Aménagements contractuels de la condition suspensive légale d’obtention d’un prêt immobilier : ce qui est licite et ce qui lie le bénéficiaire de la condition

DOI : 10.35562/bacage.334

Décision de justice

CA Grenoble, 1re ch. civ. – N° RG 20/02612 – 15 février 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 20/02612

Date de la décision : 15 février 2022

Résumé

Solution - La présente décision s’inscrit de manière intéressante dans le contentieux toujours nourri lié à la condition suspensive d’obtention d’un prêt immobilier (art. L 313-41 du Code de la consommation). Dans un arrêt très riche, la cour estime d’une part que la clause imposant au consommateur, bénéficiaire de la condition légale, de déposer la demande de prêt dans un délai au moins égal à un mois est licite. Elle considère d’autre part que la demande de financement à un taux inférieur au taux maximal défini dans l’acte est conforme aux caractéristiques contractuelles du prêt, la condition n’étant dès lors pas réputée accomplie.

En l’espèce, une promesse unilatérale de vente d’un terrain à bâtir expirant le 2 octobre 2017, signée et régulièrement enregistrée le 6 mars 2017, est consentie à deux époux sous diverses conditions suspensives dont notamment l’obtention d’un ou plusieurs prêts bancaires. Les caractéristiques du prêt sont précisées dans l’acte : il est question d’un montant maximal de 300 000 euros sur une durée de 25 ans au taux d’intérêt maximal de 1,90 % l’an. Deux types de délai relatifs à la condition suspensive sont encore stipulés : d’une part, très classiquement, un délai de réalisation de la condition (fixé au 20 juin 2017, soit 3 mois et demi), d’autre part, un délai imposé aux bénéficiaires pour le dépôt de leur demande de prêt (délai d’un mois et demi à compter de la signature de l’acte, soit expirant le 20 avril 2017). L’indemnité d’immobilisation prévue au contrat est déposée par les bénéficiaires auprès du notaire du promettant.

Il est établi qu’avant même la promesse, les époux se sont adressés à un courtier en prêt immobilier. Il est également établi que deux jours après la promesse les époux ont sollicité un prêt auprès d’une banque, joignant à la demande l’acte de promesse et indiquant à la banque qu’ils étaient en train de rassembler les documents nécessaires au montage du dossier. Il ressort de la lettre de refus de prêt adressée ultérieurement par la banque que si le prêt demandé était bien d’une durée de 25 ans, conformément à la promesse, d’une part le montant demandé était inférieur au montant maximal (287 000 € / 300 000 €) et d’autre part et surtout le taux nominal demandé était également inférieur au taux indiqué dans la promesse (1,85 % au lieu de 1,90).

Aucun prêt n’ayant été obtenu dans le délai prévu, la condition suspensive défaille et la promesse se trouve caduque, ce qui n’est contesté par aucune des parties. C’est en l’espèce le refus de restituer l’indemnité d’immobilisation, opposé par le promettant aux bénéficiaires, qui va nouer le litige. Assigné en remboursement par les bénéficiaires, le promettant fait valoir que la condition suspensive est réputée accomplie (Code civil, art. 1304-3), les bénéficiaires, dans l’intérêt desquels la condition est posée, en ayant empêché l’accomplissement par l’absence de dépôt de la demande de prêt dans le délai fixé contractuellement.

Le tribunal judiciaire de Grenoble déboute les bénéficiaires : d’une part, la clause imposant le dépôt de la demande de prêt dans un délai supérieur à un mois est jugée valable ; d’autre part, après appréciation des faits, il est jugé que les époux ont manqué à cette obligation.

Les bénéficiaires font appel de la décision, contestant chacun des motifs évoqués et faisant également valoir que le taux d’intérêt sollicité, s’il était inférieur à celui indiqué dans la promesse, en était toutefois très proche, les bénéficiaires étant par ailleurs libres de solliciter un taux inférieur puisque la promesse faisait état d’un taux maximal.

Deux intéressantes questions sont donc tranchées par la cour : d’une part, celle de la validité d’une clause imposant le dépôt de la demande de prêt dans un délai au moins égal à un mois ; d’autre part, celle de la conformité d’une demande de prêt sollicitée à un taux inférieur au taux maximal figurant à la promesse.

La question relative à la date contractuellement imposée pour le dépôt de la demande de prêt se dédouble ici. Dans un premier temps, se mêle à des considérations de pur droit civil (condition réputée accomplie : Code civil art. 1304-3) la spécificité du droit de la consommation. En effet, la protection des intérêts du vendeur (ici promettant) conduit à l’insertion dans l’acte de clauses garantissant le sérieux de l’acquéreur. Ainsi se comprend la précision des caractéristiques du prêt à solliciter (montant, durée, taux), fixées de manière réaliste au regard de la pratique bancaire, alors que de telles précisions ne sont nullement imposées à peine de nullité par le droit de la consommation1. Le vendeur cherche à mettre en défaut l’acquéreur qui n’accomplirait pas les démarches contractuellement exigées. Si tel est le cas, la condition est alors réputée accomplie, ce qui permet au vendeur de faire échec aux dispositions de l’article L 313-41 du Code de la consommation2 et de retenir les sommes versées d’avance, à titre d’indemnité sanctionnant la mauvaise foi de l’acquéreur.

Lorsqu’est en cause le droit de la consommation, instaurant une protection d’ordre public au profit de l’acquéreur-emprunteur consommateur, jusqu’où peuvent aller les clauses encadrant au profit du vendeur la réalisation de la condition suspensive légale ? Ainsi, une clause imposant un délai butoir d’un mois et demi à compter de la signature de l’acte pour le dépôt de la demande est-elle valable ?3 La question se pose légitimement car le Code de la consommation ne prévoit aucunement une telle obligation à la charge de l’emprunteur consommateur. En effet, la seule disposition encadrant la réalisation de la condition suspensive légale est relative au délai de réalisation, qui « ne peut être inférieur à un mois à compter de la date de la signature de l’acte ou, s’il s’agit d’un acte sous seing privé soumis à peine de nullité à la formalité de l’enregistrement, à compter de la date de l’enregistrement »4. Le contrat peut-il accroître les obligations de l’emprunteur consommateur, protégé par une législation d’ordre public ? Si la question n’est pas nouvelle, ayant déjà donné lieu à cinq arrêts de la Cour de cassation5, l’apport certain de l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble est de prendre position quant à l’interprétation du dernier arrêt rendu par la Cour de cassation en la matière. Il faut en effet préciser que quatre des cinq espèces dont la Cour de cassation a eu à connaître concernaient à chaque fois un délai contractuel de dépôt inférieur à un mois6. Dans ces quatre arrêts, quelle qu’ait pu être la motivation de la Cour de cassation, la clause a été invalidée. Plus précisément la clause a été réputée non écrite, le vendeur ne pouvant alors reprocher au candidat emprunteur un dépôt non diligent et faire jouer l’article 1304-3 du Code civil7. Il apparaît donc certain qu’une clause imposant un dépôt dans un délai inférieur à un mois est illicite. En revanche, la question de la validité d’une clause de dépôt dans un délai égal ou supérieur à un mois, ce qui est le cas dans l’espèce soumise à la Cour d’appel de Grenoble, laissait jusqu’ici place au doute. Certes, dans la seule espèce pour laquelle était en cause un tel délai, la Cour de cassation a validé la clause, indiquant que « la clause de déchéance pour défaut de justification de la demande de prêt avait elle-même une durée d’un mois et était donc suffisante non seulement parce qu’elle était égale à la durée minimum légale de la condition suspensive, mais encore parce que ce délai laissait aux bénéficiaires de la promesse le temps d’accomplir les démarches préparatoires à la demande de crédit »8. Cependant, certains des quatre arrêts rendus postérieurement par la Cour de cassation (ceux déjà évoqués, relatifs à un délai inférieur à un mois) pouvaient être compris différemment. Un de ces arrêts semblait confirmer la solution posée en 1996, la ratio decidendi de l’illicéité de la clause de dépôt paraissant tenir à la durée du délai, inférieure à un mois9. Cependant à la lecture de deux autres décisions, il pouvait apparaître que la durée du délai relevait cette fois de l’obiter dictum : était illicite en elle-même toute obligation faite au candidat emprunteur de déposer sa demande de prêt dans un certain délai10. Devant la Cour d’appel de Grenoble, s’est ainsi engagée une belle bataille juridique entre les parties (et leurs avocats, parfaitement au fait de cette jurisprudence), quant à l’interprétation à donner au plus récent de ces arrêts (Cass. civ. 3e, 12 fév. 2014). Les emprunteurs appelants, convoquant l’arrêt de 2014, faisaient valoir que « les dispositions d’ordre public de l’article L. 312-16 du Code de la consommation [devenu article L  313-41] interdisent d’imposer à l’acquéreur un délai pour déposer une demande de crédit ». Le vendeur intimé cherchait quant à lui à limiter la portée de cet arrêt.

La Cour de Grenoble répond en deux temps. Elle commence par énoncer que, « en raison du caractère d’ordre public [de l’article L. 313-41 du Code de la consommation], toutes les clauses qui ont pour objet ou pour effet de restreindre la mise en œuvre de la condition suspensive d’obtention d’un prêt bancaire sont illicites ».

Elle en tire des conclusions s’agissant de la clause imposant au candidat emprunteur le dépôt de la demande de prêt dans un certain délai. Ainsi « sont considérées comme des ajouts contractuels illicites les clauses imposant à l’acquéreur de déposer le dossier de crédit dans un délai inférieur au délai minimum d’un mois de validité de la condition suspensive ». En revanche, « il est de principe que sont valables » les clauses prévoyant un délai égal ou supérieur à un mois. La réponse apportée par la Cour de Grenoble est donc nette et tranchée, ce dont on peut se réjouir. La cour indique clairement que l’interprétation faite par les appelants de l’arrêt de 2014 était « trop extensive », ce dernier arrêt ne pouvant être tenu pour un revirement. Le commentateur pourrait ne pas adhérer à la formulation de la cour, abritant sa position derrière un « principe ». Le fait est qu’aucun principe ni légal ni jurisprudentiel n’existait en matière, la jurisprudence étant équivoque. Il revient donc à la Cour d’appel de Grenoble, modeste, le mérite de trancher véritablement la question et de poser ce principe. Nous adhérons tout à fait à la solution posée. L’argument de l’ordre public du droit de la consommation ne saurait être brandi systématiquement et sans discernement. Rappelons en effet qu’ici aucune disposition d’ordre public ne traitait stricto sensu de la question. Il fallait donc analyser la situation au regard de la seule disposition consumériste relative, en matière de crédit immobilier, à la condition suspensive. Il s’avère ainsi que qui peut le plus peut le moins : si le droit de la consommation valide une condition d’obtention du prêt devant être réalisée dans le délai minimal d’un mois (délai d’ailleurs irréaliste au regard de la pratique bancaire), il ne peut logiquement que valider une clause de dépôt de la demande exigée dans ce même délai. Si elle est parfaitement fondée juridiquement, la solution apparait également opportune. Souvent présente en pratique dans les avant-contrats11, la clause validée permet un équilibre bienvenu entre la protection de l’emprunteur consommateur et les intérêts légitimes du vendeur.

La clause étant validée par les juges, ces derniers devaient dans un second temps déterminer si une telle obligation mise à la charge du bénéficiaire de la promesse avait été correctement exécutée. A ce titre, au-delà des faits de l’espèce, trois enseignements de principe peuvent être tirés de l’arrêt.

Le premier concerne le destinataire de la demande de prêt. L’obligation contractuelle est-elle remplie si le candidat emprunteur s’adresse dans le délai prévu, non directement à un établissement bancaire mais à un courtier en prêts immobiliers, intermédiaire mettant en relation l’emprunteur avec des établissements de crédit ? Le contrat étant la loi des parties (Code civil, art. 1103), c’est la rédaction de la clause qui est ici déterminante. Si la clause « se borne à viser l’obtention d’une ou plusieurs offres de prêt », sans précision, comme c’était le cas dans cette espèce, elle laisse donc le candidat emprunteur libre des moyens pour y parvenir et le recours à un courtier en est un. En revanche, l’obligation contractuelle ne serait pas remplie si la clause exigeait que le candidat acquéreur s’adressât directement à un établissement bancaire ou, ce qui revient au même, si elle excluait le recours à un courtier. La Cour de Grenoble n’innove pas ici, reprenant une solution déjà posée par la Cour de cassation12. Une autre question se profile alors : cette dernière clause, limitant la marge de manœuvre du candidat emprunteur, est-elle valable ? L’arrêt se borne à considérer qu’en sa présence, l’obligation du candidat emprunteur ne s’adressant qu’à un courtier serait inexécutée. Faut-il en déduire que, statuant sur le plan de l’exécution du contrat, la cour présuppose donc la validité de la clause ? Rien n’est moins sûr, car tel n’était pas l’objet de l’arrêt. Toutefois, une telle solution paraîtrait logique au regard du raisonnement tenu plus haut par la cour. Des obligations contractuelles peuvent être mises à la charge du candidat emprunteur, tant « qu’elles n’ont pas pour objet ou pour effet de restreindre la mise en œuvre de la condition suspensive ». L’obligation de déposer la demande de prêt directement auprès d’une banque semble bien rester dans les limites ainsi posées.

Le deuxième enseignement de l’arrêt est relatif au moment de l’exécution de l’obligation de dépôt du dossier. La cour considère que l’obligation peut en principe être remplie même avant la signature de la promesse qui fait naître l’obligation. Ainsi, seule est à prendre en considération la date butoir fixée pour déposer le dossier, à moins que la clause n’indique qu’il ne sera pas tenu compte des diligences antérieures à la conclusion de l’avant-contrat. D’une part, s’il peut être étonnant d’exécuter une obligation qui n’est pas encore née, il faut toutefois préciser que l’avant-contrat n’est pas conclu du jour au lendemain. Il a été généralement précédé de pourparlers, au cours desquels les parties ont pu discuter le contenu du contrat à venir, ensuite formalisé par un acte, ici notarié. Avant même la signature officielle du contrat, les parties étaient donc en réalité déjà d’accord sur la clause de dépôt de prêt. D’autre part, cette solution est tout à fait opportune, dans un contentieux où il est question de sanctionner le candidat emprunteur non diligent. Celui qui prend les devants ne saurait être considéré comme non diligent. Reste évidemment à ce que la demande déposée soit bien conforme aux caractéristiques finalement fixées dans l’acte.

Le troisième enseignement concerne le contenu du dossier de prêt à déposer dans le délai contractuellement fixé. En l’espèce, deux jours après la signature de la promesse, les bénéficiaires avaient déposé une demande auprès d’une banque, lui joignant l’acte et indiquant qu’ils étaient en train de regrouper « tous les documents nécessaires au montage du dossier ». Ils n’avaient pu cependant justifier d’un dossier complet avant la date butoir de dépôt. Le candidat emprunteur qui dépose un dossier incomplet dans le délai remplit-il son obligation ? La Cour de Grenoble répond ici par l’affirmative. Elle se fonde encore une fois sur la rédaction de la clause, « qui ne contient d’ailleurs aucune précision sur la forme et le contenu de la demande de prêt, ni sur la constitution du dossier de financement, tandis qu’il n’est nullement exigé que ce dossier soit complet et conforme aux exigences de l’établissement financier dans le délai contractuel de dépôt ». Une telle analyse littérale surprend car le dépôt d’un dossier dans un délai précis peut être implicitement mais raisonnablement compris comme le dépôt d’un dossier complet. Rappelons que cette clause est insérée dans l’intérêt du vendeur, afin de le prémunir contre des bénéficiaires non diligents. Les diligences attendues dans le délai sont bien faibles, s’il suffit de déposer une demande de prêt sans fournir les pièces nécessaires à son étude ! La cour invite à scinder dans le temps deux périodes : une 1re période dans laquelle doit être déposée une demande de prêt conforme, sans que le dossier doive être complet et une seconde période, postérieure, au terme de laquelle le dossier doit être complet. Le terme de la seconde période ne correspond pas à la date fixée pour la réalisation de la condition ; elle est nécessairement antérieure car la banque doit être mise en mesure d’instruire le dossier dans le délai de réalisation de la condition13. Il nous est permis de penser que si c’est pour être ainsi comprise, la clause de dépôt dans un certain délai n’a pas grand intérêt et ne correspond manifestement pas ce que voulait le vendeur.

Conseil - L’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble ne nous permet pas encore de pouvoir conseiller aux rédacteurs d’une condition suspensive d’obtention de prêt immobilier l’insertion sans risque d’une clause imposant au candidat emprunteur un délai égal ou supérieur à un mois pour déposer sa demande de prêt. Le risque zéro ne sera atteint que lorsqu’une décision de la Cour de cassation posera clairement la même solution. En attendant, au vu de l’autorité certaine qui se dégage de la motivation de l‘arrêt grenoblois, le risque apparaît cependant limité. Lorsque le rédacteur prendra le risque d’une telle clause, si le vendeur souhaite exclure le recours par le candidat emprunteur à un courtier, il devra le préciser dans l’acte, cette exclusion ne semblant pas de nature à invalider la clause. Par précaution enfin, le rédacteur d’acte n’oubliera pas d’ajouter que le dépôt dans le délai fixé s’entend du dépôt d’un dossier complet.

Toujours en vue de savoir si la condition devait être réputée accomplie, la Cour de Grenoble était invitée à vérifier la conformité de la demande déposée par le candidat emprunteur aux caractéristiques du prêt telles que fixées dans l‘avant-contrat (type de prêt, montant maximal, durée maximale, taux du prêt). Rappelons en effet que, selon la jurisprudence, c’est à l’aune de ces caractéristiques contractuelles que s’apprécie la diligence de l’acquéreur14. Ce dernier avait formé une demande pour un montant inférieur au montant maximal prévu et à un taux d’intérêt inférieur à celui prévu. Le vendeur ne soulève pas la non-conformité de la demande d’un montant inférieur, vraisemblablement au regard d’un arrêt récent de la Cour de cassation, qui juge dans ce cas la demande conforme15. Il soulève en revanche la non-conformité de la demande à un taux inférieur.

La question est intéressante car au regard des autres caractéristiques du prêt, présentes uniquement dans l’intérêt du vendeur (jeu de l’article 1304-3), la précision dans l’acte d’un taux maximal joue un rôle différent. En effet, si un taux d’intérêt maximal est prévu, c’est avant tout dans l’intérêt de l’emprunteur, afin de ne lui faire courir aucun risque d’endettement excessif. Sans précision du taux maximal, si l’emprunteur obtenait le prêt pour le montant et la durée indiqués mais à des conditions onéreuses (avec un taux élevé), la condition serait réalisée et il serait engagé. Dans cette optique, l’emprunteur, percevant le taux maximal comme une protection, est naturellement tenté de solliciter un taux inférieur. C’est alors qu’interviennent les intérêts du vendeur. Car solliciter la banque pour un taux inférieur (ce qui est plus risqué et moins rémunérateur pour la banque), c’est bien sûr avoir aussi moins de chance d’obtenir le prêt. Dès lors, la demande faite à un taux inférieur à celui de la promesse est-elle assimilable à celle faite pour une durée inférieure16 ? Est-elle non conforme et pareillement sanctionnable au regard de l’article 1304-3 du Code civil ?

Telle n’est pas la position de la Cour d’appel de Grenoble, qui considère conforme la demande de prêt à un taux inférieur au taux maximal figurant dans la promesse. Ce faisant, la Cour de Grenoble s’écarte de la ligne jurisprudentielle majoritaire dégagée par la Cour de cassation17, un seul arrêt de la Haute Cour allant à notre connaissance dans le sens grenoblois18.

Une dissidence n’est cependant pas étonnante au regard de la particularité de la mention d’un taux maximal et des critiques notariales qu’a pu subir la jurisprudence majoritaire de la Cour de cassation19. Doit-on exiger de l’emprunteur, et donc également du rédacteur de l’avant-contrat, qu’il se transforme en courtier bancaire, avisé du taux le plus juste pratiqué, afin d’intégrer cette donnée à l’acte et de n’être donc pas tenté de demander un taux plus bas ?

Une partie de la motivation grenobloise s’appuie ainsi sur la spécificité, indéniable, de la fixation d’un taux maximal, protection de l’emprunteur contre l’endettement. La Cour relève qu’une demande au taux de 1,85 % et non 1,90 « ne caractérise nullement la mauvaise foi des bénéficiaires, dès lors qu’il est prévu par la condition suspensive que le taux de 1,90 % est un taux maximum, qui, s’il avait été appliqué, aurait renchéri le coût du crédit »20. En revanche, la fin de la motivation peut laisser plus dubitatif : selon la Cour de Grenoble, si le taux maximal prévu avait été appliqué, il aurait certes renchéri le coût du crédit mais encore « conduit a fortiori au rejet de la demande de financement ». Il semble que la Cour veuille encore appuyer la solution sur le principe jurisprudentiel selon lequel l’article 1304-3 ne joue pas si une demande conforme aurait pareillement voire a fortiori abouti à un refus de prêt21. Cependant, un tel raisonnement a fortiori semble inexact : à regarder la pratique bancaire, c’est la demande au taux le plus faible qui encourt le plus de risque de refus et non le contraire. La Cour aurait donc pu selon nous se passer de ce dernier argument.

La solution posée par la Cour de Grenoble s’évince toutefois avec moins d’évidence que celle récemment posée par la Cour de cassation dans l’hypothèse d’une demande de prêt pour un montant inférieur22. Dans ce dernier cas en effet, la solution posée a le mérite de faire converger trois éléments : elle est à la fois respectueuse de la lettre du contrat à exécuter (montant indiqué maximal), des intérêts de l’emprunteur et des intérêts du vendeur (dans le sens où l’obtention du prêt se trouve facilitée par une telle demande). La solution retenue en l’espèce fait en revanche triompher les deux premiers éléments indiqués sur le troisième. Les intérêts du vendeur sont sacrifiés sur l’autel, soit de l’interprétation stricte des termes du contrat et de la force obligatoire, soit de la protection du consommateur, voire des deux.

Le présent arrêt permet en effet à l’acquéreur de présenter sans être fautif une demande de prêt à un taux inférieur à celui posé par l’avant-contrat. Les intérêts de l’acquéreur sont ainsi sauvegardés. Cependant, le vendeur, qui ne peut faire jouer l’article 1304-3 du Code civil, a donc pu quant à lui croire, à tort selon la Cour, être protégé par la clause de taux maximal.

En revanche, à suivre la ligne jurisprudentielle majoritaire de la Cour de Cassation en matière de taux, c’est le vendeur qui se trouve protégé, l’emprunteur étant sanctionné pour une demande faite à un taux inférieur, alors qu’il croyait se fier à un taux dit maximal.

Dans un cas comme dans l’autre, il y a un déçu, qui va vraisemblablement agir en justice.

Conseil - Un tel contentieux, qui donne lieu qui plus est à une jurisprudence non homogène, peut cependant être évité. Le nœud du problème tient en effet à une rédaction insatisfaisante de l’acte, qui n’a permis ni à l’une ni à l’autre des parties de déterminer clairement le champ de la protection qui lui était accordée. Le rédacteur, qui doit assurer l’efficacité de l’acte et veiller aux intérêts des deux parties, ne doit donc pas se contenter de la seule mention d’un taux d’intérêt maximal.
Deux manières de procéder sont envisageables.
- Il est ainsi possible de prévoir une seule clause, mettant en œuvre une fourchette de taux (par exemple : l’acquéreur s’engage à solliciter un prêt de 100 000 euros sur 10 ans dont le taux est compris entre 1,7 et 2 %)23. Le taux minimal correspond au meilleur taux pratiqué par l’établissement pour un prêt de la durée sollicitée, le taux maximal équivaut à la limite de l’endettement supportable par l’emprunteur. D’une manière équivalente, il est possible de prévoir un seul taux mais d’indiquer qu’une demande à un taux inférieur, par exemple, de plus de 0.3 point déclenchera le jeu de l’article 1304-3 du Code civil.
- Il est également possible de voir la mention du taux d’intérêt dans deux clauses distinctes de l’acte. La première clause concerne la protection de l’acquéreur-emprunteur. Elle mentionne le taux maximal admissible par l’emprunteur afin de ne pas s’endetter à l’excès, l’obtention d’un prêt à un taux supérieur faisant défaillir la condition. La seconde clause est relative aux diligences à accomplir par l’acquéreur dans l’intérêt cette fois du vendeur. Le taux alors indiqué s’entend d’un taux minimal en dessous duquel le candidat acquéreur ne pourrait descendre, sauf à déclencher le jeu de l’article 1304-3 du Code civil24.

Notes

1 V. en ce sens Cass., avis, 18 mai 1998, n° 98-00.003, Bull. 1998 avis, n° 7 p. 7. Retour au texte

2 « Lorsque la condition suspensive prévue au premier alinéa n’est pas réalisée, toute somme versée d’avance par l’acquéreur à l’autre partie ou pour le compte de cette dernière est immédiatement et intégralement remboursable sans retenue ni indemnité à quelque titre que ce soit ». Retour au texte

3 Précisons qu’en l’absence de délai contractuel de dépôt, la jurisprudence estime tout de même que le candidat emprunteur doit mettre l’établissement bancaire en mesure de prendre sa décision dans le délai fixé pour la réalisation de la condition, par le dépôt d’un dossier dans un délai compatible avec les nécessités de l’instruction du dossier et de la prise de décision. A ainsi été jugé tardif le dépôt du dossier le jour même de l’expiration du délai, la condition étant alors réputée accomplie : Cass. civ. 1re, 19 juin 1990, 88-16.196, Bulletin 1990 I n° 175 p. 122. V. également Cass. civ. 3e, 16 fév. 2022, n° 20-23.237, L’essentiel du droit bancaire, n° 04 du 2 avril 2022, obs. S. Piedelièvre (dépôt 16 jours avant l’expiration du délai contractuel de réalisation de la condition suspensive). Retour au texte

4 C. consomm., art. L 313-41 al. 1. Retour au texte

5 V. les références infra. Retour au texte

6 V. Cass. civ. 3e, 6 juill. 2005, n° 04-13.381, Bull. III n° 154 p. 143 (obligation de dépôt dans les 15 jours de l’acte) ; Cass. civ. 3e, 7 avr. 2009, n° 08-15.896, Inédit (obligation de dépôt dans les 20 jours) ; Cass. civ. 1re, 11 sept. 2012, n° 11-20.213, Inédit (obligation de dépôt dans les 10 jours) ; Cass. civ. 3e, 12 fév. 2014, n° 12-27.182, Bull III, n° 20 (obligation de dépôt dans les 10 jours). Retour au texte

7 Remarquons que le vendeur peut toujours reprocher un manque général de diligence dans le cas spécifique où la demande de prêt est déposée trop peu de temps avant l’échéance du délai de réalisation de la condition. Retour au texte

8 Cass. civ. 1re, 4 juin 1996, n° 94-12.418, Bull. I, n° 239. Retour au texte

9 V. en ce sens Cass. civ. 1re, 11 sept. 2012, préc. : « il ne pouvait être reproché aux époux X de ne pas avoir respecté l’obligation contractuelle de déposer leurs demandes de prêt dans un délai de dix jours, ce délai n’étant pas prévu par les dispositions, d’ordre public, de l’article 312-16 du code de la consommation ». Retour au texte

10 V. Cass. civ. 3e, 6 juill. 2005, préc. : « les dispositions de l’article L. 312-16 du Code de la consommation étant d’ordre public, il ne pouvait leur être imposé des obligations contractuelles de nature à accroître les exigences résultant de ce texte, notamment en les obligeant à déposer le dossier de crédit dans un certain délai » ; Cass. civ. 3e, 12 fév. 2014, préc. : « les dispositions d’ordre public de l’article L. 312-16 du Code de la consommation interdisent d’imposer à l’acquéreur de déposer une demande de crédit dans un certain délai, cette obligation contractuelle étant de nature à accroître les exigences de ce texte ». Retour au texte

11 C’était également le cas dans l’espèce jugée par CA Grenoble, 1re ch. civ., 25 janv. 2022, n° RG 20/00636 Retour au texte

12 V. en ce sens Cass. civ. 3e, 12 fév. 2014, n° 12-27182 : « en s’adressant à la société Finance Immo, courtier en prêts immobiliers, Mme Y avait satisfait à l’obligation de déposer une demande de prêt auprès d’un organisme financier contenue dans la promesse de vente ». Retour au texte

Plus généralement sur le courtier en crédit, V. L. Denis et M. Roussille, « La responsabilité civile de l’intermédiaire en opérations de banque, et notamment celle du courtier en crédit, Panorama de la jurisprudence rendue en 2021 », Gaz. Pal. 8 fév. 2022, n° 4, p. 37.

13 V. Cass. civ. 1re, 19 juin 1990, préc. Retour au texte

14 V. comm., sous CA Grenoble, 1re ch. civ., 25 janvier 2022, n° 20/00636. Retour au texte

15 Cass. civ. 3e, 14 janv. 2021, n° 20-11.224, Publié au Bull., JCP N 2022, n° 19, p. 27, obs. F. Collard, ibid, n° 12, p. 33-34, obs. S. Piédelièvre, JCP E 2021 n° 28, p. 34-35, obs. J.-B. Seube, Gaz. Pal. 2021, n° 14, p. 32, obs. D. Houtcieff, AJDI 2021, n° 9, p. 624-626, obs. Fr. Cohet, RTDciv 2021. 408-409, obs H. Barbier, D. 2022, Panorama Droit des contrats, p. 310 s., III A, obs. M. Mekki. Retour au texte

16 V. la jurisprudence citée sous CA Grenoble, 1re ch. civ., 25 janvier 2022, n° 20/00636. Retour au texte

17 Cass. civ. 3e, 20 nov. 2013, BICC 1er mars 2014, n° 497, D. 2014. 196, note S. Tisseyre, RDI 2014. 99, obs. H. Heugas-Darraspen, JCP E 2014, n° 1023, note S. Piedelièvre, JCP N 2014, n° 1098, note N. Randoux, RJDA 2014, n° 93, LPA 21 janv. 2014, note J.-M. Hisquin, Banque et Droit janv.-fév. 2014. 20, obs. G. Helleringer ; Cass. civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 17-21.859, Inédit, JCP N 2020, n° 13, 1074, obs. L. Leveneur ; Cass. civ. 3e, 9 juillet 2020, n° 19-18.893, Inédit. Retour au texte

18 Cass. civ. 3e, 21 juin 2018, n° 17-19.856, Inédit. Retour au texte

19 V. not. les auteurs commentant Cass. civ. 3e, 20 nov. 2013, préc. Retour au texte

20 Pour une motivation similaire, V. l’arrêt de cour d’appel, cassé par Cass. civ. 3e, 20 nov. 2013, préc. Retour au texte

21 Sur ce point, V. la jurisprudence citée sous CA Grenoble, 1re ch. civ., 25 janvier 2022, n° 20/00636 Retour au texte

V. spéc. Cass. civ. 3e, 1er avril 2021, 19-25.180, Inédit, estimant que la banque aurait pareillement refusé le prêt demandé au taux contractuel.

22 Cass. civ. 3e, 14 janv. 2021, préc. : « alors qu’un prêt accordé à un montant inférieur au montant maximal prévu est conforme aux stipulations contractuelles ». L’arrêt est rendu au visa de l’article 1103 C. civ : force obligatoire des contrats. Retour au texte

23 V. en ce sens N. Randoux, note préc. sous Cass. civ. 3e, 20 nov. 2013. Retour au texte

24 V. O. Herrnberger, « Condition suspensive et caractéristiques du prêt devant être demandé : taux maximum ou minimum ? Le regard du notaire », JCP n° 13, 27 mars 2020, 1075, L. Leveneur, JCP N 2020, n° 13, 1074. Pour une variante, corrélant le taux à la durée du prêt et donc incluant plusieurs taux minimaux, fonction de la durée de prêt obtenue : C. Grimaldi, « Condition suspensive de prêt (montant, durée, taux), Formule », Defrénois n° 29 16 juill. 2021, Pratique, p. 16. Retour au texte

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Référence électronique

Nathalie Pierre, « Aménagements contractuels de la condition suspensive légale d’obtention d’un prêt immobilier : ce qui est licite et ce qui lie le bénéficiaire de la condition », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 25 octobre 2023, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=334

Auteur

Nathalie Pierre

Maître de conférences, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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