Servitude non déclarée et responsabilité du notaire

DOI : 10.35562/bacage.241

Décision de justice

CA Grenoble, 1re ch. civ. – N° RG 20/00726 – 01 février 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 20/00726

Date de la décision : 01 février 2022

Résumé

Solution - Faute pour le vendeur de justifier de l’information de l’acquéreur, préalable à la vente, il engage sa responsabilité contractuelle à l’encontre de l’acquéreur.
Ne commet aucune faute le notaire qui relate les titres translatifs de propriété sur trente ans et qui ne dispose d’aucun élément de nature à lui faire suspecter la présence d’une servitude conventionnelle non déclarée et non publiée, grevant le fonds vendu.

Fréquentes sont les hypothèses de mise en cause de la responsabilité du notaire rédacteur d’acte en l’absence de mention d’une servitude dans l’acte de vente. Le notaire est effectivement tenu de procéder, avant de dresser l’acte qu’il reçoit, à la vérification des faits et conditions nécessaires à en assurer l’utilité et l’efficacité. Cette obligation de vérification est évidente lorsque la charge grevant un fonds a été publiée au service de la publicité foncière. Mais qu’en est-il en son absence ? C’est cette question qui est évoquée par la présente affaire.

Au cas particulier, la vente de trois parcelles de terrain est constatée par acte authentique en date du 27 mars 2013. Ledit acte notarié mentionne la constitution d’une servitude de passage grevant la parcelle voisine au profit des fonds vendus.

Un an après la vente, l’acquéreur est condamné à laisser, sur l’une de ses parcelles, le passage libre au profit d’un autre fonds voisin, titulaire d’une servitude de passage en vertu d’une convention de 1976, conclue par les propriétaires des deux fonds d’alors.

Sur ce, l’acheteur assigne son vendeur ainsi que le notaire rédacteur d’acte afin de réparation du préjudice que lui cause l’absence de mention de cette servitude dans l’acte de vente de 2013.

Le tribunal de grande instance de Grenoble, devenu depuis tribunal judiciaire, saisi de cette demande, rejette la mise en cause du rédacteur d’acte mais retient la responsabilité contractuelle du vendeur.

Appel est relevé par les deux parties à l’acte. Le vendeur réfutant la commission d’une faute quelconque tandis que l’acquéreur sollicite la condamnation du notaire, à côté de celle du vendeur, à la réparation de son préjudice.

Il est reproché au vendeur de ne pas avoir porté à la connaissance de l’acheteur une servitude qu’il ne pouvait ignorer, d’autant qu’il avait la qualité de professionnel de l’immobilier. Au notaire, grief est fait de ne pas avoir attiré l’attention de l’acquéreur sur la présence d’un chemin desservant plusieurs parcelles.

Après avoir relevé que l’acte notarié de 2013 ne comportait aucune mention de la servitude discutée, sans pour autant que les parties en contestent l’existence, la cour d’appel retient la responsabilité du vendeur en raison du fait qu’il n’établit pas avoir communiqué à l’acquéreur des documents faisant état de la servitude litigieuse.

Ladite responsabilité est de nature contractuelle. Les juges d’appel n’en précisent pas plus le fondement. Une hésitation était cependant permise entre la violation du devoir d’information contractuelle de l’article 1602 du Code civil, qui s’inscrit dans la continuité de l’obligation de délivrance, ou de celui de garantie due à l’acquéreur contre toute éviction. Il est vrai que les deux fondements permettent d’atteindre un résultat voisin.

Au cas présent, la non révélation de la servitude dans l’acte de vente ou pas acte antérieur, permet de retenir la responsabilité du vendeur, sans que puisse être opposée à l’acquéreur une limitation de son droit à réparation tirée de l’article 1638, comme le prétendait le vendeur. Ce texte précise en effet, que lorsque le bien vendu se trouve grevé d’une servitude non apparente non déclarée, l’acquéreur peut prétendre à une indemnité, dès lors qu’il ne demande pas la résiliation de la vente. Or, une servitude de passage est une servitude apparente.

L’absence de preuve de l’information de l’acquéreur par le vendeur justifie la réparation du préjudice subi par celui-ci dès lors qu’il en rapporte la preuve. L’acheteur n’ayant pu établir que la présence de la servitude avait diminué la valeur de son fonds, l’astreinte qu’il avait été condamné à verser au propriétaire du fonds dominant n’étant liée qu’à son refus d’exécuter la décision de justice lui enjoignant le respect de son droit, la réparation qui lui a été consentie sera limitée au seul préjudice moral et ramené de 15 000 euros, retenu par les premiers juges, à 10 000 euros sur décision d’appel.

La responsabilité du notaire, qui avait mentionné l’ensemble des actes translatifs des biens vendus sur trente années antérieures, et écartée car il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir recherché la présence de servitudes dans les titres de propriété des fonds voisins aux parcelles vendues.

S’il est constant que « les notaires sont tenus d'éclairer les parties et d'appeler leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée et les effets, ainsi que sur les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique et de veiller à la pleine efficacité des actes qu'ils instrumentent »1, il faut mais il suffit qu’ils aient vérifier l’origine de la propriété du bien vendu et examiner les titres de propriété antérieurs et les états hypothécaires sur trente années, sans se contenter de reprendre l’origine de propriété issue d’un acte antérieur ou d’y renvoyer2. Cependant, s’il est confronté à un doute sur le droit de propriété du vendeur ou sur son intégrité, hors de ces vérifications, le notaire se doit de mener toutes les investigations utiles pour mettre fin à ce doute. Mais il n’a pas l’obligation de procéder, sur place, aux vérifications de la consistance des biens vendus.

Aussi, les juges d’appel écartent-ils la critique de l’acheteur qui reprochait au notaire ne de pas avoir fait de déplacement sur les lieux ni contrôler les titres de propriété des fonds voisins. En mentionnant les actes translatifs jusqu’en 1974, lesquels ne faisaient nullement référence à une quelconque servitude grevant le fonds vendu, le rédacteur d’acte avait respecté les obligations lui incombant.

On ne peut qu’approuver cette décision qui s’inscrit parfaitement dans la veine de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Notes

1 Cf. Cass. civ. 1re, 11 mai 2017 n° 16-18874. Retour au texte

2 Cf. Cass. civ. 1re, 11 mars 2020, n° 18-26407. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Frédérique Cohet, « Servitude non déclarée et responsabilité du notaire  », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 24 octobre 2023, consulté le 05 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=241

Auteur

Frédérique Cohet

Maître de conférences, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000, Grenoble, France

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