Mise en demeure adressée à l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement et principe d’indépendance des législations

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Décision de justice

CAA Marseille, 7e chambre – N° 19MA03834 – Société Traitement Eco Compost c/ Ministre de la transition écologique et solidaire – 11 juin 2021

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 19MA03834

Numéro Légifrance : CETATEXT000043647988

Date de la décision : 11 juin 2021

Index

Rubriques

Environnement

Résumé

Si en application des dispositions de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, le préfet est tenu de mettre en demeure l'exploitant d'installations classées qui ont fait l'objet de la déclaration requise en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu de ce même code, et s'il peut par ailleurs et, le cas échéant, suspendre le fonctionnement de l'installation jusqu'à l'exécution complète des conditions imposées, il ne saurait légalement se fonder sur ces dispositions pour ordonner la fermeture de cette installation au motif que son ouverture serait incompatible avec les dispositions du plan local d'urbanisme et qu'elle méconnaîtrait ainsi les prescriptions du premier alinéa de l'article L. 123-5 du code de l'urbanisme, dès lors que ces dernières dispositions procèdent d'une législation distincte de celles du code de l'environnement régissant les installations classées pour la protection de l'environnement et obéissent à des considérations différentes.

Commentaire

Didier Del Prete

Maître de conférences en droit public à Sciences Po-Aix, avocat associé (SELARL Borel Del Prete)

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DOI : 10.35562/amarsada.192

Cette décision rappelle que le contrôle de l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) relève des dispositions du code de l’environnement et non des dispositions du code de l’urbanisme au nom du principe d’indépendance des législations.

Il s’agissait d’une société (la société Traitement Éco Compost) exploitant un centre de traitement de déchets verts, organiques et bois sur le territoire de la commune de Ventabren (13) au lieu-dit « Château-Noir ». Cette société était soumise au régime de la déclaration des installations classées pour la protection de l'environnement, et à ce titre elle a reçu le 9 novembre 2015 récépissé de sa déclaration d’exploitation au titre des rubriques 2260‑2b(D), 2716-2(DC) et 2780-1(D) de la nomenclature des installations classées.

Or, le préfet des Bouches-du-Rhône a estimé que cette installation classée pour la protection de l’environnement dans la commune de Ventabren était incompatible avec le plan local d’urbanisme (PLU). C’est sur le fondement de cette incompatibilité qu’il a mis en demeure la société, par un arrêté du 17 août 2018, de cesser son activité, de procéder à la mise en sécurité du site, de remettre le site en état, et enfin de lui communiquer l'acte de cessation d'activité dans un délai d’un mois, et ce en application de ses pouvoirs de police qu’il tire de l’article L. 171‑8 du code de l’environnement

Plus exactement, le préfet s’est fondé sur les dispositions de l’article L. 152‑1 du code de l’urbanisme (anciennement L. 123‑5), prévoyant que « l'exécution par toute personne publique ou privée de tous travaux, constructions, aménagements, plantations, affouillements ou exhaussements des sols, et l’ouverture d’installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan sont conformes au règlement et à ses documents graphiques. ».

Le raisonnement a été le suivant : dès lors que l’installation en cause se situait en zone agricole, il ne pouvait y avoir l’implantation d’une ICPE dans la mesure où le règlement du PLU interdisait l’implantation des ICPE dans cette zone. Il en a tiré comme conséquence que l’installation ne respectait pas les règles d’urbanisme et ne pouvait donc être régularisée en droit de l’urbanisme. Au titre de son pouvoir de police des ICPE, il a mis en demeure l’exploitant de cesser son activité et de remettre en état le site sur le fondement des dispositions précitées.

Le tribunal administratif de Marseille a considéré que la décision du préfet était juridiquement fondée. Or, la cour administrative de Marseille, saisie en appel, n’a pas suivi le tribunal. Elle a au contraire jugé que l’arrêté était illégal et, a donc prononcé son annulation.

Cette décision a un double intérêt : d’une part de rappeler dans quelles conditions le préfet peut utiliser son pouvoir de police administrative spéciale attribué par l’article L. 171-8 du code de l’environnement pour contrôler les ICPE, et sanctionner le cas échéant les exploitants, d’autre part de rappeler la portée du principe d’indépendance des législations en cette matière.

La mise en œuvre de la police administrative spéciale des ICPE par le préfet

Pour rappel, le régime des installations classées pour la protection de l’environnement vise à encadrer certaines activités économiques en raison des dangers qu’elles présentent pour l’environnement ou la santé publique, ou des nuisances qu’elles sont susceptibles de créer. Un tel régime a été institué par la loi no 76‑663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, puis codifié aux articles L. 511‑1 et suivants du code de l’environnement.

Il convient également de préciser que l’ouverture de ces installations est notamment soumise, selon les cas, à une procédure d’autorisation (art. L. 512‑1 du code de l’environnement), d’enregistrement (art. L. 512‑7 et suivants du code de l’environnement) ou de déclaration (art. L. 512-‑8 du code de l’environnement). La procédure dépend de la gravité des dangers ou des inconvénients que peut présenter une exploitation. Une nomenclature a été déterminée par un décret en Conseil d’État fixant la liste des activités et installations respectivement concernées par ces dispositions (art L. 511-2 du code de l’environnement).

C’est à ce titre que le préfet doit faire usage de ses pouvoirs de police attribués par l’article L. 171‑8 du code de l’environnement, en cas de méconnaissance d'une prescription imposée par la réglementation des installations classées (CE, 9 juillet 2007, Ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables c/ Société Terrena-Poitou, no 288367) ou l'exploitation d'une installation classée sans l'autorisation requise (CE, 1er juillet 1987, Hardy, no 69948, art. L. 171‑7 du code de l'environnement). Le non-respect impose au préfet de prendre un arrêté de mise en demeure invitant l'exploitant à réaliser des travaux ou opérations, ou à régulariser sa situation dans un délai imparti. Si à l'expiration du délai imparti, il n'a pas été déféré à la mise en demeure, le préfet peut mettre en œuvre des sanctions administratives.

L'article L. 171‑8 du code de l'environnement prévoit à cet égard des sanctions qui sont applicables quelle que soit l'origine de la mise en demeure (non-respect des prescriptions ou situation irrégulière). Il peut par arrêté : consigner, suspendre, faire réaliser des travaux, prononcer une amende et une astreinte (depuis l’ordonnance no 2012‑34 du 11 janvier 2012).

Il convient au surplus de souligner que cet article précise que ces sanctions administratives peuvent être prises « indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées ». Ce cumul de sanctions n’est pas contraire au principe non bis in idem tiré de l’article 8 de la Déclaration de 1789 (Décision no 2021‑953 QPC du 3 décembre 2021).

De plus, l'article L. 171‑7 du code précité prévoit que, dans le cas du non-respect d'une mise en demeure de régulariser la situation administrative d'une installation, le préfet peut également recourir à la fermeture définitive de l'installation et à la remise en état du site.

Et enfin il convient de rappeler que le juge administratif, juge de pleine juridiction, a toujours la faculté, au titre de son office, d'autoriser lui-même, à titre provisoire, et le cas échéant sous réserve de prescriptions et pour un délai qu'il détermine, la poursuite de l'exploitation de l'installation en cause, dans l'attente de la régularisation de sa situation par l'exploitant. À cet égard, il peut prendre en compte notamment la nature de l'illégalité ayant conduit à l'annulation de la décision contestée, les considérations d'ordre économique et social ou tout autre motif d'intérêt général pouvant justifier la poursuite de l'exploitation et l'atteinte éventuellement causée par l'exploitation aux intérêts visés par l'article L. 511-1 du code l'environnement ou à d'autres intérêts publics et privés ainsi que cela a été rappelée par la même chambre de la cour administrative d’appel de Marseille (CAA, Marseille, 7e chambre, 30 octobre 2020, Société Valteo, no 18MA03145).

C’est en tenant compte de ce cadre-là que la cour a analysé le jugement du tribunal et, donc la légalité de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 17 août 2018.

Au cas d’espèce, la société exploitante soumise à un régime déclaratif n’avait pas méconnu les obligations attachées à son régime déclaratif. D’ailleurs, le préfet n’a pas constaté de non-conformité à une prescription fixée par le code de l’environnement.

Le seul motif invoqué était le non-respect de l'article L. 123‑5 du code de l'urbanisme, applicable à la date de délivrance du récépissé du 9 novembre 2015.

Ainsi, en l’espèce, le préfet n’était pas fondé à prendre un arrêté mettant en demeure l’exploitant d’une ICPE de cesser son activité et de remettre en état le site au motif que cette ICPE ne respectait pas l’obligation, prévue par le code de l’urbanisme, de conformité avec le PLU.

Cette solution est logique. Un arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 25 juillet 2014 (no 13NC01649, 13NC01673) en offre une illustration. En effet, la cour avait jugé :

« si les dispositions de l’art. L. 123‑5 du code de l’urbanisme font obstacle à ce que l’exploitant d’une installation classée régulièrement déclarée puisse exercer son activité si celle-ci est proscrite par les dispositions du règlement du document d’urbanisme de la commune qui lui sont opposables, et l’exposent, le cas échéant, à des poursuites sur le fondement des art. L. 160‑1 et L. 480‑1 et suivants du code de l’urbanisme, ces dispositions ne sauraient fonder légalement un refus de délivrance par le préfet du récépissé de déclaration, dès lors que les conditions posées aux articles R. 512‑47 et suivants du code de l’environnement propres à la procédure déclarative sont remplies par le pétitionnaire […] ».

Autrement dit, le préfet doit s’assurer seulement de la complétude du dossier de déclaration d’existence, au regard des exigences de l’article R. 512‑47 et suivants du code de l’environnement.

Il suffit également pour s’en convaincre de se référer à la jurisprudence récente du Conseil d’État. Par une décision du 30 juin 2023, le Conseil d'État avait jugé sur le fondement de l’article L. 171‑7 du code de l’environnement qu'une société effectuant une activité relevant du régime des ICPE sans disposer de l'enregistrement nécessaire pouvait être mise en demeure alors même que le propriétaire de la parcelle bénéficiait de cette activité. Pour régulariser sa situation il devait donc déposer un dossier de demande d'enregistrement.

Il convient en revanche de rappeler que le préfet a l’obligation de vérifier, avant l’ouverture d’une installation, lors de l’instruction d’une demande d’autorisation ou d’enregistrement, la compatibilité du projet avec les règles d’urbanisme en vigueur, en application notamment des articles L. 181-9 (autorisation) et R. 512-46-4 (enregistrement) du code de l’environnement.

En dehors de ces hypothèses, le préfet ne peut invoquer une violation d’une règle d’urbanisme pour mettre en demeure un exploitant de cesser toute activité et de remettre en l’état le site sur le fondement de l’article L. 171‑8 du code de l’environnement, d’autant plus que le principe d’indépendance des législations prévaut en la matière.

La portée du principe d’indépendance des législations en matière de police des ICPE

C’est sur le fondement du fameux principe dit de « l’indépendance des législations » (CE, 1er juillet 1959, sieur Piard, no 38893) que la cour a annulé l’arrêté préfectoral.

Cela signifie que la légalité des autorisations prises en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement est, en principe, tributaire du respect des règles posées dans le code de l’environnement et non de celles figurant dans le code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État a ainsi rappelé que l’illégalité d’un permis de construire (et donc son éventuel retrait ou annulation contentieuse) ne saurait justifier par lui-même un refus ou l’annulation d’une déclaration, d’un enregistrement ou d’une autorisation d’exploiter une installation classée au nom de ce principe (CE, 22 septembre 2014, SIETOM de la région de Tournan-en-Brie, no 367889).

Ce principe n’est cependant pas absolu. Le Conseil d’État a pu l’aménager en acceptant de prendre en compte, pour apprécier la légalité de permis de construire des habitations, la règle de distance par rapport aux habitations fixée par l’arrêté ministériel pris pour l'application des dispositions de l’article L. 111‑3 du code rural et de la pêche maritime, applicable aux exploitations agricoles relevant de la législation sur les installations classées (CE, 4 novembre 2013, Casavielle-Soule, no 351538, voir également CE, 24 février 2016, EARL Enderlin Marcel, no 380556). Ce principe fait également obstacle à ce que les règles tenant à la domanialité publique soient opposées à des autorisations d’urbanisme (CE, 18 octobre 1993, Leclerc, no 129444).

En se fondant sur ce principe, la cour a, en l’espèce, censuré le préfet en ce qu’il a fait une inexacte application des dispositions précitées. Plus précisément, elle a jugé qu’en vertu du principe d’indépendance des législations, le préfet ne pouvait faire usage des pouvoirs de police qu’il tire de l’article L. 171‑8 du code de l’environnement pour sanctionner la méconnaissance d’autres législations, notamment celle relative à l’urbanisme.

La cour a d’ailleurs indiqué que ces dernières dispositions procèdent d'une législation distincte (art L. 123‑5 du code de l'urbanisme) de celles du code de l'environnement régissant les installations classées pour la protection de l'environnement et obéissent à des considérations différentes.

Cette solution n’est guère surprenante, et est parfaitement logique sur le plan pratique. Par exemple, il ne peut être utilement invoqué la circonstance qu’une station-service ne correspondrait pas aux plans du dossier de permis de construire à l'appui d’une demande d'annulation de la décision du préfet ayant refusé de faire usage de ses pouvoirs de police spéciale des ICPE. Ainsi en a jugé la cour administrative d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 9 octobre 2018 (no 16BX00413). La cour a rappelé que :

« Les pouvoirs de police spéciale que les articles L. 514-1 et L. 514-2 du code de l'environnement confient au préfet, par leur objet et leur nature même, permettent d'imposer à un exploitant de respecter la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement en vue de prévenir les dangers ou inconvénients mentionnés à l'article L. 511‑1 du code de l'environnement. En conséquence, et comme l'a relevé à bon droit le tribunal administratif, ces pouvoirs de police spéciale ne sauraient être utilisés pour mettre fin à des manquements à des législations autres que celles découlant de l'appartenance de l'exploitation à la catégorie des installations classées pour la protection de l'environnement ».

En résumé, le préfet est l’autorité de police en matière ICPE, alors que le maire est chargé de la police spéciale de l’urbanisme. Dans ces conditions, en cas de non-respect des dispositions fixées par le code de l’urbanisme par une ICPE en fonctionnement, il revient à l’autorité de police en la matière, d’engager les actions nécessaires dans le cadre des procédures que ce code prévoit.

Pour conclure, le feuilleton judiciaire s’est poursuivi car les arrêtés du 30 novembre 2020 par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône a prononcé une amende administrative de 15 000 euros et une astreinte journalière administrative de 599 euros à l'encontre de la société Traitement Eco Compost ont été annulés (TA Marseille, 20 avril 2023, no 2100863). Il est intéressant de relever que le tribunal administratif de Marseille a précisément tiré les conséquences de l’annulation de la mise en demeure du 17 avril 2018 par la cour.

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