Cette décision est particulièrement intéressante et utile sur le plan pratique, en particulier pour les services instructeurs dans la mesure où elle souligne le caractère très important de cette phase, notamment l’examen des pièces produites au soutien d’une demande de permis de construire.
Si l’affaire peut en apparence apparaître assez simple, elle renvoie en réalité à une question essentielle celle de savoir quelles sont les pièces qui peuvent être demandées par un service instructeur pour proroger le délai d’instruction d’un permis de construire et par voie de conséquence faire obstacle à la naissance d’un permis tacite.
En l’espèce, une demande de permis de construire a été déposée le 4 avril 2018 par un particulier pour réaliser des travaux de confort, de commodité et de mise aux normes d’un bastidon. Par courrier reçue le 18 avril 2018, la commune d’Aix‑en‑Provence a sollicité des pièces complémentaires pour l’instruction de ce permis. Le service instructeur avait à cet égard demandé la lettre par laquelle le préfet lui a fait connaître que son dossier de demande d'autorisation de défrichement était complet, la copie de l'autorisation d'urbanisme ayant permis le changement de destination de la construction et enfin, une « mise en cohérence » du tableau des surfaces avec les surfaces indiquées sur les plans du dossier.
Le pétitionnaire n’ayant pu répondu à la demande de la commune dans le délai de trois mois, une décision de rejet tacite est née conformément aux dispositions l'article R. 423‑39 du code de l'urbanisme. Le pétitionnaire a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler pour excès de pouvoir la décision tacite de rejet, née du silence gardé par le maire d'Aix‑en‑Provence sur sa demande de permis de construire. Le tribunal a rejeté le recours. Ce jugement a fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État1. Le Conseil d’État a attribué l’affaire à la cour administrative d’appel de Marseille en rappelant que l’article R. 811‑1‑1 du code de justice administrative ne vise que des jugements statuant sur des recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d'aménager et non les jugements statuant sur des recours formés contre des refus d'autorisation.
La cour devait trancher sur le fond la question de savoir si la commune dans le cadre de l’instruction de ce permis pouvait rejeter la demande de permis de construire en raison de l’incomplétude du dossier.
La cour devait préalablement examiner la légalité de la demande de pièces complémentaires dans le cadre l’instruction du dossier de permis, avant de se prononcer sur l’existence d’un permis tacite.
Sur la légalité de la demande de pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’un permis de construire
Pour rappel, l’examen d’un dossier de demande de permis de construire est strictement encadré par les dispositions du code de l’urbanisme. Il en est ainsi des demandes de pièces complémentaires lors l’instruction d’un permis de construire. Ces demandes de pièces ont été plus strictement encadrées par loi Elan (L. 423‑1 code de l’urbanisme) et les décrets pris en application. En effet, le code de l'urbanisme prévoit désormais que le dossier joint aux demandes de permis et de déclarations ne peut comprendre qu'une liste limitative de pièces. L'article R. 423‑41 ajouté au code de l'urbanisme dispose que :
« Une demande de production de pièce manquante notifiée après la fin du délai d'un mois prévu à l'article R. 423-38 ou ne portant pas sur l'une des pièces énumérées par le présent code n'a pas pour effet de modifier les délais d'instruction définis aux articles R. 423‑23 à R. 423‑37‑1 et notifiés dans les conditions prévues par les articles R. 423‑42 à R. 423‑49. ».
Les articles R. 423‑38 et R. 423‑39 du code de l'urbanisme précisent à cet égard que, lorsque le dossier du pétitionnaire ne comprend pas toutes les pièces exigées en application du code de l'urbanisme, l'autorité compétente indique dans le délai d'un mois les pièces manquantes à adresser. Il s’agit d’un délai dit « non franc ». À défaut de la production des pièces manquantes passé un délai de trois mois, la demande fera l'objet d'une décision tacite de rejet en cas de demande de permis ou d'une décision tacite d'opposition en cas de déclaration préalable (art. R. 423‑32 CU).
Si les compléments sont produits, le délai d'instruction commence à courir à compter de la réception de ces derniers, à la date de complétude du dossier. Ce délai varie selon l’autorisation d’urbanisme demandée.
Or, les services instructeurs doivent s’assurer que les pièces peuvent être sollicitées au regard des dispositions du code de l’urbanisme. En effet, la vérification imposée aux services de l’urbanisme ne peut se faire que sur la base du dossier de demande de permis de construire (art. R. 431‑4 du code de l’urbanisme). Le dossier de permis de construire ne doit contenir que les seuls éléments visés aux articles R. 431‑5 à R. 431‑12 du code de l’urbanisme. La demande doit porter soit sur une pièce absente du dossier alors qu’elle est exigible en application du a) de l’article R. 431‑4 du code de l’urbanisme, soit sur une pièce complémentaire visées aux articles R. 431‑13 à R. 431‑33‑1 de ce code, soit sur les informations prévues aux articles R. 431‑34 et R. 431‑34‑1 du code.
Il est de jurisprudence bien établie que les services instructeurs ne peuvent exiger du pétitionnaire la production d’aucune autre information ou pièce que celles expressément prévues par ces dispositions2. Dit autrement, aucune pièce non prévue par le code d’urbanisme ne peut donc être demandée par les services instructeurs.
L’arrêt de la cour en offre une nouvelle illustration.
Or en l’espèce, la cour a jugé qu'aucune des trois pièces complémentaires demandées par le maire de la commune ne remplissait l'une des conditions visées par les textes susvisés et a annulé, en conséquence, la lettre par laquelle le pétitionnaire a été informé de ce que sa demande de permis de construire avait fait l'objet d'un rejet tacite en application de l'article R. 423‑39 du code de l'urbanisme.
Il en était ainsi de la demande de pièces relative à l’autorisation de défrichement régie par l'article R. 431-19 du code de l'urbanisme. L’article dispose que
« Lorsque les travaux projetés nécessitent une autorisation de défrichement en application des articles L. 341‑1, L. 341‑3 et L. 214‑13 du code forestier, la demande de permis de construire est complétée par la copie de la lettre par laquelle le préfet fait connaître au demandeur que son dossier de demande d'autorisation de défrichement est complet, si le défrichement est ou non soumis à reconnaissance de la situation et de l'état des terrains et si la demande doit ou non faire l'objet d'une enquête publique ».
La cour a jugé qu’ « il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que les travaux objets de la demande de permis de construire déposée par M. A, qui portaient (...) sur des “travaux de confort, de commodité et de mises aux normes sur un bastidon d'habitation existant” impliquait un quelconque défrichement, au sens de l'article L. 341‑1 du code forestier ».
On rappellera que l’autorisation de défrichement constitue un préalable à la délivrance du permis d’aménager en ce qu’elle constitue une condition de recevabilité de la demande de permis, et peut le cas échéant en affecter sa légalité3, sous réserve que l’opération envisagée entre dans le champ de l’article précité. En effet, le défrichement vise toute opération volontaire ayant pour effet de détruire l'état boisé d'un terrain et de mettre fin à sa destination forestière ou toute opération volontaire entraînant indirectement et à terme les mêmes conséquences, sauf si elle est entreprise en application d'une servitude d'utilité publique. La cour a fort logiquement jugé que des travaux de confort, de commodité et de mises aux normes sur un bastion d’habitation existant ne nécessitait pas une autorisation de défrichement sauf à avoir une lecture « très extensive » des dispositions citées.
De plus, elle a relevé qu’il n'y avait aucune incohérence entre les surfaces indiquées dans les pièces qui composaient sa demande de permis de construire, justifiant une demande complémentaire. Enfin, la cour a jugé que le maire de la commune d'Aix‑en‑Provence ne pouvait demander au pétitionnaire de produire, pour compléter sa demande de permis de construire, la copie de l'autorisation d'urbanisme ayant permis de procéder au changement de la destination du bastidon dont il est propriétaire car il ne s’agit pas des pièces qui peuvent être demandées à l'appui d'une telle demande, conformément aux articles R. 431‑1 à R. 431‑37 du code de l'urbanisme.
Dès lors, la Cour devait en tirer toutes les conséquences juridiques sur la délivrance de l’autorisation d’urbanisme, notamment si cela fait naître une autorisation d’urbanisme tacite.
Sur les effets attachés à l’illégalité de la demande de pièces complémentaires sur la délivrance de l’autorisation d’urbanisme
Pour rappel, selon la jurisprudence administrative, la demande d’un service instructeur visant à compléter un dossier d’autorisation d’urbanisme ne peut avoir pour effet d’interrompre ou de modifier le délai d’instruction que dans la seule hypothèse où la pièce est exigible au titre du code de l’urbanisme ou qu’une information obligatoire est nécessaire à l’instruction du permis de construire4.
Cette analyse est confirmée par la décision de la cour.
Il convient de rappeler que le délai d’instruction d’une autorisation d’urbanisme court à compter de la réception d’un dossier complet (art. R. 423‑19 code de l’urbanisme). À défaut de notification dans le délai d’un mois d’une demande de pièces complémentaires, le dossier est réputé complet (art R. 423‑22 du code de l’urbanisme).
Le dossier de demande est donc réputé complet si l’autorité compétente n’a pas, dans le délai d’un mois à compter du dépôt du dossier en mairie ou au service instructeur, notifié au pétitionnaire la liste des pièces manquantes. Il en est de même si cette demande de production de pièces est notifiée après la fin du délai d’un mois ou qu’elle ne porte pas sur l’une des pièces énumérées par le code de l’urbanisme, la demande ne modifie pas le délai d’instruction du dossier. Il en est également ainsi lorsque le projet évolue en cours d’instruction même si la demande est accompagnée de pièces nouvelles sous réserve que la modification soit mineure5.
Se posait en revanche la question de savoir si une demande illégale de pièces complémentaires était de nature à faire naître une autorisation tacite.
En l’absence des dispositions législatives et règlementaires tranchant cette question, cela n’allait pas de soi. En effet, selon le Conseil d’État, si une demande de pièces complémentaires irrégulières pouvait faire l’objet d’une annulation par le juge de l’excès de pouvoir, le pétitionnaire ne pouvait pas pour autant se prévaloir d’un permis tacite6. Il en était également de même s’agissant d’une déclaration préalable de travaux7.
Avec l’encadrement plus strict des demandes de pièces complémentaires par la loi Elan, une évolution était attendue par les praticiens. Le Conseil d’État, statuant en référé, va finalement faire évoluer sa jurisprudence. Ainsi, dans sa décision du 9 décembre 2022, il considère que la demande illégale de pièces complémentaires ne fait pas obstacle à la naissance d’une autorisation d’urbanisme tacite à l’expiration du délai d’instruction8.
Dit autrement, à défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction, le silence gardé par l’autorité compétente vaut décision d’acceptation tacite de la demande. Cette solution est une évolution attendue et logique d’un point de vue pratique.
La décision rendue par la cour s’inscrit dans le droit fil de cette décision. La cour a, ainsi considéré que « la demande de complément, qui portait sur une pièce qui n'était pas apparemment exigible, n'était donc pas davantage de nature à interrompre ou à modifier le délai d'instruction ni à faire obstacle à la naissance d'un permis tacite ». Cette solution confirme le revirement de jurisprudence opéré par le Conseil d’État.
Sur le plan pratique et en cas de refus de permis de construire au terme de l'instruction de sa demande, irrégulièrement prorogée, le pétitionnaire pourra obtenir l’annulation par le juge administratif. En effet, ce refus devra être requalifié en retrait d’une autorisation tacite. Le retrait ne peut être qu’illégal dès lors qu’il n’y a pas eu de procédure contradictoire préalable avant la décision prise de retirer l’autorisation tacite. Le permis de construire étant une décision créatrice de droits, son retrait est obligatoirement soumis à une procédure contradictoire permettant à l’autorité compétente de procéder à son retrait dans un délai de 3 mois après sa délivrance (art. L. 424‑5 du code de l’urbanisme). C’est seulement dans l’hypothèse où le permis de construire a été obtenu de manière frauduleuse qu’il peut être retiré sans délai sous réserve de respecter une procédure contradictoire9.
Les services instructeurs devront donc être vigilants et se borner à demander des pièces pour autant qu’elles sont exigées en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme relatif au régime applicable aux constructions, aménagements et démolitions.