Depuis la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, les enjeux tirés de l’octroi d’un aménagement de peine, concomitamment avec le prononcé d’une courte peine d’emprisonnement ferme, ont pris une importance certaine devant les juridictions correctionnelles. Les raisons de cet intérêt tiennent principalement au fait que, contrairement aux aménagements qui peuvent être décidés par le juge de l’application des peines en cours d’exécution, ceux qui sont prononcés ab initio par la juridiction de jugement s’inscrivent essentiellement dans une politique de gestion des flux1, même si le législateur préfère mettre en avant le souhait de favoriser ce type d’aménagement pour lutter contre les courtes peines d’emprisonnement jugées désocialisantes, criminogènes et contreproductives en termes de lutte contre la récidive. L’un des enjeux de la loi n° 2019-222 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 consiste à faire du juge correctionnel l’acteur principal des aménagements ab initio et, corrélativement, à reléguer le juge de l’application des peines au rôle de « magistrat occasionnel des aménagements ab initio »2. L’article 485-1 du Code de procédure pénale pose donc le principe suivant : c’est au juge correctionnel que revient la tâche, lorsqu’il prononce une peine d’emprisonnement ferme d’une durée inférieure ou égale à un an, de décider de son aménagement ab initio, sauf à motiver spécialement le refus de tout aménagement, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l’espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné3. Prenant acte de ces évolutions législatives, la chambre criminelle de la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence au printemps 2021, allant jusqu’à affirmer que, même lorsqu’il n’a pas suffisamment d’éléments lui permettant de déterminer les modalités de l’aménagement, le juge correctionnel doit a minima en prononcer le principe4. En refusant d’aménager une peine de deux mois d’emprisonnement au motif que le prévenu n’a pas comparu à l’audience des débats, ni celle du délibéré, et que le dossier ne comportait pas suffisamment d’éléments ayant trait à sa personnalité et sa situation matérielle, familiale et sociale, permettant à la cour d’apprécier l’opportunité et la faisabilité de l’aménagement de peine, la 6e chambre des appels correctionnels ne livre-t-elle pas ici un arrêt de rébellion ?
En l’espèce, un homme est condamné en première instance à une peine de deux mois d’emprisonnement sans sursis pour différentes infractions, notamment en lien avec l’usage de stupéfiants, et le tribunal correctionnel refuse d’aménager ab initio cette peine, pourtant aménageable au regard de son quantum. Le prévenu, qui interjette appel du jugement en ses seules dispositions pénales, ne comparaît pas et n’est pas représenté le jour de l’audience des débats, durant laquelle le parquet général requiert la confirmation du jugement rendu en première instance. L’affaire est mise en délibéré par la cour, et bien qu’informé que la cause serait de nouveau appelée en audience publique, le prévenu ne comparaît pas, et n’est pas représenté, lors de cette nouvelle audience à l’occasion de laquelle la 6e chambre des appels correctionnels a rendu l’arrêt commenté.
Dans cet arrêt, en date du 15 décembre 2022, la 6e chambre des appels correctionnels confirme la condamnation du prévenu à une peine de deux mois d’emprisonnement sans sursis prononcée en première instance, en s’appuyant notamment sur la gravité des faits commis et les dix-sept condamnations inscrites au casier judiciaire de l’appelant, dont des condamnations récentes pour des faits identiques ou assimilés. Elle refuse, à son tour, d’aménager ab initio cette peine, sur le fondement des articles 132-19 et 132-25 du Code pénal, lesquels disposent que, « si la peine ferme prononcée ou restant à exécuter est supérieure à six mois et inférieure ou égale à un an d’emprisonnement, la juridiction doit décider, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, que la peine sera exécutée en tout ou partie sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur », en se fondant sur l’absence du prévenu à l’audience, et l’absence d’éléments suffisants sur sa personnalité et sa situation. La motivation de l’arrêt au soutien de la solution retenue, qui entre en contradiction le principe affirmé d’autorité par la Cour de cassation selon lequel, toute peine aménageable doit être aménagée, et ce, même si le prévenu n’est pas présent à l’audience et que le dossier ne comporte pas les éléments suffisants sur sa personnalité, sa situation matérielle, familiale et sociale permettant l’aménagement de la peine dans de bonnes conditions, est très intéressante en ce qu’elle témoigne, comme une étude récente menée par une équipe de chercheurs de l’Université Grenoble Alpes l’a démontré5, de la réticence des juges correctionnels à inscrire leurs pratiques juridictionnelles dans le sillage d’une politique pénale fondée sur une logique de pure gestion des flux de population en milieu carcéral, laquelle interroge l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale.
Comment concevoir en effet qu’un homme qui n’a, de toute évidence, tiré aucune conséquence des 17 condamnations dont il a fait l’objet en moins de dix ans, qui ne prend pas la peine de comparaître devant ses juges en première instance comme en appel, et alors même qu’il est appelant principal du jugement de première instance, qui ne prend pas la peine de se faire représenter à l’audience, puisse bénéficier d’un aménagement automatique de sa peine, car c’est bien de cela dont il s’agit ? Quel serait le sens d’un tel aménagement ? Pour que la peine puisse être un outil de lutte contre la récidive, encore faut-il qu’elle soit effective, d’une part, et comprise, dans son principe, mais également dans ses modalités d’exécution par le condamné, d’autre part. En imposant d’aménager ab initio une peine d’emprisonnement malgré l’absence du prévenu à l’audience, et l’insuffisance d’éléments qualitatifs permettant au juge d’apprécier précisément l’opportunité et la faisabilité de la mesure d’aménagement, la Cour de cassation fait clairement prévaloir une logique gestionnaire sur la fonction pédagogique de la peine qui, seule, est en mesure d’assurer efficacement la lutte contre la récidive ! Aucun processus de réinsertion sociale sérieux ne peut s’engager si le condamné n’est pas mis en mesure de comprendre le sens de la peine prononcée, ce qui inclut ses modalités d’exécution ou encore son aménagement ab initio par la juridiction de jugement. L’aménagement ab initio obligatoire des courtes peines d’emprisonnement alors même que le prévenu n’est même pas présent à l’audience, ne serait-ce que sur le principe, est le niveau zéro de la pédagogie en matière pénale, et l’on peine à comprendre ce qu’il est possible d’attendre de ce type de décision en termes de réinsertion sociale et de lutte contre la récidive. Les juges du fond l’ont bien compris, et comme l’arrêt commenté en témoigne, se montrent réticents à appliquer cette jurisprudence dont ils ont du mal à saisir le sens. L’on ne peut que comprendre le malaise ressenti par de nombreux juges correctionnels qui, ne pouvant justifier, aux regards des critères légaux, un refus d’aménager la peine, sont néanmoins contraints de prononcer un aménagement dont ils n’ont en réalité pu apprécier ni l’opportunité, ni même la faisabilité, au regard de la personnalité et de la situation du condamné. L’arrêt rapporté nous semble également mettre en évidence les interrogations légitimes des juges correctionnels sur le sens même de la réforme opéré par la loi du 23 mars 2019, laquelle a souvent été présentée comme visant à clarifier les rôles respectifs du juge correctionnel et du juge de l’application des peines dans le prononcé de la peine. Dans l’esprit du législateur, si le juge correctionnel devait devenir l’acteur principal des aménagements ab initio et, corrélativement, le juge de l’application des peines devait être relégué au rôle de magistrat occasionnel des aménagements ab initio, force est de constater qu’en pratique, si le juge correctionnel n’est plus dépossédé du choix de la peine par le juge de l’application des peines, il l’est par la loi qui lui impose d’aménager la peine.
En conclusion, nous ne pouvons que souhaiter que la Cour de cassation abandonne la logique gestionnaire qu’elle a empruntée dans ses arrêts du printemps 2021, dans le sillage du législateur d’ailleurs dont il est aisé de comprendre les motivations, en revenant sur l’obligation prétorienne faite aux juges correctionnels de prononcer le principe même d’un aménagement de peine lorsqu’ils prononcent une peine aménageable, dès lors que le prévenu n’est ni présent ni représenté à l’audience. Il est urgent que nos juges correctionnels retrouvent leur liberté d’appréciation en leur laissant la possibilité de renvoyer, en pareille hypothèse, l’appréciation d’un éventuel aménagement au juge de l’application des peines.