pas le caractère d’une voie d’exécution ». En bref, il y aurait action oblique et action oblique. Il y aurait action oblique à caractère conservatoire n’exigeant aucun titre exécutoire et action oblique à caractère exécutoire, requérant un tel titre. La cour de Grenoble applique bientôt le principe qu’elle a dégagé. Ainsi l’action en partage exercée par le créancier personnel de l’indivisaire « s’analyse en une mesure conservatoire » tandis que l’action en licitation, dont il est affirmé qu’elle ne peut être engagée que sur la foi d’un titre exécutoire, est implicitement qualifiée de mesure d’exécution forcée.
Mettre au jour une dualité de l’action oblique n’est pas critiquable en soi22. Oser opposer partage et licitation ne l’est pas davantage. Toutefois, ce qui emportera la conviction est la pertinence du critère dégagé. À lire l’arrêt de la cour de Grenoble, le critère distinguant l’action oblique conditionnée à un titre exécutoire de l’action oblique exercée sans titre exécutoire tient, semble‑t‑il, à l’objet de l’action dont dispose le débiteur négligent et/ou à son effet dans le patrimoine du débiteur. Grossièrement retracée, l’idée défendue par la cour est que l’action en partage s’apparente à une mesure conservatoire en ce qu’elle protège le créancier et qu’elle ne peut aller, à ce stade, jusqu’à la privation du débiteur de ses biens. En revanche, l’action en licitation, consistant en la vente aux enchères du bien indivis non facilement partageable, « entraîne une dépossession définitive [du débiteur] de sa maison », que la cour semble comparer à une vente sur saisie immobilière. Un tel raisonnement pourrait trouver l’appui d’un auteur.
« En réalité, s’interroger sur la qualification des mesures conservatoires destinées à préserver les droits d’un créancier implique nécessairement d’observer les effets qu’elles produisent sur le patrimoine du débiteur, ces effets devant naturellement être proportionnés à l’objectif recherché, et donc de se contenter d’une cristallisation temporaire de sa situation patrimoniale […]. Il ne suffit pas d’affirmer que la mesure est conservatoire pour le créancier, encore faut‑il vérifier qu’elle n’emporte pas des conséquences trop lourdes dans le patrimoine du débiteur et il n’est pas acquis que la diversité des applications de l’action oblique soit alors en mesure de conforter la qualification de mesure conservatoire23. »
Une telle opposition, quant à leurs effets, de l’action en partage et de l’action en licitation, nous apparaît forcée. Imaginons que l’immeuble indivis ait été, non une maison mais un immeuble composé de deux appartements A et B identiques, indubitablement partageable en nature. À l’issue du partage, dont la demande émane toujours du créancier, le débiteur reçoit dans son patrimoine l’appartement A, traduction de sa quote‑part de moitié. Il ne reçoit pas l’immeuble en son entier24. Ainsi, il doit dire adieu à l’appartement B, dont il se voit, pour reprendre les termes de la cour, définitivement dépossédé. Mais quoi de plus normal ? C’est là l’issue logique de l’indivision ; c’est là l’effet du partage. Y a‑t‑il une véritable différence entre cette dépossession, certes partielle et la dépossession totale de la maison25 (et non pas de « sa maison » : le débiteur n’étant qu’indivisaire, il n’a jamais pu prétendre à obtenir la propriété exclusive du bien indivis26) ? Y a‑t‑il une profonde différence, une différence de nature, qui justifierait que s’applique en cas de licitation le régime des mesures d’exécution forcée ? Nous avouons ne pas en être convaincus.
Et si véritable différence il y avait, cela suffirait‑il à appliquer par assimilation les règles du droit de l’exécution ? Il ne pourrait en effet s’agir que d’une assimilation. Nous estimons plus que démontrée l’autonomie de l’action oblique, quel que soit par ailleurs l’objet de l’action du débiteur (paiement d’une créance, résiliation d’un bail, partage d’un bien indivis, licitation préalable) au regard des qualifications tirées du droit de l’exécution. Ni mesure d’exécution forcée ni mesure conservatoire : telle se revendique l’action oblique27. Quant à la qualification de mesure conservatoire, retenue par la cour à propos de l’action en partage, laissons parler un auteur, pour le moins non hostile à l’idée d’une fonction conservatoire de l’action oblique : « toutes les fois que l’action est exercée par la voie oblique pour protéger une créance monétaire, c’est‑à‑dire pour remplacer dans le patrimoine du débiteur un droit envers un tiers par une valeur directement saisissable, la fonction de l’action oblique est conservatoire. Qu’est‑ce à dire exactement ? Ce n’est pas du tout affirmer que l’action oblique constitue une mesure conservatoire au sens du Code des procédures civiles d’exécution. C’est seulement souligner que l’action oblique a ici pour résultat de reconstituer le patrimoine du débiteur : pour que le créancier obtienne son dû, encore faudra‑t‑il qu’il complète l’action oblique à l’égard du tiers par une mesure d’exécution à l’encontre du débiteur lui‑même28 ».
Il pourrait être ajouté qu’une telle application à l’action oblique, par assimilation, du droit de l’exécution, cadre mal avec les caractères mêmes de ce dernier. D’une part, il est difficilement niable que ce droit est naturellement tourné vers le créancier, dont il garantit l’effectivité des droits, même si, dans un esprit de civilisation, il encadre l’action du créancier pour prévenir les abus et fait évidemment place à la défense des légitimes intérêts du débiteur29. Dès lors, convoquer le droit de l’exécution, hors de son cadre naturel et loin de toute évidence, afin de protéger le débiteur paraît contre nature. Quelle logique à ainsi bloquer l’action oblique du créancier, dont les conditions propres sont, en raison du caractère intrusif de l’action, déjà exigeantes ? Il se pourrait bien que la nature du bien indivis en l’espèce soit en cause : une maison d’habitation servant au logement familial. Si un raisonnement en proportionnalité était ici avancé, à visage couvert, il ne saurait toutefois, à notre avis, aboutir à la solution posée par la cour. En effet, la Cour de cassation, statuant sur QPC, a déjà jugé que, dans l’hypothèse d’une action en licitation exercée par la voie oblique, l’atteinte portée au droit au logement du coindivisaire est proportionnée30. Si l’atteinte aux droits du coindivisaire, non débiteur, n’est pas disproportionnée, il semble donc bien qu’il en soit a fortiori de même, s’agissant des droits de l’indivisaire débiteur.
D’autre part, le droit de l’exécution présente un caractère profondément légal, formaliste et, en principe, d’ordre public31 : ne peuvent être mises en œuvre, sans pouvoir déroger aux règles fixées, que les procédures civiles d’exécution instituées par le législateur, qui sont clairement identifiées comme telles, dans l’intérêt du créancier et pour la sécurité du débiteur. En la matière, le pouvoir créateur des parties et du juge est nul ou presque. Dans ce contexte, il nous apparaît particulièrement délicat pour un juge de qualifier, ou d’assimiler, l’action oblique à une mesure d’exécution forcée ou conservatoire.
En bref, si l’on veut durcir les conditions de l’action oblique, au regard des graves conséquences qu’elle peut entraîner dans le patrimoine du débiteur, c’est au législateur de le faire, pas au juge.
Quoi qu’il puisse en être pensé, le raisonnement tenu par la cour la conduit ensuite logiquement à vérifier l’existence d’un titre exécutoire efficace. La cour est ainsi amenée à rappeler les conditions de l’exécution en France d’un jugement étranger.
2. Les conditions de l’exécution en France d’un jugement étranger
L’analyse de la cour d’appel. Analysant la force exécutoire du jugement luxembourgeois32, la cour de Grenoble fait application de l’article L 111‑3 2 du CPCE énumérant limitativement les titres exécutoires. Le texte est reproduit par la cour de la manière suivante : « [constituent des titres exécutoires] les actes et les jugements étrangers […] déclarés exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution. » Il semble que la cour tienne pour une telle décision ayant déclaré exécutoire le jugement, l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble, confirmant l’ordonnance du juge de l’exécution valentinois quant à la validité de la signification du titre33. L’arrêt d’appel n’ayant pas été signifié, le créancier ne peut, selon la cour, se prévaloir d’un titre exécutoire efficace.
Or, il faut savoir que la périphrase contenue à l’article L 111‑3 2 (décision « non susceptible d’un recours suspensif d’exécution » ayant déclaré exécutoires les actes et jugements étrangers) vise une décision d’exéquatur, à laquelle est subordonné le caractère exécutoire d’un acte ou d’une décision étrangère hors espace européen. Le contrôle alors opéré par le juge porte sur « la compétence indirecte du juge étranger, la conformité à l’ordre public international français de fond et de procédure et l’absence de fraude34 ». Par ailleurs, le juge compétent en la matière est le tribunal judiciaire statuant à juge unique35 et non le juge de l’exécution. Il est ainsi manifeste que la décision émanant du juge de l’exécution de Valence, confirmée par la cour d’appel de Grenoble, n’ayant eu à connaître que de la validité de la signification du jugement luxembourgeois, n’était pas une décision d’exéquatur. L’on peinerait d’ailleurs à trouver ici une quelconque décision d’exequatur. Et pour cause : elle n’était pas nécessaire pour l’exécution dans un État membre de l’Union (ici la France) d’une décision de justice rendue dans un autre État membre et exécutoire dans cet État (ici le Luxembourg).
L’applicabilité à l’espèce du règlement Bruxelles 1 bis. L’article L 111‑3 2 du CPCE n’est pas reproduit jusqu’au bout par la cour. Or, c’était précisément la dernière partie de la phrase qui donnait ici la clé de la solution. Si les décisions étrangères, pour être exécutoires, doivent être exequaturées, c’est « sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ». Cette partie finale de l’alinéa a été ajoutée par la loi 2015‑177 du 16 février 2015, afin de tenir compte des instruments européens qui, visant à établir la libre circulation des titres exécutoires dans l’Union européenne, ont supprimé la procédure d’exequatur. Concernant l’exécution des créances civiles et commerciales, dont il est question dans cette affaire, c’est le règlement familièrement appelé Bruxelles 1 bis36 qui est applicable. Entré en vigueur le 10 janvier 2015, il est applicable aux actions judiciaires intentées à compter de cette date37, ce qui semble bien le cas ici38.
Exécutoire dans l’État où il a été rendu (ici le Luxembourg), le jugement peut dès lors être exécuté dans un autre État membre (ici la France) dans les mêmes conditions qu’une décision rendue dans l’État requis. Cela implique donc que la décision étrangère soit signifiée au débiteur. Le créancier doit encore remettre à l’autorité d’exécution de l’État requis, à savoir le commissaire de justice en France, une copie de la décision réunissant les conditions nécessaires pour en établir l’authenticité et le certificat attestant que la décision est exécutoire39, ce dernier devant également être signifié au débiteur avant toute mesure d’exécution40. En l’espèce, le certificat avait été signifié, en France, au débiteur en même temps qu’un commandement aux fins de saisie‑vente. Les conditions d’une exécution en France du jugement luxembourgeois paraissaient donc remplies.
Le Droit retombe sur ses pieds. Encore fallait‑il que la signification du jugement luxembourgeois ait été correctement effectuée par le créancier. Il est assez rare qu’un litige naisse à ce propos. C’était cependant le cas ici. Or, tant que le litige n’était pas tranché par le juge, il semble bien que la décision étrangère doive être considérée comme non signifiée, ne pouvant dès lors être dotée de la force exécutoire. La validité de la signification est reconnue par le juge de l’exécution de Valence, ce qui est confirmé par la cour d’appel de Grenoble. Cependant ces décisions de justice reconnaissant la régularité de la signification du jugement luxembourgeois, qui en conditionne la force exécutoire, doivent être elles‑mêmes, comme toute décision de justice, signifiées à l’adversaire41. À partir de là, nous retombons sur la motivation de la cour d’appel de Grenoble. Et il faut suivre cette dernière lorsqu’elle affirme que « l’exécution forcée des condamnations résultant d’un jugement, confirmées en appel, est subordonnée à la signification de l’arrêt et du jugement » et qu’elle cite la décision de la Cour de cassation ayant clairement posé cette solution42.
Tout est bien qui finit bien, pourrait‑on dire. Pas tout à fait toutefois pour le créancier : encore faudrait‑il admettre qu’ici un titre exécutoire ait bien été nécessaire, ce dont, pour notre part, nous doutons.
Il reste à l’auteure de ces lignes à remercier le lecteur de l’avoir suivie jusqu’ici, à s’excuser de la longueur du présent commentaire et à tenter de justifier cette dernière par la richesse et la complexité de l’affaire soumise aux juges, ce que le lecteur n’a pu que constater.