L’action civile engagée devant le juge judiciaire par la victime d’un dommage sur le fondement de la faute personnelle qu’aurait commise le représentant ou l’agent d’une administration présente, au sens des dispositions de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d’un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance.
Prescription quadriennale, action civile pour faute personnelle du représentant d’une collectivité et recours en responsabilité contre cette personne publique
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Décision de justice
CAA Marseille, 1re chambre – N° 19MA05101 – M. A. c/ commune de Contes – 28 avril 2022
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 19MA05101
Numéro Légifrance : CETATEXT000045741704
Date de la décision : 28 avril 2022
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Résumé
Conclusions de la rapporteure publique
DOI : 10.35562/amarsada.355
Ce dossier indemnitaire pose une question intéressante : une action engagée devant le juge civil pour faute personnelle d’un agent public peut‑elle interrompre la prescription quadriennale au regard des dispositions de l’article 2 de la loi no 68‑1250 du 31 décembre 1968 lorsqu’est engagée ultérieurement devant le juge administratif une action en responsabilité fondée sur la faute de service ?
Mais avant d’aborder cette question un rappel des faits de l’espèce s’impose : M. F. a acquis par adjudication en 1990 un terrain situé dans le quartier de « La Roseyre » au lieu‑dit « Le Crouzelier », sur le territoire de la commune de Contes, non loin de Nice. À compter de 1998, il a cherché à y réaliser une opération de lotissement, qui n’a finalement jamais vu le jour. S’étant heurté à plusieurs décisions d’urbanisme défavorables, dont certaines ont été contestées avec succès - nous y reviendrons - et estimant faire l’objet d’un acharnement de la part de la commune, il a d’abord recherché la responsabilité personnelle du maire, M. T., qu’il a assigné le 12 janvier 2012 devant le tribunal de grande instance (TGI) de Nice. Ce dernier, par un jugement du 18 octobre 2013 a estimé que M. T. avait commis des fautes personnelles détachables du service à l’égard de M. F. qui engageaient sa responsabilité délictuelle et a condamné M. T. à verser à M. F. une provision de 50 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice, puis a ordonné une expertise afin d’établir son étendue. Mais sur appel de M. T., la Cour d’Appel d’Aix‑en‑Provence, par un arrêt du 9 octobre 2014, a infirmé ce jugement avant dire droit, et a estimé au contraire que le maire n’avait pas commis de faute détachable du service. La Cour a en conséquence débouté M. F. de ses demandes indemnitaires. Si cet arrêt a été cassé par la Cour de Cassation le 25 janvier 2017, la Cour de Lyon à qui l’affaire a ensuite été renvoyée a toutefois de nouveau infirmé le jugement du TGI de Nice et rejeté l’ensemble des demandes indemnitaires de M. F.
Entre‑temps M. F. s’est toutefois orienté vers la piste de la faute de service qui lui avait été suggérée par le juge judiciaire. Par courrier du 17 décembre 2015, reçu le 21, il a demandé à la commune réparation des préjudices qu’il estimait avoir subi en raison des fautes commises par son maire consistant à avoir édicté plusieurs décisions d’urbanisme illégales, mais aussi en des agissements manifestant, selon M. F., une opposition systématique à son projet. Suite à la décision de rejet qui lui a été opposée le 19 février 2016, M. F. a alors saisi le TA de Nice d’une demande tendant à ce que la commune de Contes lui verse une somme de 3 866 267 euros en réparation de ses préjudices. Et il vous saisit du jugement de rejet du TA de Nice du 25 septembre 2019.
Nous pouvons rapidement évacuer les questions préalables :
Devant vous la compagnie d’assurances Groupama Méditerranée, assureur de la commune de Contes, intervient volontairement à la procédure, comme elle l’avait fait devant le tribunal, qui l’avait admise à ce titre. Il est vrai que le Conseil d’État a jugé par un arrêt du 18 novembre 2011 Compagnie d’assurances Axa France – IARD no 346257 (classé en B sur ce point) que l’assureur d’un constructeur dont la responsabilité en matière de travaux est recherchée par le maître de l’ouvrage n’est pas recevable à intervenir en cette qualité devant le juge administratif saisi du litige. Mais depuis un arrêt de section du 25 juillet 2013 Ofpra c/ Edosa Felix no 350661, le Conseil d’État a assoupli son approche de l’intérêt à agir en plein contentieux : il n’est plus exigé que l’intervenant justifie d’un « droit propre » auquel la décision à rendre était susceptible de préjudicier1 mais vous devez désormais seulement vous attacher à déterminer si « l’issue du contentieux indemnitaire lèse de façon suffisamment directe les intérêts de l’intervenant » (CE 30 mars 2015 Association pour la protection des animaux sauvages no 375144 classé en B – et vous pourrez voir pour une application de votre Cour concernant l’intervention d’un assureur sur un litige de responsabilité en matière de travaux publics 14MA01657 du 18 mai 2017 ou plus récemment 18MA01572 du 14 janvier 2020). Dans ces conditions l’intervention en défense de l’assureur Groupama nous paraît pouvoir être admise.
Le requérant n’est par ailleurs pas fondé à soutenir que le jugement serait irrégulier car insuffisamment motivé en application de l’article L. 9 du code de justice administrative et car les premiers juges, qui ont accueilli l’exception de prescription quadriennale, nous y reviendrons, auraient omis de répondre au moyen selon lequel son préjudice revêtait un caractère continu, ce qui implique que la créance se rattache à chacune des années au cours desquelles il a été subi (CE section 3 décembre 2018 M. Bermond, no 412010 classé en A). En réalité ce moyen n’était pas invoqué en première instance par M. F.. Et la réponse du tribunal sur l’exception de prescription permettait de comprendre les raisons pour lesquelles elle était accueillie par le tribunal. Vous pourrez donc écarter ces deux moyens de régularité du jugement.
Et si vous nous suivez pour rejeter la demande au fond, vous n’aurez pas à vous prononcer explicitement sur les fins de non‑recevoir de la demande de première instance.
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la 1re n’est pas fondée : l’action engagée sur le fondement de la faute personnelle devant le juge judiciaire n’exclut pas celle engagée devant vous sur le fondement de la faute de service, les deux pouvant se cumuler (CE Assemblée 12 avril 2002 Papon no 238689 au GAJA).
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la 2nde en revanche mérite qu’on vous en dise deux mots : la commune de Contes soutient que la demande indemnitaire qui vous est soumise serait irrecevable car par un jugement du 6 juillet 2007 le TA de Nice l’a condamnée à verser à M. F. une somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice moral lié à des décisions illégales, plus précisément à l’illégalité des certificats d’urbanisme des 6 février 2001 et 4 octobre 2001 et du refus de raccordement au réseau public d’assainissement opposé le 16 mars 2001. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la 1re chambre de votre Cour du 9 octobre 2009, devenu définitif.
La commune ne cite pas de jurisprudence mais il nous semble que vous pourriez rattacher son argumentation à un arrêt du Conseil d’État du 19 février 2021 Mme S. no 439366, classé en B sur ce point, en vertu duquel la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l’administration à l’indemniser de tout dommage ayant résulté d’un fait qui lui est imputé, mais une fois expiré ce délai, la demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, est tardive, et par suite irrecevable, alors même que cette demande aurait été précédée d’une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d’une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même générateur. En effet la demande indemnitaire qui vous est soumise concerne notamment, parmi les décisions illégales invoquées les certificats d’urbanisme des 6 février 2001 et 4 octobre 2001 qui ont donné lieu au jugement de condamnation du TA de Nice confirmé par votre Cour. Vous pourriez donc rejeter cette partie de la demande, comme irrecevable. Mais un rejet au fond nous paraît, en tout état de cause possible.
Ces précisions apportées, nous pouvons à présent aborder le bien‑fondé du jugement et la question de droit qui est au cœur de ce dossier.
Sur l’exception de prescription quadriennale de la loi du 31 décembre 1968, qui était opposée en première instance par la commune de Contes, vous le savez le principe est que lorsqu’est demandée l’indemnisation du préjudice résultant de l’illégalité d’une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché non à l’exercice au cours duquel la décision a été prise mais à celui au cours duquel elle a été valablement notifiée à son destinataire. (CE section 5 décembre 2014 Commune de Scionzier, n° 359769, classé en A‑ CE 5 février 2018 R. n° 401325 classé en B sur ce point.)
Et en vertu l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968, la prescription quadriennale est interrompue par tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l’auteur du recours, même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaitre, et si l’administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance.
Toutefois, en l’espèce, le tribunal administratif de Nice a estimé que l’assignation délivrée le 12 janvier 2012 à M. T. devant le TGI de Nice n’avait pas interrompu le délai de prescription à l’égard de la commune de Contes dès lors qu’aucune collectivité publique n’avait été mise en cause à l’occasion de cette instance. Ce faisant le tribunal a appliqué la jurisprudence du Conseil d’État Commune de Férel.2
M. F. conteste naturellement cette solution du tribunal et rappelle qu’il ne résulte pas de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968 que seule l’action en justice dirigée contre une collectivité publique serait susceptible d’interrompre le délai de prescription quadriennale.
Il faut à ce stade revenir sur la jurisprudence administrative concernant l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968 : elle s’est nettement assouplie depuis une trentaine d’années. Le Conseil d’État a d’abord admis que la condition de l’article 2 de la loi de 1968 selon laquelle la demande ou la réclamation doit avoir trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, était remplie lorsque la personne publique était simplement appelée en déclaration de jugement commun devant le juge judiciaire (CE section 26 janvier 1996 CPAM du Havre no 126644) et non dans le seul cadre d’un véritable « recours » ou aussi lorsque la collectivité publique était appelée en garantie dans le cadre d’une instance (CE 8 mars 2006 M. et Mme T. no 270946).
Plus précisément sur « la question de savoir si dans le cadre de ces dispositions [de l’article 2 de la loi de 1968], une action judiciaire contre une personne privée interrompait la prescription » l’évolution de la jurisprudence est très bien résumée par Laurent Cytermann dans ses conclusions sur un arrêt du Conseil d’État du 21 juin 2021 Mme T. no 437641 : initialement le Conseil d’État estimait que les dispositions de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968 subordonnent l’interruption du délai de prescription qu’elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d’une collectivité publique. (CE section du 24 juin 1977 Commune de Férel n° 96584) y compris dans le cas d’une plainte contre X, qui n’est pas expressément dirigée contre une collectivité publique (CE 10 octobre 2005 M. et Mme H. n° 264588). Mais à l’occasion d’un litige de responsabilité hospitalière, le Conseil d’État a finalement admis qu’une plainte contre X avec constitution de partie civile interrompait le cours de la prescription quadriennale, dès lors qu’elle portait sur le fait générateur, l’existence, le montant ou le paiement d’une créance susceptible d’être mise à la charge d’une collectivité publique (CE section 27 octobre 2006 département du Morbihan et autres n° 246931). Laurent Cytermman explique bien dans ses conclusions précitées comment les deux courants de jurisprudence Commune de Férel/département du Morbihan ont alors coexisté, même si « elles ne sont pas aisées à concilier ». D’un côté
« le courant département du Morbihan a été prolongé, la solution étant étendue au cas d’une plainte avec constitution de partie civile contre une personne nommément désignée, en l’espèce un médecin exerçant dans l’hôpital dont la responsabilité a été ultérieurement recherchée (CE 11 avril 2018 Chatelin et autres n° 294767, Tab), et à celui d’une action judiciaire contre l’assureur de la personne publique (CE 26 mai 2010 Consorts B. no 306617, Tab) ».3
Et d’un autre côté, dans la veine de la jurisprudence commune de Férel, le Conseil d’État a jugé que le recours intenté devant les juridictions commerciales par un sous‑traitant contre le seul entrepreneur principal n’avait pas interrompu le délai de prescription à l’égard de la collectivité publique (CE 10 mars 2017 Sté Solotrat n° 404841 classé en B).
Dans une tentative de synthèse le rapporteur public au Conseil d’État excluait alors de « raisonner par matière, en considérant que la jurisprudence département du Morbihan ne s’appliquerait que dans le domaine de la responsabilité hospitalière » car « il n’y a aucune raison de considérer que la nature du recours juridictionnel interrompant la prescription devrait varier selon les branches du contentieux administratif. ». Il estimait aussi que « la distinction entre les plaintes contre X et les plaintes contre une personne nommément désignée » n’était « pas non plus déterminante » alors que le Conseil d’État a admis à plusieurs reprise le caractère interruptif de plaintes contre des personnes nommément désignées (Laurent Cytermann citait CE 17 mars 2014 consorts C. no 356577 et CE 11 avril 2018 C. no 294767 précité). Ajoutons que si le Conseil d’État estime que seule la plainte avec constitution de partie civile est susceptible de revêtir un caractère interruptif de prescription à l’exclusion de l’engagement de l’action publique ou de l’exercice par le condamné ou le ministère public de voies de recours (CE 11 avril 2018 C. n° 294767 déjà cité), ce qui se conçoit aisément car le créancier ne peut pas alors être regardé comme ayant agi, en revanche, la distinction entre action devant le juge civil ou pénal ne nous paraît pas non plus déterminante alors que nous l’avons dit dans l’affaire B. la Haute Assemblée a admis le caractère interruptif de prescription de l’action directe de l’article L. 124‑3 du code des assurances exercée par la victime contre l’assureur du responsable du dommage devant la juridiction judiciaire, même s’il est vrai que, comme le souligne bien Olivier Henrard dans ses conclusions sous l’affaire Sté Solotrat, cette solution « s’appuie sur le mécanisme spécifique de l’article L. 124‑3 du code des assurances : c’est parce qu’une telle action n’est recevable que lorsque le dommage trouve son origine dans un fait de l’assuré engageant sa responsabilité, qu’elle doit être regardée comme relative au fait générateur d’une créance sur une personne publique, au sens de l’article 2 de la loi de 1968 ». La jurisprudence judiciaire admet en effet que l’action directe soit exercée sans mise en cause de l’assuré et l’évolution de la jurisprudence se justifie donc compte tenu de cette particularité de l’action directe.
Mais nous voudrions insister sur un extrait des conclusions de Laurent Cytermann sous l’affaire T. : il relevait en effet le point commun des décisions département du Morbihan, C. et C. pour lesquels le caractère interruptif de prescription avait été « reconnu à des plaintes dirigées contre des agents publics à raison de faits constitutifs de fautes de service. ». Et il soulignait que
« l’application de la jurisprudence département du Morbihan dans de telles hypothèse trouve de solides justifications. Les régimes de la faute de service et de la faute personnelle non détachable du service ont été construits par [la] jurisprudence pour permettre à la victime de demander réparation à l’administration des faits commis par l’un de ses agents (CE 26 juillet 1918 Epoux Lemonnier, rec 761). […] Il est dans la logique de ce régime que l’action initialement dirigée par la victime contre l’agent ait un effet interruptif à l’encontre de l’administration ; la faute ne se détachant pas du service, celui‑ci est en quelque sorte attrait en filigrane de son agent devant la juridiction judiciaire ».
Le Conseil d’État n’a toutefois pas pris position sur ce point dans l’arrêt T.
La spécificité du régime de la faute de service et de la faute personnelle doit‑elle vous conduire, comme le suggère le requérant, à franchir un cap supplémentaire et à admettre une nouvelle exception au principe posé par la jurisprudence commune de Férel selon laquelle seule une action mettant en cause une personne publique revêt un caractère interruptif de prescription ?
En faveur de cette position vous pourrez d’abord vous appuyer sur la lettre du texte de l’article 2 de la loi de 1968 qui exige que le recours interruptif de prescription porte sur le fait générateur, l’existence, le montant ou le paiement de la créance, ce qui nous semble être le cas lorsqu’est engagée la responsabilité pour faute personnelle ou faute de service : ce sont les mêmes faits qui sont en cause et il s’agit juste de déterminer s’ils doivent être qualifiés de faute personnelle ou de faute de service, comme le montre très bien d’ailleurs l’affaire qui nous préoccupe aujourd’hui.
De plus, Catherine de Salins dans ses conclusions sous l’affaire B. mettait en avant la volonté du législateur de 1968 de ne pas pénaliser la victime qui ne s’est pas montrée négligente mais a notamment été induite en erreur par la complexité des règles de droit et des voies de recours.
En effet dans l’exposé des motifs du projet de la loi de 1968 (doc AN 1968‑69 no 338), le Garde des Sceaux, René Capitant, soulignait que les nouvelles dispositions permettraient d’éviter les inconvénients, « d’autant plus graves que la complexité du droit contemporain a rendu plus difficile la détermination de la personne responsable » de victimes de graves accidents opératoires qui, après avoir assigné le médecin en dommages‑intérêts redirigeaient leur action vers le centre hospitalier, seul responsable, mais se voyaient opposer ce qui était alors une déchéance quadriennale (qui est de droit strict et ne peut être interrompue ou suspendue par aucune des causes qui peuvent interrompre ou suspendre les prescriptions ordinaires4)5.
Le Conseil d’État n’est d’ailleurs pas insensible à cet argument de la complexité du droit et sa jurisprudence se montre de plus en plus bienveillante puisque désormais lorsqu’un organisme de droit public ou un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public est chargé d’un service de prestations au nom et pour le compte de l’État, il considère qu’il appartient au juge, saisi d’une action indemnitaire après le rejet d’une réclamation préalable adressée à un tel organisme, de regarder les conclusions du requérant tendant à l’obtention de dommages et intérêts en réparation de fautes commises par les services de l’organisme chargé du service des prestations au nom et pour le compte de l’État comme également dirigées contre ce dernier, et de communiquer par conséquent la requête tant à cet organisme qu’à l’autorité compétente au sein de l’État. (CE 23 mai 2018 Mme L. no 405448 classée en A sur ce point). Dans ses conclusions sous cet arrêt Charles Touboul soulignait en effet que « les demandes indemnitaires n’ont pas toujours de destinataires prédéterminés à l’avance, ni même évidents ». Et, s’appuyant sur l’existence de l’obligation de transmission de la loi du 12 avril 2000 aujourd’hui codifiée au code des relations entre le public et l’administration, il relevait que « S’agissant des demandes indemnitaires, la situation est beaucoup moins nette. La responsabilité recherchée est, bien sûr, généralement celle du service qui était compétent au regard des textes pour prendre une décision » mais il admettait que « Pour les réclamations indemnitaires, qui sont par nature tributaires des circonstances propres à chaque espèce, il est ainsi beaucoup plus difficile de déterminer si une demande est bien ou mal dirigée. ».
Dans un même esprit de souplesse il paraît nécessaire de tempérer les effets pervers du régime de la faute personnelle/faute de service qui peut aboutir in fine à pénaliser un créancier qui ne s’est pourtant pas montré négligent.
Vous ne sauriez par ailleurs être arrêtés par le fait que l’article 2243 du Code civil prévoit une « disparition rétroactive de l’effet interruptif 6» de l’action en justice. En effet Olivier Henrard soulignait dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’État du 26 mars 2018 Commune de Montereau‑Fault‑Yonne no 405109 que
« cette règle n’a pas d’équivalent pour les créanciers des personnes publiques dans le régime de prescription quadriennale instauré par la loi du 31 décembre 1968 : l’effet interruptif d’une action en justice, y compris en référé, n’y est pas anéanti par son rejet. »
Enfin, pour achever de vous convaincre nous reprendrons l’argument qu’exposait Mme Prada‑Bordenave dans ses conclusions sous l’affaire département du Morbihan, qui nous paraît aussi valable dans le cas qui vous est soumis: la situation « aboutit de manière paradoxale à faire de la théorie de la faute de service une théorie qui se retourne contre la victime alors qu’elle avait été conçue notamment pour assurer la solvabilité du responsable du dommage et permettre la réparation intégrale du dommage. »
Certes, plusieurs objections pourraient toutefois faire obstacle à ce que vous franchissiez le cap pour admettre finalement une nouvelle exception à la jurisprudence Commune de Férel.
D’abord, Catherine de Salins dans ses conclusions sous la décision département du Morbihan proposait de reconnaitre le caractère interruptif de la prescription d’une plainte avec constitution de partie civile déposée à raison de faits commis par un agent public dans le cadre du service public mais se montrait défavorable à la généralisation de la solution à toute plainte avec constitution de partie civile au motif qu’une telle solution serait source d’insécurité juridique pour les collectivités publiques qui, dans certains cas ne seraient même pas informées du procès pénal. Mais, cela n’a pas arrêté le Conseil d’État qui ne l’a pas suivie.
Ensuite, Olivier Henrard, dans ses conclusions sous l’arrêt S. estimait qu’il ne saurait être déduit de la lettre de l’article 2 de la loi de 1968, qui précise que l’action en justice est interruptive même si l’administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance,7 que la présence dans l’instance d’une collectivité publique quelconque n’est pas nécessaire si on replace cet article 2 « dans l’ensemble du dispositif. » : il soulignait ainsi que le texte prévoit que le recours gracieux est adressé « à l’autorité administrative » ; et surtout que « la logique qui sous‑tend l’ensemble de l’article 2 » reste une logique de « représentation mutuelle des différentes personnes publiques8 […] autrement dit, le législateur a entendu éviter qu’une erreur dans le choix de la personne publique sollicitée puisse être opposée au créancier ». Mais il tempérait immédiatement en soulignant que si « le recours peut être dirigé contre n’importe quelle collectivité », il doit tout de même l’être « contre une collectivité publique ». Et il ajoutait que les travaux préparatoires de la loi ne réservaient que deux « cas d’espèce dignes d’intérêt […] auquel le législateur entendait donc s’attaquer », le premier étant celui de la responsabilité hospitalière et le second, celui où l’autorité administrative présente au litige n’est pas la bonne. Mais selon lui « en revanche, rien, dans les travaux préparatoires ne permet de penser que le législateur aurait entendu traiter l’hypothèse où aucune collectivité n’est mise en cause - sauf celui d’une plainte contre les agents publics ». Enfin, il estimait que dans l’affaire département du Morbihan en réalité « la plainte contre X s’interprète dans ce cadre comme manifestant la volonté du créancier de mettre en jeu la responsabilité de l’administration ».
Toutefois, ces objections ne nous paraissent pas insurmontables pour que vous puissiez ne pas tenir compte du régime spécifique des agents publics et du fait que derrière la faute de service, il y a toujours une faute personnelle qui révèle selon la formule célèbre de Laferrière9 « l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences ». Et cette spécificité du régime de responsabilité des agents publics nous semble justement permettre que vous admettiez que l’action engagée devant la juridiction civile pour faute personnelle de l’agent s’interprète comme manifestant la volonté du créancier de mettre en jeu la responsabilité de l’administration. En outre, vous aurez remarqué qu’Olivier Henrard lui‑même réserve tout de même le cas des agents publics, même s’il n’évoque, il est vrai, que le cas de la plainte.
D’autres inconvénients méritent toutefois d’être relevés : il est vrai que si vous admettiez que l’action civile pour faute personnelle a interrompu le cours de la prescription, cela pourrait inciter les victimes de dommages à rechercher plus facilement la responsabilité pour faute personnelle de l’agent public, car elles seraient alors assurées qu’en cas d’échec de cette première tentative, elles pourraient encore se retourner contre la collectivité publique sans qu’une prescription puisse leur être opposée. Mais nous ne pensons pas là non plus que ce soit un inconvénient qui doive peser bien lourd dans la balance alors d’abord que la solvabilité de la collectivité peut aussi faire privilégier une action contre elle et qu’il nous semble que c’est davantage en raison de la difficulté à déterminer la personne responsable que l’action est dans un premier temps mal dirigée.
Nous n’avons donc pas trouvé d’obstacle déterminant et pour toutes ces raisons, et, avec toute l’humilité qui s’impose à notre stade, il nous semble que vous pourriez tout de même franchir le cap et admettre, compte tenu de la spécificité du régime indemnitaire des agents publics, que l’action civile exercée pour faute personnelle contre le maire est susceptible d’interrompre la prescription quadriennale.
Si vous nous suiviez sur cette question de droit, cela ne changera toutefois pas la solution dans l’affaire de M. F. mais vous conduirait seulement à modifier la solution du tribunal qui a estimé qu’était prescrite la créance tirée de l’illégalité de deux refus d’autorisation de lotir du 14 septembre 2007, annulés par un jugement du tribunal administratif passé en force de chose jugée le 19 juin 2008, créance pour laquelle la prescription a donc commencé à courir le 1er janvier 200910 et n’était donc pas expirée le 12 janvier 2012 lorsque l’action civile a été engagée par M. F. devant le TGI de Nice. Si vous ne nous suiviez pas, vous pourriez en revanche comme le tribunal admettre que ces créances sont prescrites, après avoir écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en application de l’arrêt du Conseil d’État du 5 décembre 2005 Mme Tassius no 278183 classé en B.
En revanche, vous pourrez sans difficulté, admettre, sans qu’il soit besoin de vous prononcer sur la recevabilité, que la créance se rattachant à l’illégalité fautive du classement de la propriété de M. F. en zone inconstructible par le plan d’occupation des sols communal approuvé le 16 décembre 1993 est prescrite depuis le 31 décembre 2007 : en effet par un jugement du 10 avril 2003, devenu définitif, le TA de Nice a accueilli, à l’occasion de la contestation de deux certificats d’urbanisme négatifs des 6 février 2001 et 4 octobre 2001 l’exception d’illégalité du classement de ses terrains en secteur inconstructible. Contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, qui a tenu compte de l’appel, vous pourrez faire partir le point de départ du nouveau délai au 1er janvier suivant le jugement du tribunal, soit le 1er janvier 2004, dès lors que la commune de Contes n’a relevé appel de ce jugement du tribunal qu’en ce qui concerne l’injonction qu’il lui avait adressée mais que l’appel ne concernait pas l’exception d’illégalité retenue. Un nouveau délai a donc couru à compter du 1er janvier 2004 et a expiré le 31 décembre 2007.
De même, comme le tribunal, vous pourrez admettre que la créance se rattachant à l’illégalité fautive de deux refus d’autorisation de lotir du 12 mai 2006 qui a été admise par deux jugements du TA de Nice du 6 juillet 2007 devenus définitifs a fait courir un nouveau délai le 1er janvier 2008, qui est arrivé à expiration le 31 décembre 2011. Cette créance était donc bien prescrite, comme l’a jugé à bon droit le tribunal.
Ces deux créances (ou trois créances si vous ne nous suiviez pas) sont donc prescrites et vous ne pourrez sur ce point admettre l’argumentation de M. F. selon laquelle le tribunal ne pouvait isoler chacun des agissements fautifs de la commune de Contes pour opposer l’exception de prescription quadriennale alors qu’il aurait fallu, selon le requérant, prendre en considération l’ensemble des agissements fautifs qui avaient perduré dans le temps depuis le 16 décembre 1993 à la suite du classement illégal de sa propriété. Il est vrai que lorsque le préjudice est continu et évolutif, la créance se rattache à chacune des années au cours desquelles il a été subi (CE section 3 décembre 2018 M. Bermond, classé en A déjà cité). Mais nous l’avons dit pour le préjudice résultant de l’illégalité d’une décision administrative, c’est la date de notification qui compte en application de la jurisprudence Reverdy (CE 5 février 2018 no 401325 précité). Et M. F., tout en se prévalant des agissements de la commune de Contes qui se serait systématiquement opposée à son projet d’aménagement du terrain dont il est propriétaire, rattache précisément la créance dont il fait état notamment à l’illégalité du classement partiel de ce terrain en zone inconstructible par le plan d’occupation des sols de la commune approuvé le 16 décembre 1993 et à celle des décisions du maire du 12 mai 2006 et du 14 septembre 2007 refusant de lui délivrer une autorisation de lotir, qui constituent autant de faits générateurs au sens de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968.
Enfin, vous pourrez écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 1 du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur le fondement de l’arrêt du Conseil d’État du 17 juillet 2013 Ministre du Budget, des comptes publics et de la réforme d’État c/ Sté coopérative Bressor no 352273 classé en B sur ce point, qui a jugé que le seul fait que les prétentions d’une société au versement des indemnités puissent être soumises, en vertu des dispositions de l’article 1er de la loi no 68‑1250 du 31 décembre 1968, à un délai de prescription de quatre ans, qui ne présente pas en tant que tel un caractère exagérément court, n’est pas en lui‑même incompatible avec ces stipulations.
Nous en avons ainsi terminé avec les points qu’il nous semblait nécessaire d’aborder sur la question de la prescription quadriennale.
Mais demeurent les créances pour lesquelles le tribunal n’a pas retenu l’existence d’une prescription :
Il s’agit en premier lieu, des créances rattachées à l’illégalité fautive de deux arrêtés interruptifs de travaux (AIT) des 2 juillet 2009 et 4 août 2011 : le tribunal a rejeté la demande indemnitaire de M. F. au motif qu’à la supposer même établie, l’illégalité de ces deux AIT édictés par le maire, sur le fondement de l’article L. 480‑2 du code de l’urbanisme en sa qualité d’agent de l’État, (voyez sur ce point CE 10 mai 1996 A. n° 133195 classé en A sur ce point) ne saurait engager la responsabilité de la commune. (CE 14 octobre 1987 Ministre de l’urbanisme c/ Malinconi no 69293 classé en B sur ce point).
Mais vous ne pourrez pas reprendre une telle solution au regard de la jurisprudence du Conseil d’État Le Lay du 23 mai 2018 (no 405448), d’ailleurs invoquée par M. F., que nous avons déjà évoquée, jurisprudence en vertu de laquelle lorsqu’un organisme de droit public ou un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public est chargé d’un service de prestations au nom et pour le compte de l’État, il appartient au juge, saisi d’une action indemnitaire après le rejet d’une réclamation préalable adressée à un tel organisme, de regarder les conclusions du requérant tendant à l’obtention de dommages et intérêts en réparation de fautes commises par les services de l’organisme chargé du service des prestations au nom et pour le compte de l’État comme également dirigées contre ce dernier, et de communiquer par conséquent la requête tant à cet organisme qu’à l’autorité compétente au sein de l’État. Vous avez déjà appliqué cette jurisprudence à l’hypothèse dans laquelle le maire agit au nom de l’État sur le fondement de l’article L. 480‑1 du code de l’urbanisme (CAA Marseille 1re chambre no 18MA00562 du 17 décembre 2020, sur lequel un pourvoi est toutefois en cours). C’est la raison pour laquelle vous avez communiqué la requête à l’État.
Pour l’AIT du 2 juillet 2009, un recours pour excès de pouvoir a été exercé le 11 août 2009 et un jugement de non‑lieu à statuer, intervenu le 17 mars 2011, a interrompu le cours de la prescription. Un nouveau délai a donc couru à compter du 1er janvier 2012 et la créance relative à cet AIT du 2 juillet 2009 n’était donc pas prescrite en 2015, date de réception de la demande préalable. Il en est de même a fortiori pour l’AIT du 4 août 2011 contesté et ayant donné lieu à une ordonnance de non‑lieu à statuer du 20 février 2012.
Mais il nous semble que vous pourrez néanmoins rejeter la demande indemnitaire fondée sur l’illégalité de ces AIT des 2 juillet 2009 et 4 août 2011.
En effet, les préjudices réparables pour l’édiction d’un AIT illégal sont ceux tirés des travaux supplémentaires réalisés pour se mettre en conformité avec cet AIT (CE 10 juin 1996 Banque Nationale de Paris no 80108 classé en B sur ce point), ou encore de la hausse des prix consécutive au retard apporté à l’édification de la construction (CE 19 mars 1982 P. no 22087, non classé) et plus largement du surcoût du retard des travaux (CE 24 octobre 1990 SCI « Le Grand large » no 52874 classé en B sur un autre point).
En l’espèce, il est vrai que deux AIT des 2 juillet 2009 et 4 août 2011 ont été retirés, d’abord le 10 janvier 2010 à la demande du préfet qui estimait que les mouvements de sol reprochés ne remplissaient pas les conditions de superficie et de hauteur les soumettant à déclaration préalable et, ensuite le 23 septembre 2011, par le préfet lui‑même qui estimait que les travaux n’étaient pas suffisamment avancés pour caractériser une infraction fautive. L’existence d’une illégalité fautive pourrait donc être admise. Toutefois, les préjudices invoqués par M. F., tirés de la perte de gains ou de l’impossibilité de vendre et de faire fructifier le produit de sa vente ne nous paraissent pas pouvoir présenter de lien de causalité direct avec l’illégalité fautive invoquée. Le requérant invoque en revanche avoir subi un surcoût qu’il chiffre à 16 000 euros, en raison de l’interruption de ses chantiers et à l’immobilisation de ses engins de chantier. Mais il indique lui‑même que son outillage et ses matériaux ont été dégradés volontairement par son voisinage avec lequel il entretenait des relations conflictuelles : dans ces conditions, l’existence d’un lien de causalité direct avec les illégalités fautives résultant des AIT illégaux de 2009 et 2011 ne nous semble pas pouvoir être admise, alors même que le requérant soutient que « ces dégradations ne se seraient pas produites si le maire n’avait pas interrompu de façon fautive les travaux ». Il n’établit pas par ailleurs que la désorganisation de ses chantiers liée à l’illégalité fautive des AIT serait à l’origine d’un préjudice de 50 000 euros, dont il demande réparation, sans au demeurant apporter de justification.
D’une manière ou d’une autre, vous pourrez donc, selon nous, rejeter la demande indemnitaire fondée sur l’illégalité fautive liée aux AIT des 2 juillet 2009 et 4 août 2011.
En deuxième lieu, concernant les créances rattachées à l’illégalité fautive de la décision du 20 août 2009 refusant le raccordement au réseau d’eau potable :
La créance relative à ce refus du 20 août 2009 n’était pas prescrite à la date de réception de la demande préalable en 2015 puisqu’un recours pour excès de pouvoir a été exercé, qui s’est soldé par une ordonnance de non‑lieu du 20 février 2012.
Mais il nous semble que vous pourrez rejeter la demande indemnitaire fondée sur l’illégalité de ce refus de permis du 20 août 2009 : ce refus se fondait sur le fait que le règlement de la voirie communale interdit toute ouverture de chaussée dans les trois ans qui suivent la pose d’un nouveau revêtement. Toutefois, le requérant se borne à se prévaloir du fait que l’exécution de cette décision a été suspendue par une ordonnance du 16 février 2010 du juge des référés du tribunal administratif de Nice qui avait estimé que le moyen tiré de ce que ces dispositions ne permettaient pas au maire d’empêcher l’intéressé d’exécuter les travaux concernés était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision. Ce seul élément n’est pas suffisant pour démontrer l’existence d’une illégalité fautive de cette décision. Nous vous proposons donc de rejeter la demande d’indemnisation fondée sur une telle créance, en l’absence de faute.
En troisième lieu, concernant les créances rattachées à l’illégalité fautive de la décision de refus de permis de construire du 10 janvier 2011 pour un projet de construction de sept villas :
Cette créance n’était pas prescrite en 2015, date de réception de la demande préalable indemnitaire. Vous devrez donc vous pencher sur l’existence d’une illégalité fautive. Comme l’a à bon droit relevé le tribunal l’illégalité fautive n’est toutefois pas démontrée : d’une part à supposer que M. F. ait entendu invoquer un moyen tiré de l’autorité absolue de chose jugée au motif que le tribunal administratif de Nice avait annulé par des jugements des 6 juillet 2007 et 19 juin 2008 plusieurs refus d’autorisation de lotir opposés à M. F. en se fondant sur l’insuffisance de desserte au regard de l’article R. 111‑4 du code de l’urbanisme, un tel moyen ne peut qu’être écarté alors que le refus du 10 janvier 2011 se fondait sur l’existence d’un risque pour la sécurité publique de la desserte sur le fondement de l’article R. 111‑2 du code de l’urbanisme. D’autre part, l’existence d’un détournement de pouvoir, à le supposer allégué, n’est pas assorti de précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien‑fondé, y compris en appel.
En quatrième et dernier lieu, le requérant se prévaut d’une opposition systématique du maire de Contes ou des agents communaux à son projet et d’agissements fautifs de leur part car ils auraient dissuadé ses partenaires économiques et acquéreurs potentiels. Vous admettez en effet qu’une attitude fautive d’une commune qui engagerait par exemple de manière répétitive des procédures à l’encontre d’un administré est constitutive d’une faute. (CAA Paris, 31 mars 1994, Cne de Montfort‑l’Amaury, n° 90PA00997)
Toutefois en l’espèce, les menaces du maire d’écarter un entrepreneur des marchés publics passés par la commune si ce dernier collaborait avec M. F. ne sont pas établies par l’attestation qui émane d’une personne qui déclare accompagner M. F. dans ses démarches administratives depuis 2009, qui ne revêt pas de caractère suffisamment probant. De même la production d’une liste d’acheteurs potentiels qui auraient été vainement contactés en raison des agissements du maire, qui est établie par le requérant lui‑même, ne revêt pas de caractère suffisamment probant. Et s’il ressort d’une attestation d’une conseillère municipale du 17 novembre 2011 et d’un courrier du conseil de M. F. daté du 10 novembre 2011 que l’arrêté interruptif de travaux du 4 août 2011, pourtant retiré par un arrêté du préfet des Alpes‑Maritimes le 23 septembre 2011, était toujours présent sur un panneau d’affichage en mairie au cours du mois de novembre 2011, ce retrait a finalement été opéré le 17 novembre 2011, deux jours après la réception du courrier de M. F. en ce sens, et le requérant n’établit pas que le maintien injustifié de cet arrêté sur le panneau d’affichage jusqu’à cette date résulterait d’une intention malveillante du maire de la commune.
Le requérant se prévaut en revanche d’attestations émanant d’un agent commercial et d’un particulier relatant les propos du maire tenus en 2004 ou du responsable de l’urbanisme à la mairie en 2011 confirmant la volonté de s’opposer à son projet et à la délivrance des autorisations nécessaires. Mais il résulte cependant de l’instruction que la configuration des lieux, du fait notamment de la forte pente, nécessitait l’exécution d’importants travaux de nivellement et que, ainsi d’ailleurs que l’a admis le maître d’œuvre désigné par M. F. au cours d’une opération d’expertise judiciaire organisée en 2013, ces travaux préparatoires ainsi que les travaux de voirie et réseaux n’étaient pas assurés avec toute la maîtrise technique nécessaire, M. F. assurant lui‑même de nombreuses tâches par souci d’économie. La mauvaise exécution de ces travaux est ainsi à l’origine de conflits avec les riverains, dont les propriétés ont parfois été dégradées et qui ont déploré la dénaturation du site auparavant naturel, et de dégâts causés au domaine public routier. Par ailleurs, nous l’avons dit, M. F. a déjà obtenu de votre juridiction une indemnisation pour préjudice moral en raison de l’illégalité des certificats d’urbanisme des 6 février 2001 et 4 octobre 2001 et du refus de raccordement au réseau public d’assainissement opposé le 16 mars 2001. Enfin, vous pourrez relever que le requérant s’est finalement vu délivrer certaines des autorisations demandées soit directement, soit en exécution, dans un délai raisonnable, des décisions du tribunal administratif de Nice annulant les refus initiaux. La commune fait ainsi valoir, sans être contestée, qu’il a obtenu trois permis de construire délivrés le 27 octobre 1999 sur une parcelle cadastrée CA 185 désormais CA 210, le 6 avril 2000 sur une parcelle cadastrée CA 186 devenue depuis CA 214 et le 19 mars 2001 sur une parcelle CA 187 devenue CA 234 ainsi qu’une autorisation de détachement d’unité foncière des parcelles CA 82, 191, 193, 198 et 199, ce qui lui a permis de vendre quatre parcelles. La commune fait aussi valoir sans être contestée qu’elle ne s’est pas opposée à la demande de division foncière déposée le 12 mai 2008 et a délivré deux permis d’aménager le 21 avril 2008. Dans ces conditions, nous vous proposons de considérer que l’opposition au projet exprimée par l’administration communale n’a pas revêtu, dans les circonstances de l’espèce de caractère fautif.
Aucune faute ne nous paraît donc établie, à l’exception toutefois de l’illégalité du refus de permis d’aménager du 14 septembre 2007, dont nous l’avons vu, l’illégalité a été admise par un jugement d’annulation définitif du tribunal du 19 juin 2008. Si vous nous suiviez pour admettre que cette créance n’est pas prescrite car elle a été interrompue par l’assignation délivrée en 2012 devant le TGI de Nice, l’existence d’une illégalité fautive est en revanche ici bien caractérisée.
Il faut donc examiner les préjudices dont le requérant demande réparation :
M. F. demande tout d’abord réparation de la perte de gains ou du manque à gagner car il aurait été privé de vendre son terrain dès 2004, puis de la possibilité de faire fructifier le produit de cette vente, soit une somme évaluée au total à 3 696 267,13 euros, par un rapport d’expertise réalisé à sa demande, qu’il vous produit. En effet, vous le savez, pour un promoteur immobilier, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d’un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l’état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l’espèce, un caractère direct et certain. Il est alors fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu’il pouvait raisonnablement attendre de cette opération. (CE 15 avril 2016 Commune de Longueville no 371274 classé en B sur ce point – CE 17 juillet 2017 Sté Négocimmo no 394941 classé en B sur ce point). Certes, M. F. se prévaut en pièce 47 de la demande de première instance d’un protocole d’accord signé le 21 avril 2004 par lequel M. F. s’engage à céder à la SAS « Modap » seize lots entièrement viabilisés pour un montant d’1 615 000 euros TTC. Toutefois, outre que l’engagement n’est pris que par M. F., ce protocole d’accord concerne un permis d’aménager seize lots pour une demande déposée le 9 décembre 2004 d’après les mentions du rapport d’expertise du 17 juillet 2017 produit par M. F.. Il n’existe donc pas de lien avec le refus de permis d’aménager du 14 septembre 2007 qui nous préoccupe. Aucune autre pièce dont il se prévaut, et notamment pas le mail du 29 octobre 2010, qui évoque une intention d’achat d’un terrain sans plus de précision, pour une somme de 115 000 euros et la liste d’acheteurs potentiels réalisée par ses soins déjà évoquée, ne sont par ailleurs suffisants pour apporter la preuve de l’existence d’engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou de l’état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l’espèce, un caractère direct et certain avec l’illégalité fautive du refus de permis d’aménager du 14 septembre 2007.
Vous pourrez par ailleurs écarter le préjudice tiré des déplacements supplémentaires entre son domicile situé à Digne‑les‑Bains et la commune de Contes, qui auraient selon lui été nécessaire en raison des fautes alléguées, préjudice que le requérant chiffre à 24 000 euros : ils ne sont pas établis.
De même, dans le contexte que nous avons décrit, vous ne pourrez pas selon nous accorder de réparation pour préjudice moral du requérant qui aurait subi un « stress intense » et de son épouse qui a contracté un cancer qu’il estime en partie lié à l’acharnement communal, lesquels ne sauraient résulter de la seule illégalité du refus de permis d’aménager du 14 septembre 2007.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons en définitive à rejeter les demandes de M . F., sans qu’il soit besoin de vous prononcer sur la recevabilité d la demande de première instance ni d’ordonner l’expertise qu’il vous demande afin de chiffrer son préjudice.
Par ces motifs, nous concluons :
A ce que l’intervention volontaire en défense de la société Groupama Méditerranée soit admise.
Au rejet au fond de la requête de M. F.
A ce que M. F. verse à la commune de Contes une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.
Au rejet des conclusions de la société Groupama Méditerranée au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative, qui n’a pas la qualité de partie, dans la présente instance.
Notes
1 CE section 15 juillet 1957 ville de Royan rec p. 365 Retour au texte
2 CE section du 24 juin 1977 commune de Férel no 96584 Retour au texte
3 Dans ses conclusions sous l’arrêt du CE Solotrat Olivier Henrard soulignait que « la solution Birien est d’autant plus remarquable que pour le créancier, elle est plus généreuse que celle du juge judiciaire. » et qu’ « On peut y voir quelque paradoxe alors puisque la décision département du Morbihan avait été adoptée en vue de rapprocher [la ] jurisprudence [administrative] de celle de la Cour de Cassation. » Retour au texte
4 Répertoire Bécquet déchéance n°4 et s cité par C. de Salins dans ses conclusions sous département du Morbihan Retour au texte
5 Voyez sur ce point les conclusions d’Olivier Henrard sous l’affaire Sté Solotrat précitée ainsi que celles de Mme Prada-Bordenave sous l’affaire département du Morbihan précitée qui rappelle l’évolution historique de la déchéance quadriennale devenue prescription quadriennale Retour au texte
6 Selon l’expression d’Olivier Henrard sous l’arrêt CE du 26 mars 2018 commune de Montereau-Fault-Yonne no 405109 Retour au texte
7 ou pour le dire autrement que « la présence à l’instance de la collectivité publique finalement responsable n’est pas nécessaire » Retour au texte
8 selon l’expression du président Denoix de Saint Marc dans ses conclusions sur l’affaire commune de Férel Retour au texte
9 Conclusions sous TC 5 mai 1877 Laumonnier-Carriol rec p. 437 Retour au texte
10 Le recours pour excès de pouvoir contre ces deux refus d’autorisation de lotir du 14 septembre 2007 a interrompu le cours de la prescription quadriennale Retour au texte
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