La citation devant le juge administratif des référés du maître d’ouvrage délégué par une entreprise sollicitant l’indemnisation par le maître de l’ouvrage de surcoûts subis au cours de l’exécution d’un marché public de travaux présente, au sens des dispositions de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d’un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance.
Interruption du délai de prescription d’une créance détenue contre le maître d’ouvrage par l’action en référé contre le maître d’ouvrage délégué
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Décision de justice
CAA Marseille, 6e chambre – N° 19MA02635 – Société Berthouly Travaux Publics – 12 décembre 2022
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 19MA02635
Numéro Légifrance : CETATEXT000046737183
Date de la décision : 12 décembre 2022
Index
Rubriques
Marchés et contratsTextes
Résumé
Commentaire
Marie Micaelli
Doctorante en droit public, Centre de recherches administratives (CRA), faculté de droit d’Aix-en-Provence
DOI : 10.35562/amarsada.189
La prescription quadriennale suscite un intérêt certain auprès de la communauté des juristes, intérêt que les prétoires renouvellent de temps à autre à l’occasion de décisions inédites. En estimant qu’un recours dirigé contre le maître d’ouvrage délégué d’une personne publique interrompt la prescription quadriennale au sens de la loi du 31 décembre 1968, la cour administrative de Marseille relance le débat autour de l’interprétation de ces dispositions, débat qui semble loin d’être clos…
Les faits étaient les suivants : en 2006, la société d’économie mixte d’équipement du pays d’Aix (SEMEPA) a attribué un marché de maîtrise d’œuvre à première société et une mission « d’ordonnancement, pilotage et coordination » à une autre en sa qualité de maître d’ouvrage délégué de la commune de Vitrolles et de la communauté du Pays d’Aix. Un marché de travaux de réhabilitation des réseaux publics de distribution d’eau potable et de collecte des eaux usées de la commune a quant à lui été attribué à une troisième société. Les contrats ont tous été conclus dans le cadre d’une opération de réhabilitation des infrastructures de la zone d’activité des Estroublans localisée à Vitrolles.
En 2010, soit trois années après la conclusion du contrat, l’une des sociétés a introduit un premier recours – infructueux – devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille afin de se voir accorder la désignation d’un expert – celle-ci ayant estimé qu’elle avait subi un préjudice du fait de l’allongement des délais d’exécution de son marché – et d’obtenir une condamnation de la SEMEPA sur ce fondement. Peu de temps après, ladite société a introduit un second recours devant le même tribunal afin d’obtenir au principal, la condamnation, cette fois, de la commune de Vitrolles à l’indemnisation de travaux supplémentaires effectués et des divers retards de chantier et à titre secondaire, à celle de la SEMEPA et des autres entreprises titulaires au titre des seuls retards. En première instance, le tribunal administratif de Marseille a fait partiellement droit à ses demandes en condamnant la seule commune à lui verser une part des sommes (TA Marseille, 9 avril 2019, n°1701325), position que n’a pas suivie la cour qui, à rebours des conclusions du rapporteur public appelé à se prononcer dans cette affaire, a annulé ce jugement, considérant seulement utile de prononcer la condamnation du titulaire de la mission OPC.
L’aspect de l’arrêt qui retiendra ici notre attention est le volet relatif à la prescription quadriennale. En effet, comme nous l’avons souligné en préambule de cette analyse, le débat entourant celle-ci est ancien et souvent relancé, notamment s’agissant des conditions de l’interruption de la prescription quadriennale posée par la loi du 31 décembre 1968 (I). C’est ici une position inédite que la Cour adopte en choisissant de déroger à la décision de référence Commune de Férel (II).
I-L’interruption de la prescription quadriennale : retour sur un débat ancien
Simple dans son principe, l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968 relatif à l’interruption de la prescription quadriennale pose en pratique des difficultés redoutables en raison, notamment, de l’imprécision du lexique utilisé. L’arrêt commenté en constitue une parfaite illustration. Avant de rentrer dans le détail de notre analyse, il n’est pas inutile de revenir sur l’origine de la loi de 1968 et d’en rappeler le principe. À l’époque, le législateur substitua la loi de 1968 à une loi de 1831 dans le but de mieux préserver les « deniers publics et la stabilisation de l’administration débitrice par la clôture rapide des budgets publics »1. Ainsi, ledit article dispose-t-il toujours, en son second alinéa, que
« tout recours formé devant une juridiction relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l’auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l’administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance ».
Poursuivant cet objectif, le Conseil d’État a ainsi longtemps maintenu la position selon laquelle les dispositions précitées « subordonnent l’interruption au délai de prescription qu’elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d’une collectivité publique » (CE, Sect., 24 juin 1977, Commune de Férel, n°96584), position qui, malgré l’apparente stabilité, suscitera jusque très récemment encore les hésitations de la doctrine, les juges du Palais-Royal acceptant de plus en plus de dérogations (il jugea, en outre, que le fait pour la personne publique d’avoir été appelée en garantie dans le cadre de l’instance était à lui seul suffisant :CE, 8 mars 2006, M. et Mme Thuret, n°270946) mais encore, que la prescription quadriennale pouvait être interrompue par une plainte contre X avec constitution de partie civile en matière de responsabilité hospitalière (CE, 26 octobre 2006, Département du Morbihan, n°246931). Elle fut, malgré tous les commentaires, récemment rappelée dans son principe (CE, 10 mars 2017, Société Solotrat, n°404841), preuve de son actualité. Ainsi, malgré l’incertitude encore latente de la portée de la loi de 1968, le principe demeure : il faut que le recours soit dirigé contre une administration pour interrompre la prescription. Une telle position s’analyse classiquement comme la volonté de préserver les intérêts de l’Administration contre les actions – plus ou moins justifiées – que pourraient mener ses créanciers pour interrompre le délai de prescription (pour rappel, dans l’arrêt Commune de Férel, le requérant se prévalait d’une plainte contre X pour interrompre le délai de prescription…), le Conseil d’État s’étant à l’époque inspiré de la logique qui prévalait sous l’empire de l’ancien système (CE, 12 octobre 1969, Commune de Pertuis). Les nombreux tempéraments apportés à cette position témoignent néanmoins de la volonté de ne pas être trop défavorable à l’administré dans ce cadre pourtant très protecteur des intérêts de l’Administration. En effet, si le principe de la nécessaire présence d’une personne publique reste inchangé, les nombreux précédents jurisprudentiels, dont ceux précités, montrent que l’appréciation de la nature de la personne publique reste souple, offrant ainsi de nombreuses possibilités sur le terrain contentieux. C’est dans ce cadre plutôt libéral que s’inscrit l’arrêt rendu par la cour administrative de Marseille, laquelle admet ici de manière inédite que
« la mise en cause devant le juge des référés du maître d’ouvrage délégué par une entreprise sollicitant l’indemnisation par le maître de l’ouvrage de surcoûts subis au cours de l’exécution d’un marché public de travaux présente, au sens des dispositions de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d’un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance » (point n°17).
II-Une dérogation à la jurisprudence commune de Férel ?
Le présent arrêt constitue-t-il une dérogation supplémentaire à la jurisprudence Commune de Férel ? En jugeant ainsi, assurément. Mais, à notre sens, la logique poursuivie par la Cour ne s’inscrit pas pour autant en totale contradiction avec celle poursuivie par le Conseil d’État qui, rappelons-le, vise autant la préservation des intérêts de l’Administration que ceux de ses créanciers en interprétant largement la règle fixée en 1977. Au contraire, elle la reprend à son compte et la prolonge.
En effet, juger que la mise en cause du maître d’ouvrage délégué peut interrompre la prescription quadriennale ne revient pas à renoncer à l’application de la règle mais, au contraire, à adapter la règle à la réalité administrative, réalité au sein de laquelle les personnes publiques sont de plus en plus amenées à se faire assister et représenter par des personnes privées dans le cadre d’opérations de travaux complexes. En outre, dans le cadre d’une maîtrise d'ouvrage déléguée, le délégataire est également mandataire de la personne publique. Autrement dit, il agit en son nom et pour son compte, de manière totalement transparente (CE, 26 septembre 2016, Sté Dumez Ile-de-France, n°390515). Tel était le cas en l’espèce, la SEMEPA et la commune de Vitrolles étaient étroitement liées. En conséquence, il nous semble ici logique de considérer que le recours dirigé contre le maître d’ouvrage délégué d’une personne publique, au regard de la proximité très étroite qu’ils entretiennent, soit interruptif de prescription. Ainsi, malgré l’interprétation très libérale du principe posé par l’arrêt Commune de Férel, il est très probable que le Conseil d’État confirme ultérieurement ce raisonnement au vu de sa jurisprudence passée.
Notes
1 LOMBARD F. « Recours juridictionnel : les conditions d’interruption de la prescription quadriennale », AJDA, 2017, p. 1845. Retour au texte
Droits d'auteur
CC BY-NC-SA 4.0
Conclusions du rapporteur public
DOI : 10.35562/amarsada.216
Dans le cadre d’une opération de réhabilitation des infrastructures de la zone d’activités des Estroublans à Vitrolles lancée en 2006, la société d’économie mixte d’équipement du Pays d’Aix (SEMEPA), en sa qualité de maître d’ouvrage délégué de la commune de Vitrolles et de la communauté du Pays d’Aix, a attribué le marché de maîtrise d’œuvre à la société Cermi et la mission « ordonnancement, pilotage et coordination » à la société Ouest communication.
Le marché de travaux de réhabilitation des réseaux publics de distribution d’eau potable et de collecte des eaux usées de la commune de Vitrolles a été attribué, par un lot unique, à la société Berthouly Travaux publics par un acte d’engagement conclu le 2 janvier 2007 pour un montant de 1 212 923,20 euros toutes taxes comprises.
Le marché de travaux de réhabilitation des infrastructures et des travaux hydrauliques de la communauté du Pays d’Aix était décomposé en cinq lots. Le lot no 2 de ce marché dénommé « Terrassement – Tranchées réseaux humides et eaux pluviales » a été confié au groupement d’entreprises solidaires composé de la société entreprise Guigues, mandataire, de la société Entreprise hydraulique et travaux publics (EHTP) et de M. T., par un acte d’engagement conclu le 12 février 2007 pour un montant de 3 362 556,51 euros toutes taxes comprises.
Estimant que son marché avait subi un allongement des délais d’exécution qui ne lui était pas imputable, la société Berthouly Travaux publics a sollicité la désignation d’un expert, qui a remis son rapport le 15 novembre 2013.
Le 28 octobre 2010, la société Berthouly Travaux publics a saisi le tribunal administratif de Marseille d’une requête tendant à ce que la SEMEPA l’indemnise de son préjudice et de travaux supplémentaires. Cette demande a été rejetée par un jugement du 3 mars 2015. Par un arrêt du 19 décembre 2016 devenu définitif, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par la société Berthouly Travaux publics contre ce jugement.
La société Berthouly Travaux publics a par ailleurs demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Vitrolles à l’indemniser de son préjudice résultant de l’allongement des délais d’exécution, évalué à la somme de 407 113,10 euros hors taxes ou à défaut de 326 892,75 euros hors taxes, ainsi que le paiement des travaux supplémentaires estimés à hauteur de 8 485,90 euros hors taxes.
Le tribunal administratif de Marseille a fait droit partiellement à ces demandes en condamnant la commune de Vitrolles à verser à la société Berthouly Travaux publics la somme de 17 519,58 euros et a rejeté le surplus.
Sur la prescription quadriennale
En défense, la commune de Vitrolles invoque la prescription quadriennale résultant de l’article 1 de la loi no 68-1250 du 31 décembre 1968.
Concernant le point de départ du délai de prescription, les droits sont considérés comme acquis au moment de l’établissement du décompte final du marché de travaux. CE, 7 / 2 SSR, 11 février 2005, D., n° 2492111.
Le projet de décompte final du marché a été établi par la société Berthouly Travaux publics le 20 juillet 2009.
Les délais de prescription quadriennale ont donc commencé à courir le 1er janvier 2010, en vertu des dispositions de l’article 1 de la loi du 31 décembre 1968. Or, la demande de la société Berthouly Travaux publics n’a été introduite devant le tribunal administratif de Marseille que le 23 février 2017, soit plus de sept ans plus tard.
La société Berthouly Travaux publics soutient cependant que la prescription quadriennale a été interrompue par des actions en justice.
Vous noterez que le 8 décembre 2009, la société requérante a adressé à la collectivité une demande de paiement, sous forme de mémoire en réclamation complémentaire. Toutefois, cette demande ne reporte pas le point de départ de la prescription, toujours établi au 1er janvier 2010.
La société Berthouly Travaux publics a introduit devant le tribunal administratif de Marseille une demande de référé expertise le 28 octobre 2010. La citation en référé est interruptrice de prescription, en vertu des dispositions de l’article 2 de la loi du 31 décembre 19682.
Il résulte toutefois de l’ordonnance de référé expertise que la commune de Vitrolles n’a pas été mise en cause dans cette expertise. L’expertise a été ordonnée au contradictoire de la société Berthouly Travaux publics, de la SEMEPA, maître de l'ouvrage délégué, et d’autres entrepreneurs, mais pas de la commune de Vitrolles ni d’aucune autre collectivité publique.
Or, l’interruption du délai de prescription de l’action en responsabilité de la personne publique est subordonnée par la jurisprudence du Conseil d’État à la mise en cause de la personne publique, ou du moins d’une collectivité publique.
Voyez sur ce point la jurisprudence du CE Sect., 24 juin 1977, Commune de Férel, nos 96584 et 01403, Lebon3, et plus récemment la décision CE, 10 mars 2017, Société Solotrat, n°404841.
La SEMEPA n’étant pas une collectivité publique, et n’ayant pas habilitation à représenter la commune de Vitrolles en justice, vous ne pourrez considérer que cette action en référé expertise a pu interrompre la prescription vis-à-vis de la commune de Vitrolles. En effet, la SEMEPA, personne privée, était mandataire de la collectivité.
Dans le cadre des relations contractuelles avec les entreprises participant au marché, le mandataire du maître de l'ouvrage est totalement transparent par rapport au maître de l'ouvrage. Ainsi, il appartient aux constructeurs, s’ils entendent obtenir la réparation des préjudices consécutifs à des fautes du mandataire dans l’exercice des attributions qui lui ont été confiées par le maître de l'ouvrage, de rechercher la responsabilité du maître de l'ouvrage.
Voyez sur ce point la décision CE, 7 / 2 SSR, 26 septembre 2016, Société Dumez Ile-de-France, n° 390515 4.
Ainsi, des demandes de paiement adressées au mandataire du maître de l'ouvrage, dans le cadre des relations contractuelles, peuvent, en vertu de ce principe de transparence, avoir un caractère interruptif de prescription.
Mais il n’en va pas de même pour une action en justice. Or, la SEMEPA n’avait pas de mandat pour représenter la commune de Vitrolles en justice. Il ne résulte pas davantage de l’article 3 de la loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d'ouvrage, qui prévoit que le mandataire du maître d’ouvrage « peut agir en justice », que le maître d’ouvrage délégué aurait un mandat pour représenter le maître d’ouvrage dans les instances tendant à la mise en cause de sa responsabilité.
Il en résulte que la mise en cause de la société SEMEPA, personne privée, dans le cadre de l’expertise, ne valait pas mise en cause du maître de l'ouvrage.
Par suite, l’action en référé expertise introduite le 28 octobre 2010 devant le tribunal administratif de Marseille, faute d’avoir mis en cause la commune de Vitrolles, n’a pas interrompu la prescription à l’égard de la commune.
Vous noterez que la jurisprudence du Conseil d’État témoigne, selon les termes du rapporteur public sous l’affaire CE, 10 mars 2017, Société Solotrat, no 404841, de « coups de boutoirs » contre la jurisprudence « commune de Férel », notamment en matière de responsabilité hospitalière, concernant la stricte condition de mise en cause d’une collectivité publique.
Mais la décision CE, Société Solotrat ne remet pas en cause la jurisprudence « Commune de Férel », et maintient bien la lecture de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968 selon laquelle l’interruption de la prescription suppose l’intervention ou la présence d’une collectivité publique.
L’action du 28 octobre 2010 n’a donc pu avoir d’effet interruptif vis-à-vis de la commune de Vitrolles. L’exception de prescription soulevée en défense par la commune de Vitrolles doit donc être accueillie et la demande indemnitaire présentée par la société Berthouly Travaux publics rejetée.
Par suite, vous annulerez le jugement du tribunal administratif de Marseille en tant qu’il a fait droit aux demandes indemnitaires présentées par la société Berthouly Travaux publics à l’encontre de la commune de Vitrolles (article 1) et qu’il met à la charge de la commune les frais d’expertise (article 2) et, faisant droit à l’appel incident de la commune de Vitrolles, vous rejetterez les conclusions indemnitaires présentées par la société la société Berthouly Travaux publics à l’encontre de la commune.
Sur les conclusions dirigées par la société Berthouly Travaux publics contre les sociétés SEMEPA, Guigues et TPF Ingénierie
La société Berthouly Travaux publics avait sollicité en première instance, à titre subsidiaire, la condamnation in solidum de la société SEMEPA, de la société TPF Ingénierie et de la société Entreprise Guigues à lui payer ces mêmes sommes.
Les premiers juges, qui n’avaient fait que partiellement droit à la demande de condamnation de la commune, étaient tenus de statuer sur la demande présentée à titre subsidiaire et ont dès lors omis de statuer sur cette demande.
Le jugement sera par suite annulé en tant qu’il a omis de statuer sur les conclusions présentées à titre subsidiaire. Vous y statuerez par la voie de l’évocation.
Sur les conclusions dirigées contre la société SEMEPA
Les conclusions aux fins de condamnation dirigées contre la société SEMEPA doivent être rejetées, la responsabilité pour faute de la SEMEPA ne pouvant être engagées à raison des fautes commises dans l’exercice des attributions qui ont été confiées au maître de l'ouvrage délégué.
Comme nous l’avons rappelé précédemment, la transparence du maître de l'ouvrage délégué fait obstacle à l’engagement de sa responsabilité sur ce fondement. C’est l’application de la jurisprudence déjà citée CE, 7 / 2 SSR, 26 septembre 2016, Société Dumez Ile-de-France, no 390515.
La société requérante n’allègue aucune faute de la société SEMEPA commise en-dehors du champ du contrat de mandat la liant au maître d’ouvrage.
Par suite la demande doit être rejetée.
Sur la mise en cause de la société TPF Ingénierie
La société TPF Ingénierie est venue aux droits de la société Ouest coordination, qui a exercé des missions d’OPC (ordonnancement, pilotage et coordination). La société Berthouly Travaux publics invoque contre elle le défaut de relance des exécutants en cas de retard, et le fait qu’elle n’a pas proposé de mesure visant au respect des délais d’exécution. Elle lui reproche son inertie et le manque de coordination.
Toutefois, la faute ne nous semble pas établie par les éléments du dossier, notamment le rapport d’expertise. Il ressort seulement du rapport d’expertise que l’OPC n’a pas mentionné les retards pris par le chantier dans les comptes rendus qu’il a établis, et qu’il n’a pas été appliqué de pénalités de retard au niveau des décomptes. L’imputabilité des retards à l’OPC en tant que coordinateur des travaux ne nous semble donc pas établie par ces seuls éléments.
La demande devra donc être rejetée.
Sur la mise en cause de la société Entreprises Guigues
Il ressort du rapport d’expertise que l’expert n’a imputé aucune responsabilité s’agissant du retard pris par le chantier à la société Entreprise Guigues.
La société Berthouly Travaux publics soutient que cette société est responsable du retard en sa qualité de membre et mandataire solidaire du groupement titulaire du lot no 2, auquel appartenait la société Trivella, dont les défaillances ont été à l’origine du retard. Toutefois, l’effet relatif des contrats fait obstacle à ce que cette solidarité soit invoquée par un tiers au contrat à l’appui d’une action quasi-délictuelle.
La demande devra donc être rejetée.
La société Berthouly Travaux publics s’est désistée de ses conclusions d’appel dirigées contre la société EHTP, membre du groupement titulaire du lot n°2. Vous donnerez acte de ce désistement.
Vous rejetterez les appels incidents des sociétés Entreprise Guigues et EHTP, qui contestent le jugement en tant qu’il fait partiellement droit aux demandes de première instance de la société Berthouly Travaux publics contre la commune de Vitrolles, nul ne plaidant par procureur autre que les mandataires prévus par l’article R. 431‑2 du code de justice administrative. Ces demandes sont irrecevables.
Les conclusions d’appel incident présentées par la société SEMEPA sont également irrecevables, la SEMEPA n’ayant pas été condamnée en première instance.
Par ces motifs, nous concluons
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à ce qu’il soit donné acte du désistement des conclusions de la société Berthouly Travaux publics de ses conclusions d’appel dirigées contre la société EHTP.
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à l’annulation du jugement n° 1701325 en date du 9 avril 2019 du tribunal administratif de Marseille en tant qu’il a fait droit partiellement à la demande de condamnation présentée par la société Berthouly Travaux publics à l’encontre de la commune de Vitrolles (article 1) et de condamnation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3).
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à l’annulation du jugement n° 1701325 en date du 9 avril 2019 du tribunal administratif de Marseille en tant que les premiers juges ont omis de statuer sur les demandes présentées à titre subsidiaire et dirigées contre les sociétés SEMEPA, entreprise Guigues et TPF Ingénierie ;
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au rejet de ces demandes ;
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à l’annulation de l’article 2 du jugement du jugement n° 1701325 en date du 9 avril 2019 et à ce que les frais d’expertise soient mis à la charge de la société Berthouly Travaux publics ;
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au rejet du surplus des conclusions des parties.
Notes
1 CE, 7 / 2 SSR, 11 février 2005, Desnoes, n° 249211, aux tables du recueil Lebon : « Les droits au paiement d'un marché de maîtrise d'œuvre à rémunération forfaitaire sont acquis lors de l'établissement du projet de décompte par l'architecte et non lors de celui du décompte général du marché par le maître d'ouvrage. La prescription quadriennale commence donc à courir à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au cours de laquelle le projet de décompte a été établi. ». Retour au texte
2 « La prescription est interrompue par : /Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; […] Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée.». Retour au texte
3 CE Sect., 24 juin 1977, Commune de Férel, nos 96584 et 01403, Lebon : « Les dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 subordonnent l'interruption du délai de prescription qu'elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique. Par suite, le recours intenté par la victime d'un accident de travaux publics contre l'entrepreneur chargé de ces travaux n'a pas interrompu le délai de prescription à l'égard de la collectivité publique maître de l'ouvrage. ». Retour au texte
4 CE, 7 / 2 SSR, 26 septembre 2016, Société Dumez Ile-de-France, n° 390515, Lebon T : « Il résulte de l'article 3 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 (loi MOP) qu’il appartient aux constructeurs, s’ils entendent obtenir la réparation de préjudices consécutifs à des fautes du mandataire du maître d’ouvrage dans l’exercice des attributions qui lui ont été confiées, de rechercher la responsabilité du maître d’ouvrage, seule engagée à leur égard, et non celle de son mandataire, y compris dans le cas où ce dernier a signé les marchés conclus avec les constructeurs, dès lors qu’il intervient au nom et pour le compte du maître d’ouvrage, et n’est pas lui-même partie à ces marchés. Le cas échéant, le maître d’ouvrage dont la responsabilité est susceptible d’être engagée à ce titre peut appeler en garantie son mandataire sur le fondement du contrat de mandat qu’il a conclu avec lui. / La responsabilité du mandataire du maître d’ouvrage à l’égard des constructeurs, qui ne peut jamais être mise en cause sur le terrain contractuel, ne peut l’être, sur le terrain quasi-délictuel, que dans l’hypothèse où les fautes alléguées auraient été commises en-dehors du champ du contrat de mandat liant le maître d’ouvrage et son mandataire. En revanche, les constructeurs ne sauraient rechercher la responsabilité du mandataire du maître d’ouvrage en raison de fautes résultant de la mauvaise exécution ou de l’inexécution de ce contrat. » Retour au texte
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