Il résulte des dispositions de l'article L. 127‑1 du code des assurances qu'à compter de la déclaration de sinistre adressée à son assureur par le sociétaire et mentionnant explicitement la garantie de protection juridique, l'assureur dispose d'un mandat de ce dernier pour accomplir, en son nom, toute démarche utile à la résolution du litige. Par suite, le rejet opposé par une personne publique à une réclamation préalable indemnitaire formée, dans ces conditions, par l'assureur est opposable à l'assuré, quand bien même ce dernier n'aurait pas eu connaissance de cette décision. Le requérant ne peut donc utilement se borner à faire valoir qu'il n'a été destinataire ni de la demande de son assureur, ni de la réponse de l'administration, pour contester le caractère définitif de la décision opposée par l'administration à son action indemnitaire et, par suite, la forclusion de cette action.
Conditions de l’opposabilité à l’assuré de la réclamation préalable indemnitaire adressée à l'administration par son assureur, en exécution d'un contrat de protection juridique
Décision de justice
CAA Marseille, juge des référés – N° 23MA00388 – M. A. c/ département des Alpes-Maritimes – 01 mars 2023
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 23MA00388
Numéro Légifrance : CETATEXT000047259285
Date de la décision : 01 mars 2023
Index
Rubriques
ProcédureTextes
Résumé
Conditions de l’opposabilité à l’assuré de la réclamation préalable indemnitaire adressée à l’administration par son assureur, en exécution d’un contrat de protection juridique
Cristelle Poletto
FDSP
ATER au LID2MS - EA 4328
Doctorant au Centre de recherches administratives – EA 893
Aix-Marseille Université
DOI : 10.35562/amarsada.337
La décision en référence est une décision du juge des référés qui n’a pas manqué de susciter des réactions, notamment auprès de la doctrine spécialisée en droit des assurances1. L’affaire concerne l’office de l’assureur de protection juridique et les faits sont simples. Elle a été mise en ligne dès sa lecture sur l’application Ariane Web, la base de jurisprudence du Conseil d’État qui recense les « décisions importantes » des cours.
Alors qu’il circulait sur une route départementale traversant la commune de Théoule-sur-Mer le 26 mai 2020, un cycliste est victime d’une chute qui aurait pour origine un défaut d’entretien normal de cette voie publique. Cette chute a eu de lourdes conséquences sur la santé de l’intéressé et les dommages corporels soufferts sont sérieux. Son conseil initie donc un référé-expertise sur le terrain de l’article R. 532‑1 du code de justice administrative. Or, le juge des référés de première instance va, par une ordonnance du 20 janvier 2022, rejeter sa requête, motif pris de l’absence d’utilité de toute expertise en l’état de l’irrecevabilité de l’action principale pour cause de tardiveté. En effet, l’instruction permettra de mettre à jour l’existence d’une réclamation indemnitaire préalable adressée par l’assureur de protection juridique du requérant le 19 novembre 2020 qui, semble-t-il, a fait naître une décision explicite de rejet du département en date du 8 février 2021.
La victime en relevait appel2. L’appelant a insisté, devant la cour, sur son état d’ignorance des démarches accomplies pour son compte par son assureur, indiqué avoir adressé une demande préalable en date du 14 mars 20223, laquelle, selon lui, serait seule de nature à lier le contentieux. Celui-ci précisait additionnellement (et subsidiairement en réalité) que l’ampleur de son préjudice ne s’était révélée que postérieurement à la décision de rejet opposée par le département à son assureur. Nonobstant, le juge d’appel n’a pas cru devoir réformer la décision du premier juge eu égard au caractère définitif de la décision explicite de rejet du 8 février 2021, rendant inutile toute expertise dans la perspective d’un litige principal voué à l’irrecevabilité.
Il s’agit a priori de l’application de la jurisprudence la plus constante liant utilité de la mesure d’instruction et recevabilité de l’action qu’elle entend servir4. Pour opposer valablement cet argument, fallait-il encore considérer que la décision du département ait pu revêtir un caractère définitif à l’endroit du requérant. La cour assoit son argumentation sur le fondement des dispositions L. 127‑1 du code des assurances qui définit l’objet de l’assurance de protection juridique.
Une des façons d’éluder l’épineuse question des conséquences contentieuses des démarches accomplies par l’assureur de protection juridique aurait été d’imaginer un moyen d’établir que le délai d’action en réparation du préjudice corporel que le requérant a subi a vu son point de départ repoussé postérieurement aux démarches malheureuses de l’assureur. Le requérant a ainsi tenté de faire suivre à la cour « les pistes » proposées par l’avis Sanvoisin5. La cour, cheminant sur le terrain contentieux où le requérant entendait habilement l’emmener, a statué sur le fond et fait usage des règles prétoriennes issues dudit avis. Par une appréciation souveraine des faits qui ne pourrait a priori être critiquée qu’en raison d’une éventuelle dénaturation, elle a ainsi estimé que l’étendue du préjudice subi par le requérant a été connue bien antérieurement aux démarches pré-contentieuses de l’assureur et qu’il ne pouvait se prévaloir d’aucun « élément nouveau » (I.), appréciation de nature strictement médicale qui paraît – paradoxalement- légitimer plus encore la mesure d’instruction sollicitée (II.).
Dans cette configuration, il appartenait au juge des référés de prendre position sur la portée des démarches réalisées par l’assureur. La première question posée par ce dossier était donc celle de savoir si les dispositions sus visées du code des assurances impliquaient de jure la détention d’un mandat par l’assureur et quel en serait alors son périmètre. Toutefois, il est permis de s’interroger sur le fait de savoir si l’implication tenant à « l’opposabilité à l’assuré de la réclamation préalable indemnitaire adressée à l’administration par son assureur en exécution d’un contrat de protection juridique »6 aurait pu ou dû être utilement dissociée des exigences propres à la notification des décisions administratives individuelles explicites qui s’imposent à l’administration à l’égard de leur destinataire afin de faire courir le délai de recours contentieux. En effet, la lecture combinée des divers textes en jeu aurait pu aboutir à une interprétation n’allant pas dans le sens d’une réduction des garanties propres au justiciable (III.).
A titre liminaire, une question subséquente surgit du fait de la mention de la jurisprudence Czabaj7 dans les visas des moyens soulevés par le requérant. De la lecture de l’ordonnance, on suppose que la décision explicite de rejet du département était assortie de la mention des voie et délai de recours. Aussi, l’allusion à cette jurisprudence n’est, vraisemblablement, faite que pour donner du crédit à la thèse de l’adoption par le Conseil d’État de l’option la plus favorable aux requérants. A titre anecdotique, on peut envisager la problématique attachée à une notification incomplète afin d’envisager in abstracto les différentes virtualités qu’elle recèle. La jurisprudence Czabaj ne s’applique pas au contentieux indemnitaire8. Si la notification n’avait pas fait mention des voie et délai de recours, le délai d’action aurait été enfermé dans les seules limites de la prescription quadriennale. La (seconde) réclamation préalable initiée par le conseil du requérant aurait vraisemblablement abouti à une décision « confirmative », mais sans effet sur la recevabilité du point de vue des délais dans la mesure où la décision initiale n’était pas définitive au 14 mars 2022, date de la demande préalable initiée par le conseil du requérant. Nulle implication en termes de forclusion en ce cas mais, en toute logique, ce nouveau recours aurait interrompu à nouveau la prescription quadriennale.
Révélation d’une créance indemnitaire et forclusion de l’action indemnitaire, utile rappel de l’avis Sanvoisin
En cas d’accident, certains dommages corporels ne sont déterminables qu’au moment de la consolidation des blessures et non dès l’accident. Aussi, il peut arriver que la cause de la créance soit connue mais que son objet ne soit pas encore déterminable. En ce cas, la « révélation » de la créance indemnitaire n’apparaît que postérieurement. Si l’engagement de la responsabilité de la puissance publique naît d’un fait générateur, le dommage ne peut donc se révéler dans son ampleur que postérieurement, et partant, la créance indemnitaire n’être acquise que concomitamment à cette révélation. De jurisprudence constante, lorsque la responsabilité d’une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d’obtenir l’indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 19689, à la date à laquelle la réalité et l’étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. Il en va des dommages aux biens comme des dommages10 aux personnes11. Un certain nombre de chefs de préjudices corporels, comme l’IPP visée dans les motifs de l’ordonnance (§8) font naître des créances qui se rattachent à l’année de leur consolidation, dès lors que c’est seulement à cette date que leur montant apparaît en réalité déterminable12.
Cette situation impose, notamment, de bien appréhender l’articulation de la procédure administrative contentieuse et notamment, la règle de la décision préalable avec les exigences de la prescription quadriennale qui créent quelquefois des complications voire des confusions. Elle impose au requérant de composer avec les règles procédurales alors que sa situation médicale peut évoluer en cours de procédure. Ainsi, une créance indemnitaire peut ne pas être prescrite mais la forclusion du recours tendant à en obtenir réparation acquise. Il convient en effet de bien distinguer entre les exigences tirées du délai de prescription et celles du délai de forclusion.
En l’espèce, c’est bien la forclusion qui a été incidemment opposée au requérant en tant que la décision de rejet de l’administration était devenue définitive faute d’avoir été contestée dans le délai. Autrement dit, la question indirectement posée au juge des référés était bien celle de savoir si le requérant était encore recevable, c’est-à-dire non forclos, à former une action indemnitaire13.
S’agissant d’une action indemnitaire soumise à la procédure administrative contentieuse de droit commun, il convient toujours d’en passer par une réclamation préalable de nature à lier le contentieux au sens de l’article R. 421‑1 du code de justice administrative. De cette demande préalable, naît une décision que la victime est alors susceptible d’attaquer devant le juge administratif dans les conditions de droit commun. Même s’il est bien souvent invoqué un principe « d’immutabilité » de la réclamation préalable, le juge administratif en a adopté une conception souple. La demande n’a pas nécessairement à être chiffrée quand le préjudice n’est pas encore précisément connu14. La requête est, également, recevable si l’étendue du préjudice n’est connue que postérieurement à la réclamation indemnitaire préalable15 ou si le préjudice s’est aggravé depuis16. Ensuite, le juge admet la recevabilité des conclusions qui ne « constituent qu’un développement et un complément de la demande initiale »17. Comme le justifie L. Boustany, « à partir du moment où l’administration a rejeté la réclamation indemnitaire préalable, elle a rejeté le principe même d’une indemnisation, indépendamment du montant demandé ou qui aurait pu être demandé ». De la même façon, « la consolidation du préjudice détermine l’étendue de l’autorité de chose jugée en ce qui concerne l’évaluation du préjudice […] C’est pourquoi l’autorité de chose jugée ne s’oppose pas à l’introduction d’une nouvelle action en cas d’aggravation du préjudice subi 18. »
Ainsi, selon cette même dynamique, le Conseil d’État a récemment énoncé dans son avis Sanvoisin que la liaison du contentieux indemnitaire vaut « pour l’ensemble des dommages causés par [un même] fait générateur », que la réclamation préalable « ait ou non spécifié les chefs de préjudice » liés à ces dommages. En revanche, rappelle le Conseil d’État, l’expiration du délai de recours tombe alors comme un couperet. La victime ne pourra plus saisir le juge, quand bien même sa saisine aurait été précédée d’une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d’une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur…. La seule exception réservée par le Conseil d’État concerne les
« dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation. Dans ce cas, qu’il s’agisse de dommages relevant de chefs de préjudice figurant déjà dans cette réclamation ou de dommages relevant de chefs de préjudice nouveaux, la victime peut saisir l’administration d’une nouvelle réclamation portant sur ces nouveaux éléments et, en cas de refus, introduire un recours indemnitaire dans les deux mois suivant la notification de ce refus ». 19
Le requérant explique que l’on ne saurait lui opposer le caractère définitif de la décision de rejet puisqu’en toute hypothèse, l’assureur n’a pas pu saisir l’administration relativement aux dommages réellement subis dont il n’a connu l’existence que postérieurement. C’est une façon habile de contourner l’obstacle de la tardiveté. En filigrane, on comprend que le requérant entend plaider que le refus qu’aurait éventuellement opposé l’administration ne pourrait concerner que ce qui lui aurait été demandé. Or, si la créance indemnitaire n’a été révélée – « dans son ampleur » - que postérieurement à la première décision de rejet, l’administration n’a, par voie de conséquence, pas pu en être saisie. Dès lors, une nouvelle réclamation, qui porterait alors sur un objet distinct, pourrait être formée et l’administration ne pourrait opposer le caractère définitif de son premier rejet qui ne pouvait pas porter sur la créance qui n’existait pas antérieurement, lors de sa première saisine. C’est, semble-t-il, le sens de l’argumentation invoquée par le requérant « en tout état de cause ». En l’espèce, ce dernier invoquait précisément le fait qu’il n’a connu « la véritable ampleur de ses préjudices tant physiques que psychologiques que postérieurement à la décision » (i.e. explicite de rejet du 8 février 2021), reprenant à son compte l’exception Sanvoisin.
La qualification délicate de l’apparition de « nouveaux éléments » « postérieurement à la décision administrative ayant rejeté la réclamation » en matière médicale, une appréciation qui justifie nécessairement l’utilité d’une expertise ?
Sans même s’intéresser à la question de la consolidation au stade de la rédaction de l’ordonnance, le juge des référés estime que les pièces médicales fournies par le requérant ne permettent pas de considérer qu’une incapacité permanente ait pu se révéler « postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation ». Ce faisant, le juge a semblé viser l’hypothèse d’une apparition postérieure de chefs de préjudice corporels nouveaux ou jusqu’alors inconnus, ou encore aggravés prévue par l’avis Sanvoisin, soit l’introduction, en réalité classique, d’une nouvelle action « en cas d’aggravation du préjudice subi » au sens de la jurisprudence habituelle. Comme précédemment indiqué, le contenu de la réclamation initiale reste inconnu du lecteur de l’ordonnance en référence. En réalité, peu importe puisque l’auteur de la réclamation n’a pas à en détailler les moyens ni à en spécifier les chefs de préjudice, ce qu’a confirmé le Conseil d’État dans l’avis précité.
Autrement dit, au cas d’espèce, on suppose que les divers chefs de préjudice – au sens de la nomenclature Dinthilac – étaient a priori (ou auraient dû être) parfaitement connus de la victime, et ce dans toute « leur ampleur », cette dernière formule étant quelque peu sibylline20. Or, c’est habituellement l’objet même de l’expertise judiciaire que de déterminer les divers chefs de préjudice soufferts, leur nature, évolution et la date de leur consolidation, appréciation de nature strictement médicale. Empruntant la voie ouverte par l’appelant mais la refermant au motif d’une démonstration insuffisamment étayée sur le plan médical, l’ordonnance laisse en réalité subsister un doute sur l’absence d’utilité de la mesure d’expertise tant il apparaît toujours périlleux de ne pas s’en remettre préalablement à l’appréciation d’un expert judiciaire en la matière. En l’espèce, s’agissant d’une appréciation de nature médicale, il paraît délicat de nier l’existence de ces « nouveaux éléments » – au sens de l’avis Sanvoisin – pourtant invoqués par le requérant à l’appui de la recevabilité de son action principale. N’aura-t-il pas été plus opportun de solliciter un médecin expert pour faire un point sur sa situation médicale avant et depuis l’accident, au 8 février 2021 et à ce jour ? N’y avait-il pas, ce faisant, une utilité à la mesure d’expertise, seule de nature à fermer avec toute certitude la voie d’une nouvelle action indemnitaire ?
La tardiveté de l’action indemnitaire éventuelle, et partant son irrecevabilité, est bien conditionnée par l’existence ou l’absence « d’éléments nouveaux » de nature médicale. De cette appréciation, dépend la recevabilité de l’action indemnitaire future. Aux chefs de mission habituels de l’expert en la matière, aurait pu être utilement ajouté un chef de mission tenant à l’aggravation ou à l’apparition de chefs de préjudice nouveaux postérieurement au 8 février 2021, ce qui aurait permis d’éviter de tirer les conséquences d’une situation juridique qui a dû paraître inique aux yeux du demandeur.
L’opportune distinction du champ des obligations en matière de notification administrative de celles induites par le mandat de protection juridique
Le juge des référés a considéré que le requérant était « pieds et poings liés » par les démarches accomplies pour son compte par son assureur et qui, partant, lui étaient parfaitement opposables. La cour a en effet appréhendé le contrat de protection juridique liant la victime à son assureur comme emportant de jure contrat de mandat. C’est une solution habituelle mais elle est inédite en ce qu’elle est appliquée au préjudice du requérant, pourtant assuré au cas d’espèce.
De jurisprudence constante, l’assureur qui est contractuellement engagé à exercer toute action amiable ou judiciaire pour obtenir réparation d’un type de dommages peut aussi former la demande préalable21. Ainsi, un assureur de protection juridique « peut présenter un recours administratif ou une réclamation préalable, au nom de son assuré, par l’intermédiaire de l’un de ses préposés sans être tenu de produire un mandat exprès de l’assuré ni une délégation de signature à son préposé » 22. À cet égard, la décision du juge d’appel des référés n’est pas nouvelle, sauf à préciser qu’elle implique pour le juge d’avoir à vérifier que la déclaration de sinistre « mentionn[e] explicitement la garantie de protection juridique ». En effet, cette précision laisse à penser que le demandeur pourrait peut-être être délié de cette « opposabilité » si sa déclaration de sinistre n’emportait pas de manière claire et non équivoque une demande de mise en œuvre de la garantie de protection juridique. Le Conseil d’État avait lui-même insisté sur ce point dans son arrêt précité de 2004.
Toutefois, que la réclamation préalable ait été formée valablement par l’assureur ne dispensait en rien l’administration de ses obligations en matière de notification, seule de nature à faire courir le délai de recours contentieux. Dans notre cas de figure, la notification a, semble-t-il, été effectuée entre les mains de l’assureur. Était-ce valable ?
Aux termes de la jurisprudence comme de la lettre du texte, la décision préalable doit être notifiée pour faire courir le délai de recours (CJA, art. 421‑1). Les dispositions de l’article L. 221-8 du code des relations entre le public et l’administration prévoient ainsi que, « sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d’autres formalités préalables, une décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en fait l’objet au moment où elle lui est notifiée ». Les modalités de cette notification sont précisées à l’article L. 3131‑1, II du code général des collectivités territoriales s’agissant des actes du département23.
De jurisprudence constante, la notification entre les mains d’un mandataire est parfaitement admise, voire même à des tiers en vertu de liens plus ou moins officiels24. C’est une solution, même s’agissant des mandataires, qui paraît critiquable en ce qu’elle ne préserve pas suffisamment la sécurité juridique des mandants, ni même celle des mandataires. Preuve en est qu’au cas d’espèce, le mandat est opposé au requérant à rebours de ses intérêts. Du point de vue de la sécurité juridique, on pourrait plus aisément envisager une notification à la personne concernée, avec une éventuelle copie pour simple information à l’adresse du mandataire, afin qu’il ne l’ignore pas et puisse agir en conséquence dans les intérêts de son mandant. En effet, que se passe-t-il si, dans l’intervalle, l’assuré dénonce le mandat, si un différend survient entre l’assureur et son assuré ? Comment l’assuré pourrait informer l’administration de cette dénonciation alors même qu’il ignore tout des démarches accomplies par son assureur ? À l’inverse, il est bien des cas où le mandataire se retrouve sans possibilité de prendre instructions, le mandant ayant « disparu dans la nature » … Ces relations de droit privé devraient rester indifférentes au juge administratif, par souci d’efficacité et, surtout, de sécurité. Que l’administration puisse estimer être valablement saisie d’une réclamation préalable par l’assureur de protection juridique apparaît bien fondé au regard des dispositions de l’article L. 127‑1 du code des assurances. Qu’elle ne notifie pas sa décision « à la personne qui en fait l’objet » au sens des dispositions de l’article L. 3131‑1, II du code général des collectivités territoriales paraît, en revanche, critiquable. Les dispositions de l’article L. 127‑1 du code des assurances n’emporte pas nécessité d’avoir à déroger aux règles de droit commun en matière de notification25. Le Conseil d’État a, en outre, considéré que l’existence d’un mandataire n’est pas un obstacle à la notification valablement effectuée au seul intéressé26. On peut aussi rappeler que s’agissant des décisions juridictionnelles, sauf le cas des requêtes collectives, le code impose une notification aux parties elles-mêmes et « à leur domicile réel » (CJA, art. R. 751‑3). En outre, rappelons que si les actes de procédure sont seulement notifiés aux mandataires, les dispositions de l’article R. 431‑1 du code de justice administrative réserve l’exception de la notification de la décision de justice qui doit être faite aux parties.
En outre, une mise en perspective peut être utilement proposée avec l’action en désaveu de l’avocat de l’article R. 635‑1 du code de justice administrative qui permet « d’échapper aux conséquences d’un acte indument accompli par un avocat », selon la formule de R. Chapus27 et peut entraîner la nullité desdits actes. Rappelons que la réclamation préalable formalise la liaison du contentieux qui constitue ainsi une règle procédurale avec des conséquences importantes sur le sort du litige. Il apparaît donc étonnant qu’il soit permis de désavouer son conseil au stade de l’instance alors qu’on ne peut utilement contester les démarches de son assureur. MM. Rouquette et Defoort partagent ce sentiment et invitent à s’emparer de la question sous couvert de l’article 6§1 CEDH compte tenu de « l’étrangeté de solutions qui supposent des mandats et qui jurent avec les solutions en vigueur pour la formation des recours (par ex., le conjoint ne peut former un recours pour son conjoint). »28 La solution proposée, pour conforme aux précédents qu’elle soit sur le plan de la solution juridique, s’en détache sur le plan téléologique en ce qu’elle opte pour l’option la moins favorable au justiciable. La notification devrait toujours poursuivre la parfaite information de la personne concernée elle-même et non celle d’un tiers, serait-il mandataire.
Notes
1 D. KRAJESKI, « Faire et faire savoir dans l’assurance de protection juridique », Responsabilité civile et assurances, no 5, Mai 2023, comm. 139. Retour au texte
2 Il convient de noter que, selon les mentions de la décision, l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif est en date du 20 janvier 2022 et la requête en appel enregistrée le 17 février 2023 pour une ordonnance d’appel du 1er mars 2023. La date de l’ordonnance du TA semble comporter une erreur matérielle (lire 2023 au lieu de 2022). Retour au texte
3 Soit, vraisemblablement en cours de première instance. Qui a – en toute hypothèse – dû faire l’objet d’une décision « confirmative », implicite ou expresse que l’appelant a dû attaquer devant le tribunal administratif. Le recours ne doit pas avoir fait l’objet d’une décision juridictionnelle définitive, sans quoi la décision en référence n’aurait pas manqué d’en faire état. La décision en référence est en effet taisante sur les suites de cette réclamation. Retour au texte
4 L’ordonnance vise elle-même l’arrêt Conseil d’État 14 février 2017, no 401514 : « Considérant que l’utilité d’une mesure d’instruction ou d’expertise qu’il est demandé au juge des référés d’ordonner sur le fondement de l’article R. 532‑1 du code de justice administrative doit être appréciée, d’une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d’autres moyens et, d’autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l’intérêt que la mesure présente dans la perspective d’un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher ; qu’à ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d’expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l’appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription ; que, de même, il ne peut faire droit à une demande d’expertise permettant d’évaluer un préjudice, en vue d’engager la responsabilité d’une personne publique, en l’absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne… ». Voir O. Le Bot, JCP A, 35, 04 sept. 2017 ; F. Tesson, « Appréciation de l’utilité d’une mesure d’expertise », JCP A, 8, 27 fév. 2017 ; AJDA 2021, p. 2174, note X. Pottier. Retour au texte
5 CE, Avis no 439366 du 19 février 2021, Sanvoisin, JORF no 0055 du 5 mars 2021, O. Le Bot, JCP A 2021, 2169 ; J. Buisson, Procédures 2020, comm. 155 ; AJDA 2021, p. 2174, note X. Pottier. Confirmé par CE 21 juin 2021, commune de Montigny-les-Metz, no 437744, Lebon T. ; AJDA 2021. 1306. Retour au texte
6 Cf. analyse de la décision par le service documentation du Conseil d’État (Ariane Web). Retour au texte
7 CE, Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, no 387763, Rec. p. 340. Retour au texte
8 Conseil d’État, 17 juin 2019, 5/6 SSR, CH de Vichy, n°413097, Rec. p. 214 ; AJDA 2019. 1255, obs. M.-C. de Montecler ; AJCT 2019. 516, obs. C. Otero ; JCP A 2019, no 711, obs. L. Erstein ; JCP A. 2019, no 2265, Chron. cont. administratif, O. Le Bot ; JCP A. 2020, no 2004, note C. Braud. Retour au texte
9 Loi no 68‑1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics, JORF du 3 janvier 1969. Retour au texte
10 CE, 5/4 SSR, 6 novembre 2013, Mme C. B. c/commune de Mauguio, no 354931 Rec., p. 267 ; JCP A 2014, 2029 ; AJDA 2013, p. 2230, obs. J.-M. Pastor ; RD imm. 2014, p. 54, obs. B. Delaunay ; JCP G 2013, 2118, obs. M. Touzeil-Divina. Retour au texte
11 CE 1er juin 1962, Dumont, Lebon T. 935. Retour au texte
12 V. par ex. CE, sect., 28 oct. 1955, Ville de Rueil-Malmaison c/ Dlle Lepage, Rec. 504 ; D. 1955. 741, note F. M. ; JCP 1956. II. 9051, note A. Plantey ; AJDA 1956. II. 74, note Coulet. Retour au texte
13 De fait, tout porte à croire qu’il a dû saisir le juge du plein contentieux à la suite de sa seconde réclamation … Retour au texte
14 C.E. 9 décembre 1949, dame Geererding, Rec., p. 543. Retour au texte
15 Et cela même si cette augmentation n’est précisée que devant le juge d’appel : CE, sect., 8 juill. 1998, Dpt de l’Isère, no 132302, Rec. p. 308 ; AJDA 1998. 797, chron. Raynaud et Fombeur ; RDP 1998. 1235, concl. Combrexelle ; CE 10 janv. 2001, Min. Culture et communication c/ Saint-Arroman, n°207897 , DA. 2001, no 77, note C. M., cités par L. Boustany in « Demande préalable » Répertoire de la responsabilité de la puissance publique, Dalloz, Mars 2016 (actualisation : Février 2023), no 156. Retour au texte
16 Ibid., jurisprudence constante depuis 1902, arrêt du CE 7 mars 1902, Crespel, Rec. p. 177 ; 10 mai 1912, Épx Médard et autres c/ l’État, Rec. p. 550. Retour au texte
17 CE 12 déc. 1951, Ville de Revel, Rec. p. 589 Retour au texte
18 C. Grossholz in « Évaluation du préjudice », Répertoire de la responsabilité de la puissance publique, Avril 2015 (actualisation : Octobre 2022), §53, citant CE 1er févr. 1954, Dame Rat, no 14376, Rec. p. 71. – CE 27 mai 1955, Dame Vve Martin, no 27387, Rec. p. 306. Retour au texte
19 CE, Sanvoisin précité, la question posée au CE était en réalité assez similaire : « En matière de responsabilité extracontractuelle de la puissance publique, un justiciable qui n’a pas saisi le juge administratif dans le délai de recours contentieux qui lui était ouvert par la notification de la décision de l’administration rejetant sa réclamation indemnitaire ne spécifiant, dans une première hypothèse, aucun chef de préjudice ou, dans une seconde, que certains chefs de préjudice, peut-il, après avoir saisi l’administration d’une nouvelle réclamation indemnitaire faisant état du même fait générateur de responsabilité et sans se heurter à une forclusion, saisir le juge d’une requête indemnitaire spécifiant cette fois, dans la première hypothèse, un ou des chefs de préjudice ou, dans la seconde, d’autres chefs de préjudice que ceux invoqués par la première réclamation ? » Retour au texte
20 Cette exception à l’irrecevabilité recouvre en effet trois cas de figure selon l’avis (§5):
Les dommages nés postérieurement à la décision administrative ayant rejeté la réclamation.
Les dommages qui se sont aggravés postérieurement à la décision administrative ayant rejeté la réclamation.
Les dommages qui ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté la réclamation.
Pour X. Pottier, ces cas de figure recouvrent respectivement les cas du « chef de préjudice nouveau, continu ou inconnu », in op.cit., p. 2174. Retour au texte
21 CE 15 juill. 2004, no 252551, Dumas, Lebon T. 595, 805 ; AJDA 2004. 1782 ; AJDA 2005. 274, note V. Donier. Retour au texte
22 CE 7 juin 2018, no 412744, AJDA 2018 p. 2168. Retour au texte
23 « II.-Les décisions individuelles prises par les autorités départementales sont notifiées aux personnes qui en font l’objet ». Retour au texte
24 Voir le recensement des solutions effectué par R. Rouquette et B. Defoort, Petit traité du procès administratif, Chapitre 333, « Délai absolu et délais de forclusion », Praxis Dalloz, no 333.253. Retour au texte
25 CAA Bordeaux, 15 décembre 2014, no 14BX01484 : pour une notification à la personne concernée d’une décision de refus d’admission au séjour à la suite d’une demande qui a été effectuée spontanément par un parlementaire sans l’assentiment de la personne concernée. Voir G. de La Taille, « Nul ne demande son admission au séjour par procureur », AJDA 2015. 859. Retour au texte
26 Conseil d’État, 3/5 SSR, 23 octobre 1981, Macé, no 22433, RD publ. 1982. 847. Retour au texte
27 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 2004, 11e éd., no 836, p. 430. Retour au texte
28 R. Rouquette et B. Defoort op.cit., no 333.253. Retour au texte
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