Le statut des eaux surabondantes d’une fontaine publique

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Décision de justice

CAA Marseille, 4e chambre – N° 22MA02436 – 12 mars 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA02436

Numéro Légifrance : CETATEXT000049823488

Date de la décision : 12 mars 2024

Index

Mots-clés

fontaine publique, eau surabondante, servitude conventionnelle, versure

Rubriques

Domaine - Eau

Résumé

Par un acte de donation signé au cours du XVIIe siècle, un particulier avait cédé à la commune d’Aix-en-Provence la propriété d’une source destinée à alimenter une fontaine publique à réaliser sur le cours Sextius. Cette donation était consentie moyennant l’engagement « à perpétuité » de la commune de laisser à l’intéressé et ses ayants droit la libre disposition des versures de cette fontaine « après l’usage des particuliers et abreuvage des bestiaux ». Les propriétaires de fonds prétendant disposer du droit de jouissance de ces eaux surabondantes, notamment pour l’arrosage de leurs jardins, avaient demandé à la commune le rétablissement de l’alimentation de leurs propriétés par ces eaux.

La Cour a rejeté l’appel des intéressés, en regardant les eaux de cette source, la fontaine publique destinée à être alimentée par cette source de même que les eaux surabondantes destinées à s’en écouler, comme relevant du domaine public de la commune. Selon la Cour, et contrairement à l’argumentation des requérants, l’engagement souscrit par la commune dans l’acte d’acquisition de la source, même à titre perpétuel, était dès l’origine incompatible avec le régime de la domanialité publique, et ne peut s’analyser ni comme une servitude conventionnelle, ni comme une charge ou une condition, au sens des dispositions des articles 900‑2 du code civil et L. 1311‑17 du code général des collectivités territoriales.

Conclusions du rapporteur public (extraits)

Olivier Guillaumont

Rapporteur public

DOI : 10.35562/amarsada.442

Dérogations à l’interdiction de destruction des espèces protégées : à quelle échelle faut‑il apprécier la condition tenant à l’absence de solution alternative satisfaisante ?

Résumé : Il résulte des termes mêmes de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement qu’une dérogation à l’interdiction de destruction, de perturbation intentionnelle ou de dégradation de spécimens et d’habitats d’espèces animales protégées ne peut être accordée que s’il « n’existe pas d’autre solution satisfaisante ». En l’espèce, le porteur du projet a étudié les emprises potentielles et a choisi l’implantation la moins préjudiciable à l’environnement en bornant son analyse comparative au territoire de la commune. La cour juge que cette démarche était insuffisante. L’existence d’une éventuelle solution alternative, moins impactante pour la biodiversité, en particulier parce qu’elle aurait pu porter sur des terrains déjà artificialisés, devait, en effet, être recherchée au-delà du seul territoire communal.

La commune de Cruis a lancé en 2009 un appel à projets sur la possibilité d’implanter une unité de production d’énergie photovoltaïque sur son territoire. La société Boralex a décidé de répondre à cet appel à projets. Le projet retenu consiste en l’aménagement d’un parc photovoltaïque d’une puissance électrique de 10,66 MW et d’une surface de 16,7 hectares, à environ deux kilomètres au nord-est du village de Cruis, dans un espace naturel sur les pentes de la montagne de Lure.

L’association des amis de la montagne de Lure relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille ayant rejeté sa demande tendant à l’annulation, d’une part, de l’arrêté du 17 janvier 2020 par lequel le préfet des Alpes‑de‑Haute‑Provence a accordé à la société Boralex, dans le cadre de ce projet, une dérogation aux interdictions de destruction, de perturbation intentionnelle ou de dégradation de spécimens et d’habitats d’espèces animales protégées, d’autre part, de la décision préfectorale du 25 juin 2020, rejetant son recours gracieux. (…)

Vous pourrez admettre l’intervention formée par l’association pour la protection des animaux sauvages qui a intérêt à demander l’annulation des deux décisions contestées. Il convient sur ce point de préciser que la circonstance qu’une personne ne soit pas intervenue en première instance ne lui interdit pas de le faire en appel (CE, 14 mars 2003, M. Montaner et Mme Laurent no 228214). (…)

L’association requérante et l’intervenante volontaire soutiennent que la dérogation prise au titre du 4° de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement est illégale notamment en l’absence de raison d’intérêt public majeur.

Vous savez qu’il résulte de l’article L. 411‑1 et du I de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, ainsi que l’a jugé le Conseil d’État dans la décision du 28 décembre 2022 Société La Provençale (no 449658 en B) :

« l’autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d’une part, à l’absence de solution alternative satisfaisante, d’autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur. […] ».

La première condition tenant à « l’absence de solution alternative satisfaisante » ne nous semble pas remplie. La jurisprudence du Conseil est peu fournie sur la question de savoir à quelle échelle il convient d’apprécier ce critère. Est-ce au niveau communal, intercommunal, national ou international ? À notre sens, il n’y a pas de réponse unique. Ce critère appelle une réponse au cas par cas. La bonne échelle d’appréciation de cette condition doit s’apprécier au regard du projet. Il nous semble que pour un projet de ce type, de dimension locale et non nationale ou internationale, il faut nécessairement se placer à une échelle locale1. Dans le cas contraire, la condition ne pourrait en quelque sorte jamais être satisfaite. Mais l’échelle communale est-elle la bonne ?

Nous ne le pensons pas.

La commune de Cruis a fait un appel à projets pour installer un parc photovoltaïque sur son territoire. La société Boralex a répondu à cet appel à projets en proposant un projet se situant sur le territoire de la commune. Il résulte de l’étude d’impact que la société Boralex a analysé trois emprises potentielles différentes sur le territoire communal et a proposé la variante la moins préjudiciable à l’environnement. Elle n’a ainsi pas analysé l’existence d’autres solutions alternatives au-delà du territoire communal, notamment à l’échelle du département ou du secteur dit de la Haute-Provence qui englobe partiellement le territoire de plusieurs intercommunalités, alors que le secteur d’implantation identifié par la commune n’était pas artificialisé et nécessitait l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction ou perturbation des espèces protégées, et de destruction ou dégradation de leurs habitats. Cette approche nous semble trop restrictive au regard des exigences fixées par les dispositions de l’article L. 411‑1 et du I de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement ainsi que par la jurisprudence précitée. La logique de l’appel à projets communal ne permet pas de s’affranchir de ces exigences. La circonstance que le projet soit initié par la commune nous semble indifférent au regard du respect des principes applicables. Il en va de même de la question de la maîtrise du foncier.

Il nous semble que la société Boralex ne pouvait faire l’économie de la recherche d’autres solutions alternatives à une échelle plus large. Nous relevons que le Conseil national de la protection de la nature a rendu un avis allant en ce sens tout comme la DREAL. Vous trouverez même au dossier, c’est plus inhabituel, un écrit de la sous-préfète concernée qui est du même avis et qui pointe précisément une « analyse sur les sites alternatifs […] insuffisante ».

Si la société Boralex précise que la commune de Cruis est identifiée dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires comme constituant une zone à perspective de développement significatif des parcs photovoltaïques, nous relevons que ce schéma privilégie l’implantation sur des terrains déjà artificialisés, notamment des bâtiments délaissés, toitures et parkings. Il nous semble que l’argument ne peut par conséquent pallier à l’insuffisance de recherche concrète de « solution alternative satisfaisante » à une échelle plus grande que la seule commune de Cruis2.

Au regard de tout ce qui précède, le préfet a commis une erreur d’appréciation en estimant qu’il n’existait pas d’autre solution satisfaisante au sens du 4° du I de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement (pour un précédent : CAA Nancy 11 avril 2024 SARL Eoliennes de bonne voisine 2 no 22NC01196). Ce constat vous conduira à annuler l’arrêté du 17 janvier 2020 ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux dès lors que cette illégalité ne semble pas susceptible de régularisation. Voyez pour un précédent votre décision CIPM International (CAA Marseille 2 octobre 2020 Société consortium d’investissements et de placements mobiliers no 18MA03225).

Par ces motifs, nous concluons :

  • à ce que l’intervention de l’association pour la protection des animaux sauvages soit admise.

  • à l’annulation de l’arrêté du 17 janvier 2020, de la décision du 25 juin 2020 rejetant le recours gracieux et du jugement attaqué.

  • au rejet du surplus des conclusions des parties.

Notes

1 Voir toutefois les conclusions de M. Stéphane Hoynck sur CE 30 décembre 2021 Société Sablières de Millières no 439766 en B. Retour au texte

2 L’échelon communal n’est sans doute pas le plus pertinent pour planifier ce type de projets. La loi no 2023‑175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi « ENR », contient des dispositifs de planification territoriale dont l’objet est de favoriser l’implantation de ce type de projets, ainsi que des réalisations industrielles jugées nécessaires à la transition énergétique. Sont ainsi créées des « zones d’accélération de la production d’énergies renouvelables ». Ces zones d’accélération doivent répondre à 6 grands objectifs assignés par la loi, dont le fait de présenter un potentiel susceptible de favoriser le développement de la production. Elles sont définies, pour chaque catégorie de sources et de types d’installation de production d’énergies renouvelables, en tenant compte de la nécessaire diversification des énergies en fonction des potentiels du territoire concerné et de la puissance d’énergies renouvelables déjà installée ; elles doivent aussi contribuer à la solidarité entre les territoires et à la sécurisation des approvisionnements, tout en prévenant les éventuels dangers ou inconvénients (cf. articles L. 141-5-2 et L 141-5-3 du code de l’énergie ; articles L. 141‑4, L. 141‑10, L. 143‑29, L. 151‑5, L. 151‑7, L. 151‑28, L. 151‑42‑1 et L. 161‑4 du code de l’urbanisme ; article L. 181‑28‑10 du code de l’énergie). Nous relevons que dans le cadre de ce dispositif, les zones sont délimitées à l’initiative des communes, après concertation du public, et transmises au référent préfectoral dédié (désigné par le représentant de l’État dans le département parmi les sous-préfets) et à l’EPCI dont elles sont membres. Si un schéma de déploiement des énergies renouvelables est en vigueur à la date du 12 mars 2023 (ce peut être à l’échelle d’un EPCI, d’un Parc naturel, du département, …), il en est tenu compte pour identifier les zones. L’initiative est communale mais le référent préfectoral est ensuite chargé d’arrêter ce zonage, après consultation des établissements publics compétents en matière de SCOT et des EPCI. Il transmet cette cartographie pour avis au comité régional de l’énergie. Si cet avis est favorable, les référents préfectoraux de la région arrêtent la cartographie des zones identifiées à l’échelle de chaque département, après avoir recueilli l’avis conforme des communes du département, exprimé par délibération du conseil municipal, chacune pour ce qui concerne les zones d’accélération situées sur leur territoire. Les communes ne sont donc pas seules à décider dans le cadre de ce dispositif. Retour au texte

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