Le juge de l’excès de pouvoir peut valablement faire droit à une demande de substitution portant sur les motifs d’une décision de retrait de permis de construire

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Décision de justice

CAA Marseille, 1re chambre – N° 22MA01857 – 21 mars 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA01857

Numéro Légifrance : CETATEXT000049313867

Date de la décision : 21 mars 2024

Index

Rubriques

Procédure

Résumé

Une commune ne s’est pas prononcée dans le délai d’instruction d’une demande de permis de construire, et le pétitionnaire est devenu ainsi titulaire d’un permis de construire tacite. La commune a alors engagé une procédure contradictoire en invitant le pétitionnaire à présenter ses observations sur l’éventualité d’un retrait de ce permis de construire, puis a procédé à ce retrait. La cour infirme les motifs de la décision de retrait. Elle examine ensuite la demande de substitution de motif présentée par la commune. Elle juge que la seule circonstance qu’une décision de retrait d’un permis de construire soit soumise à une procédure contradictoire préalable, en vertu des dispositions des articles L. 122‑1 et L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration, ne prive pas l’administration de la possibilité de demander, devant le juge administratif, une substitution de motifs dès lors que, dans le cadre de la procédure juridictionnelle, le requérant est mis à même de présenter ses observations sur le motif substitué et n’est donc pas privé, quant au contradictoire, d’une garantie de procédure.

cf. CE, Section, 6 février 2004, Mme Hallal, no 240560, p. 48.

Comp CAA, Bordeaux, 3 novembre 2020, nos 19BX03698, 19BX03719.

Commentaire

Didier Del Prete

Maître de conférences en droit public à Sciences Po-Aix, avocat associé (Selarl Borel Del Prete)

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DOI : 10.35562/amarsada.513

Contentieux de la légalité, substitution de motif

Le maire d’une commune peut-il opérer une substitution de motif dans le contentieux de la légalité d’un retrait d’un permis de construire obtenu tacitement sans méconnaître les dispositions des articles L. 122‑1 et L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration ?

Cette décision illustre l’office du juge de l’excès de pouvoir, et la possibilité pour l’administration de procéder à une substitution de motif, de droit ou de fait autre que celui initialement retenu dans le contentieux de l’urbanisme.

Il s’agissait en l’espèce pour le tribunal administratif de Toulon de se prononcer sur la légalité d’un arrêté du 11 mai 2021 par lequel le maire de Sainte-Maxime avait procédé au retrait d’un permis de construire tacite dont les bénéficiaires étaient la société à responsabilité limitée (SARL) C. et la SARL I... Par le même arrêté, il avait également refusé la délivrance de ce permis de construire.

Au-delà de l’ensemble des motifs de retrait du permis tacite, il est intéressant de relever que la commune a utilisé la substitution de motifs pour démontrer l’illégalité du permis tacitement obtenu.

Cette décision de la cour de Marseille présente un double intérêt :

de rappeler l’importance de la technique de la substitution de motif dans le contentieux de l’urbanisme, cette faculté n’étant pas en contradiction avec les dispositions des articles L. 122‑1 et L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration,

de l’absence d’illégalité de recourir à la substitution de motifs dans le cadre d’une procédure de retrait d’un permis tacite.

Sur la substitution des motifs dans le contentieux de l’urbanisme

Pour rappel, la substitution des motifs avait d’abord été admise pour le juge de plein contentieux (CE, 23 novembre 2001, Compagnie Air France, no 195550, p. 576 ; CJEG 2002, p. 230, concl. Isabelle de Silva). Le Conseil d’État a ensuite admis la possibilité, pour le juge de l’excès de pouvoir, de procéder à une substitution de motifs en 2004 (CE, Sect., 6 février 2004, Hallal, no 240560) en opérant un revirement de jurisprudence (CE, Sect., 23 juillet 1976, Ministre du Travail c/ Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales du Jura, no 96526, p. 362 ; AJDA 1976, p. 416, chron. M. Nauwelaers et L. Fabius, Rev. adm. 1976, p. 607, concl. M. Dondoux).

En effet, le Conseil d’État reconnaît que l’administration a la possibilité, pour éviter l’annulation d’une décision, de faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir, un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il peut en être ainsi tant en première instance qu’en appel (CAA, Douai, 25 mai 2004, Commune de Vred, no 01DA00264, AJDA 2004, p. 2342, concl. M. Michel).

Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif.

En pareille hypothèse, le juge peut procéder à la substitution demandée, à condition cependant qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué.

Cette technique a également été consacrée dans le contentieux de l’urbanisme. Le juge administratif a cependant tenu à rappeler que la substitution de motifs ne pouvait qu’émaner de l’auteur de la décision attaquée. Il a donc écarté cette possibilité pour le tiers qui aurait eu intérêt à soulever cette demande (CE, 16 juillet 2014, SAS La Tourelle, no 368784 ; CE, 23 juillet 2014, Société Istres invest III, no 372515). La cour administrative d’appel le rappelle d’ailleurs dans son arrêt. Elle indique que « seule l’administration peut, conformément aux principes rappelés au point 9, demander une telle substitution au juge de l’excès de pouvoir ».

La remise en cause de cette possibilité pour l’administration dans le contentieux de l’urbanisme a été discutée.

En effet, s’est posée la question de savoir si l’article 108 de la loi no 2015-990 du 6 août 2015 dite loi « Macron » (codifié à l’article L. 424‑3 du code de l’urbanisme) obligeant la personne publique à indiquer l’intégralité des motifs justifiant sa décision de rejet ou d’opposition était de nature à remettre en cause cette faculté de substitution de motifs dans le contentieux de l’urbanisme.

Il était légitime de s’interroger sur le maintien de cette technique contentieuse dans la mesure où tous les motifs devaient être évoqués lors de la délivrance de l’arrêté refusant d’accorder au pétitionnaire son autorisation d’urbanisme. Autrement dit, cela paraissait logique que l’administration ne puisse pas soulever un nouveau motif devant la juridiction administrative. Cette interprétation finaliste de l’article précité n’a pas été retenue par le Conseil d’État.

En effet, le Conseil a adopté une lecture différente de cet article en considérant que la possibilité pour l’administration de faire valoir devant le juge que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision (CE, 19 mai 2021, Commune de Rémire-Montjoly, no 435109).

Sur l’absence d’illégalité de recourir à la substitution de motifs dans le cadre d’une procédure de retrait d’un permis tacite

Dans la décision rendue par la cour, il s’agissait de savoir si la technique de la substitution de motifs pouvait être utilisée dans le cadre d’une procédure de retrait d’un permis tacite. Il arrive fréquemment qu’une commune ne se prononce pas dans le délai d’instruction d’une demande de permis de construire, faisant ainsi naître un permis de construire tacite pour le pétitionnaire.

En cas de retrait d’un permis tacitement obtenu, l’administration a l’obligation d’engager une procédure contradictoire en invitant le pétitionnaire à présenter ses observations sur l’éventualité d’un retrait de ce permis de construire en vertu des dispositions des articles L. 122‑1 et L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration. C’est seulement après cette phase contradictoire qu’elle peut procéder au retrait dudit permis.

Il en était ainsi en l’espèce s’agissant de l’arrêté du 11 mai 2021 pris par le maire de Sainte‑Maxime au terme duquel il avait procédé au retrait d’un permis de construire tacite.

Dans cette décision, la cour a infirmé les motifs de la décision de retrait. Elle a ensuite examiné la demande de substitution de motif présentée par la commune.

Elle a, à cet égard, précisé que la seule circonstance qu’une décision de retrait d’un permis de construire soit soumise à une procédure contradictoire préalable n’avait pas pour effet de priver l’administration de la possibilité de demander, devant le juge administratif, une substitution de motifs.

Cette possibilité est admise dans le cadre de la procédure juridictionnelle, dès lors que le requérant est mis à même de présenter ses observations sur le motif substitué. Il s’agit de préserver le principe du contradictoire en tant que garantie procédurale.

La solution ainsi retenue n’est en réalité guère surprenante en l’état de la jurisprudence.

C’est en ce sens que s’est prononcée la cour administrative d’appel de Bordeaux dans un arrêt en date 3 novembre 2020 (CAA, Bordeaux, 3 novembre 2020, nos 19BX03698, 19BX03719).

En effet, la cour bordelaise y a indiqué :

« Une décision de retrait d’un permis de construire, qui est une décision soumise à une procédure contradictoire préalable […] n’est pas, de ce seul fait, exclue du champ de la substitution de motifs dès lors que dans le cadre de la procédure juridictionnelle, le requérant est mis à même de présenter ses observations sur le motif substitué et n’est donc pas privé, quant au contradictoire, d’une garantie de procédure liée au motif substitué ».

Cependant, cette faculté peut être limitée lorsque cela a pour effet de priver le pétitionnaire d’une garantie procédurale.

Ainsi en a jugé la cour administrative d’appel de Bordeaux dans l’arrêt précité. En effet, elle a indiqué que

« dans l’hypothèse où les motifs de retrait invoqués au titre de la substitution auraient pu, à l’occasion d’une procédure de contradictoire préalable au retrait, donner lieu à une demande de permis de construire modificatif de la part du pétitionnaire, la substitution de motifs demandée devant le juge, qui ne permet pas le dépôt d’une demande de permis modificatif, a pour effet de le priver d’une garantie de procédure ».

De même, par un arrêt du 13 juin 2024, la cour administrative d’appel de Paris a récemment jugé qu’une demande de substitution de motifs de refus ou de retrait d’une autorisation d’urbanisme en cours d’instance pouvait être rejetée par le juge administratif, y compris lorsque le motif invoqué est fondé, dès lors que les circonstances de l’espèce le justifient (CAA Paris, 13 juin 2024, Commune de Villemomble, no 23PA01626).

Cette solution permet de réguler les demandes de substitution de motifs qui ne sont pas en réalité très sérieuses, et permet d’éviter la multiplication de demandes de substitution de motifs difficilement acceptables pour le pétitionnaire, notamment lorsque la demande de permis de construire ne présentait aucune difficulté sérieuse (telle l’hypothèse, jugée par l’arrêt de la cour de Paris précité, de la méconnaissance des dispositions de l’article 11.3 du règlement du PLU relative aux pentes de toitures)1. Il en allait différemment dans l’arrêt de la cour dans la mesure où il s’agissait d’une méconnaissance des dispositions de l’article L. 121‑13 du code de l’urbanisme relatif aux conditions d’extension de l’urbanisme dans des espaces proches du rivage. Le terrain d’assiette du projet était en effet situé à environ 240 mètres du rivage. Or il ne ressortait pas des pièces du dossier que l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage était justifiée et motivée par le plan local d’urbanisme de la commune de Sainte‑Maxime. De plus, cette extension de l’urbanisation n’avait reçu selon la cour aucune approbation de l’autorité administrative compétente de l’État. Un tel motif est un motif sérieux justifiant le retrait du permis de construire délivré par le maire de la commune de Sainte‑Maxime.

Il résulte de ce qui précède que la substitution de motifs ne peut être soulevée en toutes hypothèses. Le juge doit vérifier que cette demande formulée dans le cadre du contentieux ne prive pas le pétitionnaire d’une garantie. Il en est par exemple ainsi que lorsque le dossier de demande d’un permis de construire est incomplet et que l’administration rejette cette demande sans avoir demandé au pétitionnaire de compléter son dossier.

René Chapus écrivait à propos de la substitution de motifs que :

« l’état du droit s’éloigne de la conception « classique » du contentieux de l’excès de pouvoir, du fait de cette solution qui contribue (avec tant d’autres, aujourd’hui) à libérer le recours pour excès de pouvoir du carcan logique (formaliste) qui lui était destiné »

(Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 12e éd., p. 983). Le contentieux de l’urbanisme offre une nouvelle illustration conciliant une nouvelle fois la légalité administrative et les droits du pétitionnaire.

Notes

1 Cela concernait deux angles de toiture, dont l’un n’était pas compris entre 30° et 45°. La cour en a déduit que : « l’irrégularité qui affecte le permis de construire ne présente qu’un caractère mineur, ainsi qu’en atteste sa découverte tardive par la commune ». Retour au texte

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Conclusions du rapporteur public

Marc‑Antoine Quenette

Rapporteur public

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DOI : 10.35562/amarsada.514

L’administration n’est jamais obligée d’examiner un permis modificatif avant de retirer un permis illégalement octroyé

Si le permis de construire modificatif est un outil puissant pour régulariser un permis de construire entaché d’irrégularité contesté par un tiers, il ne peut faire échec, sans coopération de l’administration, à une procédure de retrait. Il est toujours loisible pour l’administration de retirer un permis illégal sans examiner une demande de permis modificatif visant à régulariser les vices. C’est l’un des enseignements qui peut être tiré de l’arrêt en C+ no°22MA01857 rendu par la cour administrative d’appel de Marseille le 21 mars 2024, qui s’oppose à la solution rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux (19BX03698 du 3 novembre 2020 en C+), cette dernière voyant dans le permis de construire modificatif une garantie procédurale.

Un retrait de permis de construire à l’initiative de l’autorité administrative est soumis à une procédure contradictoire préalable (CE 23 avril 2003, Société Bouygues Immobilier, no249712).

Le respect du caractère contradictoire de la procédure constitue une garantie au sens de la jurisprudence Danthony pour le titulaire du permis que l’autorité administrative entend rapporter (CE du 30 décembre 2015, Société Polycorn, n383264 ; CE 12 juin 2023, Société Bobigny Indépendance, n465241). Le pétitionnaire doit être en mesure de présenter des observations écrites, voire orales s’il en a sollicité l’administration (CE 12 juin 2023, Société Bobigny Indépendance, n465241).

Devant le juge, il est loisible à l’administration de demander une substitution de motif dans le cadre d’un retrait de permis

Il appartient alors au juge rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif. Cette substitution de motif ne peut être accueillie par le juge que si elle ne prive pas le pétitionnaire d’une garantie procédurale (CE 6 février 2004, Mme Hallal, n240560 ; CE 27 février 2008, Mme Gautier, no°289945).

La circonstance que les motifs substitués n’aient pas été débattus lors de la procédure contradictoire préalable ne prive nullement le pétitionnaire de cette garantie

Le débat contradictoire, initié pendant la phase administrative, se prolonge en effet devant le juge. Ainsi, Célia Vérot dans ses conclusions sous la décision M. Jaunay (CE, 15 oct. 2007, n275810), indique que « dans le cadre de la procédure juridictionnelle, le requérant est mis à même de présenter ses observations sur le motif substitué, dans des conditions équivalentes à celles dont il aurait bénéficié devant l’administration ». Cette possibilité de substitution a d’ailleurs depuis longtemps été consacrée dans le contentieux fiscal, pour lequel le respect de la procédure contradictoire est prévu par la loi hors taxation d’office (CE 1er mars 1972, Société Hôtel Columbia, no 79974), avant même sa codification à l’article L. 199 C du livre de procédure fiscale (CE, 11 juillet 1969, Dupont, no76066, CE 20 juin 2007, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ SA Ferette, n290554). Juger autrement conduirait à une stratégie poussant un pétitionnaire à esquiver un débat contradictoire de qualité dans sa phase administrative, pour réserver ses arguments à la phase juridictionnelle et cristalliser ainsi les motifs initiaux retenus par l’administration. C’est l’administration qui se retrouverait ainsi privée de débat contradictoire faute de débatteur.

Dans le cas examiné par la cour, le pétitionnaire n’avait d’ailleurs nullement engagé le débat contradictoire à l’écrit ou à l’oral, ce qui a empêché la commune de Saint‑Raphaël de voir que les motifs invoqués dans sa lettre de mise en demeure avant retrait n’étaient pas juridiquement fondés. Ainsi, la garantie du débat contradictoire préalable porte davantage sur le principe du retrait pour illégalité que sur les motifs définitifs du retrait, pourvu que l’administration engage loyalement ce débat, lequel peut conduire, même tardivement, l’administration à modifier sa position.

Le tribunal administratif de Toulon a néanmoins considéré que le motif substitué, dès lors qu’il est régularisable et n’est invoqué que devant le juge, privait le pétitionnaire de l’opportunité de déposer un permis modificatif

Cette solution est directement issue d’un arrêt fiché de la cour administrative de Bordeaux no°19BX03698 du 3 novembre 2020. Il est clair que dès lors qu’un retrait de permis est prononcé par le maire, ce retrait fait obstacle à ce qu’un permis modificatif ne soit déposé, l’annulation du permis initial privant de base légale le permis modificatif (CE 29 décembre 1997, SCI Résidence Isabella, no104903 ; CE, 9 avril 2014, Commune de Saint‑Martin‑le‑Vinoux, no°338363). Le tribunal constate ainsi qu’il n’était possible au pétitionnaire de déposer un permis modificatif qu’au stade du débat contradictoire pour faire échec à ce retrait.

Le pétitionnaire aurait dès lors été privé d’une garantie procédurale faute d’avoir pu déposer un permis modificatif pour purger le vice, tout comme, par analogie, un contribuable se voit privé d’accès à la commission départementale des impôts si le motif substitué relève de sa compétence (CE 20 juin 2007, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ SA  Ferette, no290554).

Cependant, aucune disposition légale ou réglementaire ne fait obligation à l’administration d’examiner une demande de permis modificatif avant de retirer un permis de construire illégalement délivré

Comme le rappelle Nicolas Agnoux dans ses conclusions sous la décision Mme Vinclair (CE, 26 juillet 2022 n437765), la possibilité pour le pétitionnaire de solliciter un permis modificatif que l’on peut qualifier de « spontané » n’est régie « par aucune prescription législative ou réglementaire, si l’on excepte l’arrêté, codifié à l’article A. 431‑7 du code de l’urbanisme, qui en définit le formulaire Cerfa (no°13411*01) ». Il ajoute que cette faculté est née de la pratique et a été consacrée par la doctrine administrative (circulaire no°73‑58 du 16 mars 1973) pour des motifs de bon sens, un projet étant amené à évoluer. Il ne peut être confondu totalement avec le permis de régularisation consacré par la loi ELAN avec les articles L. 600‑5 et 600‑5‑1 du code de l’urbanisme pour pallier pendant la phase juridictionnelle une irrégularité d’un permis délivré – et non retiré, même si les régimes des deux permis ont été rapprochés par la décision Vinclair (CE, 26 juillet 2022, préc.).

Cependant, s’il est loisible pour un pétitionnaire d’introduire un permis de construire modificatif spontané lors du débat contradictoire précédant le retrait d’un permis initial, l’administration n’a aucune obligation à l’examiner avant de se prononcer sur le retrait dudit permis. Au contraire, le dépôt d’un tel permis modificatif signe l’illégalité du permis initial et peut pousser l’administration à retirer de plus fort le permis illégalement délivré. D’ailleurs, l’administration dispose d’un délai minimum de deux mois pour instruire la demande de permis modificatif, délai qui peut se révéler incompatible avec le délai de retrait, qui doit intervenir dans les trois mois suivant l’édiction de l’acte illégal (article L. 424‑5 du code de l’urbanisme).

Un délai effectif d’une dizaine de jour avant retrait pour permettre le débat contradictoire est d’ailleurs jugé suffisant (CE du 30 décembre 2015, Société Polycorn, n383264). Il est à noter qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne suspend ce délai de retrait au motif qu’une demande de permis modificatif aurait été introduite. Or, ce n’est que l’octroi du permis modificatif qui purge l’illégalité du permis initial (CE 9 décembre 1994, SARL Séri, no 116447, aux tables), en aucun cas le simple dépôt d’une demande de permis modificatif. L’instruction préalable au retrait de la demande de permis modificatif ne peut qu’être une faveur octroyée par l’administration face à un permis illégalement délivré qu’elle entend retirer, en aucun cas une garantie. Il est d’ailleurs plus sûr pour un pétitionnaire de déposer un nouveau permis si les règles d’urbanisme n’ont pas changé, étant précisé qu’un pétitionnaire n’a jamais de droit au maintien des règles d’urbanismes antérieures.

La confusion des juges de première instance vient de l’objectif respectif des permis modificatifs, en fonction qu’ils soient spontanés ou suscités par une juridiction

L’objectif premier d’un permis de construire spontané est de donner au pétitionnaire un droit d’amendement à son projet, pour faire face tant à des regrets qu’à des vicissitudes matérielles, techniques ou économiques propres à tout projet de construction qui s’étale dans le temps. Ce droit d’amendement peut être exercé, que le permis initial soit définitif ou non, pourvu que la construction n’ait pas été entièrement achevée (CE 25 novembre 2020, M. et Mme Nuvoloni no°429623). Ce droit d’amendement a d’ailleurs été récemment encadré au stade de l’instruction, avant même que le permis ne soit délivré, par la haute assemblée (CE 1er décembre 2023, Commune de Gorbio, no°448905).

L’objectif premier du permis de construire de régularisation suscité par les juridictions sur le fondement des dispositions des articles L. 600‑5 et L. 600‑5‑1 du code de l’urbanisme est quant à lui de permettre de mener à bien un projet autorisé par l’autorité administrative mais entaché de vices régularisables relevés par des tiers et non par l’administration qui agrée le projet. Le juge est d’ailleurs tenu de procéder à une annulation partielle ou de prononcer un sursis à statuer si le permis contesté est régularisable et que le pétitionnaire le souhaite. Si le pétitionnaire peut, avant même que la juridiction ne se prononce, purger au moyen d’un permis modificatif spontané un vice attaqué par un tiers sans attendre que les juges ne se prononcent (CE 9 décembre 1994, SARL Séri, no116447), de manière à ce que la juridiction se penche sur le permis ainsi modifié (CE 8 décembre 1995, Association de défense des riverains de Central Park, no122319), cela nécessite une collaboration de l’administration pour délivrer rapidement le permis modificatif pendant la phase précontentieuse ou contentieuse. Par ailleurs, rien n’empêche à l’occasion d’un permis de régularisation de modifier au-delà des vices relevés par le juge un projet. En ce sens, le permis modificatif spontané et le permis de régularisation finissent par se confondre (voir l’abandon de la jurisprudence CE, Section, 26 juillet 1982, Le Roy, no°23604 par la décision Vincler du 26 juillet 2022 no°437765, pour se rapprocher de l’avis 2 octobre 2020, M. Barrieu, no°438318).

Un tel permis se révèle d’aucune utilité face à un retrait de permis de construire illégalement délivré par l’administration que cette dernière entend retirer sans examiner le permis modificatif spontané.

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