Les sociétés civiles immobilières (SCI) Paudi et Mika ont fait l’acquisition d’un ancien hôtel situé 6 rue du Val‑Gelé, sur le territoire de la commune de Saint‑Étienne‑de‑Tinée, dans le département des Alpes‑Maritimes.
Elles avaient pour projet de le réhabiliter en douze logements et, en vue du financement des travaux afférents, elles ont sollicité une subvention auprès de la délégation locale des Alpes-Maritimes de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH).
Par une décision du 29 juillet 2005, le délégué local maralpin de cette agence a fait droit à cette demande en leur accordant une somme de 118 620 euros.
En application de l’article 3 de la convention qu’il a signée le 1er août 2003 avec l’État et l’ANAH dans le cadre d’un programme d’intérêt général dénommé « Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat », le conseil général des Alpes-Maritimes a accordé, par une délibération de sa commission permanente du 21 novembre 2005, aux SCI Paudi et Mika, une subvention complémentaire d’un montant de 622 130 euros.
Si le maire de Saint‑Étienne‑de‑Tinée a délivré aux SCI Paudi et Mika un permis de construire le 31 octobre 2006, les travaux de réhabilitation ont été retardés par un différend opposant ces dernières aux entrepreneurs chargés de les réaliser.
Le 8 octobre 2010, après avis de la commission locale de l’amélioration de l’habitat, le délégué local des Alpes‑Maritimes de l’ANAH a décidé de retirer la subvention accordée le 29 juillet 2005 et a demandé aux SCI Paudi et Mika le remboursement de la somme de 35 586 euros avant qu’un titre de recettes ne soit émis le 8 décembre 2010 en vue du recouvrement de cette somme.
La légalité de cette décision du 8 octobre 2010 et de ce titre de recettes du 8 décembre 2010 a été confirmée tant par un jugement no 1100985 du tribunal administratif de Nice du 5 août 2013, que par un arrêt no 13MA03910 de la cour du 8 juin 2015.
Par une délibération du 21 octobre 2016, la commission permanente du conseil départemental des Alpes‑Maritimes a décidé de retirer la subvention accordée par le département et d’exiger le remboursement des trois acomptes versés jusqu’alors pour un montant de 323 507,60 euros.
Par un courrier du 16 décembre 2016, le président du conseil départemental des Alpes‑Maritimes en a informé les SCI Paudi et Mika et, le 27 janvier 2017, un titre de recettes exécutoire d’un montant de 323 507,60 euros a été émis à leur encontre, avant que, le 8 juin 2018, une notification d’opposition à tiers détenteurs ne leur soit adressée.
Les SCI Paudi et Mika relèvent appel du jugement du 14 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à l’annulation de cette délibération de la commission permanente du conseil départemental des Alpes‑Maritimes du 21 octobre 2016, de ces deux lettres du président de ce conseil départemental des 15 janvier 2008 et 16 décembre 2016, de ce titre de recettes émis le 27 janvier 2017 et de cet avis d’opposition à tiers détenteur émis le 8 juin 2018.
Vous pourrez d’abord faire partiellement droit à la fin de non-recevoir opposée par le département à l’encontre de cette requête d’appel et tirée de son irrecevabilité en l’absence de critique à l’égard du jugement attaqué, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 411‑1 du code de justice administrative.
Il résulte en effet de ces dispositions qu’une requête d’appel qui se borne à reproduire intégralement et exclusivement le texte du mémoire de première instance ne satisfait pas aux prescriptions de l’article R. 411‑1 du code de justice administrative (CJA), en vertu desquelles la requête doit, à peine d’irrecevabilité, contenir l’exposé des faits et moyens ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge et ne peut être régularisée que jusqu’à l’expiration du délai d’appel (voyez en ce sens la décision CE, 10 juillet 2020, Commune d’Aubusson, no 427884, aux T. sur ce point ; voyez également la décision CE, Section, 11 juin 1999, Office public d’habitations à loyer modéré de la ville de Caen, au Recueil :
« En se bornant à se référer à sa demande de première instance jointe à sa requête d’appel, sans présenter à la cour administrative d’appel des moyens d’appel, un requérant ne met pas celle-ci en mesure de se prononcer sur les erreurs qu’aurait pu commettre le tribunal administratif en écartant les moyens soulevés devant lui. Une telle requête ne satisfait pas aux exigences de l’article R. 411-1 du code de justice administrative, en vertu duquel la requête doit contenir l’exposé des moyens, et n’est donc pas recevable.). »
En l’espèce, dans leur requête d’appel, les SCI Paudi et Mika ne formulent aucune critique du jugement du tribunal administratif de Nice en tant qu’il rejette comme irrecevables leurs conclusions tendant à l’annulation de la délibération de la commission permanente du conseil départemental des Alpes‑Maritimes du 21 octobre 2016, et des lettres du président de ce même conseil départemental des 15 janvier 2008 et 16 décembre 2016.
Or le juge d’appel ne peut remettre en cause d’office une irrecevabilité opposée à tort à des conclusions (voyez sur ce point la décision CE, 15 avril 1996, Devoto, no 143556, aux T.).
Par conséquent, les conclusions des appelantes tendant à l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il rejette comme irrecevables leurs conclusions de première instance doivent donc être rejetées comme irrecevables, pour défaut de motivation.
Il vous faudra ensuite relever d’office, ainsi que vous l’avez indiqué aux parties en application de l’article R. 611‑7 du code de justice administrative, l’irrégularité du jugement attaqué en ce qu’il a admis à tort la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la demande d’annulation de l’avis d’opposition à tiers détenteur du 8 juin 2018.
En effet, le contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales relève, en application des articles L. 1617‑5 du code général des collectivités territoriales et L. 281 du livre des procédures fiscales, de la compétence du seul juge de l’exécution, tandis que le contentieux du bien-fondé de ces créances relève de celle du juge compétent pour en connaître sur le fond (voyez sur ce point la décision CE, 14 avril 2022, M. et Mme COMPIN, no 454879, C).
Après avoir annulé le jugement dans cette mesure, vous pourrez, par la voie de l’évocation, rejeter les conclusions aux fins d’annulation de l’avis d’opposition à tiers détenteur du 8 juin 2018 comme présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Vous pourrez alors en venir au fond du litige et examiner le bien‑fondé du jugement attaqué en tant seulement qu’il rejette les conclusions aux fins d’annulation du titre exécutoire émis le 27 janvier 2017.
Disons‑le d’emblée, un seul moyen me paraît de nature à entraîner l’annulation du jugement attaqué dans cette mesure, celui tiré de la prescription.
Non pas la prescription quadriennale, issue des dispositions de la loi du 31 décembre 1968, qui ne visent que les créances dont sont débiteurs l’État, les départements, les communes et les établissements publics dotés d’un comptable public et ne sont pas applicables aux créances dont une personne privée est débitrice, quel qu’en soit le créancier.
En revanche, la prescription quinquennale de droit commun issue de l’article 1224 du code civil est bien applicable aux créances dont sont débitrices les personnes privées à l’égard des personnes publiques, notamment les collectivités territoriales (voyez sur ce point l’avis CE, 28 mai 2014, M. Le Mignon et M. Communal, nos 376501 376573, au Recueil ; voyez aussi la décision CE, 4 octobre 2019, Commune de Saint-Pierre, no 418224, aux T.).
Même si la prescription tirée de l’article 1224 du code civil n’a été invoquée qu’en cause d’appel par les SCI Paudi et Mika, ce moyen est bien recevable (cf. l’article 2248 du code civil : « Sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d’appel. »).
Et, contrairement à ce que soutient le département, ce moyen est bien opérant à l’encontre du titre de recettes émis le 27 janvier 2017.
Le Conseil d’État a en effet jugé que « L’article 2224 du code civil s’applique non seulement à la prescription des actions en recouvrement d’une créance publique mais également à la prescription d’assiette ». (voyez sur ce point la décision précitée CE, 4 octobre 2019, Commune de Saint‑Pierre, no 418224, aux T. et les conclusions du rapporteur public Laurent Cytermann sur cette décision :
« En dépit de la lettre de ces dispositions, qui mentionnent l’action en recouvrement, vous avez jugé qu’elles instituaient une prescription d’assiette. Vous avez en effet décidé que « ces dispositions n’ont pas pour objet de fixer au comptable le délai maximum dans lequel il peut procéder au recouvrement des sommes mentionnées sur le titre de recette mais d’imposer à l’ordonnateur un délai maximum, à compter du fait générateur de la participation, pour émettre, à peine de prescription, le titre de recette » (CE, 30 juillet 2003, Commune d’Aubagne, n° 220914, Inédit) »).
Lorsque cette prescription est invoquée, il appartient au juge de déterminer le point de départ du délai de prescription (voyez notamment les décisions CE, 3 juin 2020, M. de Lorgeril, no 432172, T. pp. 798-805. Et CE, 4 juin 2021, M. Michallet, no 436100, B).
Cette dernière décision, aux conclusions contraires de la rapporteure publique Émilie Bokdam-Tognetti, me paraît particulièrement intéressante car elle juge que
« L’administration se doit de connaître la date à laquelle un agent a épuisé ses droits à disponibilité. C’est à compter de cette date, à laquelle elle peut constater que l’intéressé n’a pas demandé dans le délai prévu sa réintégration dans son corps d’origine, qu’elle peut le soumettre à l’obligation de remboursement de ses frais de scolarité faute d’avoir accompli la durée de services effectifs auprès de l’État. En vertu de l’article 2224 du code civil, l’administration dispose alors d’un délai de cinq ans pour le soumettre à cette obligation. »
Elle fait ainsi application de la lettre de l’article 2224 du code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
En l’espèce, il me semble que la date à laquelle le département aurait dû avoir connaissance de l’existence de sa créance est bien celle à laquelle l’ANAH a procédé au retrait de la subvention dont l’octroi conditionnait celle du département, soit la décision du 8 octobre 2010 par laquelle le délégué local des Alpes‑Maritimes de l’ANAH, après avis de la commission locale de l’amélioration de l’habitat, a décidé de retirer la subvention accordée le 29 juillet 2005 et a demandé aux SCI Paudi et Mika le remboursement de la somme de 35 586 euros avant qu’un titre de recettes ne soit émis le 8 décembre 2010 en vue du recouvrement de cette somme.
En effet, la délibération du 21 novembre 2005 par laquelle le département a octroyé aux SCI requérantes une subvention complémentaire à celle de l’ANAN prévoyait la signature d’une unique convention pour l’octroi des subventions de l’ANAH et du département.
Il appartenait donc aux services du département, qui doivent assurer le suivi de la comptabilité des dépenses engagées par ce dernier, de suivre la mise en œuvre de cette convention, en se rapprochant des services de l’ANAH, d’autant que comme le font valoir les SCI appelantes, une « ultime prorogation » de la subvention octroyée par la délibération de la commission permanente du conseil général du 21 novembre 2005 leur avait été accordée, jusqu’au 20 novembre 2008, par une délibération de l’assemblée départementale du 21 décembre 2007, notifiée par courrier du 15 janvier 2008.
La circonstance que les SCI requérantes aient contesté le retrait de la subvention de l’ANAH et donc la créance de celle-ci à leur encontre me paraît par ailleurs sans incidence aucune sur le point de départ du délai de prescription de la créance du département.
En effet, les causes de suspension et d’interruption de la prescription sont limitativement énumérées par les articles 2233 et suivants du code civil.
Or, si l’article 2241 de ce code prévoit que « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. (…) », le Conseil d’État a toutefois jugé « qu’une citation en justice, au fond ou en référé, n’interrompt la prescription qu’à la double condition d’émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait » (CE, 4 février 2021, Société Mutuelle d’Assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n°441593, aux T.).
Dans ces conditions, il me semble que la lettre du 16 décembre 2016 par laquelle le département a informé les SCI requérantes de son intention de répéter les sommes versées au titre de la subvention n’a pu avoir pour effet d’interrompre la prescription, le délai de 5 ans étant d’ores et déjà écoulé (voyez pour un a contrario (CE, 31 mars 2017, Mme Dittoo et Mme Holterbosch, no 405797, A : « tant la lettre par laquelle l’administration informe un agent public de son intention de répéter une somme versée indûment qu’un ordre de reversement ou un titre exécutoire interrompent la prescription à la date de leur notification. La preuve de celle-ci incombe à l’administration. »).
La créance dont s’est prévalue le département pour émettre le titre de recettes contesté émis le 27 janvier 2017 était donc prescrite à cette date.
Si vous me suivez, vous annulerez donc le jugement attaqué en tant qu’il rejette les conclusions aux fins d’annulation de ce titre de recettes.
Par ces motifs, je conclus :
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à l’annulation pour irrégularité du jugement attaqué en ce qu’il a admis à tort la compétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions aux fins d’annulation de l’avis d’opposition à tiers détenteur du 8 juin 2018 et au rejet pour irrecevabilité de ces conclusions présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
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à l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il a rejeté les conclusions aux fins d’annulation du titre de recettes émis le 27 janvier 2017 à l’encontre des SCI Paudi et Mika et annulation de ce titre de recettes ;
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au rejet pour irrecevabilité des conclusions d’appel présentées par les SCI Paudi et Mika tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Nice du 14 juin 2022 en tant qu’il rejette leurs conclusions tendant à l’annulation de la délibération de la commission permanente du département des Alpes‑Maritimes du 21 octobre 2016 et des lettres du président du conseil départemental des Alpes‑Maritimes du 15 janvier 2008 et 16 décembre 2016 ;
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à ce que soit mise à la charge du département une somme de 2 000 euros à verser aux SCI Paudi et Mika au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.