Compétence de l’ordre administratif pour connaître des litiges relatifs aux émoluments dus aux greffiers en contrepartie des prestations de fourniture d'informations extraites du registre du commerce et des sociétés

Lire les conclusions de :

Lire les commentaires de :

Décision de justice

CAA Marseille, 6e chambre – N° 20MA02786 – Société Nicole Casanova – 26 septembre 2022

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 20MA02786

Numéro Légifrance : CETATEXT000046337793

Date de la décision : 26 septembre 2022

Index

Rubriques

Actes administratifs

Résumé

Chargés de la tenue du registre du commerce et des sociétés, les greffiers des tribunaux de commerce sont à ce titre investis d'une mission de service public à caractère administratif, détachable du service public de la justice judiciaire. La fourniture, par ces greffiers, des données issues de ce registre, suivant les modalités réglementaires prévues par les articles L. 743-13 et R. 743-155 du code de commerce, revêt le caractère d'une activité accessoire à cette activité de service public administratif. La relation entre le greffier et l'usager sollicitant de sa part la communication d'informations issues de ce registre s'inscrit non pas dans un cadre contractuel, mais dans le cadre réglementaire prévu par ces dispositions. Il en résulte que les litiges relatifs aux émoluments dus aux greffiers en contrepartie des prestations de fourniture d'informations extraites du registre du commerce et des sociétés ressortissent à la compétence des juridictions de l'ordre administratif.

Pour la tenue d’élections consulaires, la chambre de commerce et d’industrie territoriale de Bastia et de Haute-Corse avait demandé à une société civile professionnelle de greffiers du tribunal de commerce de Bastia, la communication de la liste des personnes physiques et morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés, ainsi que des extraits du registre ayant fait l’objet, depuis le 1er mars 2015, d’une inscription, modification ou radiation. Si la société a adressé les pièces demandées, accompagnées de factures, la chambre de commerce a refusé de les payer, au double motif du retard de la prestation et du caractère inexploitable des pièces.

Pour statuer sur l’appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Bastia rejetant la demande de la société d’annulation de ce refus et du rejet de son recours gracieux, et de condamnation de la compagnie consulaire à lui payer les factures, la Cour a retenu la compétence de l’ordre juridictionnel administratif, en jugeant que la mission des greffiers des tribunaux de commerce, de tenue du registre du commerce et des sociétés, est une mission de service public administratif, détachable du service public de la justice judiciaire. Au nombre des tâches qui en sont l’accessoire, figure selon la Cour celle de fourniture des données issues de ce registre. La Cour en a déduit que les litiges relatifs aux émoluments dus aux greffiers en contrepartie des prestations de fourniture d’informations extraites du registre du commerce et des sociétés ressortissent à la compétence des juridictions de l’ordre administratif.

Cf. TC, A, 20 novembre 2006, S.A. EGTL c/ Société des autoroutes Esterel Côte d'Azur Provence Alpes, no 3569.

Conclusions du rapporteur public

François Point

Rapporteur public

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/amarsada.263

Par un courrier du 12 janvier 2016, le président de la chambre de commerce et d’industrie territoriale de Bastia et de la Haute‑Corse a demandé à la société Nappi et Casanova, qui exerce la charge de greffier du tribunal de commerce de Bastia, de lui fournir, dans le cadre des opérations préalables aux élections consulaires de l’année 2016, la liste des personnes physiques et morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés. Elle lui a également demandé de fournir des extraits du registre du commerce et des sociétés des entreprises ayant fait l’objet, depuis le 1er mars 2015, d’une inscription, modification ou radiation.

Le 24 novembre 2016, la société requérante a adressé à la chambre deux factures correspondant à ces prestations, pour des montants de 4 920,41 euros et de 3 188,64 euros. Par courrier du 16 décembre 2016, le président de la chambre de commerce et d’industrie territoriale de Bastia et de la Haute‑Corse a refusé de procéder au paiement de ces factures. La contestation formée par la société contre cette décision a été rejetée par courrier du président de la chambre du 16 février 2017.

Le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande indemnitaire présentée par la SELARL Nicole Casanova, venue aux droits de la société Nappi et Casanova, au motif qu’aucun contrat n’existait et que l’enrichissement sans cause de la collectivité n’était pas établi.

La société Nicole Casanova fait régulièrement appel de ce jugement.

Sur la compétence du juge administratif

Au regard de la nature des prestations fournies, nous estimons que le juge administratif est compétent pour statuer sur la demande de condamnation présentée par la société requérante.

En effet, les deux demandes formulées par la CCI le 12 janvier 2016 sont relatives à la fourniture de données issues du registre du commerce, qui est tenu par le greffe du tribunal de commerce. La tenue du registre du commerce étant un service public, les prestations se rattachant à ce service ne relèvent pas selon nous de la logique du contrat commercial.

Aux termes de l’articles L. 123‑6 du code de commerce1, la loi confie aux greffiers des tribunaux de commerce, qui sont des officiers publics et ministériels2, la tenue du registre du commerce et des sociétés.

Cette mission n’est pas rattachable à l’activité juridictionnelle du service de la justice. Voir sur ce point la décision CE, 12 mars 2021, no 442284, Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce3.

Il s’agit néanmoins d’une mission d’intérêt général qui leur est confiée par la loi et qui a le caractère d’un service public administratif4.

En outre, les prestations de fourniture des données du registre obéissent à un régime de tarif réglementé, fixé à l’article R. 743‑140 et suivants du code de commerce. Le régime tarifaire institué pour la fourniture d’extraits K‑bis est complétement réglementé. La tarification est libérale pour l’autre prestation, mais elle demeure dans une logique de redevance payée pour l’utilisation du service public.

Les dispositions de l’articlée R. 743‑155 du code de commerce, s’agissant des prestations non réglementées, précisent ainsi que « les honoraires particuliers sont, à défaut d’accord entre le greffier et celui qui doit en supporter définitivement la charge, fixés judiciairement dans les formes du droit commun ».

Les prestations fournies par la société requérante sont donc rattachables à une activité accessoire du service public et ne sont pas régies par une logique contractuelle. Le demandeur et le fournisseur sont dans une situation unilatérale et réglementaire.

Sur ce point, voir par analogie la caractérisation des relations entre les usagers de l’autoroute, vis‑à‑vis du concessionnaire dans la décision TC, 20 novembre 2006, SA EGTL, c/ Société des autoroutes Esterel Côte d’Azur Provence Alpes, no 359 :

« Les usagers de l'autoroute, même abonnés, sont dans une situation unilatérale et réglementaire à l'égard du concessionnaire. Il en résulte que les litiges pouvant naître entre ces usagers et le concessionnaire quant au principe et au montant du péage, y compris quant à la délivrance de factures afférentes à ce péage, relèvent de la compétence de la juridiction administrative. ».

Il résulte de ce que nous venons d’exposer que la juridiction administrative est compétente pour statuer sur la demande de la société requérante, tendant au paiement des factures émises pour des prestations effectuées dans le cadre d’un service public administratif.

Sur la régularité du jugement

La SELARL Nicole Casanova conteste la régularité du jugement du tribunal administratif de Marseille en faisant valoir que les premiers juges ont omis de mentionner dans les visas les mémoires qu’elle avait présentés le 30 août 2019 et 10 octobre 2019. Toutefois, dans le dossier de première instance, il n’y a aucun mémoire daté du 30 août 2019. Il y a un mémoire du 30 août 2018, qui a été visé et analysé. En outre, ce mémoire n’apportait aucun élément nouveau. Le mémoire du 10 octobre 2019 a été visé et analysé.

Le moyen sera donc écarté5.

Sur le paiement des prestations

1/ Concernant les extraits K bis

La réalité des prestations fournies n’est pas contestée par la CCI.

Comme nous l’avons indiqué, les prestations relatives à la fourniture d’extraits K‑bis sont réglementées. En application de l’article R. 743‑142 du code de commerce et de l’annexe 7‑5 auquel renvoie l’article R. 743‑140, les émoluments pour la communication par le greffier d’un extrait du registre du commerce et des sociétés s’élèvent à deux fois le taux de base fixé à 1,30 euros, soit un total de 2,60 euros.

La société requérante a fourni 1 022 documents à la CCI. Elle a donc seulement droit au paiement de la somme de 2 657,20 euros, et non 3 188,64 euros comme elle le réclame.

2/ Concernant la fourniture d’un listing des personnes physiques et morales immatriculées

Le tarif de ces prestations n’est pas réglementé. L’article R. 743‑155 du code de commerce dispose que « les honoraires particuliers sont, à défaut d’accord entre le greffier et celui qui doit en supporter définitivement la charge, fixés judiciairement dans les formes du droit commun ».

Concrètement, la société a fourni un fichier comprenant une extraction informatique du registre du commerce et des sociétés. Le tarif de 4 920,41 euros facturé apparaît toutefois très excessif.

En effet, il ne ressort pas des éléments versés au dossier que cette opération d’extraction informatique aurait eu un caractère complexe ou technique.

En outre, la CCI fait valoir, sans être utilement contredite sur ce point, que ce fichier était en grande partie inexploitable et comprenait de très nombreuses anomalies. Voyez sur ce point les comptes rendus de réunion du 11 mars 2016 et du 22 avril 2016 qui figurent en PJ 17 et 18 à l’appui de la requête d’appel.

Enfin, la prestation était demandée pour le 31 janvier 2016 et a été fournie avec retard.

Nous vous proposons dès lors de fixer le montant dû pour cette prestation à la somme de 500 euros.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement no 1700409 du 9 juin 2020 du tribunal administratif de Bastia, à l’annulation des décisions du président de la chambre de commerce et d’industrie de Corse en date du 16 décembre 2016 et du 16 février 2017 en tant qu’elles refusent le paiement des prestations fournies et la condamnation de la chambre de commerce et d’industrie de Corse à payer à la société Nicole Casanova une somme totale de 3 157,20 euros.

Notes

1 « Le registre du commerce et des sociétés est tenu par le greffier de chaque tribunal de commerce, sous la surveillance du président ou d'un juge commis à cet effet, qui sont compétents pour toutes contestations entre l'assujetti et le greffier et pour autoriser l'accès au document relatif au bénéficiaire effectif mentionné à l'article L. 561-46 du code monétaire et financier. ». Retour au texte

2 L. 741-1 du code de commerce Retour au texte

3 §12 : « Si les greffiers des tribunaux de commerce participent, à raison de l’exercice des missions non détachables de l’activité juridictionnelle qui leur sont confiées, notamment par l’article R. 741-1 et, pour partie, l’article R. 741-2 du code de commerce, à la mise en œuvre du service public de la justice commerciale auquel sont affectés les locaux des tribunaux de commerce et ne sauraient, par suite et dans cette mesure, être regardés comme en faisant une utilisation ou une occupation privative, il en va différemment des locaux occupés par ces greffiers pour l’exercice des missions distinctes, de nature non juridictionnelle, qui leur sont par ailleurs confiées par les lois et règlements, telles que la tenue du registre du commerce et des sociétés ou celles relevant des centres des formalités des entreprises ». Retour au texte

4 Voir les conclusions de Romain Victor sous CE, 12 mars 2021, Conseil National des greffiers des tribunaux de commerce, N °442284. Retour au texte

5 CE, 2 juin 2006, M. C., no 263423 : l’absence de visa d’un mémoire est sans conséquence sur la régularité du jugement si ce mémoire n’apporte aucun élément nouveau auquel il n’a pas été répondu dans les motifs. L’irrégularité est établie s’il y a des éléments nouveaux : CE, 5 octobre 2011, Société Firstinox, no 341242. Retour au texte

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Commentaire

Tom Deléchelle

Doctorant droit public AMU-CRA

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

DOI : 10.35562/amarsada.264

Paradoxe s’il en est d’une juridiction qui pour l’organisation de son activité juridictionnelle doit payer à une personne privée des prestations pour la fourniture d’informations détenue dans un registre établi par la loi. C’est sur ce point que la cour administrative de Marseille a dû se prononcer dans un arrêt en date du 26 septembre 2022 en déterminant le régime applicable à des prestations fournies par un greffe à la chambre de commerce et d’industrie du tribunal de commerce.

Dans cette affaire, la chambre de commerce et d’industrie demande à la société civile professionnelle (SCP) de greffiers attachés au tribunal de commerce de lui fournir un certain nombre de documents extraits des registres du commerce et des sociétés (RCS) afin de procéder à l’élection consulaire. La SCP fournit les deux prestations demandées ; l’une portant sur la fourniture d’un certain nombre de numéros K-bis et l’autre portant sur la constitution d’une liste des personnes physiques et morales immatriculées au RCS. Un conflit apparaît entre les parties sur les deux factures adressées par la SCP à la chambre, à la fois sur le montant et sur les prestations réalisées.

Après un recours gracieux rejeté, la SCP saisit le tribunal administratif de Bastia d’une demande tendant à l’annulation des décisions de rejet, au payement des factures et de dommages-intérêts. Après avoir vu ses demandes rejetées, la SCP relève appel devant la cour administrative d’appel de Marseille.

La première question que le juge devait se poser était une question de compétence. Qui du juge administratif ou du juge judiciaire était compétent pour se prononcer sur des actes passés entre une SCP de greffiers et une chambre de commerce ?

La cour conclut que le juge administratif est compétent pour traiter du contentieux sur la fourniture de prestations entre la chambre du commerce et la SCP. Afin d’arriver à cette conclusion, les juges passent par plusieurs étapes qui nous semblent, les unes après les autres, contestables, ou du moins qui présentent des limites.

Des prestations détachables de l’activité juridictionnelle

L’affirmation contestable de l’existence d’un service public de greffe susceptible d’être séparé du service public judiciaire

La cour administrative d’appel ne manque pas de rappeler que les activités relevant du service public judiciaire et présentant le caractère juridictionnel sont, par principe, soumises à la compétence de l’autorité judiciaire.

La cour affirme cependant que les prestations demandées par la chambre de commerce ne sont pas rattachables au service public de la justice judiciaire, écartant de ce fait la compétence de principe de la juridiction judiciaire. Les actes litigieux ne portent pas sur le service public de la justice judiciaire.

Ainsi, la cour ne peut pas appliquer le régime dégagé par la jurisprudence du Tribunal des Conflits de 1952 préfet de Guyane, qui attribue le contentieux portant sur les actes de fonctionnement du service public de la justice judiciaire au juge judiciaire et les actes portant sur l’organisation de ce même service au juge administratif. Pourtant, un arrêt du Conseil d’État de 11 février 2015 avait qualifié d’acte d’organisation du service public de la justice et donc de réglementaire, une décision ministérielle déclarant vacant un office de greffier de tribunal de commerce. La tenue des RCS et leur communication sont définies par le juge comme distinctes du service public de la justice judiciaire non soumises alors à cette ligne jurisprudentielle.

Sur ce point, même si la distinction fonctionnement / organisation du service public judiciaire trouve surtout un écho dans le contentieux sur le statut des magistrats et les décisions disciplinaires, il aurait été possible d’appliquer cette distinction à l’affaire. Considérer la tenue des registres du RCS comme faisant partie de l’organisation du service public judiciaire aurait permis de consacrer la compétence de la juridiction administrative sans avoir à créer un nouveau service public détaché de l’activité judiciaire. D’autant que l’article L. 123-6 du code de commerce dispose que les RCS sont tenues par les greffiers des tribunaux de commerce « sous la surveillance du président ou d’un juge commis à cet effet, qui sont compétents pour toutes contestations entre l’assujetti et le greffier ».

À défaut d’être juridictionnelle (fonctionnement), l’activité aurait pu être rattachée au service public judiciaire par le critère de l’organisation. D’autant que les prestations demandées, même si elles prennent la forme de prestations traitées habituellement par les greffiers, à savoir la communication d'extrait K-Bis et d'une liste des personnes juridiques inscrites au RCS, peuvent être directement rattachables à l’activité juridictionnelle. En effet, la chambre de commerce et d’industrie territoriale a formulé sa demande dans le cadre des élections consulaires et afin de déterminer les membres de la juridiction. Cette demande peut être vue comme relevant du service public judiciaire dans son aspect organisationnel.

Sur ce point, on peut s’interroger sur la légalité même d’une facturation. En effet, l’article R. 743‑143 du code de commerce prévoit que s’agissant des actes « pour l’établissement et la délivrance des copies, certificats et extraits de toute nature demandés par les autorités judiciaires […] aucune rémunération » n’est due. Ce moyen n’ayant pas été soulevé par les requérants, les juges ne s’y sont pas prononcés. De ce point de vue, il est étonnant qu’une juridiction doive payer une prestation afin d’établir la liste des membres du collège électoral ; procédure prévue aux articles R. 723‑1 et suivants du code de commerce.

Le dualisme de missions des greffiers des tribunaux de commerce

La cour semble avoir suivi la nouvelle jurisprudence du Conseil d’État du 12 mars 2021, Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (442284), qui s’est prononcée sur les activités de greffiers des tribunaux de commerce mais sous l’aspect des redevances d’occupation du domaine public. La haute juridiction concluait que l’activité de greffiers dans les tribunaux de commerce pouvait constituer des missions de deux ordres.

Ainsi, le rapporteur public, dans ses conclusions à l’arrêt du Conseil du 12 mars 2021 suivies par ce dernier, considère que les greffiers exercent d’abord une mission « qui les font directement participer à l’exécution du service public de la justice commerciale ». Parallèlement, les greffiers sont investis par la loi et le règlement de missions qui « ne se rattachent pas directement à la fonction de juger ». Cette seconde mission regroupe à la fois la tenue de registres légaux, la diffusion d’information juridique et financière et enfin la création et gestion des centre de formalité des entreprises.

Dans cette affaire, les juges avaient distingué l’activité juridictionnelle et non-juridictionnelle, en plaçant la tenue des registres du commerce et des sociétés dans la seconde. Il était malgré tout possible de lier l’activité en cause à la fonction juridictionnelle. En effet, les prestations liées aux registres du commerce et des sociétés peuvent être indirectement liées à l’activité juridictionnelle des greffiers.

Il est incontestable que la simple tenue ou communication des registres n’est pas en soi une activité juridictionnelle. Pourtant comme c’est essentiellement pour l’activité juridictionnelle que les greffiers tiennent de la loi la mission de tenue des RCS, la distinction juridictionnelle et non-juridictionnelle est dans certains cas d’espèce non pertinente. Sur ce point, leur situation n’est pas analogue aux autres officiers publics et ministériels, à l’exemple des notaires qui ne sont pas chargés par la loi de la tenue d’un registre utile, surtout, à l’activité juridictionnelle. C’est sur ce point que les Professeurs Gaudemet et Foulquier concluaient dans leur consultation dans l’affaire Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce précité que « l’activité du greffier constitue un tout » pour le premier, et que la tenue des registres légaux sont « imbriquées dans leurs obligations juridictionnelles »1.

En d’autres termes, les missions de second ordre qualifiées de « non-juridictionnelles », ne pourraient exister si les missions de premier ordre « juridictionnelle » ne leur étaient attribuées par la loi. L’activité de tenue des RCS serait alors accessoires au service public judiciaire.

À l’inverse, la cour favorise l’argument de la double mission mettant en avant la présence de deux services publics, l’un lié à l’activité juridictionnelle l’autre à la tenue des registres ce que semble montrer leur statut d’officier public et ministériel. Ce qui fait des greffiers des acteurs de deux services publics distincts.

Sur ce point, les juges d’appel décident de suivre le Conseil d’État suivant lui-même son rapporteur public. Or, les arguments soulevés par le rapporteur public dans l’arrêt du 12 mars 2021 afin d’exclure l’activité de tenue des registres de la mission de service public de la justice judiciaire tiennent essentiellement à la possibilité que cette activité puisse s’exercer en dehors du tribunal de commerce. Le rapporteur public souhaitait en effet démontrer que ces activités exercées au sein du tribunal alors qu’elles pouvaient être exercées en dehors étaient susceptibles de redevance pour occupation du domaine public. Cette argumentation et sa solution apparaissent difficilement recevables dans notre affaire en absence de domanialité publique.

La compétence de principe du juge judiciaire écartée, il fallait par la suite démontrer positivement la compétence du juge administratif. Car même non-juridictionnelle, ces activités auraient pu être qualifiées de privées soumises au droit commun contractuel à l’image d’un contentieux de facturation concernant un avocat ou un notaire et leurs clients.

La cour passe par la qualification de l’activité en service public puis distingue les prestations réglementées des prestations réglementaires afin d’écarter le caractère contractuel et par là même du contentieux le juge judiciaire.

Un service public administratif par la qualification de prestations réglementaires

La mission de gestion des registres du commerce qualifié de service public administratif

La tenue du registre du commerce et des sociétés par les greffiers des tribunaux de commerce constituerait une mission de service public selon la cour. Cette mission découle de l’article L. 123‑6 du code de commerce. Cette qualification apparaît comme une interprétation jurisprudentielle car cet article ne mentionne pas explicitement la présence d’une mission de service public. Il y a ici une différence notable avec l’activité de concession d’autoroutes (TC 20 nov 2006 EGTL/ ESCOTA, cité dans les conclusions du rapporteur public sous l’arrêt commenté), dont la nature de service public est expressément définie aux articles L. 122‑1 du code de la voirie routière. Les usagers de ce service public sont alors dans une situation statutaire et réglementaire.

Pourtant, à l’image du monopole des avocats établi par la loi no 71‑1130 du 31 décembre 1971, le régime économique des greffiers des tribunaux de commerce a été pensé de manière libérale par le législateur selon l’article L. 743‑12 du code de commerce. Leur intégration à un service public réglementé paraît contredire cette volonté législative.

De plus, pour assurer la compétence de la juridiction administrative faut-il encore que ce service public soit un service public administratif (SPA). Or, la gestion par une personne privée, qu’est la SCP, de cette mission de service public aurait pu conduire le juge à qualifier le service en question de service public industriel et commercial, ce qui aurait entrainé la compétence de principe du juge judiciaire.

Sur ce point, la cour innove car l’arrêt du Conseil d’État du 12 mars 2021, déjà cité, ne qualifie pas le service public des greffiers de SPA. La particularité de l’affaire ne rendait pas cette qualification évidente, puisque la personne publique, la chambre de commerce, se trouve du côté de l’usager du service public alors même que l’exécution du service est effectuée par la SCP, personne morale de droit privée soumise aux articles 1832 à 1872 du code civil selon les dispositions de la loi no 66‑879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles. Nous sommes donc en présente d’un cas particulier et exceptionnel d’un SPA géré par une personne privée.

En effet, les greffiers des tribunaux de commerce sont des professionnels libéraux et fonctionnent à ce titre comme toutes les autres SCP libérales. Le service est assuré par la SCP sur ses fonds propres, provenant de la facturation à l’usager. Cependant, l’activité n’est pas inscrite dans un marché concurrentiel puisque les greffiers des tribunaux de commerce exercent un monopole : un seul greffier ou une seule société civile professionnelle par tribunal de commerce.

Le caractère réglementaire permettant la qualification en SPA

Enfin, s’il est admis que le contentieux d’un usager avec un SPA géré par une personne privée puisse relever de la compétence du juge administratif, cette solution est en l’espèce déduite de la présence d’une situation réglementaire imposée au gestionnaire et à l’usager. Pourtant, le contentieux des SPA n’est pas de façon absolue réservé au juge administratif.

Or, comme le précise la cour dans son point 3, la chambre de commerce peut être ici vue comme un usager du service public administratif. La chambre se trouve alors dans une situation analogue à une personne privée demandant les extraits du registre du commerce et des sociétés, ce qui est en soit contestable, selon l’analyse vu précédemment.

Lorsque l’on est en présence d’un SPA géré par une personne privée les rapports de droit avec les usagers peuvent revêtir deux formes, enseigne la jurisprudence du Conseil d’État. Soit l’usager est dans une situation légale et réglementaire (CE 2 octobre 1985 SEM du pont Saint‑Nazaire ou plus récemment : TC 20 novembre 2006 EGTL/ ESCOTA) et donc de droit public, soit l’usager est dans une situation contractuelle et donc de droit privé. Cela peut être le cas des usagers-cotisants des fédérations nationales. En effet, lorsqu’un service public administratif est géré par une personne privée, la règle de principe est l’application du droit privé et la compétence judiciaire. Le Conseil d’État a déjà affirmé plusieurs fois cette solution (voir notamment CE 21 juin 1985 Barbou). On peut s’interroger ainsi sur la pertinence de qualifier ce service de SPA.

Et par cela, s’interroger sur le raisonnement du juge. En effet, il semble que pour ce dernier c’est le caractère réglementaire qui entraine la qualification en SPA. En effet, la cour commence par rappeler au point 2 que des dispositions législatives fixent l’activité des greffiers dans leur mission de tenue des RCS : l’article L. 743‑13 du code de commerce prévoit la fixation par voie réglementaire des émoluments s’agissant des prestations réglementées. Ce n’est qu’au point suivant que la cour qualifie le service en cause de SPA. Ce sont les dispositions textuelles qui permettent la qualification en service public administratif et non les critères jurisprudentiels alors même que les textes n’imposent pas explicitement cette qualification. Parce que la loi donne pour mission aux greffiers la tenue des registres et que les prestations sur ces registres sont réglementées, il ne peut s’agir que d’un SPA. Pour appuyer le caractère réglementaire des prestations, la cour et les conclusions du rapporteur public s’appuient sur les articles R. 743‑140 et suivants du code de commerce qui fixent les émoluments pour les prestations de fourniture des données du registre et l’article R. 743‑155 du même code pour les prestations donnant droit à des honoraires non-réglementés.

Ainsi, les prestations réglementaires fournies dans le cadre du service public administratif de tenue des RCS présentent un caractère accessoire à ce même service. La communication de documents extrait du RCS fait partie de la mission de tenue des registres assignée aux greffiers par la loi.

Or, précisément, une des prestations fournies n’est pas réglementée par le code de commerce selon les dispositions de l’article R. 743‑155 précité, à savoir la fourniture d’une liste des personnes physiques et morales immatriculées au RCS. C’est-à-dire que le texte ne fixe pas le tarif précis des prestations que les greffiers doivent impérativement suivre.

Pour autant, le juge administratif considère qu’il lui revient de réévaluer le montant des honoraires de la prestation à un montant inférieur (presque dix fois inférieur) au montant facturé.

Or, dans ce cas d’espèce, l’article R. 743‑155 du code de commerce prévoit qu’en absence d’accord entre les parties les montants sont fixés « judiciairement dans les formes du droit commun ». Sur ce point, la CAA précise juste que c’est au juge qu’il appartient « de fixer le montant des honoraires particulier dus à la société », c’est-à-dire le juge administratif.

Afin de surmonter la difficulté des prestations dont les prix sont non-réglementées fournies par la SCP, le rapporteur public, suivi en cela par la cour considère que ces prestations non-réglementées restent cependant réglementaires. Même si le code ne prévoit pas de tarification précise, la prestation reste encadrée par une disposition réglementaire (à savoir l’article R. 743‑155). Le juge administratif se trouve compétent pour réévaluer toute facture de ce type sans que l’on sache la méthode employée puisque le code ne prévoit pas les tarifications et qu’en absence de contrat celui-ci n’est pas juge contractuel. On ignore alors, en absence d’affaires similaires, les règles suivies par le juge afin d’établir lui-même la facturation de prestations émises par les activités d’une profession qui est normalement « libérale ».

Notes

1 Cité dans les conclusions du rapporteur public sous l’arrêt du Conseil d’État du 12 mars 2021, Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce Retour au texte

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA 4.0