Le 19 novembre 2015, la direction générale de l’aviation civile a publié au Bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) un avis d’appel public à la concurrence en vue de l’attribution d’une concession de service public ayant pour objet l’exploitation, l’entretien et la valorisation de l’aérodrome d’Aix‑les Milles.
La concession a été attribuée à la société Edeis Management, devenu Edeis Concessions, qui a signé la convention de concession avec l’État le 14 décembre 2017. L’avis d’attribution de la concession a été publié le 22 janvier 2018.
L’association Collectif Danger Aix Avenir (CD2A) a présenté, le 23 février 2018, un recours gracieux tendant à l’annulation de cette convention. Ce recours gracieux a été rejeté implicitement par les services de l’État. L’association Collectif Danger Aix Avenir a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d’une action en contestation de validité de cette convention. Par le jugement attaqué, dont l’association relève appel, le tribunal administratif a rejeté cette action.
Sur la régularité du jugement
Au titre de la régularité du jugement, l’association requérante soutient que deux mémoires ne lui ont pas été communiqués, alors que ces mémoires comprenaient des éléments nouveaux sur la réallocation du produit de la majoration de la taxe d’aéroport. Les mémoires en cause sont ceux qui ont été enregistrés par le greffe du tribunal administratif de Marseille le 17 et 18 novembre 2020. Les éléments nouveaux invoqués par l’association, mentionnés au point 15 du jugement attaqué, sont liés à la réponse au moyen tiré de la durée illégale de la convention et à l’absence de subventions publiques d’exploitation.
Le mémoire de la société Edéis (enregistré le 18 novembre 2020) ne comprenait aucun élément sur ce point. Le mémoire du ministre du 23 juin 2020 (p. 950), régulièrement communiqué à l’association, comprenait des éléments relatifs à la durée du contrat et à l’absence de subventions publiques d’exploitation. Mais sur la question spécifique des redevances et de la réallocation du produit des taxes, le ministre n’a produit d’éléments que dans son mémoire du 17 novembre 2020. Comme le soutient l’association requérante, ces éléments, qui n’étaient pas liés à des actes réglementaires, ont été pris en compte pas les premiers juges pour motiver leur décision, sans avoir été soumis à la contradiction.
Vous devrez donc annuler le jugement pour irrégularité et vous pourrez statuer sur les conclusions aux fins de contestation de la validité du contrat par la voie de l’évocation.
Sur l’intérêt à agir
Le ministre oppose une fin de non-recevoir tiré de ce que l’association n’est pas susceptible d’être lésée dans ses intérêts. L’association Collectif Danger Aix Avenir est un tiers au contrat. Son recours en contestation de la validité du contrat se situe dans le cadre fixé par la jurisprudence Tarn-et-Garonne.
L’intérêt à agir d’une association s’apprécie au regard de son objet social et de l’étendue géographique de son action. Voyez sur ce point la décision CE, 21 novembre 2012, Société Star Players, no 352368 ou encore CE, 30 décembre 2014, Association des victimes de saturnisme, no 367523.
Aux termes de l’article 2 des statuts de l’association, dans leur version à la date de l’introduction de la demande et avant leur modification en 2019, l’association œuvre pour « la défense de la population du bassin aéroportuaire Aix-les Milles contre les diverses nuisances générées par l’aérodrome d’Aix-les Milles »1. Cet objet, relativement large, est en lien avec l’objet de la convention attaquée.
Vous pourrez donc admettre l’intérêt de l’association à agir pour contester la validité du contrat, à raison des vices qui ont un lien direct avec cet intérêt lésé défini par son objet. Ainsi, l’association n’a pas d’intérêt à agir contre la passation du contrat en général, mais contre les stipulations de cette convention qui induiraient des nuisances en lien avec les conditions de vie des riverains.
Les statuts de l’association, notamment son objet, ont été modifiés en 2019. En matière d’urbanisme, l’intérêt à agir d’une association pour contester un plan d’occupation des sols est appréciée à la date à laquelle elle a introduit sa demande, et sans prendre en compte les modifications substantielles qu’elle a pu apporter ultérieurement à son objet social. Voyez sur ce point la décision CE, 24 octobre 1994, Commune de la Tour du Meix, no 1233162. Vous étendrez cette logique à la contestation de la validité du contrat.
Par ailleurs, indépendamment du recours de plein contentieux contestant la validité du contrat, l’association est recevable à contester les clauses réglementaires du contrat, dans le cadre cette fois d’un recours pour excès de pouvoir. Voyez sur ce point la décision CE, 10 juillet 1996, Cayzeele, no 138536.
Une clause est réglementaire si elle est transparente au mode de gestion, c’est‑à‑dire si l’administration aurait adopté cette réglementation dans le cadre d’un fonctionnement en régie. Ainsi, tout ce qui concerne les tiers (définition, étendue, fonctionnement ou tarification du service) peut être considéré comme clause réglementaire. Tout ce qui concerne les aménagements ou la réalisation d’un équipement préalable à la mise en œuvre du service a un caractère contractuel. La décision d’exploiter une ligne aérienne a trait au fonctionnement du service, les travaux de balisage des pistes ont un caractère contractuel. Voyez sur ce point la décision CE, CA Val d’Europe Agglomération, 9 février 2018 no 4049823.
Sur l’ordre d’examen des moyens de fond
Un seul moyen pose selon nous une véritable difficulté et peut donner lieu à hésitation sur l’issue du litige, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de développement durable énoncé à l’article 6 de la Charte de l’environnement.
Nous vous proposons donc de traiter ce moyen en premier, les autres moyens pouvant à notre avis être écartés sans difficulté.
1/ Concernant la méconnaissance des dispositions de l’article 6 de la Charte de l’environnement
1.1 Sur le cadre
L’association requérante soutient que l’équilibre général de la convention ne permet pas d’assurer la protection de l’environnement et que les engagements du concessionnaire par rapport au respect des normes environnementales sont insuffisants. Elle se prévaut à cet effet de la méconnaissance des dispositions de l’article 6 de la Charte de l’environnement. Aux termes de l’article 6 de la Charte de l’environnement : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. ».
Ce faisant, l’association met en cause l’insuffisante de prise en compte des objectifs de protection de l’environnement dans l’organisation du service public aéroportuaire et sa mise en œuvre sur le site d’Aix-les Milles. Un tel moyen, qui vise l’organisation et le fonctionnement du service, a trait aux dispositions réglementaires de la convention et appelle une réponse dans le cadre du recours pour excès de pouvoir (CE, 10 juillet 1996, Cayzeele, no 138536).
Le moyen vise à la fois la convention et l’insuffisance de l’offre de la société. Toutefois, vous ne pourrez prendre en compte que les mesures figurant dans la convention et ses annexes, seules susceptibles de constituer des mesures réglementaires d’organisation du service public.
1.2 Sur le caractère opérant du moyen
Vous devrez en premier lieu vous interroger sur le caractère opérant du moyen.
Les droits et devoirs énoncés dans la Charte de l’environnement ont valeur constitutionnelle4 et s’imposent aux pouvoirs publics dans leur domaines de compétence respectifs (CE, Assemblée, 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, no 297931). Les dispositions de l’article 6 de la Charte énoncent un objectif de valeur constitutionnelle. Les objectifs de valeur constitutionnelle sont opposables aux pouvoirs publics (CE, 6 mai 2009, Association FNATH, no 312462).
Toutefois, la confrontation de la décision administrative à la norme constitutionnelle n’est opérante qu’à la condition qu’aucun dispositif légal, dont la décision en litige serait une mesure d’exécution, n’assure par lui-même le respect du principe énoncé par la Charte.
Ainsi, lorsque les dispositions de la Charte prévoient que les modalités de mise en œuvre du principe énoncé sont définies par la loi, celle‑ci fait écran à un contrôle de constitutionnalité de la décision prise pour l’application de cette loi. Il en va de même si, en l’absence de précision de la Charte, un cadre législatif assure la mise en œuvre du principe, que la décision en litige a été prise dans ce cadre législatif et qu’elle se borne à en tirer les conséquences.
Il en résulte qu’en cas de mise en œuvre au niveau de la loi des principes de la Charte, le moyen tiré de la méconnaissance de la Charte est inopérant à l’encontre de la décision prise en application de cette loi. Le contrôle de la conformité de la loi aux normes de la Charte peut s’exercer dans le cadre de la QPC, s’il s’agit d’un droit ou d’une liberté garantis par la constitution, ce qui n’est pas le cas en l’espèce5. Voyez la décision CE, 12 juillet 2013, Fédération de la pêche nationale en France, no 344522.
En revanche, si la Charte n’appelle pas de dispositions législatives pour en préciser les modalités de mise en œuvre, les principes qu’elle énonce sont invocables à l’encontre d’une décision administrative. Voyez sur ce point la décision CE, 19 juillet 2010, Association du quartier « Les Hauts de Choiseul », no 328687 qui admet l’opérance du moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution (article 5 de la Charte) à l’encontre d’une décision d’urbanisme6.
Pour une application de cette règle à l’article 6 de la Charte, voyez la décision CE, Chambre de commerce et d’industrie de Rouen, no 371554, 10 juin 20157. Par cette décision, le CE juge que le respect de l’article 6 de la Charte de l’environnement dans le cadre d’une décision de classement d’un site s’apprécie au regard du cadre tracé par les dispositions législatives du code de l’environnement. La décision intervenant au stade de l’exécution de la politique publique et non de sa conception, le moyen est écarté par le juge.
Vous devrez donc rechercher si le contrat en litige est la simple mise en œuvre d’un régime légal, au niveau duquel est assuré la poursuite des objectifs du développement durable, ou si au contraire le contrat est le lieu spécifique de conception de l’organisation du service.
1.3 Sur la politique publique de référence
Le périmètre de politique publique à prendre en compte est incertain, dès lors que la gestion de l’aérodrome est une compétence de l’État, mais d’application locale. Les stratégies de l’État gestionnaire peuvent donc être nationales, sans que soit exclue la définition d’objectifs spécifiques au niveau local. Le périmètre de la politique publique à prendre en compte pourrait donc être le transport aérien, l’exploitation des aérodromes relevant de la compétence de l’État, ou encore plus spécifiquement l’exploitation de l’aérodrome d’Aix-les Milles. Vous devez donc vous demander si la convention en litige exprime une stratégie propre.
Un ensemble de lois et de règlements encadre effectivement les activités aéronautiques en général, et la gestion des aérodromes en particulier. Il est incontestable que l’État, en charge de l’organisation du transport aérien et gestionnaire d’aérodromes, a mis en œuvre une stratégie nationale de développement durable8, et que cette stratégie a donné lieu à la définition d’un cadre légal décliné spécifiquement à l’échelle du transport aérien et de la gestion des aérodromes9.
Concernant les nuisances sonores, parmi les dispositions légales spécifiques aux aérodromes, figurent les plans d’exposition au bruit prévu par les articles L. 112‑6 et suivants du code de l’urbanisme, le plan de gêne sonore prévu par l’article L. 571‑15 du code de l’environnement, et les cartes de bruit et plans de prévention du bruit prévus par les articles L. 572‑2 et L. 572‑6 du code de l’environnement. Le respect de ces obligations légales est renforcé par les évaluations spécifiques réalisées dans le cadre des études d’impact prévues par les articles R. 227‑7 et R. 227‑8 du code de l’aviation civile.
Sur le plan de la pollution, l’État établit des inventaires annuels d’émission de substances polluantes sur le fondement de l’article L. 221‑6 du code de l’environnement et a instauré un plan de réduction des émissions (L. 222‑9 du code de l’environnement). Le Plan national de réduction de émissions de polluants mis en œuvre pour l’application de ces dispositions prend en compte les émissions des aéronefs liées aux cycles d’atterrissage et de décollage10.
Concernant les émissions de gaz à effet de serre, un régime de quotas est établi au chapitre IX du tire II du code de l’environnement (L. 229‑5). Ces dispositions sont applicables aux exploitants d’aéronefs « dont la France est l’État membre responsable au titre des émissions de gaz à effet de serre ». Elles encadrent donc les émissions de GAS pour le secteur aérien. Il ne nous paraît toutefois pas certain que cette régulation se traduise directement par un encadrement du volume d’activité des aérodromes.
A ce stade, et au vu de cet arsenal législatif, vous pourriez considérer que la loi a entièrement défini le régime de protection de l’environnement mis en œuvre par l’État pour le transport aérien et la gestion des aérodromes. Dans cette perspective, le contrat de concession ne serait pas le lieu de définition d’une politique publique, mais la simple mise en œuvre de ce régime légal. Le moyen devrait donc être écarté comme inopérant.
Nous vous proposons toutefois de ne pas suivre cette option, en considérant que la convention en litige va au-delà du cadre légal que nous venons de mentionner, et qu’elle comporte des orientations stratégiques propres à l’aérodrome d’Aix-les Milles. La convention constitue selon nous un document de conception de politique publique à l’échelle locale.
La convention donne en effet une valeur contractuelle au cahier des charges type émis au niveau réglementaire d’une part, à la Charte de l’environnement de l’aérodrome d’autre part. La contractualisation de ces deux documents caractérise selon nous une stratégie de gestion locale, par-delà les objectifs sectoriels qui structurent la politique de transport aérien.
En premier lieu,
le cahier des charges-type établi par le décret no 2007‑244 du 23 février 2007 est le document le plus précis de définition d’une stratégie de l’État pour la gestion des aérodromes. Il ne constitue pas la simple mise en œuvre d’une disposition légale. Au niveau réglementaire, l’article R. 223‑2 du code de l’aviation civile dispose que les concessions accordées par l’État sont soumises au cahier des charges type des concessions approuvé par décret, et l’article L. 6321‑1 du code de l’aviation civile se borne à mentionner que « L’exploitation des aérodromes relevant de la compétence de l’État peut être assurée en régie ou confiée à un tiers. ».
Le cahier des charges, intégré dans l’arsenal réglementaire de la convention par ses articles 1 et 3, a une valeur contractuelle et participe à la définition de l’organisation du service public. Il doit donc être regardé comme le niveau de mise en œuvre de la politique publique de gestion des aérodromes.
Il n’est pas évident d’y trouver une stratégie propre en matière de développement durable. Le volet « Insertion dans l’environnement » du titre IV ne comporte que quatre articles, dont l’article 57 qui stipule que le concessionnaire doit appliquer la réglementation environnementale en matière de bruit, de polluants atmosphériques et de rejet des eaux.
Deux autres articles de ce titre constituent des objectifs autonomes : l’article 54 oblige le concessionnaire à adopter une certification environnementale, l’article 55 le soumet à une obligation de communication sur les données environnementales et avec les riverains. L’article 56 ne nous semble pas avoir une portée opérationnelle ou normative significative.
L’aspect stratégique ou « conception de politique publique » de ce cahier des charges type peut sembler bien modeste pour le volet protection de l’environnement. Mais le cahier des charges‑type lui-même est bien un document de définition d’une politique publique de gestion propre aux aérodromes : il établit notamment l’objet des concessions, les objectifs d’exploitation, les services rendus aux usagers et aux entreprises.
C’est donc un document de conception, et les lacunes du volet « insertion dans l’environnement » pourraient justement être relevées à ce titre. D’autant que le cadre légal que nous avons mentionné n’épuise pas tous les engagements caractérisant le développement durable, notamment la préservation de la biodiversité, la transition vers une économie circulaire, ou encore le management environnemental. La circonstance que tout contrat dérogeant à ce contrat-type doit être accordé par décret en Conseil d’État (R. 223‑2 du code de l’aviation civile) est selon nous de nature à renforcer la conviction que ce document a la portée d’un document de conception de politique publique.
Vous pouvez donc considérer que le contrat, quelle que soit l’épaisseur du volet « insertion dans l’environnement » du cahier des charges, fixe un cadre de politique publique en matière de gestion des aérodromes, cadre au sein duquel l’administration avait l’obligation de rechercher la promotion du développement durable.
En second lieu,
en donnant une portée normative à la Charte de l’environnement de l’aérodrome, l’État a selon nous indiqué clairement qu’il avait une stratégie spécifique en matière environnementale pour cet aérodrome, y compris sur le problème des nuisances sonores.
Cette Charte porte la mention « plan d’action 2007-2010 », et a pour objectif « de contribuer à l’insertion harmonieuse de l’aérodrome dans son environnement ». Elle comprend un exposé sur la « vocation fixée par l’État pour l’aérodrome d’Aix-les Milles ». Il s’agit donc d’un plan stratégique, définissant des objectifs de gestion.
Le contenu de la Charte, qui comprend des mesures significatives concernant les restrictions d’activité sur le site, la réduction des nuisances sonores, et la gestion environnementale, traduit des ambitions allant au-delà du cadre légal existant. Il y a donc lieu de constater que l’État lui-même a considéré que le cadre légal existant, y compris pour les nuisances sonores, n’épuisait pas les problématiques environnementales pour le site d’Aix-les Milles, et qu’il y avait lieu de définir, par cette Charte, une politique publique locale spécifique. Voyez sur ce point la décision CE, 12 juillet 2013, Fédération nationale de la pêche en France, no 34452211.
Au regard de la portée de cette Charte, son intégration dans les obligations contractuelles fixées par la Convention donne à cette dernière une dimension stratégique. La convention est donc bien, selon nous, un lieu d’élaboration de politique publique.
La valeur contractuelle du cahier des charges et de la Charte locale nous conduit ainsi à conclure que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 6 est opérant. Dans cette hypothèse, vous devrez contrôler la conformité des clauses du contrat qui organisent le service public d’exploitation de l’aérodrome aux dispositions de l’article 6 de la Charte de l’environnement.
1.4 Sur le contrôle de conciliation.
Si vous admettez l’opérance du moyen, vous devrez définir la méthode du contrôle de conciliation auquel vous devez procéder.
La conciliation n’implique pas que les préoccupations économiques, sociales et environnementales soient placées sur le même plan : il est entendu qu’un aéroport n’aura jamais pour finalité première la préservation de l’environnement, et qu’une activité de transport aérien a pour enjeu essentiel le développement économique du territoire.
La conciliation promue à l’article 6 de la Charte de l’environnement vise un équilibre des fins : le développement économique ne saurait compromettre la protection de l’environnement. Vous devrez donc vérifier qu’au regard de ses finalités, la partition administrative est bien orchestrée, ou si vous préférez les métaphores équestres, que protection de l’environnement et développement économique vont l’amble.
1.4.1 Sur la nature et l’intensité du contrôle.
Il va sans dire que les règles d’organisation du service sont des choix de gestion qui offrent à l’administration une large marge de manœuvre. Vous avez donc à contrôler l’équilibre de mesures qui relèvent très largement du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Ces mesures, qui plus est insérées dans un contrat, ne donnent pas prise à une vérification de la qualification retenue par l’administration ou de l’adéquation de l’objet de l’acte à ses motifs.
A première vue, les modalités de ce contrôle de conciliation ne s’éloignent pas fondamentalement de la troisième étape du contrôle de bilan opéré dans le cadre des actions en contestation des déclarations d’utilité publique (CE, Ville Nouvelle Est, no 78825, 28 mai 1971, Grands arrêts de la jurisprudence administrative).
Cette méthode vise à procéder à un contrôle spécifique sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration, par un examen concret et global du projet - en l’espèce il s’agirait de l’organisation du service. Dans cette 3e étape du contrôle du bilan « coûts-avantages » opéré pour les décisions d’utilité publique12, le juge apprécie si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et les inconvénients d’ordre social, environnemental ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente13.
Un tel contrôle de proportionnalité doit-il tendre à sanctionner seulement des erreurs importantes (une absence de conciliation manifeste ou anormale) ou implique-t-il une appréciation fine de l’équilibre des choix de gestion de l’administration ?
Pour les DUP, Guy Braibant, dans ses conclusions sous la décision Ville Nouvelle Est, indique qu’il s’agit de censurer « les décisions arbitraires, déraisonnables ou mal étudiées ». Alexandre Lallet, dans ses conclusions sous l’affaire CE, Association Coordination Interrégionale Stop THT, no 342409, 12 avril 2013, souligne quant à lui que l’examen de la jurisprudence sur les DUP « montre que seul un déséquilibre marqué, pour ne pas dire manifeste, est susceptible d’en entraîner l’annulation. »14. Certains commentateurs parlent de « contrôle restreint inavoué »15.
En l’espèce, le cadre du litige invite à une certaine prudence dans la sanction d’éventuels déséquilibres. Comme nous l’avons dit, les choix de gestion pour l’organisation du service offrent à l’administration une large marge de manœuvre. Or, il s’agit en l’espèce de contrôler les réglages stratégiques opérés par l’administration. En outre, vous êtes saisis dans le cadre de l’article 6 de la Charte de l’environnement, c’est-à-dire pour le contrôle d’un objectif de valeur constitutionnelle. Le contrôle d’un OVC ne peut être d’une intensité aussi forte que celle de la méconnaissance d’un droit ou d’un devoir.
Toutefois, on ne peut échapper à une appréciation fine de la conciliation opérée par l’administration entre protection de l’environnement et développement économique.
Vous noterez que dans le cadre du contrôle des déclarations d’utilité publique, le Conseil d’État semble considérer qu’un tel contrôle de conciliation est déjà assuré dans le cadre légal du contrôle du bilan, et le juge ne semble pas accorder une autonomie réelle à l’examen du moyen. Le contrôle de la conciliation serait donc absorbé dans le contrôle du bilan applicable aux décisions de DUP. Voyez sur ce point la décision CE, Association Alcaly et autres, no 320667, 16 avril 2010 et les conclusions d’Anne Courrèges sur cette décision.
Cette assimilation du contrôle de conciliation au contrôle de bilan (ou leur « coïncidence fonctionnelle »16) ne nous paraît toutefois pas totalement évidente en l’espèce, alors que vous êtes saisis de la contestation d’une réglementation. Une réglementation insuffisante est en effet susceptible d’être améliorée (voyez la décision CE, Vassilikiotis, no 213229, 29 juin 200117sur les effets de l’annulation partielle « en tant que ne pas » d’une réglementation), alors que dans le cadre de la 3e étape du raisonnement du contrôle de bilan, le juge considère le projet comme tel et se refuse en principe à examiner l’opportunité de solutions techniques alternatives18.
Par ailleurs, au regard de la lettre de l’article 6 et du contenu de la notion de développement durable, il n’apparaît pas certain qu’un bilan coûts / avantages, qui est une sorte de bilan « comptable », soit de nature à assurer le respect du principe de conciliation. Le principe du développement durable commande que le développement économique ne soit pas poursuivi au détriment de la protection de l’environnement : c’est par essence une doctrine téléologique. Cette portée finaliste du principe exclut en partie les logiques de compensation. Il ne s’agit donc pas de dire si un choix de gestion est utile, mais s’il permet la poursuite équilibrée de plusieurs fins.
Dès lors, dans la logique du développement durable, il n’est pas sûr qu’un très grand avantage économique puisse compenser un moindre inconvénient environnemental, ou d’une façon générale que l’approche environnementale puisse être appréhendée seulement en termes de coûts, quel que soit le poids donné aux préoccupations environnementales dans l’appréciation du coût global. Pour parler un langage d’économiste, le développement durable pourrait impliquer que le capital naturel et environnemental a un caractère non-substituable.
Ainsi, la conciliation des préoccupations environnementales et économiques pourrait comporter des effets « cliquet » beaucoup plus prégnants que dans l’appréciation de la « désutilité » adoptée dans le bilan coûts/avantages. A cet égard, vous noterez que le code de l’environnement tend à inscrire la protection environnementale dans une logique forte d’irréversibilité. Au nombre des principes constitutifs du développement durable, énoncé au II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, figure notamment un principe de « non‑régression », selon lequel la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante.
La notion même de durabilité pourrait donc conduire à considérer qu’un contrôle « comptable » coûts/avantage ne suffit pas à garantir le respect du principe de développement durable, en particulier dans le contrôle d’une réglementation. Il ne suffirait pas, de ce point de vue, de dire que le coût environnemental global n’est pas excessif : il s’agirait de dire s’il est acceptable au regard des finalités propres de la protection environnementale. La situation de l’outarde canepetière sur le site d’Aix-les Milles illustre cette problématique : vous pourriez être amenés, sans avoir à peser les avantages et inconvénients de la présence de l’espèce par rapport au développement du trafic aérien, à sanctionner l’absence de mesure compensatoire propre à assurer la protection de l’espèce sur le site.
La question de l’intensité du contrôle de l’article 6 de la Charte nous semble au demeurant d’une importance relative : en réalité, le code de l’environnement et la Charte de l’environnement comportent des prescriptions équivalentes, exprimées en termes de droits et devoirs. Le respect de ces normes, qui appelle de la part du juge un contrôle normal, semble être un terrain plus solide de contrôle des ambitions environnementales de l’administration. Ainsi, il ne nous apparaît pas certain que l’article 6, qui porte sur la conciliation des finalités de l’action publique et ne définit qu’un objectif, soit un terrain contentieux prometteur, alors que la Charte et le Code de l’environnement offrent des voies et des prises juridiques plus fermes.
1.4.2 Sur la méthode de contrôle.
Pour en revenir à la méthode du contrôle de conciliation, ce dernier doit avoir, comme le contrôle du bilan, un caractère concret et global.
1/ Concret, ce contrôle doit a minima déterminer si l’organisation du service comporte un volet substantiel d’actions pour chacune des composantes du développement durable.
Vous noterez que le III de l’article L. 110‑1 du code de l’environnement caractérise le développement durable comme la concomitance de cinq engagements : la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité, la cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations, l’épanouissement de tous les êtres humains et la transition vers une économie circulaire19.
L’association requérante ne fait pas référence à ce texte. Mais cinq grandes problématiques, qui recoupent en partie ces cinq engagements, nous semblent être discutées par les parties : les nuisances sonores, la préservation de la biodiversité, la pollution atmosphérique, les émissions de gaz à effet de serre, et enfin le management environnemental.
Vous devez donc contrôler que ces objectifs environnementaux sont intégrés de façon significative dans l’organisation du service et qu’ils sont adaptés aux enjeux environnementaux propres au site d’exploitation.
2/ Global, le contrôle doit prendre en compte les éléments de protection garantis à un autre niveau, notamment dans le cadre légal, comme c’est le cas par exemple pour les nuisances sonores ou la pollution de l’air.
3/ Si le contrôle de conciliation a un caractère global, il doit néanmoins être différencié sur les composantes environnementales de l’exploitation et ne doit pas vous conduire à considérer ces volets du développement durable comme fongibles. Ainsi, il nous semble exclu d’opérer une compensation interne des dommages environnementaux : un défaut dans le régime de protection de l’outarde ne saurait être gagé par un haut niveau de protection concernant les eaux usées.
Voir en ce sens les conclusions de Louis Dutheillet de Lamothe et Sophie Roussel sur le contrôle de l’application du principe de non-régression, certes dans le cadre du contrôle normal d’une obligation légale. CE, Fédération Allier Nature, no 404391 8 décembre 2017 et CE, no 463186, 463187, Réseau sortir du nucléaire, 27 mars 202320.
1.4.3 Sur le contrôle d’espèce
Comme nous l’avons vu, il y a lieu de distinguer, outre la question du management environnemental, quatre catégories de nuisances environnementales induites par l’activité de l’aérodrome : les nuisances sonores, l’émission de polluant et l’atteinte à la qualité de l’air, les émissions de GAS, et l’atteinte à la biodiversité. Il n’y a pas beaucoup d’éléments au dossier sur l’intérêt économique de l’aérodrome, mais son existence n’est pas en cause. Il y a donc lieu de considérer que c’est son volume d’activité qui est principalement en discussion.
Sur l’encadrement du trafic
Pour la plupart des volets environnementaux que vous devez examiner, le volume de trafic est en effet le paramètre central. Il est le vecteur principal du développement économique et le levier essentiel de réduction des nuisances environnementales. Toute mesure tendant à limiter le volume de trafic est donc par construction une mesure de conciliation entre intérêts économiques et protection environnementale.
Or, la convention, par le biais de la Charte de l’environnement de l’aérodrome, établit des restrictions notables concernant le trafic aérien. Voyez notamment les deux premières actions intitulées « Encadrer l’activité de l’aérodrome » et « Interdire les vols commerciaux réguliers et maitriser l’évolution de l’aviation d’affaires ».
L’État oblige ainsi l’exploitant à limiter le trafic annuel à 60 000 mouvements, à interdire l’activité nocturne, à ne pas développer d’aviation commerciale, et à limiter à 5 000 sur 60 000 les mouvements des avions d’affaires, c’est-à-dire ceux qui représentent le plus grand avantage économique et les plus grandes nuisances environnementales.
Ces stipulations visent à limiter le volume et l’expansion du trafic sur l’aérodrome, en vue d’assurer la préservation de l’environnement, que ce soit en termes de nuisances sonores, d’émission de gaz à effet de serre, ou de pollution de l’air.
Aucun élément au dossier ne permet d’affirmer que ces restrictions seraient insuffisantes au regard des enjeux environnementaux ou que les plafonds ainsi déterminés permettraient une augmentation de l’activité déraisonnable et de nature à dégrader les qualités environnementales du site. Ce n’est d’ailleurs pas soutenu par l’association requérante, qui, sur cette question, développe quatre arguments.
L’association CD2A fait valoir en premier lieu que la conclusion du contrat de DSP s’est traduite par une aggravation avérée des nuisances sonores et aériennes. Elle soutient que cette augmentation de nuisances est caractérisée par une augmentation des plaintes. Mais, à supposer avéré, l’augmentation du nombre de plaintes ne permet pas de conclure à l’insuffisance des obligations imposées à l’exploitant en matière de restrictions de trafic. L’augmentation des plaintes peut résulter d’une mauvaise exécution du contrat ou tout simplement de la mise en place par le concessionnaire d’un site internet permettant de mieux les recueillir.
L’association requérante fait valoir en deuxième lieu que la progression du chiffre d’affaires prévisionnel d’Edéis traduirait une augmentation mécanique du trafic. Mais, d’une part, le chiffre d’affaires prévisionnel est un élément de l’offre d’Edeis qui n’a pas de valeur contractuelle et en tout état de cause le bilan prévisionnel ne saurait constituer une clause réglementaire d’organisation du service. Par ailleurs, la convention, nous l’avons vu, encadre spécifiquement le volume d’activité et interdit explicitement le dépassement des plafonds. Si l’association fait valoir qu’on constate une augmentation du nombre de mouvements en 2018 par rapport à 2017, elle n’établit pas que cette augmentation outrepasserait le cadre défini par la convention, cadre dont elle n’a pas contesté la pertinence.
En troisième lieu, le fait que l’aérodrome soit enclavé dans une zone urbanisée de plus de 100 000 personnes serait de nature à remettre en cause l’existence de l’équipement plutôt que le fonctionnement du service, et en tout état de cause l’association n’en déduit rien sur l’adéquation entre cet environnement urbain et le volume d’activité maximal de 60 000 mouvements fixé par le contrat. Les considérations sur le développement d’activités nouvelles, notamment les essais en vol d’Airbus Hélicoptère, sont imprécises et ne sont pas suffisamment étayées.
L’association CD2A soutient en quatrième lieu que l’article 11 de la convention, qui intègre dans le dispositif contractuel la Charte de l’environnement de l’aérodrome, a une formulation trop imprécise. Elle y décèle une intention du concessionnaire d’outrepasser le niveau d’activité fixé par la Charte, qui serait ainsi vidée de substance. Mais, contrairement à ce qu’affirme la requérante, les stipulations de la Charte fixent des valeurs maximales de trafic et ces valeurs ont une véritable portée contraignante. Il ne nous paraît pas contestable que le dépassement des plafonds fixés par ce document pourrait entraîner une sanction, voire la résiliation du contrat.
Sur ce point, contrairement à ce qu’affirme l’association requérante, l’absence de clause de déchéance ou de clause résolutoire n’interdit pas une résiliation en cas de non-respect par le concessionnaire de ses obligations. L’article 82 du cahier des charges prévoit d’ailleurs explicitement un tel mécanisme. L’association n’est pas non plus fondée à soutenir qu’il n’y aurait aucun moyen de contrôle des obligations environnementales du délégataire. L’article 75 du cahier des charges‑type prévoit que le concessionnaire remet annuellement au ministre chargé de l’aviation civile et de l’économie, un rapport d’exploitation qui doit retracer l’exécution de ses missions de service public. Cet article indique spécifiquement que le rapport mentionne les données relatives au trafic et que « le compte rendu comprend en outre une présentation des actions engagées par le concessionnaire pour l’insertion des aérodromes dans leur environnement. ». L’article 76 prévoit un droit de contrôle sur l’ensemble des obligations, par les services de l’aviation civile ou du ministère de l’économie, contrôle qui peut être effectué sur pièces et sur place. L’article 77 prévoit un mécanisme de sanction financière, pour tout manquement au cahier des charges.
A notre sens, l’association ne fournit donc aucun argument sérieux permettant de conclure que le volume d’activité maximal prévu par la convention serait déraisonnable, déséquilibré, ou inadapté en vue de préserver l’environnement. La question de savoir s’il y aurait lieu de réduire ce volume maximal en vue de garantir un meilleur niveau de protection de l’environnement, sans compromettre la rentabilité de l’exploitation ou les besoins de transport aérien du territoire, n’est pas discutée.
L’encadrement du trafic annuel, combiné d’une part aux mesures prévues par les actions 4 et 5 de la Charte de l’environnement de l’aérodrome, d’autre part au cadre légal de limitation des nuisances sonores, nous semble de nature à assurer la préservation environnementale du site sur ce plan. Nous vous proposons donc d’écarter la branche du moyen en tant qu’elle porte sur les nuisances sonores.
Les restrictions imposées par la Charte de de l’environnement de l’aérodrome concernant la valeur maximale de référence du trafic annuel nous paraissent aussi de nature à avoir un effet direct sur la pollution de l’air et la réduction de l’empreinte carbone. Alors que ces objectifs font par ailleurs l’objet de stratégies à l’échelle nationale pour le transport aérien, il est difficile, à notre avis, de reprocher à la réglementation du service de l’aérodrome une insuffisante prise en compte de ces problématiques.
Sur la préservation de la biodiversité.
L’association CD2A soutient par ailleurs que le site d’exploitation présente un intérêt environnemental remarquable en termes de biodiversité. Selon l’association, les mesures prises pour la préservation de la présence de l’outarde canepetière sur le site, qui ne sauraient se limiter à la limitation du trafic, sont inexistantes ou insuffisantes. Elle fait valoir que la population d’outardes présente sur le site aurait, selon des observateurs, significativement diminué. L’exactitude et la rigueur de ces observations ne paraît pas très bien établie.
L’argumentation de l’association n’est pas convaincante en tant qu’elle tend à caractériser une indifférence ou des pratiques inadaptées de la société Edéis concernant l’outarde canepetière. La méconnaissance par Edéis des règles applicables aux espèces protégées, notamment les pratiques d’effarouchement, ne peut être reprochée à l’autorité concédante, qui ne les a pas autorisées et qui aurait même, d’après certains éléments du dossier, refusé une demande de dérogation sur ce point.
La requérante soutient bien, toutefois, que la réglementation du service serait insuffisamment protectrice, alors que depuis 1999 l’outarde canepetière est reconnue comme une espèce protégée et qu’elle bénéficie du cadre de protection défini par les articles L. 411‑1 et 2 du code de l’environnement. Elle suggère que le délégataire aurait pu être obligé de participer aux instances de protection de l’outarde. Selon nous, le sort de l’outarde pourrait sans doute être amélioré par des mesures compensatoires plus directes, par exemple l’obligation faite au concessionnaire de procéder à une identification des zones d’habitat et de nidification, l’obligation d’adapter l’exploitation à proximité de ces zones, notamment par des restrictions en matière d’émissions sonores ou une pratique de tonte adaptée au bien-être des outardes, ou encore par la mise à la charge de l’exploitant d’un programme de suivi scientifique de l’évolution des populations. En un mot, contraindre l’exploitant à mettre en œuvre un programme de protection spécifique sur le site, avec objectifs et indicateurs de suivi, ce qui pourrait tout à fait être mené à bien au moyen de marchés de prestations.
Toutefois, alors que la protection de l’outarde est garantie par les dispositions légales en vigueur (L. 411‑1 et 2 du code de l’environnement), qu’aucun dispositif dérogatoire n’a été accordé au concessionnaire, et que l’incidence de l’exécution du contrat sur les conditions de vie de l’outarde sur le site ne nous paraissent pas bien établies, il ne nous paraît pas possible en l’état du dossier de dire que, pour ce seul motif, la réglementation du service serait insuffisante.
Les développements sur le lézard ocellé ou sur le milan noir, qui peuplent également les prairies de la plaine des Milles, ne sont pas suffisamment précis et rien n’indique que le niveau d’activité de l’aérodrome mettrait en cause leur développement.
Sur le pilotage environnemental.
L’association CD2A critique ensuite le niveau d’exigence de la convention en termes de pilotage environnemental21. Cette critique nous semble opérante dès lors que tous les programmes de développement durable doivent comprendre des volets « information » et « concertation », indissociables de la réalisation des objectifs. Certes, les stipulations de l’article 54 sur la certification environnementale ne comportent pas de précisions sur le niveau de certification exigé. Toutefois, le moyen se borne à critiquer l’insuffisance de l’offre du candidat retenu et il n’est pas établi que la règle fixée à l’article 54 ne permettait pas un mieux-disant en termes de certification environnementale. Ces mêmes stipulations prévoient d’ailleurs une obligation d’internalisation par les exploitants des contraintes environnementales. Nous vous proposons donc d’écarter le moyen.
Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 6 de la Charte de l’environnement doit être écarté.
Dans l’hypothèse d’une annulation « en tant que ne pas ».
Si vous deviez considérer que les mesures réglementaires visant à assurer la préservation et la valorisation de l’outarde canepetière sont insuffisantes, vous pourriez annuler le contrat en tant qu’il ne prévoit pas de telles mesures. L’État serait en mesure de modifier la convention par avenant en vue de restaurer un niveau de protection et de valorisation adéquat, sans que vous ayez à préciser vous-mêmes ce niveau de protection. Il ne nous semble pas que la mise en œuvre d’un programme de protection de l’outarde canepetière sur le site de l’aérodrome pourrait avoir des conséquences de nature à modifier l’équilibre financier du contrat. L’intervention d’une mesure correctrice sous forme d’avenant ne modifierait donc pas substantiellement le contrat.
Vous pourriez également avoir des doutes sur l’absence d’obligations relatives à la réduction de l’empreinte carbone. En effet, le plafonnement du trafic n’est pas, par lui-même, de nature à garantir une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il y aurait lieu de programmer une décroissance progressive du trafic sur le site. Mais il ne nous semble pas que cet enjeu environnemental puisse être apprécié au niveau de l’exploitation de l’aérodrome d’Aix-les Milles. Concernant la réduction des émissions de gaz à effets de serre, l’État est soumis à des obligations dans le cadre d’un système de quotas à l’échelle nationale. C’est donc par la régulation du trafic aérien, à l’échelle du territoire national, qu’il définit une politique de réduction des émissions. Les autres voies de décarbonation du trafic aérien, notamment les évolutions technologiques des moteurs, n’entrent pas dans le champ de la gestion de l’aérodrome. A supposer que vous reteniez ce moyen, vous devriez annuler le contrat en tant qu’il ne prévoit pas de dispositif de réduction de l’empreinte carbone. Au contraire d’une annulation sur l’exigence de biodiversité, une telle solution serait potentiellement de nature à modifier l’économie du contrat et à entrainer sa résiliation.
[Sur la question de la régulation du trafic pour des motifs environnementaux, au regard du principe de non-régression, voir CE, no 439195 Association de défense de l’environnement des riverains de l’aéroport de Beauvais-Tillé (annulation de l’arrêté dérogatoire de restrictions) et CE, no 463812, 25 janvier 202322 (validation du nouvel arrêté).]
2/ Sur le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
L’association Collectif Danger Aix soulève une série de moyens relatifs aux conditions de passation du contrat, mettant en cause les mesures de publicité de la procédure de mise en concurrence.
Mais l’association n’est pas un candidat évincé et ces moyens sont sans lien avec les intérêts lésés dont elle peut se prévaloir. Voyez sur ce point la décision CE, 20 juillet 2021, Association « Le Comité d’aménagement du VIIe arrondissement » et autre, no 444715. Par ailleurs, la méconnaissance des règles de la commande publique ne constitue pas un vice d’une particulière gravité justifiant la nullité du contrat et que le juge devrait relever d’office (CE, Manoukian, no 338551, 12 janvier 2011).
Concernant le périmètre de la concession, la collectivité publique détermine librement ce périmètre, sous réserve de ne pas lui donner un périmètre manifestement excessif ou de réunir au sein d’une même convention des services qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux. Voyez sur ce point la décision CE, 21 septembre 2016, Communauté urbaine du Grand Dijon et société Keolis, no 399656.
Vous écarterez donc l’ensemble des moyens ayant trait aux mesures de publicité de la procédure de passation.
3/ Sur le caractère dérogatoire de la convention de DSP (point C).
L’association requérante soutient, au point C de son mémoire récapitulatif, qu’aux termes de l’article R. 223‑2 du code de l’aviation civile, les concessions qui portent dérogation au cahier des charges type sont accordées par décret en Conseil d’État. Selon elle, la convention aurait donc dû faire l’objet d’un décret en Conseil d’État, et a ainsi été prise à l’issue d’une procédure irrégulière.
Ce moyen est dirigé en réalité contre l’arrêté du 20 décembre 2017 approuvant la convention.
Cet arrêté ne nous semble pas être un acte d’approbation du contrat, mais un acte intervenant dans le cadre de la conclusion même du contrat et contestable dans le cadre du recours Tarn-et-Garonne. Voyez sur ce point les décisions CE, Danthony, 2 décembre 2022, no 45431823 et CE, Boda, 27 janvier 2023, 46275224.
Le moyen est également opérant dans le cadre du recours Cayzeele.
Le moyen est infondé. En effet, la convention en litige ne déroge pas au cahier des charges type. Les seules dérogations visées dans la convention sont celles qui sont prévues et autorisées par le cahier des charges type. Par ailleurs, le caractère contraignant de la Charte de l’environnement, rendue applicable en application de l’article 11 de la convention, n’est pas constitutive d’une dérogation au cahier des charges type : cet article renforce les obligations environnementales et rien ne faisait obstacle à un tel renforcement dans le cahier des charges type.
Le moyen doit donc être écarté.
4/ Sur l’absence de mention des travaux complémentaires.
L’association soutient que le contrat aurait dû mentionner l’ensemble des travaux à la charge de la société. Mais l’offre de la société attributaire mentionnait bien le programme complémentaire de travaux pour 9,7 M € et les termes de l’offre faisaient partie intégrante des obligations contractuelles du co-contractant. Le moyen sera donc écarté.
5/ Sur le choix du prestataire.
L’association soutient ensuite que la société Edéis aurait dissimulé à la fois ses réelles capacités financières et ses capacités à concilier protection de l’environnement et développement économique. Elle aurait ainsi trompé l’autorité concédante sur la recevabilité de sa candidature ou la valeur réelle de son offre.
Toutefois, la seule circonstance que la société concessionnaire a pu bénéficier du produit de la majoration de la taxe d’aéroport en 2019 n’est pas de nature à établir qu’elle n’avait pas la capacité pour voir sa candidature admise. Par ailleurs, les incertitudes ou les faiblesses du modèle économique d’une offre ne caractérisent pas une tromperie ou un vice de consentement de l’autorité délégante.
Vous écarterez donc le moyen.
6/ Sur la durée de la concession.
Concernant la durée de la concession, l’appel public à la concurrence mentionnait bien une durée de concession de quarante-cinq ans et non de quarante ans comme le soutient l’association.
L’association soutient ensuite que la durée du contrat de quarante-cinq ans est excessive au regard des dispositions de l’article 40 de la loi du 29 janvier 1993. En vertu de ces dispositions, les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée, durée qui ne peut dépasser la durée normale d’amortissement des installations mises en œuvre. Ces dispositions visent à répondre à une exigence de transparence des procédures de passation des délégations de service public et à assurer la remise en concurrence périodique des concessions.
Le moyen tiré de la durée excessive du contrat par rapport à la valeur des investissements nous semble inopérant au regard des intérêts lésés de l’association. En effet, l’ensemble de l’argumentation est centré sur l’équilibre économique du contrat et la valeur des investissements, question sans lien direct avec la protection de l’environnement et l’objet de l’association.
Une telle argumentation sur la durée excessive de la convention n’aurait de portée que pour un candidat évincé ou un candidat potentiel dans le cadre d’une recours Transmanche, en tant qu’elle ferait obstacle à une remise en concurrence périodique.
Vous écarterez donc le moyen comme inopérant.
Il ne nous semble pas, par ailleurs, que l’association requérante articule son moyen en liant la durée de la convention à la protection de l’environnement. Le moyen, tel qu’il est formulé, n’a pas d’incidence sur la qualité du projet environnemental. La Charte de l’environnement de l’aérodrome prévoit en tout état de cause une clause d’actualisation permettant une adaptation des actions aux évolutions du contexte (action 11).
A supposer que vous admettiez l’opérance du moyen, il y aurait lieu à notre sens de l’écarter sur le fond.
La durée de la concession doit selon nous être estimée sur la base de l’amortissement comptable linéaire, et non sur l’atteinte d’un seuil de rentabilité. Il y a donc lieu de prendre comme référence la durée de vie des équipements. Or, les investissements en cause sont liés notamment à la création d’une aérogare d’affaires, d’un bâtiment commercial et à la création de nouveaux réseaux d’assainissement. La durée d’amortissement usuelle de tels équipements est respectivement de vingt à cinquante ans et de cinquante à soixante ans. La durée de la convention de quarante-cinq ans n’apparaît donc pas excessive au regard de ces amortissements.
Par ailleurs, à supposer que vous répondiez au moyen sous l’angle de « l’amortissement économique »25, il n’est pas établi que ces investissements en cause auraient fait l’objet d’un plan d’amortissement inférieur à la durée de la convention et indexé sur le rythme de consommation des avantages économiques (ce qui semble d’ailleurs assez abstrait pour un réseau d’assainissement). L’argumentation de l’association requérante se borne d’ailleurs sur ce point à relever que le montant des investissements (3 millions d’euros) ne justifiait pas une durée de quarante-cinq ans, en se fondant sur les comptes des exercices 2018‑2019. Toutefois, une partie significative de ces investissements était programmée pour les années 2020 à 2022, et l’amortissement de ces biens n’avait donc pas commencé en 2017‑2018. L’argumentation de l’association est d’ailleurs assez confuse, puisqu’elle tend à montrer, si nous comprenons bien les écritures, que la société n’avait pas la solidité financière pour équilibrer les comptes sans le versement de subventions ad hoc, ce qui revient à dire qu’elle n’aurait pas été en mesure d’assurer son plan d’amortissement sur quarante-cinq ans.
7/ Sur l’imprécision de la convention.
L’association appelante soutient que l’article 11 du contrat de concession, qui fait référence à la charte de l’environnement de l’aérodrome, est formulée de manière trop imprécise et ne définirait pas de façon suffisante les obligations du concessionnaire. Toutefois, la référence à la charte de l’environnement de l’aérodrome, claire et explicite, est sans ambiguïté sur les obligations du concessionnaire. Comme nous l’avons vu précédemment, l’obligation figurant dans cet article 11 est par elle-même contraignante et l’association n’est pas fondée à soutenir que le contrat serait dépourvu de mécanisme contraignant en cas de non-respect des obligations du concessionnaire.
Vous écarterez donc le moyen.
Vous écarterez également le moyen tiré de ce que la clause d’actualisation de la Charte de l’environnement serait imprécise. Elle conditionne l’actualisation à l’évolution des activités de l’aérodrome et l’absence de calendrier précis ne saurait en elle-même entrainer l’illégalité du contrat.
8/ Sur la méconnaissance par le concessionnaire de ses obligations contractuelles.
Le ou les moyens soulevés par l’association requérante fondés sur la méconnaissance par le concessionnaire de ses obligations contractuelles sont inopérants à l’appui d’une contestation de la validité du contrat. De tels moyens, relatifs à l’exécution du contrat, seraient opérants dans le cadre d’un recours Transmanche, mais ne sont pas susceptibles de remettre en cause la validité du contrat.
9/ Sur les modifications substantielles du contrat.
L’association requérante soutient qu’en attribuant à la société le bénéfice d’une subvention d’exploitation, qui dans les comptes de l’exercice 2018 s’élève à 104 129 euros, l’État a modifié substantiellement le risque d’exploitation du délégataire. Toutefois, la somme en cause correspond à l’affectation à l’exploitant du produit de la majoration de la taxe d’aéroport, prévue par les dispositions de l’article 1609 quatervicies du code général des impôts. Le moyen doit donc être écarté.
Par ces motifs, nous concluons :
à l’annulation du jugement no 1805444 du 8 juillet 2021 du tribunal administratif de Marseille et au rejet de la demande de première instance de l’association Collectif Danger Aix Avenir.