La détermination du montant de la prestation compensatoire entre un Français et une Indonésienne

DOI : 10.35562/bacage.388

Décision de justice

CA Grenoble, ch.fam. – N° RG 20/02984 – 04 janvier 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 20/02984

Date de la décision : 04 janvier 2022

Résumé

Solution – Saisie d’une demande relative à la prestation compensatoire, la chambre familiale de la cour d’appel de Grenoble règle préalablement les conflits de juridictions et de lois qui découlent de la nationalité étrangère de l’ex-épouse. Sur le fondement du droit français, la cour d’appel diminue de 25 000 € le montant de la prestation compensatoire que l’ex-époux doit à son ex-épouse.
Impact – Le juge français est compétent et applique la loi française à la demande de prestation compensatoire en vertu du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires.
L’actualisation des justificatifs de revenus du débiteur de la prestation compensatoire en seconde instance peut fonder une modification du montant de celle-ci.

Plan

Dépendante de nombreux éléments de fait, la prestation compensatoire exige une motivation détaillée de la part du juge. Lorsqu’elle s’inscrit dans un litige ayant une dimension internationale, elle requiert davantage de motivation, ce qui peut mettre en difficulté le juge. L’arrêt rendu le 4 janvier 2022 par la chambre familiale de la Cour d’appel de Grenoble en témoigne.

Un Français et une Indonésienne se sont mariés en France en 2006. N’ayant pas conclu de contrat de mariage, les époux étaient soumis au régime légal de la communauté. Deux ans après leur union, le couple donne naissance à une enfant.

En 2018, l’épouse dépose une requête en divorce. Par ordonnance de non-conciliation en date du 27 avril 2018, le juge aux affaires familiales de Valence déclare la juridiction française compétente et dit la loi française applicable, constate que les époux ont accepté le principe de la rupture du mariage et statue sur la résidence des époux ainsi que sur l’autorité parentale des parents à l’égard de leur enfant.

Le 23 mai 2018, l’épouse assigne son époux en divorce. Le 10 septembre 2020, le juge aux affaires familiales de Valence rend son jugement au sein duquel il retient préalablement la compétence de la juridiction française ainsi que l’application de la loi française pour statuer sur le divorce, la responsabilité parentale et les obligations alimentaires. Ensuite, il prononce le divorce des époux conformément aux articles 233 et 234 du Code civil, rejette la demande d’homologation d’un acte liquidatif notarié en l’absence d’accord de l’un des époux, statue sur l’exercice conjoint de l’autorité parentale des père et mère de l’enfant et fixe la résidence alternée de cette dernière au domicile de chacun des deux parents. Enfin, il dit n’y avoir pas lieu à la fixation d’une pension alimentaire au profit de l’un ou l’autre des époux pour l’entretien et l’éduction de l’enfant, mais condamne l’époux au versement d’une prestation compensatoire à l’épouse à hauteur de 30 000 €.

L’époux interjette appel. À titre principal, il demande à la cour d’appel d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné à verser à son ex-épouse la somme de 30 000 € au titre de la prestation compensatoire, et de débouter son ex-épouse de sa demande de prestation compensatoire. À titre reconventionnel, il demande à ce que la somme de la prestation compensatoire mise à sa charge soit fixée à hauteur de 5 000 €.

Après avoir déclaré la compétence des juridictions françaises et l’application de la loi française au litige relatif à la prestation compensatoire (1), la cour d’appel confirme le jugement rendu le 10 septembre 2020 sauf en ce qui concerne le montant de la prestation compensatoire allouée à l’épouse. Statuant à nouveau, elle condamne l’ex-époux à payer à son ex-épouse la somme de 5 000 € à titre de prestation compensatoire (2).

I-Le règlement de la dimension internationale du litige

Ayant identifié l’élément d’extranéité que constitue la nationalité indonésienne de l’épouse, la Cour d’appel de Grenoble procède à la vérification de la compétence des juridictions françaises ainsi qu’à l’application de la loi française dans ce litige relatif à la prestation compensatoire.

La cour d’appel commence par identifier la catégorie juridique autonome à laquelle appartient la prestation compensatoire qui est celle de l’obligation alimentaire1. Grâce à cette qualification, la cour d’appel retient l’applicabilité des règles de conflit de juridictions et de lois relatives aux obligations alimentaires prévues par le règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires. La cour d’appel fonde la compétence des juridictions françaises sur l’article 3 a) du règlement n° 4/2009 aux termes duquel est compétente pour statuer en matière d’obligations alimentaires la juridiction de l’État membre du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle. Le rattachement à la France ne posait aucune difficulté puisque les deux époux vivaient habituellement en France. Pour connaître la loi applicable au litige, la cour d’appel se fonde sur la règle de conflit de lois générale de l’article 3 du protocole de La Haye de 2007. Elle retient ainsi que « la loi du for sera appliquée ». Si la cour d’appel a correctement identifié la loi française comme étant applicable au litige, elle a cependant occulté une partie du raisonnement conflictuel qui lui permet de parvenir à ce résultat. En réalité, c’est l’article 15 du règlement (CE) n° 4/2009 qui règle le conflit de lois par délégation au protocole de La Haye du 23 novembre 2007. L’absence de référence à l’article 15 est vraisemblablement une économie de plume. L’affirmation selon laquelle « la loi du for sera appliquée, conformément à l’article 3 du protocole de La Haye du 23 novembre 2007 » est plus surprenante. Si le résultat est juste, l’affirmation n’est pas conforme à la règle de conflit de l’article 3 du protocole qui retient comme élément de rattachement le lieu de résidence habituelle du créancier de l’obligation alimentaire et non le for. En l’espèce donc, la loi du lieu de résidence habituelle du créancier est la loi française, loi qui s’avère par ailleurs être celle du for.

Dans son règlement de la dimension internationale du litige, la cour d’appel identifie les parties comme étant « les deux parents ». Or, cette qualification est erronée. La prestation compensatoire est un droit de créance qui ne peut naître qu’entre ex-époux2. La qualité de parent des ex-époux pourra être considérée à l’occasion de l’évaluation de la prestation compensatoire, mais ne l’est pas lors de la création de ce droit. La dimension internationale du litige impose une vigilance accrue dans la détermination des créancier et débiteur des obligations alimentaires. En effet, les textes européens et internationaux ne connaissant pas précisément la prestation compensatoire, mais seulement la notion plus large d’obligation alimentaire, ils prévoient des règles de conflit différentes selon la qualité des créancier et débiteur de l’obligation alimentaire. Notamment, le protocole de La Haye de 2007 prévoit des hypothèses de neutralisation de la loi désignée par la règle de conflit de lois générale de l’article 3 au profit de créanciers spécifiquement identifiés par leur qualité dans la relation familiale en cause. Ainsi, une obligation alimentaire qui lie un parent à son enfant sera traitée par la règle de conflit de lois spécifique de l’article 4 du protocole tandis que celle qui lie des époux ou des ex-époux le sera par l’article 5 du protocole. D’où l’intérêt de bien déterminer la qualité de chacune des parties.

II-La modification du montant de la prestation compensatoire

Une fois sa compétence et la loi française applicable au litige affirmées, la cour d’appel statue sur la prestation compensatoire. Ainsi, elle confirme son existence mais réforme son montant. En statuant à nouveau, elle condamne l’ex-époux à payer à son ex-épouse la somme de 5 000 € à titre de prestation compensatoire soit, 25 000 € de moins que la somme retenue par le juge aux affaires familiales. La cour d’appel explique que « la disparité de revenus entre les parties existe mais de façon moindre par rapport à ce que le premier juge a retenu ». L’ex-époux ayant actualisé ses justificatifs en seconde instance, ses revenus actuels s’avèrent être inférieurs d’environ 750 € à 950 € à ceux retenus en première instance. Si cette évolution des revenus du débiteur semble justifier la modification du montant de la prestation compensatoire, permet-elle pour autant de le diminuer de 25 000 € ? La cour d’appel ne semble justifier le passage de 30 000 € à 5 000 € de prestation compensatoire que par la faible disparité des revenus actuels des époux, éludant leur situation d’avant 2019 soit l’intégralité de leur vie maritale. Pourtant, selon les maigres informations relatées dans l’arrêt, la situation professionnelle des époux durant le mariage semblait différente. L’époux était salarié commercial et percevait, entre 2017 et 2018, des salaires à hauteur de 2 600 € nets par mois. Quant à l’épouse, il est seulement mentionné que, depuis avril 2019, elle est employée polyvalente et reçoit un salaire net imposable de 1 091 €. Aucune information n’est donnée sur sa situation professionnelle antérieure à 2019. Fonder une diminution de 25 000 € du montant de la prestation compensatoire sur la disparité de revenus des ex-époux mériterait une motivation approfondie, articulant les revenus actuels des ex-époux et ceux perçus durant le mariage qui, en l’espèce, a duré 15 ans dont 12 ans de vie commune. Il convient cependant de rappeler que la modification qui peut sembler abrupte du montant de la prestation compensatoire s’explique en partie par le fait que l’observateur n’a pas accès aux pièces du dossier qui précisent et alertent le juge sur la situation singulière de chaque partie.

Notes

1 CJCE 27 fév. 1997, Van den Boogaard, aff. C-22/95, Rec. CJCE I-01147 ; Rev. Crit. DIP 1998. 466, note G. A. L. Droz ; JDI 1998. 568, note A. Huet ; CDE 1999. 201, note Tagaras ; Règl. (CE) n° 4/2009, préamb. consid. 11 et art. 1er, 1. Retour au texte

2 C. civ., art. 270. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Charlène Bois Farinaud, « La détermination du montant de la prestation compensatoire entre un Français et une Indonésienne », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 09 octobre 2023, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=388

Auteur

Charlène Bois Farinaud

Doctorante, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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