Loi du 5 juillet 1985 : appréciation des fautes de la victime et du conducteur

DOI : 10.35562/bacage.375

Décision de justice

CA Grenoble, 2e ch. civ. – N° RG 21/00455 – 06 décembre 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 21/00455

Date de la décision : 06 décembre 2022

Résumé

Solution - Constitue une faute du conducteur le fait de percuter le scooter qui le précédait et qui avait ralenti. Ce contact « traduit un défaut de maîtrise de la vitesse au sens de l’article R.413-17. II du Code de la route », qui permet d’engager la responsabilité du conducteur sur le fondement de la loi Badinter. La faute de la victime a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages aux biens qu’elle a subis en application de l’article 5 de la loi du 5 juillet 1985. Une telle faute n’est cependant pas caractérisée lorsque la victime conductrice d’un scooter a ralenti au niveau d’un passage pour piétons.
Impact – La société d’assurance ayant indemnisé la victime peut donc se retourner contre le conducteur pour être remboursée des sommes qu’elle a versées.

Une voiture non assurée percute un scooter. L’assureur du propriétaire du scooter le rembourse du préjudice matériel subi en se fondant sur un rapport d’expertise. Il assigne le conducteur de la voiture aux fins de remboursement des sommes qu’il a payées à son assurée. Le tribunal judiciaire de Grenoble déboute l’assureur du propriétaire du scooter de ses demandes. Les raisons ne sont pas expressément présentées mais il semblerait que les juges ont estimé que l’accident est dû entièrement à la faute de la victime (le propriétaire du scooter) parce que ce dernier avait ralenti. L’assureur du propriétaire du scooter interjette appel estimant que le conducteur est entièrement responsable de l’accident. La Cour d’appel de Grenoble doit dès lors se prononcer sur la question de savoir, d’une part, si un conducteur respectant les limitations de vitesse peut commettre une faute et, d’autre part, si le conducteur victime de l’accident commet une faute en ralentissant sur la chaussée.

Tout d’abord, la Cour d’appel de Grenoble commence par analyser la faute du conducteur du véhicule. Une telle recherche est surprenante puisqu’il ne s’agit pas d’une des conditions d’application de la loi Badinter. En outre, la Cour de cassation a précisé que le recours subrogatoire de l’assureur ne peut se fonder que sur la loi Badinter1, rendant ainsi inutile la recherche d’une telle faute. Si la Cour d’appel de Grenoble retient dans la suite de l’arrêt que l’assureur n’est pas subrogé dans les droits de son assuré pour les sommes qu’il réclame – car il s’est fondé sur un document dont l’impartialité et l’indépendance de l’expert soulèvent des difficultés – elle recherche si la faute du conducteur peut être caractérisée, en contrariété tant avec les conditions de la loi de 1985 qu’avec la solution de la Cour de cassation.

Pour retenir la faute du conducteur, la Cour d’appel rappelle que, selon l’article R.413-17, II du Code de la route, « les limitations réglementaires de vitesses ne dispensent en aucun cas le conducteur de rester constamment maître de sa vitesse et de régler cette dernière en fonction de l’état de la chaussée, des difficultés de la circulation et des obstacles prévisibles ». Le fait de ne pas avoir vu que le scooter ralentissait et de l’avoir percuté à une vitesse de 5-10 km/h caractérise ce défaut de maîtrise du véhicule. Dès lors une faute du conducteur est caractérisée. Cette faute, qui n’est pourtant pas une condition de la loi Badinter, suffit pour la cour d’appel à engager la responsabilité du conducteur sur le fondement de la loi de 1985.

La référence à la maîtrise du véhicule n’est pas surprenante puisqu’il s’agit de l’élément pris en compte de manière classique par les juges pour qualifier une personne de conductrice du véhicule, laquelle disposant en principe de cette maitrise (que le véhicule soit en mouvement ou à l’arrêt2, que le moteur soit en marche ou non3). Néanmoins, très rares sont les arrêts ayant eu à se prononcer sur la caractérisation d’une faute du conducteur qui aurait respecté les limitations de vitesse. En effet, en général c’est l’inverse – la violation de ces limitations – qui est un élément pour caractériser sa faute4. Tout au plus, le respect de la vitesse autorisée par le conducteur est un élément d’appréciation de la faute inexcusable, seule faute opposable à la victime non conductrice victime d’un préjudice corporel venant ainsi réduire son droit à indemnisation5. La solution de la cour d’appel apporte donc sur ce point une précision conforme tant à l’article R.413-17, II du Code de la route qu’à la notion de maîtrise du véhicule : cette maîtrise existant même à l’arrêt et moteur coupé6, a fortiori elle existe également lorsque le véhicule circule en respectant les limitations de vitesse.

Enfin, la cour d’appel recherche la faute de la victime. Cette faute a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages aux biens qu’elle a subis en application de l’article 5 de la loi du 5 juillet 1985. Une telle faute n’est cependant pas caractérisée lorsque la victime conductrice d’un scooter a ralenti au niveau d’un passage pour piétons. On peut d’ailleurs constater que ce serait précisément l’inverse – le fait de ne pas ralentir à l’approche d’un passage piéton – qui serait constitutif d’une faute. Il est possible également de mettre en parallèle cette solution avec un arrêt récent de la Cour de cassation dans lequel celle-ci a estimé qu’un véhicule ayant ralenti pour être dépassé n’est pas impliqué dans l’accident survenu entre un véhicule et un animal sauvage et ne permet donc pas d’engager la responsabilité du conducteur du véhicule ayant ralenti sur le fondement de ce régime de responsabilité7.

Notes

1 Cass. civ. 2e, 5 nov., n° 19-17.062. Retour au texte

2 Cass. Civ 2e, 4 fév. 1987, Bull. civ. II, n° 33. Retour au texte

3 Cass. civ. 2e, 13 janv. 1988, Bull. civ. II, n° 14. Retour au texte

4 V. p. ex. Cass. civ. 2e, 21 avr. 2005, n° 04-10.513 ; Cass. Civ. 2e, 21 déc. 2006, n° 05-17.650. Retour au texte

5 Cass. civ. 2e, 28 mars 2019, n° 18-15.168. Retour au texte

6 Cass. civ. 2e, 4 fév. 1987, précité et Cass. civ. 2e, 13 janv. 1988, précité. Retour au texte

7 Cass. civ. 2e, 12 déc. 2019, n° 18-22.727. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Jennifer Bouffard, « Loi du 5 juillet 1985 : appréciation des fautes de la victime et du conducteur », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 19 octobre 2023, consulté le 17 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=375

Auteur

Jennifer Bouffard

Enseignante-chercheuse contractuelle, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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