L’article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, applicable à titre expérimental du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2025, permet désormais à un fonctionnaire et à son administration de convenir en commun, sous la forme d’une rupture conventionnelle, des conditions de la cessation définitive des fonctions, qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire. Cette rupture, qui ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties, résulte d’une convention signée par le fonctionnaire et son administration, dans laquelle est, notamment, défini le montant de l’indemnité spécifique de rupture.
Cette définition du dispositif de rupture conventionnelle, désormais applicable à la fonction publique et que nous venons d’énoncer, est celle du conseil constitutionnel dans sa décision no°2020-860 QPC du 15 octobre 2020 censurant le texte initial de l’article 72 qui prévoyait que durant la procédure de rupture conventionnelle, seul un conseiller désigné par une organisation syndicale représentative de son choix pouvait assister le fonctionnaire.
Il est donc question d’une pure rencontre de deux volontés qui contractualisent leur accord et nullement de démission ou de licenciement ; l’une relevant de la seule volonté de l’employé et l’autre de la volonté de l’employeur.
L’article 72 précité est inséré au sein d’un titre IV de la loi intitulée « Favoriser la mobilité et accompagner les transitions professionnelles des agents publics ».
La formulation de ce titre paraît créer une opportunité pour un fonctionnaire désireux de quitter la fonction publique ou un agent de droit public souhaitant mettre fin à son contrat à durée indéterminée (CDI) en échange d’une compensation financière que n’offre bien sûr pas une démission.
Le dispositif de rupture conventionnelle mis en place pour les salariés du privé par la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail a, pour sa part, été inséré dans un titre III du code du travail relatif aux ruptures de CDI.
Les dispositions de ce titre ne concernent pas que le seul salarié. La rupture conventionnelle est une modalité de rupture du contrat, comme l’est le licenciement ou la démission. Elle paraît, ainsi, bien plus dirigée, aussi bien, vers le salarié que l’employeur.
C’est d’ailleurs pourquoi, l’essentiel du contentieux devant les prudhommes des ruptures conventionnelles a trait aux conditions dans lesquelles la convention de rupture a été signée. Pour résumer, ce type de rupture ne doit pas être un licenciement déguisé imposé au salarié.
Pour ce qui concerne le juge administratif, le contentieux a majoritairement trait non pas aux vices de consentement pouvant effectuer un accord mais aux refus opposés par l’administration.
Depuis l’intervention de la loi de 2019, seules soixante-sept affaires relatives à un refus de donner suite à une demande de rupture conventionnelle par l’agent ont été jugées.
Pour avoir une autre idée comparative, ce sont plus de 100 000 ruptures conventionnelles qui ont été signées dans le secteur privé par semestre au cours de l’année 2022, seulement quelques milliers toutes fonctions publiques confondues pour l’année entière.
La plupart des commentateurs s’accordent à dire que les fonds nécessaires au versement des indemnités ne sont pas budgétés et que la situation de tension de l’emploi public ces deux dernières années ne se prête plus pour l’employeur à une volonté de se séparer de ses agents.
C’est le tribunal administratif (TA) de Lyon qui le premier, par un jugement du 30 juin 2021 no°2003799 intervenu peu de temps après l’entrée en vigueur de la loi, s’est autorisé à exercer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (EMA) sur un refus implicite d’engager une procédure de rupture conventionnelle, moyen qui n’était pourtant pas clairement soulevé au regard des visas du jugement attaqué.
Par la suite, les juridictions du premier degré ont repris ce niveau de contrôle restreint écartant à chaque fois une éventuelle EMA.
Le TA de Paris par une décision classée en C+ et dont les conclusions conformes ont été publiées à l’AJDA, a toutefois, alors qu’il ne s’était encore jamais prononcé sur un tel moyen, décidé de donner un coup d’arrêt au contrôle restreint de l’EMA pour y substituer un contrôle que l’on pensait relever de l’archéologie du droit tant le niveau de contrôle du juge s’intensifie dans tous les domaines ; le contrôle dit minimum.
Ce contrôle minimum instauré par le TA de Paris est sui generis dans la mesure où s’il reprend traditionnellement l’incompétence, le vice de procédure, l’erreur de droit ou de fait, ne fait pas mention du détournement de procédure mais invoque le motif étranger à l’intérêt du service.
Une telle invocation interroge. Le motif étranger à l’intérêt du service ne se confond certes pas avec le détournement de pouvoir. Par ailleurs, si ce contrôle du motif étranger à l’intérêt du service ne se confond pas non plus avec l’EMA, comme l’atteste la formulation de décisions du Conseil d’État (CE) qui sont toutefois peu nombreuses1, celle des cours d’appel laisse parfois entendre que le contrôle d’un tel motif est une composante du contrôle de l’EMA.
Votre cour par exemple répond à un moyen de l’EMA par le fait que la mesure attaquée n’a pas été prise pour un motif étranger au service2.
La cour de Bordeaux pour sa part3 indique que l’administration n’a pas commis d’EMA en retenant un motif qui n’était pas étranger à l’intérêt du service.
Nous n’allons pas ici faire l’exégèse de cette notion du motif étranger à l’intérêt du service, il ne nous paraît pas relever d’un contrôle minimum, mais plutôt du contrôle restreint qui ouvre la voie, vous le savez, au contrôle de la qualification juridique des faits et donc de l’EMA.
Le rapporteur public dans ses conclusions très documentées sur le jugement du TA de Paris évoqué plus avant, publiées nous l’avons dit à l’AJDA, se fondait essentiellement, et pour résumer, sur le fait que le refus de rupture était purement discrétionnaire et qu’il n’était pas question de la légalité d’un acte unilatéral, mais de la matérialisation d’un refus d’accord de volonté.
Nous l’avouons, nous avions, nous-mêmes, du mal à cerner les contours d’une EMA pour ce type de refus et la comparaison avec le contentieux judiciaire de cette question, comme le relevait fort justement le rapporteur public dans les conclusions précitées, nous paraissait bien aller dans le sens de l’exclusion de la possibilité du contrôle de l’opportunité de refuser une demande de rupture conventionnelle.
Il est vrai, comme nous l’avons indiqué dans nos propos précédents, que l’essentiel du contentieux à l’origine prudhommal a trait aux conditions dans lesquelles la convention de rupture conventionnelle a été conclue.
Il est alors question de vice du contentement, la seule existence de faits de harcèlement moral n’affectant pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237‑11 du code du travail, le vice du consentement devant être invoqué et établi par le salarié 4.
Par ailleurs, la méconnaissance des formalités préalables à la signature de la convention peut également entraîner l’annulation de cette dernière, ces formalités ayant vocation en premier lieu à protéger le salarié mais également l’employeur.
Nous pensions à la lecture de la jurisprudence et des encyclopédies juridiques traitant de cette question, que le contentieux du refus de contracter une convention en rupture conventionnelle n’existait pas.
Un arrêt récent nous a convaincu du contraire. En effet, la Cour de cassation a récemment jugé que le refus d’une rupture conventionnelle est une faculté et ne peut être en principe fautif, sauf abus de de droit5.
Cet abus de droit qui n’impose pas nécessairement une volonté de nuire est un motif permettant au juge judiciaire de sanctionner un refus de renouvellement de CDD6.
Or, vous savez qu’en matière de refus de renouvellement de CCD, votre office comprend le contrôle du motif étranger au service et l’EMA.
Vous pourriez nous objecter que l’abus de droit ou le refus abusif n’est pas comparable à l’EMA, mais il ne peut être assimilé au détournement de pouvoir, l’aspect intentionnel étant indifférent, et vous savez bien que, comme l’EMA qui a eu parfois tendance à vouloir franchir les limites du seul contrôle restreint, l’abus de droit connaît une application large qui ne va pas dans le sens d’un rapprochement avec le contrôle minimum du juge administratif assimilé à l’absence de qualification juridique des faits
En matière de refus de renouvellement de CDD, la grille de raisonnement est très proche de celle du refus de rupture conventionnelle ; la différence est seulement qu’il est question de mettre fin à un contrat par un accord de volonté et non d’en contracter un autre.
Il n’existe pas de droit au renouvellement de CDD ; la logique est aussi celle d’une rencontre de volontés puisque le renouvellement peut être refusé par les deux parties et a priori l’employeur et l’employé sont libres de contracter ou non.
Toutefois, le contrôle du juge s’est orienté vers un contrôle de l’EMA. Vous pourriez cependant nous objecter comme le relèvent d’ailleurs les conclusions précitées, que le refus de renouvellement emporte la fin involontaire de la relation de travail pour l’agent ce qui justifie le contrôle de l’administration.
Mais il n’est pas réellement question de fin de la relation de travail imposée, puisque la durée du contrat de travail résultait d’un accord de volontés, mais de l’absence, comme pour la rupture conventionnelle, d’accord de volontés de part et d’autre pour contracter de nouveau, le fait qu’ait préexisté un contrat nous paraît ici indifférent.
Pris sous cet angle le refus de contracter est donc bien soumis au contrôle du juge.
Pourquoi dans ces conditions retenir spécifiquement pour la rupture conventionnelle, un contrôle écartant l’EMA mais contrôlant que le motif de refus est bien lié à l’intérêt du service alors qu’en matière de contrat de droit privé le contrôle du refus de renouvellement de CDD et celui du refus de rupture conventionnelle est identique ?
Nous ne voyons pas de justification réelle à mettre en place un contrôle minimum dénué de la possibilité de censurer une EMA pour ce type de refus.
Vous le savez, en matière de décision discrétionnaire et pour ce qui relève du droit de la fonction publique, l’appréciation soumise à un contrôle minimum, ou absence de contrôle de cette appréciation pour rependre la terminologie du plan de classement de la jurisprudence fichée du CE, est désormais devenue peau de chagrin.
Il reste certes toujours l’hypothèse de la décision mettant fin aux fonctions d’un collaborateur de cabinet7, celle de la décision relative au calcul des besoins en médecins-anesthésistes8, et enfin l’exemple des décisions des jurys d’examen ou de concours pour les agents publics où le pouvoir d’appréciation des jurys souverains ne doit pas être entravé par le juge.
Mais vous savez également que même la décision du gouvernement de créer, de modifier ou de supprimer un corps de fonctionnaires, décision pourtant éminemment technique et budgétaire, a été ouverte au contrôle restreint de l’EMA9.
L’instauration d’un contrôle minimum pour une décision discrétionnaire même dans le cadre d’un accord de volontés ne pouvant être imposé ne nous paraît pas véritablement envisageable
Nous en convenons, les hypothèses d’EMA en matière de refus de rupture conventionnelle paraissent difficiles à envisager sans faire œuvre d’administrateur, mais ce qui est certain, c’est que ce contrôle ne pourra qu’être extrêmement distancié et revenir à ce qu’était initialement l’EMA en s’inspirant, à défaut de définition donnée par le CE français, de la définition donnée par le CE belge par son récent avis du 18 février 201610 : l’erreur manifeste d’appréciation est celle qui est incompréhensible et qu’aucune autre autorité administrative normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances n’aurait commise.
L’un des obstacles majeurs à la rupture conventionnelle pour les agents publics tient pour l’essentiel, nous l’avons dit, au fait que les sommes afférentes ne sont pas budgétées et que le marché du travail est en tension.
S’ajoute une autre particularité, celle que l’État ou comme ici les collectivités locales, paie les indemnités chômages de leurs anciens fonctionnaires ce qui n’est pas le cas pour les employeurs privés.
Autant de freins pouvant expliquer le faible nombre de départs d’agents publics par rupture conventionnelle mais qui sont autant de justifications de refus dénuées d’EMA.
Il n’est pas question ici d’ouvrir une boîte de Pandore et de donner le signal aux recalés de la rupture conventionnelle qu’ils vont désormais beaucoup plus efficacement pouvoir contester le refus qui leur a été opposé.
Si vous nous suivez sur le niveau de contrôle restreint et donc ouvert à l’EMA qui est le vôtre, ce dossier ne vous posera guère de difficulté.
L’appelante soutient d’abord que le jugement est entaché d’une première erreur de droit dès lors que la procédure prévue par l’article 2 du décret du 31 décembre 2019 n’a pas été respectée, la commune de Marseille n’ayant pas respecté un délai raisonnable dans le traitement de sa demande puisque l’entretien sollicité le 25 février 2020 n’a été organisé que le 6 juillet 2020 par la direction des ressources humaines.
L’article 2 du décret du 31 décembre 2019 organisant la procédure de rupture conventionnelle prévoit qu’un entretien doit être organisé entre le 10e jour qui suit la réception de la demande de rupture conventionnelle et le 30e jour suivant cette demande ; cet entretien peut ensuite être suivi d’autres entretiens, sans condition particulière de délai.
Le non-respect de ce délai n’est pas prescrit à peine de nullité et nous ne voyons pas en quoi un délai plus important préserverait l’appelante d’une quelconque garantie, au contraire. Cette seule réponse nous paraît préférable à celle du TA qui a cru bon de rajouter, en tout état de cause, l’absence de contestation de la décision implicite de rejet, née deux mois après la demande alors que la période concernée était celle de l’urgence sanitaire.
Est également invoqué un vice de procédure tiré d’une méconnaissance de l’article 5 du même décret qui fixe les délais de signature de la convention et de la date de radiation.
Ce moyen nous parait ici inopérant puisque précisément il n’y a pas eu de signature de convention.
L’appelante soutient, ensuite, que la commune de Marseille a pris une décision de refus au terme d’une procédure irrégulière en mettant plus de dix mois à statuer sur sa demande dont cinq mois après le premier entretien alors qu’il lui appartenait de statuer dans un délai raisonnable et qu’elle n’invoque aucun élément de nature à justifier qu’elle ait tant tardé à se prononcer. Elle ajoute qu’une telle exigence découle de la nécessaire protection de l’agent qui doit pouvoir être fixé sur son évolution de carrière et sur les conséquences que la rupture conventionnelle attache à l’écoulement du temps en matière de détermination du montant de l’indemnité mais également de date de cessation des fonctions de l’intéressé.
Or, le décret du 31 décembre 2019 ne fixe aucun délai entre la date du dernier entretien et l’intervention de la décision de refus de la rupture conventionnelle. Par ailleurs, n’oublions pas que nous sommes ici dans une hypothèse où un refus a été opposé après un long délai, or les délais mis en place par le règlement sont là pour protéger essentiellement l’employé qui doit disposer d’un temps minimum pour prendre connaissance d’une décision engageante quant à son avenir professionnel.
Ne reste alors, si vous ne nous avez pas suivi dans notre analyse introductive, qu’à juger d’une éventuelle EMA.
Bien sûr ce type de décision n’a pas à être motivée et les motifs du refus sont avancés dans les écritures de la ville de Marseille qui évoque des contraintes budgétaires, la nécessité de conserver ses agents et le grand nombre de demandes en période de covid
Comment contredire l’argument budgétaire au regard des finances de la ville même deuxième ville de France ?
Certes, il n’y a eu que deux cent quatre‑vingt une demandes et ce nombre est relativisé au regard des effectifs de la ville mais le prisme de l’EMA ne permet en rien de voir une mesure illégale. La ville de Marseille est en droit de refuser une rupture conventionnelle et le motif qu’elle invoque pour ce faire ne nous parait entaché d’aucune EMA.
Par ces motifs nous concluons donc au rejet de la requête ainsi que, dans les circonstances de l’espèce, au rejet des conclusions de la commune liées aux frais d’instance.