La délivrance d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime à un parc national pour la création d’une zone de mouillages et d’équipements légers n’est pas soumise à une procédure de mise en concurrence

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Décision de justice

CAA Marseille, 7e chambre – N° 22MA02461 – Association société pour la protection des paysages et de l’esthétique de France et autres – 08 décembre 2023

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA02461

Numéro Légifrance : CETATEXT000048543104

Date de la décision : 08 décembre 2023

Index

Rubriques

Propriétés publiques

Résumé

L’autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime délivrée au parc national de Port‑Cros pour la création d’une zone de mouillages et d’équipements légers ne l’a pas été en vue d’une exploitation économique au sens de l’article L. 2122‑1‑1 du code général de la propriété des personnes publiques. En tout état de cause, dès lors que ce titre est accordé à une personne publique dont la gestion est soumise à la surveillance directe de l'autorité compétente, en l’occurrence un établissement public administratif placé sous la tutelle de l’Etat, sa délivrance était dispensée de la procédure prévue à l’article L. 2122‑1‑1 du code, en application du 2° de son article L. 2122‑1‑3. La délivrance de cette autorisation n’avait donc à être précédée ni de mesures de publicité ni d’une procédure de sélection préalable.

Conclusions du rapporteur public

Olivier Guillaumont

Rapporteur public

DOI : 10.35562/amarsada.398

SOCIÉTÉ POUR LA PROTECTION DES PAYSAGES ET DE L’ESTHÉTIQUE DE FRANCE ET AUTRE

1.

Pour contribuer à la sauvegarde des sites menacés et préserver la faune et la flore méditerranéenne, en particulier les posidonies, le Parc national de Port-Cros a mis en place en 2020 une zone de mouillages et d’équipements légers (ZMEL) dans la Passe de Bagaud où le mouillage à l’ancre est depuis interdit toute l’année.

La ZMEL de 176 hectares est une zone protégée. L’apport essentiel de cette ZMEL est d’interdire les mouillages à « l’ancienne » en remplaçant la technique du mouillage à l’ancre par des bouées d’amarrage à ancrages respectueux des fonds marins. Le Parc national de Port-Cros met ainsi à disposition soixante-huit bouées d’amarrage à ancres dites « écologiques » dont soixante‑trois (trois bouées étant réservées pour les résidents de l’île de Port‑Cros) sont réservées aux bateaux de 0 à 15 mètres et 5 sont prévues pour les unités comprises entre 15 et 30 mètres. La ZMEL est mise à disposition du public du 15 avril au 15 octobre. L’utilisation des équipements est libre et gratuite de 8 heures à 18 heures. De 18 heures à 8 heures l’amarrage est payant et soumis à réservation.

Pour mettre en place cette ZMEL, le parc national de Port‑Cros a dû franchir plusieurs étapes. En janvier 2017, le parc national a demandé l’autorisation d’occuper temporairement le domaine public maritime en vue de la création d’une zone de mouillage et d’équipements légers (ZMEL) dans la passe de Bagaud. Une demande d’examen au cas par cas a été déposée en janvier 2018 en application de l’article R. 122‑3 du code de l’environnement. Par une décision du 6 février 2018, l’autorité environnementale a décidé de ne pas soumettre à évaluation environnementale la création de cette ZMEL en raison des caractéristiques du projet sur lesquels nous reviendrons. La demande d’autorisation d’occupation temporaire (AOT) du domaine public maritime a été soumise à enquête publique du 12 novembre 2018 au 14 décembre 2018. Par arrêté inter-préfectoral du 24 mars 2020, le préfet maritime de la Méditerranée et le préfet du Var ont accordé au Parc national de Port‑Cros l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime, le long du littoral de la commune de Hyères dans la passe de Bagaud, pour la création de cette ZMEL.

Deux associations, dont l’une est agréée pour la protection de l’environnement, ont saisi le tribunal administratif (TA) de Toulon pour obtenir l’annulation de cet arrêté du 24 mars 2020. Elles relèvent appel du jugement du 12 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande.

2.

Une fin de non-recevoir est soulevée en défense sur l’intérêt à agir de l’association agréée au titre de l’article L. 141‑1 du code de l’environnement et intitulée « Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de France » (SPPEF). Le ministre fait valoir que l’objet social de cette association est manifestement dénué de lien direct avec l’arrêté contesté dès lors qu’il n’a pas pour objet la protection de la biodiversité marine et côtière ou la gestion de la plaisance nautique. Il y a effectivement un sujet (…). Mais en tout état de cause il y a lieu à notre sens de prononcer un rejet au fond. L’intérêt du dossier nous incite à privilégier cette issue. Nous espérons vous convaincre de procéder ainsi. Peut-être me direz à vous à l’issue de ces conclusions, comme le dit Enzo Molinari à Jacques Mayol dans Le Grand Bleu : « T’avais raison… On est bien mieux… au fond… C’est là qu’il faut être... ».

3.

Le premier moyen conduit à rester quelques instants en surface. Les requérantes soutiennent en premier lieu que l’arrêté portant autorisation d’occupation temporaire du domaine public maritime méconnaît les dispositions des articles L. 2122‑1‑1 et L. 2122‑1‑4 du code général de la propriété des personnes publiques qui imposent une obligation de publicité et de mise en concurrence préalable à la délivrance des titres d’occupation domaniale. Ce moyen est l’un des plus intéressants.

Vous savez que longtemps, à de rares exceptions près, le droit interne a refusé de consacrer l’existence de telles obligations préalables pour la délivrance d’autorisations d’occupation du domaine public. Comme nous avons eu l’occasion de le faire dans de précédentes conclusions1, nous nous bornerons à vous renvoyer à l’excellente synthèse du professeur Christophe Roux au JurisClasseur Contrats et Marchés Publics2 et à vous indiquer que l’ordonnance no 2017‑562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques a finalement fait évoluer l’état du droit, celle-ci ayant été adoptée directement en réaction à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Le tournant décisif est la décision Promoimpresa portant sur le domaine public maritime et lacustre italien, et lié à l’exercice d’activités touristico-récréatives3. Dans cette décision, la Cour de justice a considéré que les titres d’occupation domaniale relèvent d’un « régime d’autorisation », au sens de l’article 4, 6° de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 – dite « services » – à savoir « toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice »4. Elle en a ensuite déduit, au visa de l’article 12 de ladite directive5, que si le nombre de titres domaniaux est limité au regard des « ressources naturelles » ou des « capacités techniques » domaniales, leur délivrance doit être « soumis [e] à une procédure de sélection entre les candidats potentiels, laquelle doit répondre à toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment de publicité adéquate ».

À la suite de cette décision, l’ordonnance du 19 avril 2017 a inséré quatre articles au sein du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) (art. L. 2122‑1‑1 à L. 2122‑1‑4) consacrés spécifiquement à l’exigence de sélection transparente.

Le dispositif adopté s’ordonne autour d’une disposition générale codifiée à l’article L. 2122‑1‑1, selon laquelle

« sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122‑1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester »

(CGPPP, art. L. 2122‑1‑1). À celle-ci s’ajoutent trois dispositions venant apporter des exceptions au principe de sélection transparente (CGPPP, art. L. 2122‑1‑2, L. 2122‑1‑3 et L. 2122‑1‑3‑1).

Enfin, l’article L. 2122‑1‑4 du CGPPP donne un cadre très général sur la marche à suivre dans l’hypothèse spécifique dans laquelle un opérateur économique a pris l’initiative de solliciter une autorisation. Dans ce cas l’article L. 2122‑1‑4 du CGPPP indique :

« Lorsque la délivrance du titre mentionné à l’article L. 2122‑1 intervient à la suite d’une manifestation d’intérêt spontanée, l’autorité compétente doit s’assurer au préalable par une publicité suffisante, de l’absence de toute autre manifestation d’intérêt concurrente ».

Ces dispositions ont-elles été méconnues ?

Nous ne le pensons pas pour plusieurs raisons.

Nous avons cité précédemment l’article L. 2122‑1‑1 du CGPPP, il y est prévu en synthèse que parmi les titres du domaine public, seuls ceux qui sont délivrés « en vue de l’exploitation d’une activité économique » sont concernés par l’exigence de sélection transparente préalable. La formulation utilisée par le législateur a été préférée à d’autres formules. Ainsi que le rappelle Christophe Roux « Fut un temps, il avait été envisagé de circonscrire l’obligation aux seuls occupants " intervenant sur un marché concurrentiel " » ou aux cas d’autorisations conférant « un avantage économique substantiel »6. On aurait pu lui préférer un renvoi aux « activités de production, de distribution ou de services » visées par le code de commerce ou, encore, aux hypothèses où l’occupation est « le siège d’activités économiques » pour reprendre – perfidement – la formule issue de l’arrêt Jean Bouin (préc. no 7). Il appartiendra à la juridiction administrative de circonscrire la notion. Peu ou prou, elle ne devrait pas s’éloigner de celle promue en droit de l’Union européenne. Épurée, l’activité économique se définit comme « l’offre de biens ou de services sur un marché donné »7, ceci neutralisant le caractère potentiellement social ou non-lucratif de ces activités, autant que les circonstances organiques de leur prise en charge (par une personne publique ou privée). Si une telle appréciation était retenue, le champ de l’obligation de transparence pourrait apparaître outrageusement large ; en réalité, les nombreuses exceptions contenues aux articles L. 2122‑1‑2 et suivants du CGPPP dissipent cette sensation (V. no 54). Par la négative, on peut en tout cas inférer de cette précision que l’obligation cèdera dès lors que l’occupation n’emporte aucune visée économique, ce qui, par exemple, devrait recouvrir les hypothèses où l’occupation est le fait de particuliers. Malgré la tension patrimoniale les concernant, l’on peut penser aux anneaux ou postes de mouillage dans les ports de plaisance8 ; c’est en ce sens que s’est déjà prononcé un tribunal9. Devraient y échapper aussi les particuliers qui, de manière épisodique (comme pour les vide-greniers), se livrent à des activités commerciales sur le domaine public10.

La problématique ainsi posée, vous apporterez votre pierre à ce travail de délimitation des contours de la notion.

En l’espèce, l’élément essentiel est que la ZMEL a été créée dans le but principal de préserver les fonds marins en limitant et réglementant le mouillage. Cet élément décisif nous conduit à lui seul à considérer que l’autorisation n’a pas été délivrée en vue d’une exploitation économique. Indices supplémentaires sur lesquels vous pourrez vous appuyer : l’utilisation des dispositifs d’amarrage en journée (8 heures à 18 heures) est gratuite avec placement libre. Par ailleurs, si l’utilisation des dispositifs d’amarrage la nuit (18 heures à 8 heures) est soumise au paiement de redevances modérées11, ces redevances, comme l’obligation de réservation et la limitation à cinq nuits consécutives visent également à limiter la fréquentation du site. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Parc de Port-Cros occuperait ou utiliserait le domaine public en vue d’une exploitation économique au sens de l’article L. 2122‑1‑1 du code général de la propriété des personnes publiques.

4.

En tout état de cause, l’une des exceptions au principe de sélection transparente s’applique en l’espèce. Le législateur a prévu à l’article L. 2122‑1‑3 du CGPPP que l’article L. 2122‑1‑1 du même code n’est pas non applicable lorsque « l’organisation de la procédure qu’il prévoit s’avère impossible ou non justifiée ». Dans ce cas l’autorité compétente peut délivrer le titre à l’amiable. Il en va « notamment » ainsi « 2° Lorsque le titre est délivré à une personne publique dont la gestion est soumise à la surveillance directe de l’autorité compétente ou à une personne privée sur les activités de laquelle l’autorité compétente est en mesure d’exercer un contrôle étroit ». Cette exception est celle du « In house domanial »12.

Comme l’indique Christophe Roux « le in house domanial » n’est pas « un décalque de l’exception qui s’épanouit en droit de la commande publique »13. Il relève notamment que s’agissant du « in house domanial », la « surveillance directe » et le « contrôle étroit » se substituent au « contrôle analogue ». Et il poursuit :

« On pourra juger que la mainmise est plus lâche qu’en matière de commande publique. À ce stade, il n’est pas aisé de déterminer le sens réel de ces notions, la jurisprudence européenne et interne précitée n’ayant donné aucun élément tangible d’appréciation. On peut encore se demander si la caractérisation de ce contrôle pourra s’opérer de manière indirecte (comme dans le cadre du « in house multilatéral » ou « conjoint »). Intuitivement, cela laisserait entendre que les entités bénéficiant de l’exception in house en droit de la commande publique pourraient également en profiter dans le cadre domanial (SPL et SPLA, au premier chef). Dans la mesure où le « contrôle étroit » du gestionnaire serait caractérisé, les sociétés d’économie mixte (SEM) et sociétés d’économie mixtes à opération unique (dites « SEMOP ») également. Enfin, les établissements publics pourraient être concernés, ces derniers étant placés sous la tutelle administrative et financière d’une collectivité ».

Nous partageons cette analyse. En l’espèce, le Parc national de Port‑Cros est un établissement public à caractère administratif de l’Etat placé sous la tutelle du Ministère de la Transition écologique. Il doit par conséquent être regardé comme remplissant le « critère » un peu obscur de la soumission « à la surveillance directe de l’autorité compétente ». Il ne nous semble pas nécessaire, s’agissant d’un établissement public de l’Etat, d’aller au-delà du constat du rattachement de cet établissement à l’Etat. Le principe est en effet celui de l’unité de l’Etat.

Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 2122‑1‑1 et L. 2122‑1‑4 du code général de la propriété des personnes publiques doit être écarté.

5.

Plongeons‑nous maintenant dans l’examen du deuxième moyen. Les associations requérantes soutiennent que l’arrêté contesté méconnaît les articles L. 2124‑5 et R. 2124‑42 du code général de la propriété des personnes publiques. Elles font valoir que la demande devait être transmise à la Métropole Toulon Provence Méditerranée (à compter du 1er janvier 2018).

L’arrêté attaqué vise les articles invoqués par les requérantes. Il est prévu à l’article L. 2124‑5 du code général de la propriété des personnes publiques qui indique que :

« Des autorisations d’occupation temporaire du domaine public peuvent être accordées à des personnes publiques ou privées pour l’aménagement, l’organisation et la gestion de zones de mouillages et d’équipement léger lorsque les travaux et équipement réalisés ne sont pas de nature à entraîner l’affectation irréversible du site. / Ces autorisations sont accordées par priorité aux communes ou groupements de communes ou après leur avis si elles renoncent à leur priorité ».

L’article R. 2124‑42 du même code disposait dans sa version en vigueur à la date de l’arrêté contesté que :

« Lorsqu’une commune ou un groupement de communes compétent sur le territoire desquels l’implantation est prévue le demandent, l’autorisation leur est accordée par priorité. Ils déposent leur demande selon les modalités prévues à l’article R. 2124‑41. […] ».

Ces dispositions impliquent que les communes ou groupements de communes soient compétents pour l’aménagement, l’organisation et la gestion de zones de mouillages.

D’une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la Métropole Toulon Provence Méditerranée disposait à l’époque d’une compétence en la matière. L’article L. 5217‑2 du CGCT dans sa version applicable à la date de la décision attaquée précise que :

« I. – La métropole exerce de plein droit, en lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : / (…) 6° En matière de protection et de mise en valeur de l’environnement et de politique du cadre de vie : / (…) j) Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, dans les conditions prévues à l’article L. 211‑7 du code de l’environnement ; / k) Autorité concessionnaire de l’Etat pour les plages, dans les conditions prévues à l’article L. 2124‑4 du code général de la propriété des personnes publiques ».

Ces dispositions ne donnaient pas compétence pour l’aménagement, l’organisation et la gestion de zones de mouillages. Si les associations requérantes produisent une page web récente du site internet de TPM, elle ne prouve nullement la compétence de TPM à la date de l’arrêté attaqué. D’ailleurs, à bien lire ce document, il semble que TPM participe seulement au financement des mouillages écologiques et la page web mentionne bien que :

« Fort de ce patrimoine et du désir de le faire partager, les douze communes de TPM ont souhaité intégrer en 2004 le programme européen FEDER du nom de SUBMED dont l’objet est de valoriser les activités subaquatiques tout en protégeant l’environnement marin. SUBMED dont l’objet est de valoriser les activités subaquatiques tout en protégeant l’environnement marin. Issus de ce programme, seize mouillages permanents ont été installés à la demande des structures de plongée sous-marine. ».

Vous ne pourrez par conséquent nullement tirer de ce seul document la preuve d’une compétence de TPM pour mettre en place des zones de mouillages. En réalité cette compétence appartient aux communes. D’ailleurs, la commune de Hyères a mis en place sur son territoire une zone de mouillage et d’équipements légers (ZMEL) au sud et à l’est du port Saint Pierre. Par suite, le Parc national de Port-Cros n’avait pas à saisir TPM.

D’autre part, il ressort des pièces du dossier que le Parc national de Port‑Cros a bien saisi la commune d’Hyères laquelle a renoncé à son droit de priorité par un courrier du 23 octobre 2017. Le moyen fait donc un flop (mot d’origine anglaise venant du verbe to flop « échouer complètement ») en toutes ses branches.

6.

En troisième lieu, les associations requérantes soutiennent que la durée de la ZMEL de Passe de Bagaud n’a pas été fixée en tenant compte des principes de l’article L. 2122‑2 du CGPPP, mais uniquement parce qu’il s’agit du maximum autorisé. Le moyen est assez vague.

Pour mémoire, il est prévu à l’article L. 2122‑2 du code général de la propriété des personnes publiques que :

« L’occupation ou l’utilisation du domaine public ne peut être que temporaire. / Lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122‑1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, sa durée est fixée de manière à ne pas restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis, sans pouvoir excéder les limites prévues, le cas échéant, par la loi ».

Et vous savez que dans sa version applicable à la date de l’arrêté en litige, l’article R. 2124‑46 du même code prévoit que « L’autorisation est délivrée à titre précaire et révocable pour une durée maximale de quinze ans. […] ».

Le moyen soulevé aurait du sens si l’autorisation délivrée l’avait été en vue d’une exploitation économique, mais nous venons de voir que tel n’est pas le cas. Le moyen frise donc l’inopérance.

Votre contrôle nous semble par ailleurs nécessairement limité sur ce point à l’erreur manifeste d’appréciation comme il l’est en matière fixation des tarifs des redevances d’occupation du domaine public14. Si les deux questions sont souvent étroitement liées, tel n’est pas le cas en l’espèce. En mettant en œuvre l’autorisation accordée, même s’il est autorisé à percevoir les redevances pour les mouillages de nuit, le Parc de Port Cros ne poursuit pas la recherche de bénéfices, ni même à amortir les investissements réalisés au terme de la durée de l’autorisation fixée à quinze ans (évalués à 430 000 euros HT). La durée de l’autorisation d’occupation accordée correspond au maximum prévu par les textes applicables, mais cette durée de quinze ans est cohérente avec le projet dont le but principal est, nous l’avons déjà évoqué, de préserver les fonds marins. Un tel projet, qui est accompagné de mesures de suivi pour analyser les effets du dispositif sur les espèces protégées, s’inscrit nécessairement dans un temps relativement long. La durée de l’autorisation n’est donc nullement entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

7.

En quatrième lieu, les associations invoquent les insuffisances du dossier d’enquête publique et de l’évaluation des incidences du projet au regard de l’atteinte aux sites Natura 2000.

Le moyen est opérant dès lors notamment qu’il est prévu à l’article L. 2124‑1 du CG3P que « Les décisions d’utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques (…) ». Ces dispositions figuraient initialement dans la loi littorale du 3 janvier 1986. Elles trouvent à s’appliquer non seulement pour les décisions portant autorisation d’occupation du domaine public maritime15, mais aussi pour toute autre décision permettant d’utiliser le domaine, comme une autorisation d’élevage en aquaculture16 ou une concession de sables et graviers17. Il ressort de ces décisions que vous devez exercer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur les décisions administratives au regarde des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques, ce qui semble logique dès lors que la loi ne prescrit qu’une « prise en compte »18.

Pour répondre au moyen, vous mobiliserez également l’article R. 2124‑41 du code général de la propriété des personnes publiques. Dans sa version en vigueur à la date de l’arrêté contesté il prévoyait que :

« La demande d’autorisation, adressée au préfet, est accompagnée d’un rapport de présentation, d’un devis des dépenses envisagées, d’une notice descriptive des installations prévues, d’un plan de situation et d’un plan de détail de la zone faisant ressortir l’organisation des dispositifs des mouillages ainsi que des installations et des équipements légers annexes au mouillage. / Le rapport de présentation indique les modalités de prise en compte de la vocation et des activités de la zone concernée et des terrains avoisinants, des impératifs de sécurité des personnes et des biens notamment du point de vue de la navigation, des conditions de préservation des sites et paysages du littoral et des milieux naturels aquatiques ainsi que des contraintes relatives à l’écoulement et à la qualité des eaux ».

Ce rapport doit permettre à l’autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, au contrôle de légalité de l’autorisation domaniale au regarde des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques.

Il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la demande de création de la ZMEL, que le dispositif mis en œuvre a pour objet de restreindre les possibilités de stationnement des plaisanciers en limitant à soixante-huit le nombre de postes d’amarrage dont huit seulement sont maintenus à l’année alors qu’il ressort d’une étude fréquentation réalisée en 2014, 2015 et 2017 que l’affluence sur la zone oscillait en moyenne entre quatre‑vingts et cent dix navires par jour durant l’été, le pic de fréquentation pouvait atteindre plus de deux cents navires sur une seule journée. Ainsi, le projet en litige, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, ne procède pas au doublement de l’offre de mouillage. Au contraire, il restreint cette « offre ».

Par ailleurs, il s’agit d’interdire les mouillages à « l’ancienne » en remplaçant la technique du mouillage à l’ancre par des bouées d’amarrage à ancrages respectueux des fonds marins. Les procédés utilisés visent à garanti le minimum d’impact lors de l’installation, de l’exploitation et de la suppression des dispositifs. Des plongées de reconnaissance préalables aux travaux ont été prévues pour favoriser la prise en compte des biocénoses. Ajoutons que l’installation a une emprise sur le fond sous-marin la plus réduite possible afin de ne pas nuire à la croissance normale des posidonies. Enfin, il est prévu que les dispositifs d’amarrage soient installés sur site du 15 avril au 15 octobre avec une période de pose de quinze jours du 1er au 15 avril et une période de dépose du 15 au 30 octobre. En dehors de cette période, l’interdiction du mouillage dans la passe de Bagaud sera maintenue par arrêté préfectoral.

Ainsi, ce projet de ZMEL a vocation à répondre aux objectifs de protection du milieu marin et de conservation des fonds marins patrimoniaux, en particulier les herbiers de posidonies et grandes nacres, d’amélioration de la gestion des usages, en restreignant le nombre d’amarrages, et de la sécurité de la navigation, comme l’a estimé l’autorité environnementale dans sa décision du 6 février 2018 laquelle a dispensé le projet d’évaluation environnementale. En outre, le commissaire enquêteur a considéré que le dossier était complet et contenait les garanties techniques et technologiques adaptées à la future création de la ZMEL et que l’ensemble des dispositions prises permettraient, pendant la période estivale, de favoriser la qualité de vie de l’île de Port‑Cros tout en préservant les fonds marins patrimoniaux et les écosystèmes. Il a ainsi émis un avis favorable au projet. Pour terminer, les associations requérantes ne précisent pas en quoi l’évaluation des incidences du projet au regard de l’atteinte aux sites Natura 2000 serait lacunaire alors que ce document de 221 pages analyse avec une précision suffisante le milieu physique, l’état des richesses biologiques constituées par les habitats et les espèces d’intérêt communautaire, ainsi que les espèces animales et végétales patrimoniales, les menaces sur le patrimoine biologique et paysager telles que la pollution les incendies et celles liées à la fréquentation. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le dossier de demande soumis à l’enquête publique serait insuffisant concernant l’incidence du projet sur l’environnement ni que l’évaluation des incidences du projet au regard de l’atteinte aux sites Natura 2000 serait lacunaire.

[…]

Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non‑recevoir opposée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, que les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 24 mars 2020.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.

Notes

1 GUILLAUMONT O.  Comment apprécier l’intérêt à agir d’un tiers sollicitant l’annulation d’une convention d’occupation du domaine public conclue à la suite d’une manifestation d’intérêt spontanée ?, conclusions sur CAA Marseille 21 avril 2023 Société Vildor, no 22MA01634, JCP Adm., et Coll. terr.n 25 septembre 2023 no 2299. Retour au texte

2 ROUX Ch. Mise en concurrence des titres d’occupations domaniaux, 2021, JCl. Contrats et Marchés Publics, fasc. 514. Retour au texte

3 CJUE, 14 juill. 2016, aff. C‑458/14 et C‑67‑15, Promoimpresa Srl. et Mario Melis. – Contrats‑Marchés publ. 2016, repère 11, obs. Llorens et Soler‑Couteaux ; AJDA 2016, p. 2176, obs. R. Noguellou ; AJDA 2016, p. 2478, obs. Nicinski ; BJCP 2017, no 110, p. 36, obs. Terneyre ; AJCT 2017, p. 109, obs. Didriche ; Mon. CP 2016, no 169, p. 50, obs. Proot ; RTD com. 2017, p. 51, obs. Lombard ; RTD eur. 2017, p. 843, obs. Zians ; Rev. UE 2017, p. 231, chron. Lévi et Rodrigues ; RFDA 2017, p. 162, chron. Martucci ; GDDAB, Dalloz, 3e éd., 2018, no 56, p. 529, obs. R. Noguellou. Retour au texte

4 Dir. 2006/123/CE, 12 déc. 2006 : JOCE no L. 376, 27 déc. 2006, p. 36. Retour au texte

5 « Lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les États membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture ». Retour au texte

6 CLAMOUR G. Une nouvelle donne pour l’occupation domaniale, Contrats Marchés publ. 2017, comm. 114. Retour au texte

7 CJCE, 16 juin 1987, aff. 118/85, Comm. c/ Italie : Rec. CJCE 1987, p. 2599, pt. 7. Retour au texte

8 V. toutefois YOLKA Ph. Places dans les ports de plaisance : une si longue attente, Dr. voirie et domaine public, 2019, no 209, p. 129 Retour au texte

9 TA Marseille, 31 juill. 2020, M.B. no 1801217. Retour au texte

10 ROUX. Ch. Mise en concurrence des titres d’occupation domaniaux, 2021, fasc., 514, JCl. Contrats et Marchés Publics. Retour au texte

11 Fixée à 17,40 euros pour une nuit, 34,80 euros pour deux nuits, 69,60 euros pour trois nuits, 139,20 euros pour quatre nuits et 278,40 euros pour cinq nuits pour un navire de 10 m. Retour au texte

12  PATINO-MARTIN. A. La version domaniale de la quasi-régie, JCP A 2017, act. 427. – ROUX Ch. Le(s) in house, au-delà du droit de la commande publique, JCP Adm. et Coll. Terr., 2020, 2202. Retour au texte

13 ROUX Ch. Mise en concurrence des titres d’occupations domaniaux, 2021, fasc., 514, JCl. Contrats et Marchés Publics. Retour au texte

14 CE, 11 juillet 2007, Syndicat professionnel union des aéroports français et autres, no 290714 et a., aux T. Retour au texte

15 CE, 24 juillet 2019, Libre horizon Courseulles, no 421139 et CE, 24 juillet 2019, Association de protection des petites Dalles, no 421143) Retour au texte

16 CE, 21 juin 1996, SARL Aquamed, no 136044, aux T. Retour au texte

17 CE 25 février 2019, Association le Peuple des Dunes des Pays de la Loire et commune de Noirmoutier, no 410170 Retour au texte

18 cf. sur ce point les conclusions M. Stéphane Hoynck sur CE 24 juillet 2019, Libre horizon Courseulles, no 421139 et CE, 24 juillet 2019, Association de protection des petites Dalles, no 421143. Retour au texte

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