Le burn out1, communément défini comme un « syndrome d’épuisement professionnel » serait, selon diverses études, en augmentation en France, bien que toutes ne s’accordent pas sur les chiffres. Si, pour le cabinet Empreinte Humaine, 34 % des salariés sont en situation de burn out, dont 13 % en burn out sévère (représentant 2,5 millions de personnes)2, l’Institut de veille sanitaire dénombre quant à lui 480 000 salariés en souffrance psychique au travail, dont 7 % en burn out3. L’ampleur du phénomène du burn out fait ainsi débat, résultante d’une dégradation des conditions de travail pour les uns4 ou simple conséquence de l’avènement des risques psycho‑sociaux pour les autres5.
Sur le plan juridique, le burn out ne figure dans aucun tableau de maladie professionnelle, de sorte qu’il ne peut bénéficier de la présomption d’imputabilité6 permettant de présumer le lien de causalité entre la pathologie constatée et le travail. En effet, au même titre que les autres maladies psychiques, le burn out peine à s’inscrire dans un tableau de maladie professionnelle, du fait de son origine multifactorielle7. La question de la reconnaissance du burn out dans un tableau de maladie professionnelle s’est pourtant posée à plusieurs reprises8. En 2017, la mission parlementaire d’information relative au « syndrome d’épuisement professionnel (ou burn out) » a estimé qu’il n’était pas possible d’élaborer un tableau de maladie professionnelle en raison de l’absence de définition médicale et de la multiplicité des professions concernées9. En 2024, le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités a, pour les mêmes motifs, réitéré cette impossibilité10. Tel est également le cas au sein de la majorité des autres pays européens, dans lesquels le burn out n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle11. Du reste, cette position est également celle de l’Organisation mondiale de la santé, qui définit le burn out non pas comme une maladie mais comme un « phénomène lié au travail12 ».
Même si le burn out ne dispose pas d’un tableau de maladie professionnelle, il peut pourtant être reconnu comme un risque professionnel et pris en charge par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale. En effet, deux autres voies légales offrent à la victime du burn out la possibilité d’en établir le caractère professionnel : d’une part, la qualification d’accident du travail13 et, d’autre part, le système complémentaire de reconnaissance d’une maladie professionnelle hors tableau14.
Le burn out peut en effet, de manière un peu surprenante, constituer un accident du travail si la lésion psychologique en résultant est « soudaine » et datée avec précision. La jurisprudence a par exemple qualifié d’accident du travail la dépression nerveuse « soudaine » d’un salarié consécutive à un entretien d’évaluation au cours duquel un changement d’affectation lui avait été notifié15. De la sorte, « une maladie (médicalement parlant) se trouve qualifiée d’accident (juridiquement parlant) si elle se manifeste soudainement16 ». Il est ainsi de l’intérêt de la victime du burn out d’invoquer la qualification d’accident du travail lorsque la lésion psychologique soudaine survient au temps et au lieu du travail, car cette double condition entraîne automatiquement l’application de la présomption d’imputabilité posée par l’article L. 411‑1 du Code de la sécurité sociale. Le burn out sera dès lors présumé être un accident du travail. Encore faut‑il, pour bénéficier de cette présomption d’imputabilité, que le choc émotionnel constitutif du burn out réponde à la condition de soudaineté, ce qui, à l’évidence, n’est pas le cas le plus fréquent. En effet, le burn out apparaît la plupart du temps comme la phase finale d’un processus progressif17. Néanmoins, dès lors qu’un fait soudain est susceptible de constituer la cause du burn out, la qualification d’accident du travail peut être efficacement recherchée, ainsi qu’en témoignent certains arrêts de la cour d’appel de Grenoble18.
Si la qualification d’accident du travail ne peut être envisagée en l’absence d’un fait ayant date certaine, la victime du burn out bénéficie alors d’une autre possibilité de faire reconnaître son caractère professionnel. En effet, le quatrième alinéa de l’article L. 461‑1 du Code de la sécurité sociale dispose que Peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L. 434‑2 et au moins égal à un pourcentage déterminé. L’alinéa 7 de ce même article, issu de la loi no 2015‑994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi (dite « loi Rebsamen »), renforce cette possibilité en précisant que « les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle ». Une telle procédure dite « complémentaire » de reconnaissance d’une maladie professionnelle n’est certes pas aussi avantageuse que la procédure traditionnelle de reconnaissance par un tableau, puisque la victime ne pourra pas se prévaloir de la présomption d’imputabilité du deuxième alinéa de l’article L. 461‑1. Néanmoins, la procédure complémentaire autorise la victime à rapporter la preuve du lien de causalité entre sa maladie le burn out — et son travail19, dès lors que deux conditions sont réunies : la maladie doit en premier lieu être essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et, en second lieu, entraîner le décès de celle‑ci ou une incapacité permanente partielle (IPP) d’un taux au moins égal à 25 %. Malgré ces conditions restrictives, la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle est, selon les chiffres, en augmentation. Selon le Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, 3 596 demandes de reconnaissance d’affections psychiques ont été examinées par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) en 2022, nombre qui a plus que doublé par rapport à 2016. Près de la moitié d’entre elles a abouti à un avis favorable. Ainsi, le nombre de reconnaissances du caractère professionnel de maladies psychiques, dont le burn out fait partie, est passé de moins d’une centaine en 2011, à 624 en 2016 et 1 669 en 2022. Toutefois, le nombre de ces reconnaissances de maladies professionnelles est loin d’atteindre celui des affections psychiques prises en charge en tant qu’accidents du travail, lequel s’élève à 10 650 en 202120. Cette disparité s’explique par la moindre difficulté à obtenir la qualification d’accident du travail en présence d’un burn out causé par un évènement soudain, le lien de causalité étant alors présumé.
En cas de litige relatif à la reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle, comment les deux conditions indispensables à cette reconnaissance sont‑elles appréciées ? Ainsi que l’illustrent trois arrêts de la cour d’appel de Grenoble21, si l’évaluation du taux minimum d’IPP échappe au pouvoir d’appréciation du juge (1), la caractérisation du lien de causalité entre le burn out et le travail relève au contraire de son pouvoir souverain (2).
1. L’évaluation du taux minimum d’IPP
Bien que le burn out ne figure dans aucun tableau, il peut néanmoins être qualifié de maladie professionnelle au terme d’une « expertise individuelle » effectuée par un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) saisi par la caisse et non directement par l’assuré. Cette expertise suppose notamment l’exigence d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 25 %22 Or cette condition tenant au taux minimum de 25 %, bien que celui‑ci ait déjà été réduit23, constitue un obstacle de taille quant à l’issue de la procédure. En effet, un tel taux suscite plusieurs difficultés, qu’il s’agisse de l’inadaptation du seuil de 25 % (1.1), du choix d’un taux prévisible (1.2) ou des conséquences d’un taux inférieur à 25 % (1.3).
1.1. L’inadaptation du seuil de 25 %
Le seuil réglementaire de 25 % ne peut être atteint que pour les pathologies d’une certaine gravité, de sorte que ce taux minimum ne semble pas adapté à la réalité des « maladies de l’esprit24 ». Dénoncé tour à tour comme un frein à la reconnaissance du caractère professionnel des maladies psychiques, comme un handicap insurmontable, comme un grave déni social25, voire comme une « discrimination fondée sur la gravité de l’affection » contraire au droit international26, le taux minimum de 25 % fait l’objet de critiques. D’autant qu’il est constaté une forte disparité entre les caisses dans leur pratique de reconnaissance et de fixation du taux d’IPP27, entraînant dès lors un sentiment d’injustice des victimes pour lesquelles un taux inférieur à 25 % a été retenu. Cependant, les avis divergent quant à la solution pour y remédier. Si certains préconisent la suppression pure et simple du seuil réglementaire, d’autres privilégient sa minoration ou encore sa différenciation pour les affections psychiques28.
1.2. Le choix d’un taux prévisible
En principe, le taux d’incapacité permanente ne peut être fixé qu’après consolidation de l’état de santé de la victime. Or le burn out et, plus généralement, les troubles psychiques se caractérisent par leur état évolutif. Par conséquent, quelle date convient‑il de retenir pour évaluer le taux d’IPP ? Faut‑il attendre la consolidation qui, le plus souvent, ne sera pas acquise au moment de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, ou bien est‑il possible de déterminer un taux prévisible d’IPP ?
En pratique, les médecins‑conseils des caisses retiennent un taux d’incapacité permanente prévisible, afin de ne pas différer la reconnaissance de la maladie professionnelle29. Tel est effectivement le cas pour deux affaires jugées par les magistrats grenoblois, dans lesquelles ont été respectivement retenues « une incapacité permanente estimée au moins égale à 25 %30 »et une « incapacité permanente prévisible estimée à 25 % au moins31 ».
Se pose toutefois la question de l’issue de la procédure lorsqu’après fixation d’un taux d’IPP prévisible supérieur ou égal à 25 %, le taux définitif se révèle inférieur à ce seuil. Dans un arrêt du 19 janvier 2017, la Cour de cassation estime que lorsqu’une pathologie, dont le taux prévisible était supérieur à 25 %, a fait l’objet d’une prise en charge au titre de maladie professionnelle, la réduction à 10 % du taux définitif après consolidation de l’état de santé ne remet pas en cause la décision de prise en charge de la caisse. Selon la Cour, le taux d’incapacité permanente à retenir pour l’instruction d’une demande de prise en charge d’une maladie non désignée dans un tableau des maladies professionnelles est celui évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, et non le taux d’incapacité permanente partielle fixé après consolidation de l’état de la victime pour l’indemnisation des conséquences de la maladie 32. Ainsi, une prise en charge au titre de la maladie professionnelle ne peut être remise en cause même lorsque le taux d’incapacité permanente avéré après consolidation se révèle inférieur à 25 %.
1.3. Les conséquences d’un taux inférieur à 25 %
La compétence pour fixer le taux IPP nécessaire à la saisine du CRRMP relève des médecins‑conseils du service du contrôle médical (SCM). Si le taux, prévisible le cas échéant, est supérieur ou égal à 25 %, la caisse transmet alors le dossier au CRRMP. En revanche, si le taux est inférieur à 25 %, la caisse notifie un refus de prise en charge, excluant de ce fait toute possibilité de reconnaissance comme maladie professionnelle. Dans cette dernière hypothèse, le juge peut‑il enjoindre à la caisse de saisir le CRRMP ? La deuxième chambre civile de la Cour de cassation répond par la négative dans un arrêt du 20 juin 2019, censurant alors la cour d’appel de Grenoble qui l’avait au contraire admis dans son arrêt du 27 mars 2018 : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que la victime était atteinte d’une incapacité permanente partielle inférieure à 25 % du fait de la maladie litigieuse, ce dont il résultait que celle‑ci qui n’était pas désignée par un tableau des maladies professionnelles, ne pouvait pas donner lieu à une mesure de reconnaissance individuelle, la cour d’appel a violé les textes susvisés33. » Force est donc de constater que le SCM dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans la fixation du taux d’IPP et, partant, dans la transmission ou non du dossier au CRRMP.
Si l’exigence d’un taux IPP minimum de 25 % constitue ainsi une condition nécessaire à la reconnaissance du burn out comme une maladie professionnelle, cette condition reste néanmoins insuffisante. Encore faut‑il caractériser le lien de causalité entre le burn out et le travail.
2. La caractérisation du lien de causalité
Pour être qualifié de maladie professionnelle, le burn out doit avoir été « essentiellement et directement causé par le travail habituel de la victime34 ». L’appréciation de ce lien de causalité relève de la compétence du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), dont l’avis s’impose à la caisse35. En cas de contestation par la victime ou l’employeur devant le tribunal judiciaire36, il incombe obligatoirement à la juridiction de solliciter un deuxième avis auprès d’un CRRMP autre que celui qui a été initialement saisi37. Quels sont alors les éléments pris en compte par le juge pour caractériser l’existence du lien de causalité entre le burn out et le travail ? Trois éléments semblent déterminants quant à l’issue du litige : le poids des certificats médicaux (2.1), l’inertie de l’employeur (2.2) ainsi que l’absence d’une origine extraprofessionnelle (2.3).
2.1. Le poids des certificats médicaux
De manière générale, lorsque la cour d’appel statue à propos de la reconnaissance du caractère professionnel du burn out, deux avis ont été rendus par deux CRRMP, l’un saisi par la caisse, l’autre par le tribunal judiciaire. Dans le cas contraire, la cour d’appel ne pourra écarter l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre le burn out et le travail de la victime sans saisir un autre CRRMP38. Dans les trois affaires objet de la présente étude, deux CRRMP avaient bien été saisis et tous deux avaient rendu un avis négatif. Les magistrats grenoblois devaient donc apprécier les éléments présentés par la victime de nature à caractériser le lien de causalité et permettant de remettre en cause les avis des CRRMP. Deux fois sur trois39, la cour d’appel a retenu le lien direct et essentiel entre le burn out et l’activité professionnelle, alors même que les deux avis des deux CRRMP l’avaient exclu. Dans ces deux espèces, il semble que le poids des certificats médicaux, au sens propre comme au sens figuré, a été déterminant pour emporter la conviction des juges. Dans l’arrêt du 29 juin 2023, les juges font état de plus d’une dizaine de certificats médicaux, émanant à la fois du médecin de travail et du médecin traitant, et attestant d’une souffrance au travail40. De la même façon, pas moins de onze certificats médicaux établissant un lien avec le travail sont mentionnés par la cour dans l’arrêt du 13 octobre 2023, ainsi que sept témoignages de collègues, ex‑compagne et personnes accompagnées par la victime dans le cadre de son activité professionnelle, confirmant un lien direct entre le burn out et le travail41. Ces deux situations contrastent particulièrement avec la troisième affaire du 26 septembre 2024, dans laquelle les juges grenoblois n’ont pas caractérisé le lien de causalité entre le syndrome d’épuisement professionnel et le travail, précisément en l’absence de certificats médicaux à l’appui de la demande de la victime42. En effet, celle‑ci « n’apporte que des éléments découlant de ses propres déclarations et affirmations43 »
Les certificats médicaux paraissent dès lors constituer, devant le juge, un moyen de preuve décisif, voire accablant pour l’employeur. Au regard du poids de cet élément de preuve, d’aucuns dénoncent la promptitude de certains médecins prêts à attester d’un burn out provoqué par le travail, sur la foi des seules déclarations du patient44. Pareille inquiétude ne peut qu’être renforcée par le récent revirement de jurisprudence du Conseil d’État qui, sur la question dite des « certificats de complaisance », vient d’admettre que l’arrêt de travail pour burn out rédigé par le médecin traitant, même sans aucune référence à l’analyse préalable du médecin du travail, ne constitue pas « un certificat tendancieux ou de complaisance45 ».
On ne saurait donc trop conseiller aux victimes, pour étayer leur demande de reconnaissance du caractère professionnel de leur maladie, de multiplier les éléments de preuve, principalement d’ordre médical, mais aussi émanant d’autres sources (attestations de collègues, témoignages de proches, avis des représentants du personnel, lettre de licenciement pour inaptitude, jugement du conseil de prud’hommes, etc.).
2.2. L’inertie de l’employeur
Si l’attitude de l’employeur ne constitue pas un critère légal pour l’appréciation du caractère professionnel du burn out, il semble pourtant que cet élément participe, dans une certaine mesure, à la caractérisation du lien de causalité entre la pathologie et le travail. En effet, dans les deux affaires ayant conduit à retenir la qualification de maladie professionnelle, les magistrats grenoblois mettent en évidence l’inertie de l’employeur. Ainsi, concernant une salariée victime, « pendant quatre ans, les préconisations et les impératifs liés à l’état de santé de la salariée n’ont pas été suivis d’effet au point de devoir être répétés par le médecin du travail » ; au surplus, un courrier de la direction des ressources humaines « confirme donc l’absence de prise en compte des préconisations impératives de la médecine du travail46 ». S’agissant d’un salarié invoquant un syndrome dépressif sévère, les juges constatent une « surcharge de travail » et une « absence de prise en compte spécifique de ses alertes par l’employeur […] déniées en vain par ce dernier47 ». De surcroît, dans cette dernière espèce, l’inertie de l’employeur était corroborée par la reconnaissance par le TASS de sa faute inexcusable, à propos d’une autre pathologie professionnelle dont souffrait la victime48.
L’argument de l’attitude passive de l’employeur est traditionnellement invoqué pour qualifier le manquement à son obligation de sécurité, voire l’existence de sa faute inexcusable. Cependant, il semble également prospérer pour caractériser le lien de causalité entre le burn out et le travail, car il est sans doute de nature à aggraver la situation : l’employeur qui, malgré les alertes, reste sourd au malaise de la victime ajoute à son syndrome initial davantage d’anxiété. L’employeur a donc tout intérêt à rapporter la preuve d’actions concrètes démontrant la réalité de sa prise en compte du burn out de la victime, tandis que, pour cette dernière, il conviendra de prouver le contraire.
2.3. L’absence d’une origine extraprofessionnelle
Dans les trois arrêts rendus par la cour d’appel de Grenoble, la question de l’absence d’une origine extraprofessionnelle du burn out est évoquée. Afin de caractériser le lien essentiel et direct entre l’état de la victime et son travail, il apparaît en effet logique de montrer que l’état d’épuisement professionnel n’est pas lié à un état antérieur. Encore faut‑il en rapporter la preuve matérielle.
Dans l’affaire du 26 septembre 2024 ayant conduit au rejet du lien de causalité entre burn out et travail, étaient invoquées par la victime « une absence d’antécédents médicaux » ainsi que « la seule concomitance entre l’apparition de la maladie et des difficultés professionnelles », sans pour autant que des éléments probants soient en mesure d’étayer de telles affirmations49.
Dans l’arrêt du 29 juin 2023, la CPAM « ne fait valoir aucune démonstration et n’apporte aucune précision sur les « évènements intercurrents extraprofessionnels » qui ont été retenus par le second CRRMP » ; « il ne ressort pas davantage de ses pièces, issues du rapport d’enquête administrative, que le travail serait une cause accessoire de la pathologie déclarée ou que des causes sans lien avec le travail seraient à l’origine de la pathologie […] l’employeur se limitant à écrire que « le caractère professionnel de la maladie ne nous paraissant pas évident »50 ».
Enfin, dans la décision du 13 octobre 2023, les juges constatent que les « intimées ne font pas valoir d’arguments ou de moyens sur l’existence d’autres causes de l’affection qui auraient été essentielles », alors que, pourtant, des problèmes d’argent figurant dans l’enquête de la CPAM auraient pu en être à l’origine. Les juges pointent alors le manque de diligence des parties : « Mais aucune des deux parties ne reprend ces éléments, et ceux‑ci ne permettent pas de considérer que des difficultés financières étaient la cause essentielle du syndrome développé » par la victime.
Ainsi, qu’il s’agisse de la victime, de l’employeur ou de la caisse, il paraît primordial d’attester ou de contester les liens entre l’apparition de la dégradation de l’état de santé et les conditions de travail, à l’aide d’éléments matériels. Cependant, il convient de nuancer le propos car il suffit que le travail ait contribué, ne serait‑ce que pour partie, à la survenance de la maladie pour que son caractère professionnel soit retenu. En effet, la jurisprudence applique, en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles, la théorie de l’équivalence des conditions51. Par conséquent, la preuve d’une origine extraprofessionnelle n’est véritablement efficace que si elle constitue la cause exclusive du burn out.
Pour la victime d’un burn out, faire reconnaître le caractère professionnel de celui‑ci par la procédure complémentaire de reconnaissance d’une maladie professionnelle hors tableau relève incontestablement du parcours du combattant. À l’évidence, la qualification d’accident du travail doit être privilégiée, dès lors que le burn out se manifeste de manière soudaine. Afin d’échapper à ces difficultés, il est proposé une autre prise en charge relevant du droit du travail, et non pas du droit de la sécurité sociale. Mme Keim‑Bagot suggère ainsi de considérer les psychopathologies non plus comme un risque social indemnisé par la solidarité des employeurs, mais comme la conséquence d’une faute de l’employeur — faute d’organisation, faute managériale — qui caractérise un manquement à son obligation de sécurité et devrait, à ce titre, être réparée sur le fondement de sa responsabilité civile contractuelle52. Par ailleurs, « la mode des risques psycho‑sociaux » ferait « presque oublier que le travail préserve [aussi] l’équilibre psychologique53 ». Vaste débat que celui de l’épanouissement au travail, entre « utopie », « leurre » et « bonheur »54.