L’ouverture d’une mesure de protection contribue au cantonnement de la capacité juridique du majeur lorsqu’il s’agit d’une mesure de curatelle ou de tutelle. Cette atteinte à la liberté d’action d’un majeur sur la scène juridique doit être, conformément au principe directeur de la discipline, nécessaire. La nécessité de l’ouverture d’une mesure de protection est déterminée par le juge par la confrontation du certificat médical circonstancié et de l’audition du majeur.
Dans les deux affaires, le juge des tutelles est sollicité aux fins d’ouverture d’une mesure de protection. Dans le premier dossier (RG 21/03523), le certificat médical circonstancié révèle que la majeure a « des difficultés de mémoire et d’attention, un analphabétisme, une désorientation temporelle, une suggestivité et une vulnérabilité manifeste liée à l’âge et à son parcours, avec des traumatismes et un bas niveau éducatif ». Bien que la majeure soit capable d’exprimer sa volonté, elle ne maîtrise pas sa situation administrative et sociale. Le médecin fait de plus état des difficultés familiales dans l’accompagnement de la majeure, notamment pour accomplir le dossier de pension de réversion, mais également de dissension au sein de la famille. Le certificat médical conclut à la nécessité d’une protection de la majeure tant pour sa personne que pour son patrimoine. Dans la seconde affaire (RG 21/03766), le certificat médical se contente de mentionner que « les capacités intellectuelles semblent diminuées avec relâchement de l’attention et de la mémoire », il est également fait état de « troubles cognitifs liés à un état de sénilité, non susceptible de connaître une évolution favorable ». Le certificat médical conclut également à la nécessité d’une assistance, mais uniquement pour les actes de la vie civile et la protection des biens, sans précision sur la personne de la majeure. L’audition des majeures par le juge des tutelles est mentionnée sans faire état du contenu de l’audition. Dans les deux cas, le jugement conduit à un placement de la personne sous une mesure de curatelle renforcée pour une durée de 60 mois.
Appel est interjeté par les deux majeures. À l’appui de leur demande, les deux personnes vulnérables tentent de faire état de leur aptitude à gérer les actes de la vie courante. La première mentionne, par exemple, le paiement de son loyer, la bonne tenue de ses démarches administratives et le fait de pouvoir vivre seule. L’autre affirme également pouvoir vivre seule, et être apte à gérer ses affaires ; elle est par ailleurs capable de résumer ses revenus et ses dépenses.
Il apparaît, en l’état des affaires, une similitude certaine entre les deux dossiers : tant au regard des conclusions du certificat médical circonstancié, de la décision prise en première instance que des justifications à l’appui de la demande de la levée de la mesure prononcée.
Pourtant, le jugement dans la première affaire a été confirmé par la cour d’appel, mais infirmé dans la seconde. Après un rappel des articles 425 et 440 du Code civil, deux éléments ressortent pour justifier cette divergence de solution : d’abord, le certificat médical, ensuite, l’audition du majeur. Quant au certificat médical, si dans la première affaire une simple reprise des constatations du certificat médical est faite, tel n’est pas le cas dans la seconde. En effet, la Cour d’appel pointe le manque de précision du certificat médical qui ne « caractérise en rien une altération [des] facultés mentales ou corporelles » de la majeure « justifiant de protéger ses biens et/ou sa personne ». De plus, la cour d’appel s’appuie sur d’autres certificats médicaux, versés au dossier par l’appelante – deux par des médecins traitants et un par un médecin figurant sur la liste de l’article 431 du Code civil – qui contredisent les constatations du certificat médical initial. Ensuite, la cour d’appel justifie ses solutions en s’appuyant sur ses propres constatations lors de l’audience relative aux capacités des majeures. Ainsi, il ressort, dans la première affaire, une incapacité à gérer son budget, du fait de la méconnaissance de ses revenus, à effectuer les démarches administratives, avec des difficultés à se situer dans le temps. A contrario, dans le second cas, la majeure a été capable d’exprimer sa volonté, de présenter ses revenus et charges. La Cour d’appel de Grenoble rend donc une solution différente dans chacune de ses deux affaires : la curatelle renforcée est maintenue dans la première affaire, dans la seconde, la majeure ne fait l’objet d’aucune mesure de protection.
La nécessité de la mesure se déduit de l’articulation entre le contenu du certificat médical et le contenu de l’audition du majeur.
Le contenu du certificat médical
Conformément à l’article 1219 du Code de procédure civile, le certificat médical, nécessaire à l’ouverture d’une mesure de protection, doit décrire « avec précision l’altération des facultés du majeur à protéger ou protégé », donner « au juge tout élément d’information sur l’évolution prévisible de cette altération » et, enfin, préciser « les conséquences de cette altération sur la nécessité d’une assistance ou d’une représentation du majeur dans les actes de la vie civile, tant patrimoniaux qu’à caractère personnel ». La différence entre les deux certificats médicaux décrits en l’espèce réside principalement dans la précision des conséquences liées à l’altération des facultés. En effet, si dans le premier certificat ces conséquences sont décrites en spécifiant que la majeure « ne maîtrise aucun aspect de sa situation administrative et sociale », tel n’est pas le cas dans le second. La cour d’appel relève que si le certificat médical initial « fait état de la présence de troubles cognitifs, il ne les décrit pas ». Il est possible de penser que ce n’est pas à ce niveau-ci que le certificat manque de précision, car il reprend en réalité des troubles similaires à ceux rapportés dans le premier certificat. Le problème de ce second certificat réside essentiellement dans le manque d’analyse des conséquences de ces troubles1, ce qui ne permet pas au juge de transposer en droit les apports du certificat médical. La rédaction du certificat médical et les éléments qui y sont insérés sont primordiaux. Pourtant, l’imprécision de ceux-ci persiste, alors qu’un tel certificat circonstancié est requis depuis la loi du 5 mars 2007 et doit émaner d’un médecin inscrit sur une liste spécialement prévue à cet effet. Par ailleurs, il est possible de remarquer que le juge peut prendre en compte d’autres certificats médicaux, effectués par des médecins inscrits ou non sur la liste prévue à l’article 431 du Code civil, que le certificat médical initial. Cette prise en compte semble d’autant plus pertinente que ces certificats concordent mieux à la situation du majeur révélée par son audition.
Le contenu de l’audition du majeur
L’audition du majeur est requise, par principe, pour l’ouverture d’une mesure de protection. Il est d’abord possible de regretter que la décision de la cour d’appel ne reprenne pas les éléments qui ressortent de l’audition du majeur en première instance. Ces éléments pourraient être particulièrement intéressants notamment lorsque la solution de la cour d’appel infirme le jugement de première instance. En effet, la prise en compte de la parole du majeur à différents stades de la procédure permettrait d’avoir une vision plus nette de sa capacité à exprimer ses volontés dans le temps. Cette vision serait certainement plus fidèle que la prise en compte de son expression à un moment déterminé. Quant aux éléments de l’audition du majeur recueillis en appel et retranscrits dans la décision, il apparaît le caractère déterminant de la gestion du budget, de la connaissance des revenus et des dépenses. Ces éléments ressortent peut-être du fait qu’était en cause l’ouverture d’une mesure de curatelle renforcée qui peut être prononcée lorsque le majeur n’est plus à même de gérer, même par assistance ses revenus, en vertu de l’article 472 du Code civil. Il peut être regrettable que la motivation de la décision ne relate pas plus spécifiquement en quoi le majeur n’est pas apte à prendre seul des décisions relatives à sa personne. Ces éléments permettraient soit de renforcer la justification que la mesure de protection des biens et de la personne est proportionnée, ou a contrario permettrait de l’individualiser tant à l’égard des biens que de la personne. Par ailleurs, le fait que le majeur puisse gérer ses revenus n’implique pas qu’une mesure de curatelle simple ne puisse être ouverte.
Ces deux moyens de déterminer la nécessité de la mesure de protection ne sont pas étudiés séparément. En effet, le juge procède à leur articulation pour déterminer la pertinence de la mesure de protection projetée.
L’articulation du certificat médical et de l’audition
C’est par la confrontation du certificat médical et de l’audition du majeur que le juge forge sa décision sur la nécessité de l’ouverture d’une mesure de protection. Deux situations doivent être étudiées. D’abord, lorsque le certificat médical et l’audition concordent, comme c’est le cas dans la première affaire. La motivation du juge mentionne de manière opportune que l’audition confirme les faits avancés dans le certificat. Cette manière de procéder semble pertinente, car elle ne fait pas reposer l’ouverture de la mesure sur le seul certificat médical, mais allie, au contraire, les différents outils mis à la disposition du juge pour qu’il détermine si la mesure est nécessaire. Ensuite, lorsque le certificat médical initial et l’audition ne concordent pas, comme dans la seconde affaire, le juge semble faire prévaloir l’audition du majeur. Cela semble être particulièrement le cas lorsque l’audition est confirmée par d’autres éléments de fait venant étayer que le majeur est en pleine capacité d’exprimer sa volonté et d’assurer ses intérêts – comme le fait qu’il habite seul, qu’aucune preuve, autre que le certificat initial, n’est apportée pour confirmer les difficultés supposées du majeur dans son quotidien. Cette mise à l’écart du certificat médical n’étonne pas. En effet, il n’est pas contraignant pour le juge, qui n’est donc pas tenu de le suivre2. L’audition du majeur est donc d’une importance fondamentale3 en ce que le certificat médical peut ne pas refléter une situation exacte du majeur quant à la capacité d’exprimer ses volontés et de protéger ses intérêts. Elle est primordiale dans le processus de détermination de la nécessité de l’ouverture d’une mesure de protection.