L’opposabilité de la prescription triennale à l’administration qui retire une subvention (pourvoi)

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Décision de justice

CAA Marseille, 4e chambre – N° 22MA02114 – 30 avril 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA02114

Numéro Légifrance : CETATEXT000049515631

Date de la décision : 30 avril 2024

Index

Mots-clés

subvention, prescription triennale

Rubriques

Collectivités territoriales - Subventions

Résumé

S’il revient à l’administration de s’assurer du respect par le bénéficiaire des conditions qu’elle a mises à l’octroi d’une subvention publique, et si, lorsque ces conditions de délai ne sont pas respectées, le retrait ou la réduction de la subvention peuvent intervenir sans condition de délai, ces règles ne font pas obstacle à la mise en œuvre des règles de prescription qui découlent des dispositions de l’article 2224 du code civil et qui sont applicables aux créances des personnes publiques. Ainsi, alors même que les conditions mises à l’octroi d’une subvention ne sont pas respectées et que l’autorité administrative compétente peut légalement et sans condition de délai prononcer le retrait ou la réduction de cette subvention, la créance de la personne publique s’éteint, en application de l’article 2224 du code civil, au terme d’un délai de cinq années à compter du jour où elle a eu une connaissance certaine ou aurait dû avoir une telle connaissance du non-respect des conditions de cette subvention.

En l’espèce, un département qui a versé à deux sociétés une subvention, en complément de celle de l’Agence nationale de l’habitat, à la condition, également posée par celle-ci, que des travaux soient réalisés dans un délai déterminé, aurait dû avoir une connaissance suffisamment certaine des faits lui permettant de récupérer les sommes qu’il avait ainsi versées, au plus tard à la date à laquelle l’Agence nationale de l’habitat a elle-même retiré sa subvention, au motif du non-respect de cette condition.

cf. CE, 4 juin 2021, M. Michallet, no 436100 ; CE, 3 juin 2020, De Lorgeril no 432172,

Conclusions de la rapporteure publique

Claire Balaresque

Rapporteure publique

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DOI : 10.35562/amarsada.428

Les sociétés civiles immobilières (SCI) Paudi et Mika ont fait l’acquisition d’un ancien hôtel situé 6 rue du Val‑Gelé, sur le territoire de la commune de Saint‑Étienne‑de‑Tinée, dans le département des Alpes‑Maritimes.

Elles avaient pour projet de le réhabiliter en douze logements et, en vue du financement des travaux afférents, elles ont sollicité une subvention auprès de la délégation locale des Alpes-Maritimes de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH).

Par une décision du 29 juillet 2005, le délégué local maralpin de cette agence a fait droit à cette demande en leur accordant une somme de 118 620 euros.

En application de l’article 3 de la convention qu’il a signée le 1er août 2003 avec l’État et l’ANAH dans le cadre d’un programme d’intérêt général dénommé « Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat », le conseil général des Alpes-Maritimes a accordé, par une délibération de sa commission permanente du 21 novembre 2005, aux SCI Paudi et Mika, une subvention complémentaire d’un montant de 622 130 euros.

Si le maire de Saint‑Étienne‑de‑Tinée a délivré aux SCI Paudi et Mika un permis de construire le 31 octobre 2006, les travaux de réhabilitation ont été retardés par un différend opposant ces dernières aux entrepreneurs chargés de les réaliser.

Le 8 octobre 2010, après avis de la commission locale de l’amélioration de l’habitat, le délégué local des Alpes‑Maritimes de l’ANAH a décidé de retirer la subvention accordée le 29 juillet 2005 et a demandé aux SCI Paudi et Mika le remboursement de la somme de 35 586 euros avant qu’un titre de recettes ne soit émis le 8 décembre 2010 en vue du recouvrement de cette somme.

La légalité de cette décision du 8 octobre 2010 et de ce titre de recettes du 8 décembre 2010 a été confirmée tant par un jugement no 1100985 du tribunal administratif de Nice du 5 août 2013, que par un arrêt no 13MA03910 de la cour du 8 juin 2015.

Par une délibération du 21 octobre 2016, la commission permanente du conseil départemental des Alpes‑Maritimes a décidé de retirer la subvention accordée par le département et d’exiger le remboursement des trois acomptes versés jusqu’alors pour un montant de 323 507,60 euros.

Par un courrier du 16 décembre 2016, le président du conseil départemental des Alpes‑Maritimes en a informé les SCI Paudi et Mika et, le 27 janvier 2017, un titre de recettes exécutoire d’un montant de 323 507,60 euros a été émis à leur encontre, avant que, le 8 juin 2018, une notification d’opposition à tiers détenteurs ne leur soit adressée.

Les SCI Paudi et Mika relèvent appel du jugement du 14 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à l’annulation de cette délibération de la commission permanente du conseil départemental des Alpes‑Maritimes du 21 octobre 2016, de ces deux lettres du président de ce conseil départemental des 15 janvier 2008 et 16 décembre 2016, de ce titre de recettes émis le 27 janvier 2017 et de cet avis d’opposition à tiers détenteur émis le 8 juin 2018.

Vous pourrez d’abord faire partiellement droit à la fin de non-recevoir opposée par le département à l’encontre de cette requête d’appel et tirée de son irrecevabilité en l’absence de critique à l’égard du jugement attaqué, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 411‑1 du code de justice administrative.

Il résulte en effet de ces dispositions qu’une requête d’appel qui se borne à reproduire intégralement et exclusivement le texte du mémoire de première instance ne satisfait pas aux prescriptions de l’article R. 411‑1 du code de justice administrative (CJA), en vertu desquelles la requête doit, à peine d’irrecevabilité, contenir l’exposé des faits et moyens ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge et ne peut être régularisée que jusqu’à l’expiration du délai d’appel (voyez en ce sens la décision CE, 10 juillet 2020, Commune d’Aubusson, no 427884, aux T. sur ce point ; voyez également la décision CE, Section, 11 juin 1999, Office public d’habitations à loyer modéré de la ville de Caen, au Recueil : 

« En se bornant à se référer à sa demande de première instance jointe à sa requête d’appel, sans présenter à la cour administrative d’appel des moyens d’appel, un requérant ne met pas celle-ci en mesure de se prononcer sur les erreurs qu’aurait pu commettre le tribunal administratif en écartant les moyens soulevés devant lui. Une telle requête ne satisfait pas aux exigences de l’article R. 411-1 du code de justice administrative, en vertu duquel la requête doit contenir l’exposé des moyens, et n’est donc pas recevable.). »

En l’espèce, dans leur requête d’appel, les SCI Paudi et Mika ne formulent aucune critique du jugement du tribunal administratif de Nice en tant qu’il rejette comme irrecevables leurs conclusions tendant à l’annulation de la délibération de la commission permanente du conseil départemental des Alpes‑Maritimes du 21 octobre 2016, et des lettres du président de ce même conseil départemental des 15 janvier 2008 et 16 décembre 2016.

Or le juge d’appel ne peut remettre en cause d’office une irrecevabilité opposée à tort à des conclusions (voyez sur ce point la décision CE, 15 avril 1996, Devoto, no 143556, aux T.).

Par conséquent, les conclusions des appelantes tendant à l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il rejette comme irrecevables leurs conclusions de première instance doivent donc être rejetées comme irrecevables, pour défaut de motivation.

Il vous faudra ensuite relever d’office, ainsi que vous l’avez indiqué aux parties en application de l’article R. 611‑7 du code de justice administrative, l’irrégularité du jugement attaqué en ce qu’il a admis à tort la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la demande d’annulation de l’avis d’opposition à tiers détenteur du 8 juin 2018.

En effet, le contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales relève, en application des articles L. 1617‑5 du code général des collectivités territoriales et L. 281 du livre des procédures fiscales, de la compétence du seul juge de l’exécution, tandis que le contentieux du bien-fondé de ces créances relève de celle du juge compétent pour en connaître sur le fond (voyez sur ce point la décision CE, 14 avril 2022, M. et Mme COMPIN, no 454879, C).

Après avoir annulé le jugement dans cette mesure, vous pourrez, par la voie de l’évocation, rejeter les conclusions aux fins d’annulation de l’avis d’opposition à tiers détenteur du 8 juin 2018 comme présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Vous pourrez alors en venir au fond du litige et examiner le bien‑fondé du jugement attaqué en tant seulement qu’il rejette les conclusions aux fins d’annulation du titre exécutoire émis le 27 janvier 2017.

Disons‑le d’emblée, un seul moyen me paraît de nature à entraîner l’annulation du jugement attaqué dans cette mesure, celui tiré de la prescription.

Non pas la prescription quadriennale, issue des dispositions de la loi du 31 décembre 1968, qui ne visent que les créances dont sont débiteurs l’État, les départements, les communes et les établissements publics dotés d’un comptable public et ne sont pas applicables aux créances dont une personne privée est débitrice, quel qu’en soit le créancier.

En revanche, la prescription quinquennale de droit commun issue de l’article 1224 du code civil est bien applicable aux créances dont sont débitrices les personnes privées à l’égard des personnes publiques, notamment les collectivités territoriales (voyez sur ce point l’avis CE, 28 mai 2014, M. Le Mignon et M. Communal, nos 376501 376573, au Recueil ; voyez aussi la décision CE, 4 octobre 2019, Commune de Saint-Pierre, no 418224, aux T.).

Même si la prescription tirée de l’article 1224 du code civil n’a été invoquée qu’en cause d’appel par les SCI Paudi et Mika, ce moyen est bien recevable (cf. l’article 2248 du code civil : « Sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d’appel. »).

Et, contrairement à ce que soutient le département, ce moyen est bien opérant à l’encontre du titre de recettes émis le 27 janvier 2017.

Le Conseil d’État a en effet jugé que « L’article 2224 du code civil s’applique non seulement à la prescription des actions en recouvrement d’une créance publique mais également à la prescription d’assiette ». (voyez sur ce point la décision précitée CE, 4 octobre 2019, Commune de Saint‑Pierre, no 418224, aux T. et les conclusions du rapporteur public Laurent Cytermann sur cette décision :

« En dépit de la lettre de ces dispositions, qui mentionnent l’action en recouvrement, vous avez jugé qu’elles instituaient une prescription d’assiette. Vous avez en effet décidé que « ces dispositions n’ont pas pour objet de fixer au comptable le délai maximum dans lequel il peut procéder au recouvrement des sommes mentionnées sur le titre de recette mais d’imposer à l’ordonnateur un délai maximum, à compter du fait générateur de la participation, pour émettre, à peine de prescription, le titre de recette » (CE, 30 juillet 2003, Commune d’Aubagne, n° 220914, Inédit) »).

Lorsque cette prescription est invoquée, il appartient au juge de déterminer le point de départ du délai de prescription (voyez notamment les décisions CE, 3 juin 2020, M. de Lorgeril, no 432172, T. pp. 798-805. Et CE, 4 juin 2021, M. Michallet, no 436100, B).

Cette dernière décision, aux conclusions contraires de la rapporteure publique Émilie Bokdam-Tognetti, me paraît particulièrement intéressante car elle juge que

« L’administration se doit de connaître la date à laquelle un agent a épuisé ses droits à disponibilité. C’est à compter de cette date, à laquelle elle peut constater que l’intéressé n’a pas demandé dans le délai prévu sa réintégration dans son corps d’origine, qu’elle peut le soumettre à l’obligation de remboursement de ses frais de scolarité faute d’avoir accompli la durée de services effectifs auprès de l’État. En vertu de l’article 2224 du code civil, l’administration dispose alors d’un délai de cinq ans pour le soumettre à cette obligation. »

Elle fait ainsi application de la lettre de l’article 2224 du code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

En l’espèce, il me semble que la date à laquelle le département aurait dû avoir connaissance de l’existence de sa créance est bien celle à laquelle l’ANAH a procédé au retrait de la subvention dont l’octroi conditionnait celle du département, soit la décision du 8 octobre 2010 par laquelle le délégué local des Alpes‑Maritimes de l’ANAH, après avis de la commission locale de l’amélioration de l’habitat, a décidé de retirer la subvention accordée le 29 juillet 2005 et a demandé aux SCI Paudi et Mika le remboursement de la somme de 35 586 euros avant qu’un titre de recettes ne soit émis le 8 décembre 2010 en vue du recouvrement de cette somme.

En effet, la délibération du 21 novembre 2005 par laquelle le département a octroyé aux SCI requérantes une subvention complémentaire à celle de l’ANAN prévoyait la signature d’une unique convention pour l’octroi des subventions de l’ANAH et du département.

Il appartenait donc aux services du département, qui doivent assurer le suivi de la comptabilité des dépenses engagées par ce dernier, de suivre la mise en œuvre de cette convention, en se rapprochant des services de l’ANAH, d’autant que comme le font valoir les SCI appelantes, une « ultime prorogation » de la subvention octroyée par la délibération de la commission permanente du conseil général du 21 novembre 2005 leur avait été accordée, jusqu’au 20 novembre 2008, par une délibération de l’assemblée départementale du 21 décembre 2007, notifiée par courrier du 15 janvier 2008.

La circonstance que les SCI requérantes aient contesté le retrait de la subvention de l’ANAH et donc la créance de celle-ci à leur encontre me paraît par ailleurs sans incidence aucune sur le point de départ du délai de prescription de la créance du département.

En effet, les causes de suspension et d’interruption de la prescription sont limitativement énumérées par les articles 2233 et suivants du code civil.

Or, si l’article 2241 de ce code prévoit que « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. (…) », le Conseil d’État a toutefois jugé « qu’une citation en justice, au fond ou en référé, n’interrompt la prescription qu’à la double condition d’émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait » (CE, 4 février 2021, Société Mutuelle d’Assurances du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n°441593, aux T.).

Dans ces conditions, il me semble que la lettre du 16 décembre 2016 par laquelle le département a informé les SCI requérantes de son intention de répéter les sommes versées au titre de la subvention n’a pu avoir pour effet d’interrompre la prescription, le délai de 5 ans étant d’ores et déjà écoulé (voyez pour un a contrario (CE, 31 mars 2017, Mme Dittoo et Mme Holterbosch, no 405797, A : « tant la lettre par laquelle l’administration informe un agent public de son intention de répéter une somme versée indûment qu’un ordre de reversement ou un titre exécutoire interrompent la prescription à la date de leur notification. La preuve de celle-ci incombe à l’administration. »).

La créance dont s’est prévalue le département pour émettre le titre de recettes contesté émis le 27 janvier 2017 était donc prescrite à cette date.

Si vous me suivez, vous annulerez donc le jugement attaqué en tant qu’il rejette les conclusions aux fins d’annulation de ce titre de recettes.

Par ces motifs, je conclus :

  • à l’annulation pour irrégularité du jugement attaqué en ce qu’il a admis à tort la compétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions aux fins d’annulation de l’avis d’opposition à tiers détenteur du 8 juin 2018 et au rejet pour irrecevabilité de ces conclusions présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

  • à l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il a rejeté les conclusions aux fins d’annulation du titre de recettes émis le 27 janvier 2017 à l’encontre des SCI Paudi et Mika et annulation de ce titre de recettes ;

  • au rejet pour irrecevabilité des conclusions d’appel présentées par les SCI Paudi et Mika tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Nice du 14 juin 2022 en tant qu’il rejette leurs conclusions tendant à l’annulation de la délibération de la commission permanente du département des Alpes‑Maritimes du 21 octobre 2016 et des lettres du président du conseil départemental des Alpes‑Maritimes du 15 janvier 2008 et 16 décembre 2016 ;

  • à ce que soit mise à la charge du département une somme de 2 000 euros à verser aux SCI Paudi et Mika au titre de l’article L. 761‑1 du code de justice administrative.

Droits d'auteur

Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur.

Commentaire

Thomas Piot

Doctorant contractuel en droit fiscal à Aix-Marseille Université

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DOI : 10.35562/amarsada.516

L’opposabilité du régime de la prescription quinquennale aux créanciers publics de créances privées

Quel est le point de départ de la prescription d’une créance née de l’inexécution des conditions d’octroi dans les délais déterminés ? Pour répondre à cette question, la cour administrative d’appel de Marseille (ci-après CAA) a dû, dans son arrêt du 30 avril dernier, se questionner sur la typologie du contentieux de la requête enregistrée par ses services, pour ensuite déterminer le régime de la prescription applicable à cette subvention. Le juge compétent pour connaître du contentieux du bien-fondé des créances non-fiscales, est le juge pour en connaitre sur le fond, en application de l’article L. 1617‑5 du code général des collectivités territoriales (ci-après CGCT) dans sa rédaction applicable au litige. En l’espèce, la requête concerne le bien-fondé d’un titre de recette fondé sur une créance du département des Alpes‑Maritimes née de l’inexécution par les bénéficiaires de cette subvention, de ses conditions d’octroi dans le délai déterminé. Le champ de cette requête renvoie au contentieux de la décision d’octroi de la subvention qui relève de la compétence du juge administratif. L’action en contestation d’un titre de recette doit s’exercer dans un délai de deux mois à compter de la réception par le débiteur du titre exécutoire ou du premier acte procédant de ce titre. En l’espèce, le point de départ de ce délai semble être la notification aux débiteurs de l’opposition à tiers détenteurs effectuée le 8 juin 2018. En l’absence de développement sur ce point dans l’arrêt commenté, il est supposé que l’action en contestation du titre de recette est intervenue antérieurement à l’expiration du délai de recours, dès lors que la tardiveté d’une requête est un moyen d’ordre public.

Ensuite, le titre de recette se fondant sur une créance entre une personne publique et une personne privée, il faut s’intéresser aux régimes de la prescription applicable aux actions relatives à cette créance. Il en existe deux : d’une part, le régime de la prescription quadriennale en application de la loi no°68‑1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics, d’autre part, le régime de la prescription quinquennale, codifié à l’article 2224 du code civil. Le premier est un régime dérogatoire, propre aux créances dont l’État, les départements, les communes ou les établissements publics sont débiteurs. Le second est le régime de droit commun. En l’espèce, une créance naît de l’inexécution dans les délais des conditions d’octroi d’une subvention. La subvention ayant été octroyée par le conseil général des Alpes-Maritimes à deux sociétés civiles immobilières (SCI), le département a le statut de créancier et les personnes privées ont le statut de débiteur. Le régime dérogatoire de la prescription quadriennale ne s’appliquant qu’aux créances dont le département est débiteur, c’est le régime de droit commun de la prescription quinquennale qui est applicable en l’espèce.

L’enjeu de l’affaire porte pour ainsi dire sur le point de départ de cette prescription quinquennale. L’article 2224 du code civil dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer. ». En l’espèce, la personne publique – le département des Alpes‑Maritimes – a octroyé aux personnes privées, les SCI P.et M., par une délibération de 21 novembre 2005, une subvention pour la réhabilitation d’un immeuble à la condition que les travaux soient réalisés dans un délai déterminé. Cette condition reprend celle d’une subvention octroyée préalablement pour le même projet aux mêmes personnes privées, par une décision prise le 29 juillet 2005 par le délégué local de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ci-après ANAH). La subvention octroyée par l’ANAH est retirée le 8 octobre 2010. La subvention octroyée par le département des Alpes‑Maritimes est retirée par une délibération le 21 octobre 2016. Conséquemment à cette délibération, un titre de recette est émis le 27 janvier 2017. Les débiteurs sont informés par courrier du 16 décembre 2016 de la délibération et sont destinataires d’une opposition à tiers détenteurs, le 8 juin 2018.

En l’état de cette situation, les débiteurs exercent un recours devant le tribunal administratif de Nice en demandant l’annulation de la délibération du 21 octobre 2016 retirant la subvention octroyée, de la lettre du 16 décembre 2016 les informant de cette délibération et qu’un avis des sommes à payer leur serait prochainement adressé, mais également du titre de recette du 27 janvier 2017 émis à leur encontre en vue du recouvrement de cette somme et de la notification d’opposition à tiers détenteurs du 8 juin 2018 pour le paiement de cette somme. Par un jugement du 14 juin 2022, le tribunal a rejeté leur demande. Les débiteurs ont interjeté appel de ce jugement devant la CAA de Marseille par une requête du 26 juillet 2022 en demandant l’annulation du jugement du tribunal administratif et l’annulation de la délibération, de la lettre, du titre de recette et de la notification d’opposition à tiers détenteurs.

Pour répondre à la question du bien-fondé du titre de recette du 27 janvier 2017, la cour a préalablement vérifié si l’appel était fondé (I), pour ensuite se prononcer sur son effectivité (II). Elle en a tiré la conclusion que le titre de recette du 27 janvier 2017 est mal fondé, ce dernier correspondant à une créance prescrite.

I – Un appel fondé

Pour prospérer, l’appel des deux SCI a dû satisfaire aux règles de répartition des compétences juridictionnelles (A) et présenter des conclusions soutenues par des moyens fondés (B).

A – La compétence du juge administratif pour une créance née du non‑respect des conditions d’octroi d’une subvention par des personnes privées

Le contentieux des créances non fiscales des collectivités territoriales est complexe. En effet, les compétences des juridictions pour connaître de ce contentieux sont réparties entre la juridiction administrative et judiciaire. L’article L. 1617‑5 du CGCT dispose que le juge compétent pour connaitre du contentieux du bien-fondé d’une créance non fiscale d’une collectivité territoriale est le juge compétent pour en connaître sur le fond. Le juge compétent peut alors être le juge administratif ou le juge judiciaire. L’article L. 281 du livre des procédures fiscales dispose que le juge compétent pour connaître du contentieux du recouvrement de telles créances est le juge de l’exécution, soit le juge judiciaire.

En l’espèce, les conclusions d’appel portent notamment sur l’annulation du titre de recette.

Pour ce faire, le débiteur du titre de recette conteste son bien-fondé avec le moyen selon lequel la créance sur laquelle ce titre se fonde est prescrite. L’émission d’un titre de recette permet d’établir une recette – contrairement à l’avis d’opposition à tiers détenteur, qui permet le recouvrement de cette recette –, ainsi, le contentieux d’un titre de recette relève du contentieux sur le bien-fondé d’une créance et non du contentieux sur le recouvrement de celle-ci.

Pour identifier le juge compétent pour trancher ce litige, il faut déterminer le juge compétent pour en connaître sur le fond. Un titre de recette se fonde sur une créance, ainsi, le juge compétent, est celui pour connaître du contentieux de cette créance. En l’espèce, la créance porte sur l’inexécution des conditions d’octroi de la subvention. Ces conditions semblent être issues de la délibération du conseil général des Alpes‑Maritimes octroyant la subvention (point 1 de l’arrêt).

L’article L. 311‑1 du code de justice administrative (ci‑après CJA), prévoit que le tribunal administratif est le juge de droit commun pour connaître du contentieux administratif et l’article L. 321‑1 du même code précise que les CAA sont par principe les juges compétents pour connaître des jugements rendus en premier ressort par les tribunaux administratifs. En l’espèce, le contentieux d’une délibération du conseil général des Alpes‑Maritimes relève du contentieux administratif. En l’absence de compétence d’attribution spéciale, c’est la juridiction administrative qui est compétente pour connaitre de ce contentieux.

En conclusion, c’est la juridiction administrative qui est compétente pour connaître du contentieux du bien‑fondé du titre de recette contesté.

B – Le régime de retrait des subventions distinct du régime de la prescription des créances inhérentes à ces subventions

En vertu de l’article L. 242‑2, 2° du code des relations entre le public et l’administration (ci‑après CRPA), l’administration peut retirer sans condition de délai une décision attribuant une subvention lorsque les conditions de mise à son octroi n’ont pas été respectées. Par ailleurs l’article 2224 du code civil dispose que l’action personnelle ou mobilière d’une personne se prescrit au terme d’un délai de cinq années à compter du jour où elle a, ou aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant de l’exercer. L’article 2223 du même code ajoute que le régime de l’article 2224 ne fait pas obstacle à l’application de régime dérogatoire.

Sur le fondement de ces dispositions, la cour a dû répondre à la question suivante : le régime applicable aux retraits des décisions octroyant une subvention déroge-t-il au régime de droit commun de la prescription des actions personnelles ou mobilières ? Pour qu’une réponse positive s’impose, il faudrait que le premier de ces régimes concurrence le second. Or l’un porte sur les conditions de mise en œuvre de l’action alors que l’autre porte sur les conditions d’existence et de disparition de cette action. Ces régimes ne se faisant donc pas concurrence, le premier ne peut déroger au second. Ainsi, le régime de retrait des décisions octroyant une subvention ne fait pas obstacle au régime de la prescription applicable à cette créance.

En conclusion, le moyen de la défense soutenant l’inapplicabilité du régime de la prescription quinquennale est inopérant et le moyen soutenant les conclusions demandant l’annulation du titre de recette est opérant. L’appel étant fondé, il faut s’intéresser à son effectivité pour en connaître la solution.

II – Un appel effectif

Pour statuer, la cour a commencé par déterminer le point de départ de la prescription de la subvention (A) puis a vérifié la survenance ou non d’actes interruptifs de prescriptions (B).

A – Le point de départ du délai de prescription

L’article 2224 du code civil dispose que le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer.

La subvention est octroyée le 21 novembre 2005. La date butoir pour l’accomplissement des conditions d’octroi est prorogée au 20 novembre 2008, par une délibération du 21 novembre 2007. La première subvention à laquelle la subvention du département des Alpes‑Maritimes est complémentaire, est retirée par une décision le 8 octobre 2010.

Pour déterminer le point de départ du délai de prescription, il faut identifier le jour de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’exercer son action.

En l’espèce, la prorogation de l’accomplissement des conditions d’octroi démontre la connaissance par le créancier de la difficulté pour le débiteur d’accomplir ces conditions. Néanmoins, avoir la connaissance des difficultés à réaliser les conditions d’octroi ne signifie pas avoir la connaissance de l’irrespect de ces conditions. Ainsi, la délibération prorogeant le délai pour la réalisation des conditions d’octroi ne caractérise pas la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’exercer son action. Le créancier ne peut prendre connaissance de ces faits que postérieurement à la survenance de la date butoir posée par la délibération prorogative.

La décision de retrait de la première subvention a pour effet de caractériser la connaissance par le créancier, le département des Alpes‑Maritimes, des faits lui permettant d’exercer son action. Le point de départ du délai de prescription étant le jour où le créancier a eu connaissance des faits ou aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant d’exercer son action, la question qui subsiste est celle-ci : La prescription débute-elle le jour de la notification de cette décision au département des Alpes-Maritimes ou le jour de ladite décision ?

La prise de connaissance de ces faits par le département des Alpes‑Maritimes semble avoir été discutée avec une notification intervenue en dehors des délais raisonnables de la décision. Néanmoins, la situation existante, antérieure à cette décision, fait apparaître des difficultés pour les débiteurs à respecter les conditions d’octroi. De ce fait, il est considéré par la Cour que le département des Alpes‑Maritimes devait se tenir informé du respect des conditions d’octroi et qu’il aurait dû avoir connaissance de cette décision de retrait au jour de son édiction.

La cour conclut que le point de départ de la prescription est fixé au 8 octobre 2010, date à laquelle le département aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant d’exercer son action.

B – L’absence d’actes interruptifs de prescription

Les articles 2241 et 2242 du code civil prévoient que la demande en justice interrompt le délai de prescription jusqu’à l’extinction de l’instance. Le régime de prescription de l’article 2224 du code civil s’applique au titulaire du droit, et non à es des tiers à ce droit. Or, le régime de l’article 2241 du code civil s’applique aux requérants pour lequel le régime de la prescription s’applique.

En l’espèce, un recours en justice est exercé à l’encontre du titre de recette qui se fonde sur la créance issue du non-respect des conditions d’octroi de la première subvention. Ce recours est rejeté par un jugement du tribunal administratif de Nice le 5 aout 2013 puis par un arrêt de la cour le 8 juin 2015. Cette demande en justice introduite pour une autre créance que celle pour laquelle le département des Alpes‑Maritimes a émis un titre de recette, a-t-elle pour effet d’interrompre le délai de prescription de la créance pour laquelle le titre de recette est émis ?

Un recours en justice n’interrompt la prescription d’un droit qu’à l’égard du créancier et du débiteur de ce droit. Ainsi, le recours en justice concernant un droit distinct du droit pour lequel le département des Alpes-Maritimes a émis le titre de recette, celui-ci ne peut se prévaloir de ce recours en guise d’un acte interrompant la prescription de son droit.

En l’absence d’actes interruptifs de prescription, l’action du créancier est donc prescrite le 9 octobre 2015.

De tout cela, la cour a déduit que la délibération de retrait du 21 octobre 2016, bien que légale en application de l’article L. 242‑2 du CRPA, est intervenue après la prescription de l’action du titulaire du droit, personne publique. Ce droit étant prescrit, la personne publique, le département des Alpes‑Maritimes, n’est plus créancière de ce droit. C’est pour cette raison que le titre de recette émis sur cette créance prescrite est non fondé. Cette solution ne manque pas d’appeler une autre interrogation : celle de savoir si une décision de retrait d’une subvention intervenant avant la prescription de la créance issue du non‑respect des conditions d’octroi, a pour effet de créer un nouveau droit et une nouvelle action. La décision de retrait est pour la personne publique créatrice de droit. C’est cette décision qui lui donne le droit d’émettre le titre de recette. Cette décision étant créatrice de droit, si elle intervient avant l’acquisition de prescription de la créance née du non-respect des conditions d’octroi de la subvention, elle a pour effet de créer un droit corrélé à une action et un nouveau délai de prescription. Ainsi la prescription du droit de retirer la subvention ne peut avoir d’effet sur le droit de recouvrer le titre de recette.

Résumé

L’affaire traitée par la cour administrative d’appel de Marseille dans l’arrêt du 30 avril 2024 no°22MA02114, porte sur l’opposabilité du régime de la prescription quinquennale des actions personnelles ou mobilières aux personnes publiques. La Cour y reconnaît l’application de ce régime pour une créance d’une personne publique sur des personnes privées et s’est prononcée sur la question du point de départ du délai de prescription. Au sujet d’une créance née de l’inexécution des conditions d’octroi d’une subvention dans le délai déterminé, la cour, sur le fondement de l’article 2224 du code civil, fait débuter le délai de prescription au jour de la décision de retrait d’une subvention connexe soumise aux mêmes conditions d’octroi.

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