L’obligation d’accepter la démission d’un militaire de carrière

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Décision de justice

CAA Marseille, 5e chambre – N° 22MA02437 – 23 février 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA02437

Numéro Légifrance : CETATEXT000049204048

Date de la décision : 23 février 2024

Index

Mots-clés

militaire de carrière, démission, acceptation, compétence liée

Rubriques

Armées-Militaires

Résumé

La cour annule le refus du ministre des armées de faire droit à la demande de démission présentée par un capitaine du corps des officiers de l’air, au motif que, le nombre total des demandes de démission ne représentant pas un nombre au moins égal à 5 % arrondi à l’unité supérieure du nombre des nominations effectuées en 2019 au premier grade du corps, le ministre était tenu d’accepter cette démission, en application notamment de l’article 37 du décret du 12 septembre 2008 portant statut particulier des corps des officiers de l’air, des mécaniciens de l’air et des officiers des bases de l’air.

Conclusions du rapporteur public (extraits)

Olivier Guillaumont

Rapporteur public

DOI : 10.35562/amarsada.517

1.

Le dossier qui vient d’être appelé vous conduira à déterminer les conditions dans lesquelles un pilote de l’armée de l’air peut démissionner.

Le capitaine Coppens d’Eeckenbrugge, affecté au centre de formation aéronautique militaire de Salon‑de‑Provence en tant qu’instructeur pilote escadrille, a sollicité par courrier du 4 février 2019 l’agrément de sa démission du corps des officiers de l’air. La ministre des armées a refusé par une décision du 17 mai 2019 de faire droit à sa demande.

Le recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires qu’il a présenté le 21 juin 2019 a fait l’objet d’une décision de rejet par le ministre des armées le 14 octobre 2019.

M. Coppens d’Eeckenbrugge relève appel du jugement du 7 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 17 mai 2019 de la ministre des armées.

2.

Vous devez mobiliser les articles L. 4139‑12 et L. 4139‑13 du code de la défense1 ainsi que l’article 37 du décret no°2008-943 du 12 septembre 2008 portant statut particulier des corps des officiers de l’air, des officiers mécaniciens de l’air et des officiers des bases de l’air (qui précise que

« Sans préjudice des dispositions prévues au deuxième alinéa2 de l’article L. 4139‑13 du code de la défense, les officiers ne pouvant pas bénéficier d’une pension de retraite dans les conditions fixées par les dispositions du II de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite peuvent déposer une demande de démission. Dans ce cas, le ministre de la défense est tenu d’y faire droit dès lors que le nombre total des demandes de démission ne représente pas un nombre au moins égal à 5 %, arrondi à l’unité supérieure, du nombre des nominations effectuées chaque année au premier grade du corps. »).

De ces dispositions combinées nous identifions trois situations distinctes.

La première, qui correspond à la seconde phrase de l’article L. 4139‑13 du code de la défense, est celle dans laquelle le militaire a reçu une formation spécialisée ou perçu une prime liée au recrutement ou à la fidélisation et qu’il n’a pas atteint le terme du délai pendant lequel il s’est engagé à rester en activité. Dans cette première hypothèse, la démission ou la résiliation du contrat ne peut être acceptée que pour des motifs exceptionnels. Peu importe dans ce cas que le militaire puisse bénéficier ou non d’une pension de retraite dans les conditions fixées au II de l’article L. 24 et à l’article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Il convient de préciser que la situation de M. Coppens n’est pas régie par ces dispositions spécifiques. Devant vous, pas plus d’ailleurs qu’en première instance, le ministre ne se prévaut de ces dispositions et il résulte des pièces du dossier que la durée d’engagement à servir se terminait un peu plus deux mois après la date de la décision contestée. M. Coppens s’est engagé le 1er août 2011 à servir pour une durée de huit ans, soit jusqu’au 1er août 2019. La décision initiale est datée du 17 mai 2019. Vous pourrez donc considérer que la situation de de M. Coppens n’avait pas à être régie par ce deuxième alinéa (en fait deuxième phrase) même si la démission ne pouvait devenir effective avant le 1er août 2019. Mais précisément outre que sa demande doit être regardée comme sollicitant sa démission au 1er août 2019, la décision prise sur RAPO s’est substituée à la décision du 17 mai 2019.

La deuxième hypothèse correspond à l’hypothèse dans laquelle le militaire a droit à la liquidation de sa pension de retraite dans les conditions fixées au II de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Dans ce cas la démission ou la résiliation du contrat est effective à l’issue d’un préavis dont la durée est fixée par décret en Conseil d’État. Il est constant que M. Coppens, né en 1988 a intégré l’armée à vingt ans et qu’il ne disposait pas des vingt-sept années de services actifs pour bénéficier d’une liquidation de sa pension militaire en application du II de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Il est toutefois important pour la suite d’avoir en tête l’existence de cette deuxième hypothèse.

La troisième hypothèse correspond aux demandes de démission présentées par des officiers dont la durée d’engagement à rester dans l’armée est terminée mais qui ne remplissent pas les conditions pour bénéficier d’une pension de retraite dans les conditions fixées par les dispositions du II de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite. M. Coppens relève de cette troisième hypothèse. Dans cette hypothèse, le militaire peut déposer une demande de démission. Et le sort à réserver à cette demande dépend assez largement de considérations extérieures au demandeur. Dans ce cas, l’article 37 du décret précise que

« le ministre de la défense est tenu d’y faire droit dès lors que le nombre total des demandes de démission ne représente pas un nombre au moins égal à 5 %, arrondi à l’unité supérieure, du nombre des nominations effectuées chaque année au premier grade du corps ».

Si ce seuil est dépassé, la démission n’est plus un droit et il appartient à l’autorité de nomination d’apprécier, s’il y a lieu, ou non, d’y faire droit (CE 25 juin 2003 M. Six no°235903 ; CE 2 avril 2004 M. Bisiaux ; no°CE 6 mai 2009 M. Ouhichi no°314876). À défaut de texte encadrant l’appréciation à mener par l’autorité de nomination au moment de statuer sur une demande de démission, cette autorité dispose d’un « pouvoir discrétionnaire » et votre contrôle est un contrôle restreint, c’est-à-dire limité à l’erreur manifeste d’appréciation (CE 22 octobre 1980 Oswald no°16609 ; CE 19 mars 1997 Desmoineaux no°134197 ; CE 29 janvier 2007 M. Cluzeau no°288340). Ce contrôle aboutit parfois à l’annulation du refus (Exemple : CAA Marseille 21 octobre 2023 Ministre des Armées no°22MA02074 à nos conclusions publiées à l’AJFP d’avril 2023).

En synthèse, la troisième hypothèse en cache en réalité deux. Première configuration : le ministre des armées n’est tenu de faire droit à une demande de démission que lorsque le nombre total des demandes de démission ne représente pas un nombre au moins égal à 5 % arrondi à l’unité supérieure du nombre des nominations effectuées chaque année au premier grade du corps. Seconde configuration : si ce seuil est dépassé, la démission est soumise à l’agrément du ministre des armées, en tenant compte de l’intérêt du service.

3.

En l’espèce, la ministre des armées fait valoir que quarante-huit nominations ont été prononcées au grade de sous-lieutenant dans le corps des officiers de l’air au titre de l’année 2019, ce qui porte à trois le nombre d’officiers autorisés à démissionner, et la ministre fait valoir que ce seuil avait déjà été atteint à la date du dépôt de la demande de démission de M. Copens d’Eeckenbrugge, soit le 4 février 2019.

Toutefois, d’une part, il ressort des extraits du journal officiel de la République française produits par le requérant que, par deux décrets du 4 mars 2019 et du 9 avril 2019, quarante‑huit nominations (élèves officiers), puis sept autres nominations (de sous‑lieutenant) ont été prononcées en 2019. Un total de cinquante-cinq nominations prononcées au 1er grade du corps est donc intervenu en 2019, année durant laquelle M. Coppens d’Eeckenbrugge a présenté sa demande de démission.

D’autre part, si le ministre se prévaut de l’existence de la radiation de trois officiers de l’air pour l’année 2019, deux des trois arrêtés de radiation des cadres qu’il produit en appel ont été pris respectivement les 28 septembre 2018, 10 décembre 2018, soit antérieurement à l’année 2019, et ne constituent dès lors pas des demandes de démission au titre de l’année 2019 au sens des dispositions précitées de l’article 37 du décret du 12 septembre 2008. En outre, et en tout état de cause, les trois officiers qui ont été rayés des cadres au cours de l’année 2019 ont été admis à faire valoir leur droit à pension de retraite. Comme le fait valoir le requérant, ces officiers nés en 1971 se sont sans doute engagés à vingt ans et remplissaient donc bien la condition de vingt-sept années de service actif en 2019. Ces trois décisions d’admission à la retraite ne pouvaient ainsi pas être prises en compte dans le quota de 5 %, ce que ne conteste pas la ministre des armées.

Par suite, la ministre des armées était tenue de faire droit à la demande de démission de M. Coppens d’Eeckenbrugge, dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le quota de 5 % était dépassé au titre de l’année 2019.

Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête que M. Coppens d’Eeckenbrugge est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

4.

Nous terminerons de façon inhabituelle au regard de l’ordre normal d’examen des questions en vous indiquant que la démission de M. Coppens a finalement été acceptée le 28 novembre 2019. Le ministre en conclut qu’il y aurait non-lieu à statuer. Mais tel n’est pas le cas. La décision contestée a bien produit des effets à compter du 17 mai 2019 jusqu’au 28 novembre 2019. Au cours de cette période, l’intéressé devait assurer son service sous peine d’une sanction disciplinaire et la décision du ministre des armées en date du 28 novembre 2019 n’a pas eu pour effet d’annuler les conséquences, notamment financières, tirées du premier refus d’agrément opposé au requérant. Par suite, l’exception de non-lieu opposée par le ministre des armées ne peut qu’être écartée.

Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement et de la décision de la ministre des armées en date du 14 octobre 2019.

Notes

1 Vous mobiliserez tout d’abord l’article L. 4139‑12 du code de la défense : « L’état militaire cesse, pour le militaire de carrière, lorsque l’intéressé est radié des cadres, pour le militaire servant en vertu d’un contrat, lorsque l’intéressé est rayé des contrôles ». Vous mobiliserez également le premier alinéa de l’article L. 4139-13 du même code : « La démission du militaire de carrière ou la résiliation du contrat du militaire servant en vertu d’un contrat, régulièrement acceptée par l’autorité compétente, entraîne la cessation de l’état militaire. La démission ou la résiliation du contrat, que le militaire puisse bénéficier ou non d’une pension de retraite dans les conditions fixées au II de l’article L. 24 et à l’article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ne peut être acceptée que pour des motifs exceptionnels, lorsque, ayant reçu une formation spécialisée ou perçu une prime liée au recrutement ou à la fidélisation, le militaire n’a pas atteint le terme du délai pendant lequel il s’est engagé à rester en activité. Lorsque le militaire a droit à la liquidation de sa pension de retraite dans les conditions fixées au II de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, la démission ou la résiliation du contrat est effective à l’issue d’un préavis dont la durée est fixée par décret en Conseil d’État. Toutefois, lorsque les circonstances l’exigent, le Gouvernement peut prévoir, par décret, le maintien d’office en position d’activité pour une durée limitée. Le militaire dont la démission ou la résiliation de contrat a été acceptée est soumis à l’obligation de disponibilité au titre de la réserve militaire. ». Retour au texte

2 Il n’y a pas d’alinéas à l’article en question … il faut comprendre « la deuxième phrase ». Retour au texte

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