Faits et procédure – En l’espèce, une société X spécialisée dans les soins esthétiques et commercialisant des produits et matériels de soins, faisait la promotion de son modèle économique sur des supports et dans des annonces publicitaires. Mme Y, alléchée par l’annonce, décide de créer une entreprise dans le but d’ouvrir un centre de soins esthétiques en convention avec la société X. Elle crée alors la SAS Z qui conclut avec la société X un « contrat de licence de marque » par lequel la société X accorde à la société Z le droit d’exploiter sa méthode et d’utiliser la marque et l’enseigne X. Le même contrat prévoit également la location de machines au profit de la société Z.
L’année qui suit est loin d’être faste pour Mme Y qui apprend que l’ouverture d’un centre de soins esthétiques nécessite des qualifications appropriées sanctionnées par un CAP en soins esthétiques dont elle n’est pas titulaire. Ce qui l’a obligée à recruter une esthéticienne et à revoir ses prévisions comptables à la baisse. Par ailleurs, Mme Y découvre, dans sa zone territoriale d’activité, l’existence de plusieurs centres exploitant l’enseigne X. Cette concurrence imprévue atteint davantage la rentabilité qu’elle espérait tirer de son activité.
Mme Y décide alors de résilier le contrat et demande à la société X de retirer ses produits et matériels de soins qu’elle a entreposés dans un endroit de stockage. Mais la société X, qui s’est abstenue de retirer lesdits objets, lui réclame le versement d’arriérés de loyers, y compris ceux dus après la résiliation.
Pour ne pas avoir à verser lesdits loyers correspondant à la période post‑résiliation, et pour obliger la société X à récupérer ses produits et machines, la société Z assigne la société X en nullité du contrat pour vice du consentement fondé sur un manquement à l’obligation légale d’information pré‑contractuelle portant sur l’existence d’autres centres concurrents exploitant la marque X dans le même secteur. Mais pour que cette demande aboutisse, elle devait demander la requalification du contrat de licence de marque en contrat de franchise. Ce qui lui permettait également de reprocher à la société X de ne pas lui avoir transmis un savoir-faire conformément aux exigences légales relatives à la franchise.
De son côté, la société X conteste cette requalification en alléguant qu’en tout état de cause, aucune obligation de transmission de savoir‑faire, et encore moins une exclusivité territoriale n’est imposée ni par le contrat de licence de marque ni par le contrat de franchise.
Solution de la cour d’appel – Dans son arrêt rendu le 30 novembre 2023, la cour d’appel de Grenoble commence par rappeler, à juste titre, que « le juge n’est pas tenu par l’intitulé donné au contrat. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux1 ».
La cour reprécise également qu’
à la différence d’une simple licence de marque, le contrat de franchise comprend outre la mise à disposition d’un nom, d’une enseigne ou d’une marque, un mode de présentation uniformisé des locaux, un approvisionnement auprès de distributeurs spécifiés ou un référencement des produits ou des services utilisés, une assistance commerciale pendant toute la durée de l’accord et la transmission d’un savoir‑faire.
Or, en l’espèce, la cour est forcée de constater que « [l]es énonciations contractuelles caractérisent la transmission d’un savoir‑faire, élément essentiel du contrat de franchise ». C’est donc à bon droit qu’elle infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Romans‑sur‑Isère en requalifiant le contrat de licence de marque en contrat de franchise. Une telle requalification est l’occasion de préciser les éléments de distinction entre un contrat de licence de marque et un contrat de franchise (1), ce dernier entraînant des obligations légales qui lui sont propres (2).
1. La distinction entre contrat de franchise et contrat de licence de marque
Il est important de rappeler les éléments factuels ayant conduit la Cour d’appel à procéder à une requalification (1.1), avant d’en examiner les enjeux juridiques (1.2).
1.1. Les éléments factuels ayant conduit à la requalification
En l’espèce, le contrat signé entre la société X et la société Z était intitulé « contrat de licence de marque ». Il avait pour objet d’apporter au licencié un centre « clés en main » en lui concédant le droit d’exploiter la méthode développée par la société X dans le centre créé par la société Z en utilisant la marque X, l’enseigne et autres signes de ralliement de la clientèle pour proposer les soins selon ladite méthode à sa clientèle, distribuer dans son centre les produits, objets d’un contrat de location, à sa clientèle, le centre étant aménagé et exploité en conformité avec des normes conçues par la société X.
Aux termes du contrat, le centre devait être aménagé selon un plan type d’agencement défini et fourni par la société X qui assiste son licencié dans l’installation du centre. Le licencié s’engageait à s’approvisionner exclusivement auprès de la société X ou des fournisseurs référencés par la société X.
Le licencié s’engageait également à assister à une formation initiale d’une semaine mais aussi à une formation permanente afin de connaître l’évolution de la méthode objet du contrat, à respecter ladite méthode ainsi que les éléments intégrés dans un manuel de formation, notamment dans le cadre de sa relation avec la clientèle et la communication.
Selon l’appréciation des magistrats de la cour d’appel, de telles énonciations contractuelles caractérisent la transmission d’un savoir‑faire, élément essentiel du contrat de franchise, à travers une méthode, des produits et des matériels de soins spécifiques développés par la société X. Le fait qu’aucun droit d’entrée ni redevances n’aient été stipulés est sans effet, selon les juges, sur cette qualification puisque la rémunération du concédant résulte de la vente de produits et de la location de matériels destinés à l’application du concept. Il en résulte, sans surprise, que le jugement déféré devait être infirmé en ce qu’il avait constaté que le contrat conclu entre les parties est un contrat de licence de marque. Il est alors fait droit à la demande de la société Z en requalification du contrat en contrat de franchise dès lors qu’il devait être donné aux actes litigieux leur exacte qualification.
1.2. Les enjeux juridiques de la requalification
Licence de marque et franchise sont en effet deux contrats n’obéissant pas au même régime juridique. Si, dans les deux cas, le titulaire de la marque donne son autorisation pour exploiter le signe distinctif, le contrat de franchise, contrairement au contrat de licence de marque, comporte nécessairement une transmission de savoir‑faire.
En effet, le contrat de licence de marque est un contrat « par lequel le concédant autorise l’exploitation d’une marque à un licencié, moyennant versement d’une contrepartie2 », tandis que le contrat de franchise, issu de la pratique américaine et systématisé par la doctrine, est un contrat par lequel le franchiseur accorde à ses franchisés le droit d’exploiter un savoir‑faire, à charge pour ces derniers de payer un droit d’entrée et des redevances périodiques, et de respecter des exigences commerciales imposées par le franchiseur3.
De façon naturelle, donc, les magistrats ont l’habitude de requalifier un contrat de franchise en contrat de licence de marque, en particulier parce que le contrat litigieux ne prévoit aucune transmission de savoir‑faire4. Mais l’arrêt objet du commentaire invite à requalifier dans le sens inverse : il s’agit ici d’un contrat de licence de marque requalifié en contrat de franchise en présence d’un engagement du licencié à suivre des formations dispensées par le titulaire de la marque.
Le contrat de licence de marque ayant été requalifié en contrat de franchise, il convient maintenant d’en déduire les obligations essentielles.
2. Les obligations essentielles du contrat de franchise
Les obligations essentielles découlant d’un contrat de franchise sont d’une part l’obligation pré‑contractuelle d’information (2.1) et d’autre part la transmission d’un savoir-faire (2.2).
2.1. L’obligation pré‑contractuelle d’information
En l’espèce, le licencié s’engageait à s’approvisionner exclusivement auprès de la société X ou des fournisseurs référencés par la société X. Or, et c’est ce que rappelle la cour d’appel, il résulte de l’article L. 330‑3 du Code de commerce que toute personne qui met à la disposition d’une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d’elle un engagement d’exclusivité ou de quasi‑exclusivité pour l’exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l’intérêt commun des deux parties, de fournir à l’autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s’engager en connaissance de cause. Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment l’ancienneté et l’expérience de l’entreprise, l’état et les perspectives de développement du marché concerné, l’importance du réseau d’exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités. La loi prévoit aussi que ce document et le projet de contrat sont communiqués vingt jours au moins avant la signature du contrat.
C’est ainsi qu’en l’occurrence, la cour d’appel reproche au franchiseur de n’avoir communiqué au franchisé ni un état du marché local du produit concerné ni aucune information relative à la zone d’implantation du commerce franchisé et des éléments relatifs à la structuration de la concurrence telles la présence d’autres concurrents et les performances du réseau au regard de celles des concurrents. Or, de telles informations étaient particulièrement nécessaires au franchisé pour comprendre le marché local et apprécier l’opportunité d’ouvrir un centre sous l’enseigne objet du contrat. En toute logique, les juges du fond ont annulé le contrat pour dol.
2.2. La transmission d’un savoir‑faire
Lorsqu’une des parties s’engage à transmettre un savoir‑faire à travers une formation obligatoire que l’autre co‑contractant doit suivre, le contrat doit être requalifié en contrat de franchise. C’est en effet le seul contrat de distribution qui comporte une transmission de savoir‑faire. Cette obligation est non seulement une condition de validité, mais aussi un effet du contrat : le franchiseur est tenu de transmettre un savoir-faire de manière continue5.
Selon l’expression retenue par la Cour de cassation, le savoir‑faire confère au franchiseur un avantage concurrentiel6 : son absence est une cause de nullité du contrat de franchise7. Le savoir‑faire n’est pas défini par la loi, ni qualitativement, ni quantitativement, ce qui peut le réduire à peu de choses. En effet, il n’est exigé du savoir‑faire aucun seuil de complexité ni de technicité ni même d’originalité.
C’est ainsi que la cour d’appel n’a pas jugé bon d’apprécier le contenu de la méthode développée par la société X, ni celui de la formation dispensée aux franchisés. Elle se contente de constater l’existence de produits et de matériels de soins spécifiques développés par la société X. De tels éléments suffisent à caractériser le contrat de franchise.
Enfin, c’est toujours à bon droit que les juges grenoblois ont décidé que le fait qu’aucun droit d’entrée, ni redevances, également caractéristiques du contrat de franchise, n’aient été stipulés, est sans effet sur cette qualification puisque la rémunération du franchiseur résulte en l’espèce de la vente de produits et de la location de matériels destinés à l’application du concept objet du contrat.