Contentieux de la légalité, substitution de motif
Le maire d’une commune peut-il opérer une substitution de motif dans le contentieux de la légalité d’un retrait d’un permis de construire obtenu tacitement sans méconnaître les dispositions des articles L. 122‑1 et L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration ?
Cette décision illustre l’office du juge de l’excès de pouvoir, et la possibilité pour l’administration de procéder à une substitution de motif, de droit ou de fait autre que celui initialement retenu dans le contentieux de l’urbanisme.
Il s’agissait en l’espèce pour le tribunal administratif de Toulon de se prononcer sur la légalité d’un arrêté du 11 mai 2021 par lequel le maire de Sainte-Maxime avait procédé au retrait d’un permis de construire tacite dont les bénéficiaires étaient la société à responsabilité limitée (SARL) C. et la SARL I... Par le même arrêté, il avait également refusé la délivrance de ce permis de construire.
Au-delà de l’ensemble des motifs de retrait du permis tacite, il est intéressant de relever que la commune a utilisé la substitution de motifs pour démontrer l’illégalité du permis tacitement obtenu.
Cette décision de la cour de Marseille présente un double intérêt :
de rappeler l’importance de la technique de la substitution de motif dans le contentieux de l’urbanisme, cette faculté n’étant pas en contradiction avec les dispositions des articles L. 122‑1 et L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration,
de l’absence d’illégalité de recourir à la substitution de motifs dans le cadre d’une procédure de retrait d’un permis tacite.
Sur la substitution des motifs dans le contentieux de l’urbanisme
Pour rappel, la substitution des motifs avait d’abord été admise pour le juge de plein contentieux (CE, 23 novembre 2001, Compagnie Air France, no 195550, p. 576 ; CJEG 2002, p. 230, concl. Isabelle de Silva). Le Conseil d’État a ensuite admis la possibilité, pour le juge de l’excès de pouvoir, de procéder à une substitution de motifs en 2004 (CE, Sect., 6 février 2004, Hallal, no 240560) en opérant un revirement de jurisprudence (CE, Sect., 23 juillet 1976, Ministre du Travail c/ Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales du Jura, no 96526, p. 362 ; AJDA 1976, p. 416, chron. M. Nauwelaers et L. Fabius, Rev. adm. 1976, p. 607, concl. M. Dondoux).
En effet, le Conseil d’État reconnaît que l’administration a la possibilité, pour éviter l’annulation d’une décision, de faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir, un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il peut en être ainsi tant en première instance qu’en appel (CAA, Douai, 25 mai 2004, Commune de Vred, no 01DA00264, AJDA 2004, p. 2342, concl. M. Michel).
Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif.
En pareille hypothèse, le juge peut procéder à la substitution demandée, à condition cependant qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué.
Cette technique a également été consacrée dans le contentieux de l’urbanisme. Le juge administratif a cependant tenu à rappeler que la substitution de motifs ne pouvait qu’émaner de l’auteur de la décision attaquée. Il a donc écarté cette possibilité pour le tiers qui aurait eu intérêt à soulever cette demande (CE, 16 juillet 2014, SAS La Tourelle, no 368784 ; CE, 23 juillet 2014, Société Istres invest III, no 372515). La cour administrative d’appel le rappelle d’ailleurs dans son arrêt. Elle indique que « seule l’administration peut, conformément aux principes rappelés au point 9, demander une telle substitution au juge de l’excès de pouvoir ».
La remise en cause de cette possibilité pour l’administration dans le contentieux de l’urbanisme a été discutée.
En effet, s’est posée la question de savoir si l’article 108 de la loi no 2015-990 du 6 août 2015 dite loi « Macron » (codifié à l’article L. 424‑3 du code de l’urbanisme) obligeant la personne publique à indiquer l’intégralité des motifs justifiant sa décision de rejet ou d’opposition était de nature à remettre en cause cette faculté de substitution de motifs dans le contentieux de l’urbanisme.
Il était légitime de s’interroger sur le maintien de cette technique contentieuse dans la mesure où tous les motifs devaient être évoqués lors de la délivrance de l’arrêté refusant d’accorder au pétitionnaire son autorisation d’urbanisme. Autrement dit, cela paraissait logique que l’administration ne puisse pas soulever un nouveau motif devant la juridiction administrative. Cette interprétation finaliste de l’article précité n’a pas été retenue par le Conseil d’État.
En effet, le Conseil a adopté une lecture différente de cet article en considérant que la possibilité pour l’administration de faire valoir devant le juge que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision (CE, 19 mai 2021, Commune de Rémire-Montjoly, no 435109).
Sur l’absence d’illégalité de recourir à la substitution de motifs dans le cadre d’une procédure de retrait d’un permis tacite
Dans la décision rendue par la cour, il s’agissait de savoir si la technique de la substitution de motifs pouvait être utilisée dans le cadre d’une procédure de retrait d’un permis tacite. Il arrive fréquemment qu’une commune ne se prononce pas dans le délai d’instruction d’une demande de permis de construire, faisant ainsi naître un permis de construire tacite pour le pétitionnaire.
En cas de retrait d’un permis tacitement obtenu, l’administration a l’obligation d’engager une procédure contradictoire en invitant le pétitionnaire à présenter ses observations sur l’éventualité d’un retrait de ce permis de construire en vertu des dispositions des articles L. 122‑1 et L. 211‑2 du code des relations entre le public et l’administration. C’est seulement après cette phase contradictoire qu’elle peut procéder au retrait dudit permis.
Il en était ainsi en l’espèce s’agissant de l’arrêté du 11 mai 2021 pris par le maire de Sainte‑Maxime au terme duquel il avait procédé au retrait d’un permis de construire tacite.
Dans cette décision, la cour a infirmé les motifs de la décision de retrait. Elle a ensuite examiné la demande de substitution de motif présentée par la commune.
Elle a, à cet égard, précisé que la seule circonstance qu’une décision de retrait d’un permis de construire soit soumise à une procédure contradictoire préalable n’avait pas pour effet de priver l’administration de la possibilité de demander, devant le juge administratif, une substitution de motifs.
Cette possibilité est admise dans le cadre de la procédure juridictionnelle, dès lors que le requérant est mis à même de présenter ses observations sur le motif substitué. Il s’agit de préserver le principe du contradictoire en tant que garantie procédurale.
La solution ainsi retenue n’est en réalité guère surprenante en l’état de la jurisprudence.
C’est en ce sens que s’est prononcée la cour administrative d’appel de Bordeaux dans un arrêt en date 3 novembre 2020 (CAA, Bordeaux, 3 novembre 2020, nos 19BX03698, 19BX03719).
En effet, la cour bordelaise y a indiqué :
« Une décision de retrait d’un permis de construire, qui est une décision soumise à une procédure contradictoire préalable […] n’est pas, de ce seul fait, exclue du champ de la substitution de motifs dès lors que dans le cadre de la procédure juridictionnelle, le requérant est mis à même de présenter ses observations sur le motif substitué et n’est donc pas privé, quant au contradictoire, d’une garantie de procédure liée au motif substitué ».
Cependant, cette faculté peut être limitée lorsque cela a pour effet de priver le pétitionnaire d’une garantie procédurale.
Ainsi en a jugé la cour administrative d’appel de Bordeaux dans l’arrêt précité. En effet, elle a indiqué que
« dans l’hypothèse où les motifs de retrait invoqués au titre de la substitution auraient pu, à l’occasion d’une procédure de contradictoire préalable au retrait, donner lieu à une demande de permis de construire modificatif de la part du pétitionnaire, la substitution de motifs demandée devant le juge, qui ne permet pas le dépôt d’une demande de permis modificatif, a pour effet de le priver d’une garantie de procédure ».
De même, par un arrêt du 13 juin 2024, la cour administrative d’appel de Paris a récemment jugé qu’une demande de substitution de motifs de refus ou de retrait d’une autorisation d’urbanisme en cours d’instance pouvait être rejetée par le juge administratif, y compris lorsque le motif invoqué est fondé, dès lors que les circonstances de l’espèce le justifient (CAA Paris, 13 juin 2024, Commune de Villemomble, no 23PA01626).
Cette solution permet de réguler les demandes de substitution de motifs qui ne sont pas en réalité très sérieuses, et permet d’éviter la multiplication de demandes de substitution de motifs difficilement acceptables pour le pétitionnaire, notamment lorsque la demande de permis de construire ne présentait aucune difficulté sérieuse (telle l’hypothèse, jugée par l’arrêt de la cour de Paris précité, de la méconnaissance des dispositions de l’article 11.3 du règlement du PLU relative aux pentes de toitures)1. Il en allait différemment dans l’arrêt de la cour dans la mesure où il s’agissait d’une méconnaissance des dispositions de l’article L. 121‑13 du code de l’urbanisme relatif aux conditions d’extension de l’urbanisme dans des espaces proches du rivage. Le terrain d’assiette du projet était en effet situé à environ 240 mètres du rivage. Or il ne ressortait pas des pièces du dossier que l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage était justifiée et motivée par le plan local d’urbanisme de la commune de Sainte‑Maxime. De plus, cette extension de l’urbanisation n’avait reçu selon la cour aucune approbation de l’autorité administrative compétente de l’État. Un tel motif est un motif sérieux justifiant le retrait du permis de construire délivré par le maire de la commune de Sainte‑Maxime.
Il résulte de ce qui précède que la substitution de motifs ne peut être soulevée en toutes hypothèses. Le juge doit vérifier que cette demande formulée dans le cadre du contentieux ne prive pas le pétitionnaire d’une garantie. Il en est par exemple ainsi que lorsque le dossier de demande d’un permis de construire est incomplet et que l’administration rejette cette demande sans avoir demandé au pétitionnaire de compléter son dossier.
René Chapus écrivait à propos de la substitution de motifs que :
« l’état du droit s’éloigne de la conception « classique » du contentieux de l’excès de pouvoir, du fait de cette solution qui contribue (avec tant d’autres, aujourd’hui) à libérer le recours pour excès de pouvoir du carcan logique (formaliste) qui lui était destiné »
(Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 12e éd., p. 983). Le contentieux de l’urbanisme offre une nouvelle illustration conciliant une nouvelle fois la légalité administrative et les droits du pétitionnaire.