M. E. K. était associé et gérant jusqu’en octobre 2014 de la société Romain Plus exerçant une activité de vente de viande hallal, étendue à une exploitation de boulangerie‑snack, et à la vente de fruits et légumes, dont il détenait 50 % des parts jusqu’en juillet de la même année, pour atteindre 100 % des parts à compter de cette date. Les activités de boulangerie‑snack et de vente de fruits et légumes ont été dissociées et respectivement confiées à la société l’Epi d’Or, et à deux salariés de la société Romain Plus, puis à une société dénommée SAS Primeur du 10ème. Lors de la vérification de comptabilité de la société Romain Plus, l’administration a rejeté sa comptabilité, et elle a reconstitué le résultat de la société par comparaison avec des sociétés à l’activité similaire. Elle a également notifié des renonciations à recettes tirées de ce que les sociétés L’Epi d’Or et SAS Primeur du 10ème ne versaient pas de loyer de location‑gérance estimé à 20 % du chiffre d’affaires. En outre, elle a rejeté la déductibilité de certaines charges au motif que ces sociétés occupaient gratuitement une partie des murs pour lesquels la SARL Romain Plus acquittait un loyer à une SCI dénommée Victory, dont 95 % des parts sont détenus par M. E. K., outre que la société contrôlée avait réglé des achats de fruits et légumes ne relevant pas de son activité. L’administration a contradictoirement notifié à M. E. K. des revenus distribués qui ont donnés lieu à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2014 et 2015 assortis de pénalités, pour un montant total de 198 231 euros. M. et Mme E. K. relèvent appel du jugement no 1806330 du 26 juin 2020, par lequel le TA de Marseille a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces suppléments d’impositions.
Les requérants articulent deux moyens tenant à l’irrégularité de la procédure d’imposition. Le premier est lié à une insuffisance de motivation de la réponse au contribuable, et le second tient au non‑respect du principe d’indépendance des procédures.
Vous savez qu’aux termes de l’article L. 57 al. 1 du livre des procédures fiscales (LPF), l’administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de comprendre les conséquences de son acceptation éventuelle sur l'ensemble des droits et taxes dont il pourrait devenir débiteurs, et de formuler utilement ses observations en cas de désaccord. L’administration doit faire connaître au redevable la nature, les motifs et le montant des rectifications envisagées. Est suffisamment motivée la proposition de rectification qui indique la nature et le montant des rectifications envisagées et comporte, chef par chef, les indications relatives aux motifs de ces rectifications, suffisantes pour permettre au contribuable d'engager valablement une discussion avec l'administration (CE, 6 février 1981, no 9211, Compagnie pour xxxxx1). Une proposition de rectification qui n’est pas suffisamment motivée entache d’irrégularité la procédure d’imposition, et entraîne la décharge des impositions supplémentaires contestées.
Vous savez également qu’en vertu du même article L. 57 du livre susvisé, lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit être motivée. Le caractère suffisant de la motivation de la réponse s’apprécie par rapport au contenu et à la précision des observations du contribuable (CE, 25 juillet 1986, no 45871, B. 2; CE 25 avril 1990, no 76752, Ruch3). Si l’administration n’est pas tenue de répondre à tous les arguments du contribuable, elle doit néanmoins apporter une réponse, même succincte, à ses principales observations. La régularité de la réponse aux observations du contribuable doit donc être appréciée au regard des seules observations que celui‑ci a présentées dans le délai légal prévu à l’article R. 57‑1 du livre précité. Est ainsi insuffisamment motivée la réponse aux observations du contribuable dans laquelle l’administration s'est bornée à se référer à sa notification initiale, sans répondre à ces observations ni même indiquer ceux de ses motifs qu'elle entendait maintenir, alors que le contribuable a contesté de façon argumentée et circonstanciée chacun des quatre motifs développés dans la notification initiale de redressement (CE, 22 février 2002, no 214 385, Cohen4).
Il résulte de l’instruction que par une proposition de rectification du 12 juillet 2017, l’administration a informé les époux E. K. des rehaussements effectués dans la SARL Romain Plus s’agissant du rejet de la comptabilité, de la reconstitution des recettes, et des distributions effectuées en application du 2° de l’article 109.1, et du c de l’article 111 du CGI. Les intéressés ont répondu à cette proposition de rectification en contestant le rejet de la comptabilité, la méthode de reconstitution des recettes, tant s’agissant des produits que des charges, ainsi que la pertinence des revenus réputés distribués. Le service a répondu à leurs observations le 9 octobre 2017.
La réponse du service s’agissant des sommes considérées comme des revenus distribués est la suivante :
« La société Romain Plus n’a pas répondu à la proposition de rectification no 3924 dans le délai qui lui était imparti. Les différents recours prévus dans le cadre de la procédure de rectification ne sont plus ouverts. En conséquence, l’ensemble des redressements est maintenu. La société pourra contester la position du service par voie contentieuse, après réception de l’avis de mise en recouvrement ».
Les premiers juges ont considéré que cette réponse, qui se limitait à opposer aux contribuables la circonstance que la société Romain Plus n’avait pas elle‑même répondu dans les délais à la proposition de rectification dont elle avait été destinataire, et qu’elle avait donc implicitement accepté les rectifications, était suffisamment motivée.
Sur ce point, deux appréciations sont possibles. Soit vous considérez que le contribuable a effectivement été informé de la solution retenue par l’administration pour rejeter ses observations, et ainsi été mis à même de contester utilement les rehaussements au stade du contentieux, soit qu’en se limitant à renvoyer à l’absence de contestation des rehaussements par la société Romain Plus, sans répondre aux observations des époux E. K. concernant la remise en cause de la régularité de la comptabilité, de la méthode de la reconstitution des recettes, ainsi que le bien‑fondé des distributions, le service n’a pas motivé sa réponse. Cette seconde solution a notre préférence, et nous vous proposons de l’adopter.
Cependant, si vous aviez un doute sur ce premier motif d’annulation, vous pourriez accueillir, au terme d’une solution inédite, le second moyen articulé par les intéressés, qui tient à la méconnaissance du principe d’indépendance des procédures.
Vous savez qu’en application du principe d’indépendance des procédures, la décision prise par la juridiction administrative dans un litige relatif à l'imposition d'une société à l'impôt sur les sociétés est, par elle‑même, sans influence sur l'imposition du dirigeant ou de l'associé de cette société à l'impôt sur le revenu, alors même qu'il s'agirait d'un excédent de distribution révélé par un redressement des bases de l'impôt sur les sociétés que l'administration entend imposer à l'impôt sur le revenu entre les mains du bénéficiaire. Ainsi le contribuable, gérant d'une société, ne peut utilement se prévaloir de ce que le Conseil d'État statuant au contentieux a accordé à la société la décharge des impositions à l'impôt sur les sociétés correspondant aux redressements auxquels lui‑même a été ensuite assujetti en matière d'impôt sur le revenu. Pour la même raison, le moyen tiré par lui de ce que la procédure d'établissement des suppléments d'impôt sur les sociétés assignés à la société aurait été irrégulière est inopérant au regard des suppléments d'impôt sur le revenu qui lui ont été assignés (CE, plénière, 27 juillet 1988, no 43 939, M.5). Le commissaire du gouvernement Philippe Martin indiquait dans ses conclusions rendues dans cette instance que
« l'article 110 ne fixe qu'une règle d'assiette : identité du montant (quantum) des bénéfices sociaux réintégrés et des revenus réputés distribués par application de l'article 109‑1‑1°. L'absence d'imposition ou l'irrégularité de l'imposition des bénéfices sociaux n'a pas pour effet de supprimer la distribution. L'imposition de la personne morale et du bénéficiaire de la distribution étant ainsi distinctes, il ne peut y avoir de décharge de la seconde par voie de conséquence de la décharge de la première ».
Il en résulte logiquement que ne peut être opposé au bénéficiaire des revenus réputés distribués, la charge de la preuve qui pèse sur la société en ce qui concerne le montant des rehaussements dont ses bénéfices ont fait l'objet (CE, 27 juillet 1984, no 37 834, Noël, M. de B.6).
Pour autant, si ce principe rend hermétique les procédures suivies respectivement à l’égard de la société soumise à l’impôt sur les sociétés, du bénéficiaire de revenus distribués, il ne s’oppose pas à ce que ce dernier conteste le bien‑fondé des rehaussements à l’impôt sur les sociétés dont ces revenus procèdent. C’est pourquoi le bénéficiaire des revenus distribués doit être informé, en sa qualité de contribuable individuel, des motifs des rehaussements de la société qu’il est censé ignorer, puisqu’il fait l’objet d’une procédure distincte. Le Conseil d’État exige ainsi que la proposition de rectification adressée à ce contribuable soit motivée par elle‑même, soit par référence à la notification de redressement adressée à la société, laquelle doit être jointe la proposition de rectification adressée à la société (CE, 31 décembre 2008, no 296472, M.7).
En l’espèce, il vous revient de déterminer si le contribuable a été privé d’une garantie du fait de la réponse succincte à ses observations tirées de ce que la société avait accepté les redressements. Vous trouvez une décision du Conseil d’État du 4 décembre 2019, no 417 967, M. et Mme M.8, qui décide que ne commet pas d'erreur de droit la cour administrative d'appel, qui juge que l'acceptation par l'administration fiscale des observations de la société qu'elle avait formulées à la suite de la proposition de rectification qui lui avait été notifiée en matière d'impôt sur les sociétés, résultant de la notification de sa réponse au‑delà du délai de soixante jours prévu par l'article L. 57 A LPF, était, par elle‑même, sans incidence sur le bien‑fondé des suppléments d'impôt sur le revenu en litige consécutifs à la perception par les requérants, qui détenaient la totalité du capital social de cette société, de revenus distribués non déclarés. Nous vous proposons d’adopter cette solution dans un sens favorable cette fois‑ci au contribuable, qui relève bien d’une question de régularité de la procédure, ainsi que jugé par la haute assemblée. Si M. E. K. est devenu associé à 100 % de la SARL Romain Plus, cette circonstance n’a pas eu pour effet de soumettre cette société à l’article 8 du code général des impôts, auquel cas le principe d’unicité de procédure aurait rendu inopérant le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’indépendance des procédures. En l’espèce, lorsque l’administration a considéré que l’acceptation tacite des rehaussements par la société entraînait automatiquement celle des bénéficiaires des revenus, elle a méconnu le principe d’indépendance des procédures, privant par voie de conséquence les appelants d’une garantie substantielle dans l’imposition des revenus litigieux. Ainsi, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens, les appelants sont fondés à soutenir que la procédure d'imposition a été irrégulière et, dès lors, à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a rejeté leur demande en décharge. Vous pouvez leur accorder 2 000 euros de frais d’instance.
Par ces motifs nous concluons, à l’annulation du jugement no 1806330 du 26 juin 2020 du tribunal administratif de Marseille, à la décharge en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu qui ont été portées à la charge de M. et Mme E. K. au titre des années 2014 et 2015, et à ce qu’il soit porté à la charge de l’État une somme de 2 000 euros à verser à M. et Mme E. K., au titre des frais d’instance.