Rendue en référé, la présente décision est particulièrement stimulante. L’affaire avait d’ailleurs déjà donné lieu à plusieurs décisions rendues à titre provisoire. À l’origine, à s’en tenir à une présentation chronologique des faits, était en cause une parcelle de laquelle jaillissaient plusieurs sources. En 1928, la commune a acquis la propriété de « toutes les sources fluentes présentes ou souterraines » existant dans la parcelle avec parallèlement le droit de pratiquer sur cette parcelle des fouilles, d’y établir des citernes et des canalisations pour le transport de l’eau. Parallèlement, la commune se voyait reconnaître le droit de pénétrer sur la parcelle à toute époque pour la surveillance et l’entretien du réseau de captage. Du fait du développement du réseau d’eau potable de la commune, il semblerait que cette dernière ait délaissé les captages et canalisations, ceux‑ci fournissant cependant leur précieux liquide à une petite communauté d’habitants au profit de laquelle la commune semblait prête à renoncer à sa propriété, ce qui a cependant été exclu par l’une des décisions rendues. Parce qu’entre temps, l’affaire avait pris un tour contentieux. Plus précisément, en 2008 la parcelle a été acquise par une personne, qui a rapidement dû faire face à une inondation sur la parcelle du fait — cela sera établi par expertise — d’une rupture de l’une des canalisations et d’une manière générale d’un défaut d’entretien des captages. Une fois la compétence du juge judiciaire acquise, plusieurs décisions ont été rendues. Celle présentée ci‑dessus est la dernière en date : estimant que la commune est débitrice d’une obligation d’entretien qui n’est pas sérieusement contestable, la cour d’appel lui enjoint donc de réparer les différents captages ainsi que les canalisations, conformément aux préconisations d’un expert, afin de mettre fin aux désordres constatés.
Si l’intérêt d’une telle obligation d’entretien semble difficilement contestable, son fondement lui n’a rien d’évident surtout si l’on prend garde au fait que cette obligation contraint précisément la commune propriétaire des sources en question. Le propriétaire d’une chose est-il habituellement tenu de l’obligation de l’entretenir alors même qu’il en jouit pour lui-même ? Les obligations d’entretien d’une chose sont certes courantes lorsque la chose fait l’objet d’un contrat de mise à disposition (bail, dépôt) mais tel n’était pas le cas en l’espèce puisque la commune était propriétaire des « sources » du fait de la vente de ces dernières intervenues en 1928. Ce premier point pourtant pourrait étonner : comment dissocier une source de la parcelle de terre de laquelle elle sourd ? Si l’on en croît la lettre de l’alinéa 3 de l’article 641, le propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux de source nées sur son fonds. Analysant cette disposition tirée du droit romain, Planiol relevait que « pour être vieille, elle n’en est pas plus juste », estimant qu’il était incohérent d’attribuer ainsi la propriété de l’eau courant sous la surface au propriétaire du sol alors même que les eaux courant au-dessus de la surface ne lui appartenaient pas1. Et d’autres auteurs — non des moindres — de reconnaître que les conséquences de cette règle sont nombreuses et peu conformes « à l’intérêt général, à la destination logique et équitable des eaux de sources2 ». Pourtant parmi ces conséquences, la Cour de cassation devait reconnaître la possibilité pour le propriétaire du fonds de céder isolément l’eau sourdant du sol3. Ce type de cession semble même avoir été assez courant, notamment au bénéfice des communes chargées de la distribution de l’eau potable. Du point de vue civiliste, cette cession conduit à considérer que la source est distincte du fonds duquel elle sort et qu’elle est donc cédée indépendamment de la portion de sol sur laquelle elle apparaît4. En l’espèce d’ailleurs, les sources « fluentes » cédées étaient présentes ou souterraines — l’acte de 1928 admettant en outre un droit d’afouillement du sol — ce qui accrédite encore mieux l’idée d’un objet immobilier distinct du fonds. Ce fonds « aqueux » présentait suffisamment de matérialité pour constituer le fonds dominant des servitudes grevant la parcelle où se trouvaient les sources et permettant de stocker (citernes) et d’acheminer (conduites) l’eau provenant des sources. La cour d’appel relève cependant que c’est en qualité de propriétaire des sources, résurgences comprises, que la commune est chargée d’une obligation générale d’entretien et non au titre des différentes servitudes d’écoulement des eaux captées.
Si l’on comprend bien donc, le propriétaire d’une source serait tenu d’une obligation générale d’entretien de cette dernière. Pour louable qu’elle soit, une telle obligation ne peut néanmoins que susciter la perplexité. À lire la décision d’appel, il semblerait que la convention de 1928 ait réservé au propriétaire de la source l’accès à cette dernière aux fins d’entretien. Mais l’origine conventionnelle de cette obligation ne nous renseigne guère sur son fondement. En effet, du fait de sa durée a priori indéterminée, il paraît difficile d’y voir une simple obligation personnelle car la commune aurait pu s’en affranchir facilement en la résiliant. À vrai dire, si obligation d’entretien il y a, celle‑ci s’apparenterait davantage à une obligation spécifique résultant de la propriété de la source : une obligation propter rem. Présentant la structure d’une obligation personnelle en imposant à son débiteur une prestation quelconque, ici l’entretien, cette obligation propter rem a pour particularité de lier un propriétaire du fait de sa propriété d’une chose. La figure est exceptionnelle en droit civil français car elle peut contrevenir au principe relevant de l’ordre public des biens de prohibition des droits réels in faciendo5. L’un des (rares) exemples consensuels d’obligation propter rem est constitué par l’obligation d’entretien des ouvrages nécessaires à une servitude dont peut être tenu le propriétaire du fonds servant6. Comme toutes les obligations à consonance « réelle », celui qui y est tenu peut y échapper en abandonnant la propriété de la chose qui le conduit à être débiteur. En l’espèce, on notera que la commune avait tenté en vain, à l’origine de la procédure, de se défausser de sa propriété au bénéfice des habitants profitant concrètement de l’eau des sources. En l’espèce toutefois, la reconnaissance d’une obligation propter rem se heurte à une difficulté qui est celle de la caractérisation de son créancier. On serait tenté de l’identifier dans le propriétaire de la parcelle d’où jaillissent les sources. Mais pourquoi ce dernier serait‑il davantage créancier d’une telle obligation que les propriétaires dont les fonds seraient situés en aval et donc tout autant exposés aux nuisances consécutives à un défaut d’entretien ? Et quant à ces derniers, en quoi seraient‑ils moins créanciers d’une telle obligation d’entretien lorsque le propriétaire d’un fonds d’où jaillissent des sources néglige l’entretien des éventuels captages, provoquant de ce fait l’inondation des fonds voisins ? Astreindre le propriétaire d’une chose à un régime d’entretien spécifique et contraignant7 n’est pas inédit : un tel régime existe concernant certaines installations industrielles ou même certains objets dangereux. Mais est‑ce le cas pour les sources ?
Mais surtout, en définitive, en l’absence de toute inondation — et donc de tout désordre lié au défaut d’entretien — qu’aurait‑on pu reprocher au propriétaire de la source ? Par où l’on voit que la difficulté n’était pas tant celle d’une obligation d’entretien que celle de la réparation des dommages résultant de la négligence du propriétaire. Or, peut‑être qu’en portant l’attention sur les troubles subis par la propriétaire de la parcelle inondée il était envisageable de s’appuyer sur l’un des régimes spéciaux de la responsabilité civile applicable à cet immeuble que constituait la source. S’il semblait très audacieux d’invoquer l’article 1244 et le régime spécifique de responsabilité relatif aux immeubles en ruine, peut-être qu’un trouble anormal de voisinage aurait pu être caractérisé ? Pour mettre fin à ce trouble, le juge est en effet à même de prescrire un large panel de mesures allant de l’élagage d’un arbre à la démolition d’un bâtiment, sans doute les travaux prescrits auraient pu l’être aussi sur ce fondement très commun en matière de litiges entre voisins.