Alors que certaines régions connaissent désormais des pénuries hivernales d’eau douce et que la contestation contre l’appropriation privative de cette ressource naturelle fait l’objet d’une répression brutale qu’attisent les vindictes ministérielles à l’encontre des « écoterroristes », la présente décision illustre au contraire la prééminence d’un intérêt collectif en matière de gestion de l’eau. En l’espèce, était en cause un canal prélevant l’eau d’un ruisseau, canal pour la gestion et l’entretien duquel un syndicat avait été créé en 1825. Le canal en question était destiné à faire fonctionner diverses usines et moulins mais une délibération du syndicat, datée de 1825 permettait en outre aux riverains du canal d’arroser leurs jardins au moyen de l’eau du canal du « samedi midi jusqu’au lundi midi ». Or, au début des années 2010, les services préfectoraux en charge de la police de l’eau avaient enjoint au syndic gérant le syndicat de cesser les prélèvements sur le ruisseau alimentant le canal en deçà d’un débit minimal afin notamment de garantir « en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux » du ruisseau. Il en était résulté pour les riverains appelants que ceux-ci ne pouvaient plus puiser l’eau dans le canal durant la période estivale afin d’irriguer leur jardin, ce que la cour d’appel a confirmé. La présente décision est intéressante à plus d’un titre. Sur la nature du droit des riverains déjà, même si l’arrêt mentionne un droit d’usage de l’eau du canal aux fins d’irrigation, la délibération du syndicat semble se référer à une « simple faculté d’arroser ». Au-delà de cette première incertitude terminologique, la qualification de ce « droit d’eau » était incertaine. Un premier réflexe aurait été d’y voir une sorte de droit réel d’usage. Mais cette qualification se serait heurtée à une difficulté : elle aurait supposé que le syndicat soit propriétaire des eaux circulant dans le canal. Or, si l’appropriation de l’eau douce se défend s’agissant des eaux dormantes, elle en revanche bien plus difficile à admettre s’agissant des eaux courantes et à plus forte raison au bénéfice d’un syndicat chargé de la gestion de l’entretien d’un canal. Et cela d’autant plus que la nature non domaniale du cours d’eau auquel était connecté le canal militait en faveur de la qualification de chose commune de l’eau y circulant1. Ces éléments faisaient obstacle à la reconnaissance d’un droit réel d’usage portant sur l’ensemble du volume circulant dans le canal. La qualification de droit réel étant douteuse, la qualification de droit personnel serait-elle mieux appropriée ? La cour d’appel précise dans sa décision que les syndics (en charge de l’animation du syndicat) sont tenus « d'une obligation de moyen pour assurer la continuité de l'alimentation en eau » mais c’est bien le syndicat qui était censé assurer la fourniture de l’eau. Or la source de son obligation éventuelle demeure bien incertaine. A lire la décision, on s’aperçoit que c’est une délibération du syndicat qui octroyait le droit d’usage des riverains, sans que l’existence d’une quelconque convention soit mentionnée. N’étant pas membres du syndicat en cause -ce que la cour d’appel rappelle dans sa décision pour écarter toute contestation quant à la désignation du syndic de leur part-, les riverains ne pouvaient donc pas être parties à une convention conclue entre le syndicat et ses membres. On aurait cependant pu envisager l’existence d’une stipulation pour autrui ou encore celle d’un engagement unilatéral du syndicat à leur égard. Mais en pratique, l’ancienneté de ce droit faisait douter de cette qualification. En effet, si le syndicat avait été débiteur d’une quelconque obligation, il aurait sans doute pu s’en libérer en la résiliant durant les presque deux siècles écoulés depuis la délibération en question... A vrai dire, si l’on peine à se convaincre de la qualification réelle ou personnelle de ce droit d’usage, c’est peut-être que c’est l’idée-même d’un droit subjectif de nature patrimoniale des riverains qui doit être écartée. L’eau courante ayant la nature d’une chose commune, il n’est pas étonnant que des tiers bénéficient à son égard d’un simple « droit d’accès » non monnayable2.
Quelle que soit la nature profonde de ce droit d’accès, en l’espèce, ce dernier ne saurait présenter un caractère systématique. Il est naturellement destiné à s’exercer dans le respect des lois et plus encore de la réglementation administrative ainsi que l’article L 251-1 du Code de l’environnement en dispose, ce que rappelle la cour. Mais par ailleurs et surtout dans le champ du droit privé, ce droit de prélèvement reste soumis à l’existence d’un intérêt supérieur au sens de l’article 645 du Code civil. Sur le fondement de cette disposition, le juge judiciaire se voit reconnaître le pouvoir d’élaborer d’étonnants « règlements judiciaires d’usage » arbitrant entre les intérêts individuels et des intérêts collectifs3. La lettre du texte mentionne à cet égard l’intérêt de l’agriculture mais les anciens auteurs considéraient que l’esprit de la loi permettait tout aussi bien d’invoquer l’intérêt de l’industrie4. De nos jours, une telle disposition pourrait bien être mobilisée au soutien de la préservation de la biodiversité, ou même à l’encontre d’une appropriation privative parfaitement anachronique d’une ressource commune désormais en voie de raréfaction.