Le divorce international est un contentieux qui exige souvent d’être morcelé tant pour la compétence juridictionnelle que législative. Cette tâche est particulièrement complexe comme en témoigne l’arrêt rendu par la chambre familiale de la Cour d’appel de Grenoble le 1er février 2022.
Un Français et une Algérienne, tous deux domiciliés en France, se sont mariés en 2015 en Algérie. Le 16 février 2018, l’épouse dépose, en France, une requête en divorce. Par une ordonnance de non-conciliation du 2 octobre 2018, le juge aux affaires familiales de Grenoble dit le juge français compétent et la loi française applicable, constate l’impossibilité d’une conciliation et autorise les époux à introduire une instance en divorce.
En conséquence, l’époux assigne son épouse en divorce pour faute le 13 mai 2019. Le 22 juin 2020, le juge aux affaires familiales de Grenoble retient que le juge français est compétent et que la loi française est applicable, puis déboute les époux de leurs demandes respectives en divorce.
L’épouse interjette appel et demande à la cour d’appel de prononcer le divorce aux torts exclusifs de l’époux sur le fondement de l’article 242 du Code civil. Elle lui demande également de retenir qu’il n’y a pas lieu à prestation compensatoire, que chacun des époux doit perdre l’usage du nom de son conjoint et de renvoyer les époux aux opérations de partage et de liquidation. Dans son appel incident, l’époux demande à la cour d’appel de prononcer le divorce aux torts exclusifs de l’épouse sur le fondement du même article 242 du Code civil, de rappeler que la date des effets du divorce est fixée à la date de l’ordonnance de non-conciliation et de condamner son épouse à lui verser la somme de 1 200 € de dommages et intérêts.
Après avoir déclaré les juridictions françaises compétentes et la loi française applicable au litige, la cour d’appel de Grenoble infirme le jugement du 22 juin 2020. Statuant à nouveau, elle prononce le divorce des époux aux torts exclusifs de l’époux. La cour retient que l’épouse a quitté le domicile conjugal suite aux violences exercées par son époux et que celles-ci constituaient des violations graves et renouvelées aux obligations du mariage. La cour poursuit en invitant les époux à procéder amiablement à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux. Concernant leurs biens, le divorce prendra effet entre les époux à la date de l’ordonnance de non-conciliation.
Le présent commentaire se concentrera sur la manière dont la cour d’appel traite la dimension internationale du litige relatif au divorce. Il ressort ainsi de l’étude que la cour d’appel prit soin de résoudre les conflits de juridictions et de lois relatifs au principe du divorce (1), mais omit de régler ceux relatifs aux conséquences du divorce sur lesquelles elle a pourtant statué (2).
Le principe du divorce
La cour d’appel fonde sa compétence sur l’article 3 du règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003, dit Bruxelles II bis. Cette règle de compétence alternative énumère six éléments de rattachement qui permettent aux juridictions des Etats membres de fonder leur compétence pour statuer sur le principe du divorce. Il suffit que l’un de ces rattachements soit concrétisé sur le territoire du juge français s’interrogeant sur sa compétence pour que celle-ci soit acquise. En l’espèce, la cour d’appel énonce que « les deux époux résidant toujours en France, pays de leur dernière résidence habituelle, la juridiction française sera considérée comme compétente pour statuer sur le principe du divorce ». Il y a là un amalgame entre les chefs de compétence du règlement. Il suffisait, en l’espèce, de relever que le juge français était compétent en tant que juge de « la résidence habituelle des époux »1.
Sur le fondement de l’article 8 du règlement (UE) n° 1259/2010 du 20 décembre 2010, dit Rome III, le juge retient « qu’il y a lieu d’appliquer la loi française pour statuer sur le principe du divorce ». La loi française est effectivement celle désignée par la règle de conflit de lois de l’article 8, mais le raisonnement de la cour d’appel sur le fondement de cette règle de conflit est erroné. L’article 8 du règlement Rome III propose une règle de conflit de lois en cascade. Elle énonce quatre éléments de rattachement qui sont hiérarchisés, ce n’est que si le premier élément de rattachement n’est pas concrétisé que le juge peut consulter le prochain élément de rattachement afin de connaître la loi applicable. Or, pour affirmer la compétence de la loi française, la cour d’appel ne s’est pas fondée sur le bon élément de rattachement en ne respectant pas le raisonnement en cascade exigé par le règlement. En retenant que « les époux résident toujours en France et [que] la dernière résidence commune des époux n’a pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction », elle identifie la loi désignée par le deuxième élément de rattachement de l’article 82. Or, le premier élément de rattachement de la règle de conflit de lois, « la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction », était en l’espèce concrétisé en France. La cour d’appel aurait dû s’arrêter au premier critère de rattachement posé par l’article 8.
Les conséquences du divorce
La cour d’appel a correctement distingué la question de la responsabilité civile des époux3 de celle du principe du divorce, mais a confondu cette dernière et celle des effets du divorce. Sur le fondement des règlements Bruxelles II bis et Rome III, la cour d’appel a retenu la compétence du juge français et l’application de la loi française « s’agissant du divorce et de ses effets ». Or, le règlement Bruxelles II bis précise que, s’agissant du divorce, il ne s’applique « qu’à la dissolution du lien matrimonial4 » excluant ainsi « les questions telles que les causes de divorce, les effets patrimoniaux du mariage ou autres mesures accessoires éventuelles5 » et « les obligations alimentaires6 ». Le règlement Rome III quant à lui ne s’applique « qu’à la dissolution ou au relâchement du lien matrimonial7 » excluant ainsi « des questions préalables telles que la capacité juridique et la validité du mariage, ainsi que les questions telles que les effets patrimoniaux du divorce ou de la séparation de corps, le nom, la responsabilité parentale, les obligations alimentaires ou autres mesures accessoires éventuelles8 ». En conclusion, les règlements Bruxelles II bis et Rome III distinguent le principe de la désunion, auquel ils s’appliquent, des conséquences de celle-ci qui n’entrent pas dans leurs champs d’application matérielle.
En l’espèce, la cour d’appel s’est prononcée sur quatre conséquences du divorce.
Sur le fondement des articles 262-1 et 267 du Code civil, elle statue respectivement sur la date des effets patrimoniaux du divorce entre époux et sur la liquidation du régime matrimonial. Or, comme relevé précédemment, les règlements Bruxelles II bis et Rome III ne s’appliquant pas aux effets patrimoniaux du divorce, il aurait fallu fonder la compétence du juge français sur le fondement de l’article 1070 du Code civil9 et rechercher la loi applicable à ses effets sur le fondement de la Convention de La Haye du 14 mars 197810.
La cour d’appel s’est également prononcée sur la prestation compensatoire qui échappe aux règlements Bruxelles II bis et Rome III, mais relève du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 lequel règle le conflit de juridictions et délègue au protocole de La Haye du 23 novembre 2007 le règlement du conflit de lois.
Enfin, la cour d’appel était saisie de la question de l’usage du nom marital. Alors que le règlement Rome III exclu clairement le nom de son champ d’application11, le règlement Bruxelles II bis ne l’exclut pas explicitement, mais la doctrine s’accorde pour le faire12. Pour statuer sur le nom, la cour d’appel aurait donc dû chercher à fonder sa compétence sur l’article 42 du Code de procédure civile13 et se référer à la règle de conflit de lois unilatérale de l’article 309 du Code civil pour savoir si la loi française était applicable en l’espèce.
A l’issue de cet exposé de l’arrêt commenté, il est acquis que la cour d’appel n’a pas respecté la règle du morcellement exigé par le droit international privé. Il semble qu’elle ait préféré raisonner sous l’égide du principe de droit interne selon lequel l’accessoire (la compétence juridictionnelle et la loi applicable aux différents effets du divorce) doit suivre le principal (la compétence et la loi applicable au principe du divorce). L’économie de raisonnement peut-elle être préservée par les règles relatives à l’office du juge en droit international privé ?
Pour répondre, il faut rappeler que les effets patrimoniaux du divorce entre époux, le régime matrimonial et la prestation compensatoire sont, en droit international privé, considérés comme des droits disponibles. Dans le silence des parties, le règlement du conflit de lois est alors facultatif pour le juge14. Ainsi, il ne pourra pas être reproché à la cour d’appel, en présence de conclusions des parties se fondant sur le droit français, de s’être fondée sur ce droit pour trancher le litige.
Remarque complémentaire : Saisi d’une demande en divorce par l’époux, le juge algérien avait prononcé le divorce des époux le 11 avril 2018 sur le fondement du droit algérien et en l’absence de l’épouse. Le procureur de la République a cependant refusé la transcription de ce divorce, sur les actes de l’état français, demandée par l’époux aux motifs que ce divorce était assimilable à une répudiation et contraire à l’ordre public français. Ainsi, du 11 avril 2018 au 1er février 2022, les époux se sont retrouvés dans un mariage boiteux puisque divorcés selon le droit algérien, mais mariés selon le droit français.