Des conditions de l’exception d’inopposabilité de l’acte instituant le droit de préemption

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Décision de justice

CAA Marseille, 4e chambre – N° 22MA02533 – 12 mars 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA02533

Numéro Légifrance : CETATEXT000049285062

Date de la décision : 12 mars 2024

Index

Mots-clés

droit de préemption, exception d’inopposabilité, délibération instituant le droit de préemption

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Résumé

S’il résulte de l’article R. 211‑2 du code de l’urbanisme que la délibération instituant le droit de préemption urbain doit faire l’objet d’une mention insérée dans deux journaux diffusés dans le département, le respect de cette obligation d’information par voie de presse est sans incidence sur la détermination de sa date d’entrée en vigueur qui ne découle, en vertu de l’article L. 2131‑1 du code général des collectivités territoriales, que de sa publication et de sa transmission au représentant de l’État dans le département.

Par conséquent, une société qui demande l’annulation d’une décision de préemption ne peut pas utilement se prévaloir du défaut de caractère exécutoire de la délibération instituant le droit de préemption sur le territoire de la commune concernée, dûment publiée et transmise au représentant de l’État dans le département, au seul motif que cette délibération n’aurait pas fait l’objet d’une mention insérée dans deux journaux diffusés dans le département, ainsi que l’exige l’article R. 211-2 du code de l’urbanisme.

Rappr. CE, 2 avril 2021, Falgaronne c/ Hirel, no 427736.

Conclusions de la rapporteure publique

Claire Balaresque

Rapporteure publique

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DOI : 10.35562/amarsada.458

La SAS Société immobilière de Saint‑Aygulf est propriétaire d’une unité foncière de 5 437 m² composée des parcelles cadastrées section BV no 123 et no 892 située 123 avenue Pierre Puget à Fréjus, sur laquelle elle avait obtenu le 9 décembre 2014 un permis d’aménager, modifié le 8 octobre 2015, afin de créer un lotissement de douze lots dénommé La Pinède de Mathias.

Elle a souhaité vendre ces parcelles ainsi que les droits à lotir rattachés et a signé à cet effet, le 9 décembre 2015, un compromis de vente avec la SAS Best Place pour un prix de vente de 1 165 000 euros hors taxes.

Toutefois, après que la déclaration d’intention d’aliéner a été reçue en mairie de Fréjus le 21 décembre 2015, le préfet du Var a, par un arrêté du 28 janvier 2016, décidé de déléguer l’exercice de ce droit à la SA Erilia, entreprise sociale pour l’habitat.

En effet, en application de l’article L. 302‑9‑1 du code de la construction et de l’habitation, le préfet du Var a, par un arrêté du 24 juillet 2014, prononcé la carence de la commune de Fréjus en matière de production de logements locatifs sociaux, au titre de la période triennale 2011‑2013. En application de l’article L. 201‑1 du code de l’urbanisme, le préfet était dès lors compétent en matière d’exercice du droit de préemption sur le territoire communal, pendant la durée d’application de l’arrêté de carence.

Le 17 février 2016, le directeur général de la SA Erilia a décidé de préempter le bien au prix de 600 000 euros hors taxes, ce qui a conduit la SAS Société Immobilière de Saint‑Aygulf à renoncer à la vente.

La SAS Best Place a alors demandé au TA de Toulon d’annuler cette décision de préemption, ce qu’il a fait, par un jugement no 1600694 du 8 novembre 2018, devenu définitif, au motif tiré du vice d’incompétence entachant cette décision.

Le 11 avril 2019, la SAS Best Place a présenté à la société Erilia une demande indemnitaire en réparation des préjudices causés par cette décision de préemption illégale, demande qui a été expressément rejetée par une décision du 4 juin 2019.

La SAS Best Place a alors demandé au TA de Toulon de condamner la SA Erilia à lui verser la somme de 1 069 717 euros en réparation de ses préjudices.

Par le jugement attaqué du 29 juillet 2022, dont la société Erilia relève régulièrement appel, le TA de Toulon a rejeté sa demande.

Au détour de ses écritures d’appel, la société Erilia conteste la régularité du jugement attaqué, au motif que le TA n’aurait pas expressément répondu à l’une des branches de son argumentation relative à la régularité de l’institution du droit de préemption urbain sur le territoire de la commune de Fréjus en n’examinant pas le moyen tiré de ce que la délibération du conseil municipal de Fréjus du 22 juin 1987 n’aurait pas fait l’objet des mesures de publicité appropriées nécessaires à son entrée en vigueur.

Toutefois, les premiers juges ont implicitement mais nécessairement écartés cette branche de l’argumentation de la requérante comme inopérante, en jugeant que cette délibération avait cessé de produire ses effets et en examinant uniquement la branche du moyen de la requérante dirigé contre la délibération du 7 mai 2007 du conseil municipal de Fréjus.

Et le fait qu’ils n’aient pas expressément répondu à la branche du moyen - qu’ils ont regardé comme inopérante - dirigée contre la délibération du 22 juin 1987 n’entache pas d’irrégularité leur jugement (voyez sur ce point CE, 28 janvier 1966, Sieur Bajon, no 64802, p. 68).

Venons‑en donc à l’examen du bien-fondé du jugement attaqué.

La SAS Best Place recherche, on l’a dit, l’engagement de la responsabilité de la société Erilia en raison de l’illégalité de la décision de préemption du 17 février 2016.

Cette illégalité est acquise, on l’a également dit, puisque cette décision a été annulée pour vice d’incompétence par un jugement définitif du TA de Toulon.

Or un acquéreur évincé par une décision de préemption illégale est en droit d’obtenir réparation des préjudices qui résultent pour lui, de façon directe et certaine, de cette décision (voyez la décision CE, 17 décembre 2007, Commune de Montreuil, no 304626, B).

Par une récente décision (CE, 13 novembre 2023, M. Boukris, no 466959), le Conseil d’État a toutefois confirmé l’un de vos arrêts et précisé que

« lorsqu’une personne sollicite le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité d’une décision administrative entachée d’incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l’espèce, par l’autorité compétente. Dans le cas où il juge qu’une même décision aurait été prise par l’autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d’incompétence qui entachait la décision administrative illégale ».

Le seul vice d’incompétence retenu par le TA de Toulon dans son jugement du 8 novembre 2018 ne peut ouvrir droit à indemnisation à la SAS Best Place, dès lors que la décision de préemption litigieuse aurait pu légalement intervenir.

Sans doute consciente de cela, la SAS Best Place a développé de nombreux autres moyens d’illégalité à l’encontre de la décision de préemption litigieuse dans ses écritures de première instance et d’appel, ce qu’elle était bien fondée à faire, ainsi que l’a jugé le TA, le jugement du 8 novembre 2018 n’étant revêtu de l’autorité de la chose jugée que dans la mesure où il fonde l’annulation qu’il prononce sur le vice d’incompétence, seul motif constituant le soutien nécessaire de son dispositif.

Vous pourrez d’abord écarter le moyen, soulevé par la SAS Best Place dans les mêmes termes devant vous qu’en première instance, tiré de l’absence de transmission de la décision du directeur général de la SA Erilia du 17 février 2016 au préfet, par adoption des motifs retenus à bon droit et avec suffisamment de précision, aux points 7 et 8 du jugement attaqué : la société anonyme Erilia, qui a exercé le droit de préemption sur délégation du représentant de l’État, n’est pas soumise aux dispositions du CGCT (voyez sur ce point les conclusions de Christophe Devys sur la décision CE, 31 janvier 2007, Maia c/ communauté d’agglomération de Saint‑Quentin‑en‑Yvelines (Casqy), no 277715, 277716 :

« L’epasqy étant, ainsi que l’a parfaitement démontré la cour administrative d’appel de Versailles, un établissement public de l’État non soumis aux dispositions du CGCT, le moyen tiré de ce que les décisions de préemption n’auraient pas été transmises aux préfets dans les 2 mois, en méconnaissance des dispositions combinées des articles L. 213‑2 du code de l’urbanisme et L. 2131‑2 du CGCT, est inopérant). »

Vous pourrez également reprendre le raisonnement du TA en ce qui concerne la légalité de l’institution du droit de préemption sur la commune de Fréjus : quelle que soit la formulation retenue par la délibération de 2007, qui mentionne certes le « renouvellement » du DPU, c’est bien cette délibération qui a institué le droit de préemption urbain sans limitation de durée sur toutes les zones urbaines et à urbaniser de la commune de Fréjus, telles que figurant au sein du PLU révisé approuvé par la délibération du conseil municipal du 19 janvier 2005.

Cette délibération s’est donc entièrement substituée à celle de 1987, dont il n’y a donc plus lieu de tenir compte.

Voyez en ce sens les conclusions d’A. Lallet sur la décision JRCE, 25 juillet 2013, commune d’Annonay, no 366071 : le rapporteur public retient ce même raisonnement en ce qui concerne le droit de préemption urbain institué sur la commune d’Annonay, à propos de la succession de deux délibérations successives, l’une de 1987 instituant le droit de préemption avant l’adoption du POS et l’autre prise simultanément à l’adoption du POS en 1992 et qui

« renvoie à la délimitation des zones du POS approuvé le même jour et crée en outre un droit de préemption renforcé sur une partie de celles‑ci, qui n’existait pas auparavant. Il nous semble donc que, comme l’indique la commune elle‑même dans le dernier état de ses écritures, elle s’est entièrement substituée à la délibération de 1987, dont il n’y a plus lieu de tenir compte. »

C’est donc la délibération du 7 mai 2007 qui a instauré le droit de préemption urbain sur l’ensemble des zones urbaines et à urbaniser du territoire de la commune de Fréjus.

Elle constitue donc bien l’une des bases légales de la décision litigieuse (voyez sur ce point les conclusions de Rémi Decout‑Paolini sur la décision CE, 10 mai 2017, Société ABH Investissements, no 398736, B :

« la délibération instituant dans une zone le droit de préemption urbain constitue la « base légale » des décisions de préemption prises dans la zone concernée – ou l’une de ses bases légales puisque les décisions de préemption trouvent par ailleurs leur fondement direct dans les dispositions du code de l’urbanisme relatives au droit de préemption, en particulier l’article L. 210‑1 ».)

Je me suis tout de même interrogée sur la question de savoir s’il s’agissait bien d’une base légale de la décision litigieuse, puisque cette dernière a été prise, on l’a dit, sur le fondement de l’arrêté préfectoral du 24 juillet 2014 prononçant la carence définie par l’article L. 302‑9‑1 du code de la construction et de l’habitation au titre de la période triennale 2011‑2013 pour la commune de Fréjus et de l’arrêté préfectoral du 28 janvier 2016 déléguant l’exercice du droit de préemption à la société Erilia sur le terrain de 5 437 m2 situé avenue Pierre Puget à Féjus, cadastré BV 892 et BV 123.

En effet, en application du deuxième alinéa de l’article L. 210‑1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige :

« Pendant la durée d’application d’un arrêté préfectoral pris sur le fondement de l’article L. 302‑9‑1 du code de la construction et de l’habitation, le droit de préemption est exercé par le représentant de l’État dans le département lorsque l’aliénation porte sur un terrain, bâti ou non bâti, affecté au logement ou destiné à être affecté à une opération ayant fait l’objet de la convention prévue à l’article L. 302‑9‑1 précité. Le représentant de l’État peut déléguer ce droit à un établissement public foncier créé en application de l’article L. 321‑1 du présent code, à une société d’économie mixte ou à un des organismes d’habitations à loyer modéré prévus par l’article L. 411‑2 du code de la construction et de l’habitation. Les biens acquis par exercice du droit de préemption en application du présent alinéa doivent être utilisés en vue de la réalisation d’opérations d’aménagement ou de construction permettant la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l’habitat ou déterminés en application du premier alinéa de l’article L. 302‑8 du même code ».

Or le deuxième alinéa de l’article L. 211 de ce code précise que « dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article L. 210‑1, le droit de préemption peut être institué ou rétabli par arrêté du représentant de l’État dans le département ».

Mais, comme le faisait valoir la requérante en première instance, nous n’avons pas au dossier d’éléments relatifs à l’existence d’un tel arrêté préfectoral instituant le droit de préemption et l’arrêté du préfet qui délègue à la société Erilia l’exercice du droit de préemption vise d’ailleurs la délibération du 7 mai 2007 instituant le droit de préemption urbain sur le territoire de la commune de Fréjus (et celle du 11 avril 2008 instituant le droit de préemption urbain renforcé).

La requérante conteste le caractère exécutoire de cette délibération du 7 mai 2007, faute qu’ait été accomplies les formalités nécessaires à son entrée en vigueur.

Plus précisément, la requérante soutient que cette délibération n’est pas entrée en vigueur, faute de preuve de l’accomplissement des formalités de publicité prévues par les dispositions de l’article R. 211‑2 du code de l’urbanisme.

De prime abord, vous auriez pu être tenté de considérer ce moyen comme opérant, suivant en cela des décisions assez récentes du juge des référés du Conseil d’État : voyez notamment les décisions JRCE, 19 juin 2017, commune de Chennevières‑sur‑Marne 407826 et JRCE, 8 décembre 2022, Société Pierre et Patrimoine, no 466081 qui semblent considérer que pour rendre le droit de préemption opposable, il faut que la délibération instituant le droit de préemption ait fait l’objet des formalités de publicité prévues par les dispositions de l’article R. 211‑2 du code de l’urbanisme, « lesquelles constituent des formalités nécessaires à son entrée en vigueur ».

Toutefois, à la lumière de la décision CE, 2 avril 2021, no 427736, M. et Mme Falgaronne, B relative aux modalités d’entrée en vigueur d’un PLU, je vous invite à considérer qu’un tel moyen n’est en réalité pas opérant.

En effet, par cette décision, le CE a jugé que

« S’il résulte des dispositions réglementaires des articles R. 123‑24 et R. 123‑25 du code de l’urbanisme que cette délibération doit faire l’objet d’un affichage pendant un mois et que cet affichage doit être mentionné de manière apparente dans un journal diffusé dans le département, le respect de cette durée d’affichage et celui de cette obligation d’information par voie de presse sont sans incidence sur la détermination de la date d’entrée en vigueur du plan local d’urbanisme ».

Et la raison pour laquelle le respect de ces formalités prescrites par ces dispositions règlementaires est sans incidence sur l’entrée en vigueur d’un PLU tient au fait que les dispositions des articles L. 123‑12 du code de l’urbanisme et L. 2131‑1 du code général des collectivités territoriales prévoient que

« la délibération approuvant un plan local d’urbanisme entre en vigueur dès lors qu’elle a été publiée et transmise au représentant de l’État dans le département. Elle est ainsi exécutoire à compter de la date la plus tardive entre la date de publication et la date de transmission au représentant de l’État ».

Le caractère exécutoire de cette délibération n’est donc subordonné par la loi qu’à l’accomplissement de ces deux formalités, celles prévues par les dispositions règlementaires étant en quelque sorte superfétatoires.

Bien que l’article R. 211‑2 du code de l’urbanisme, dont la rédaction est inchangée depuis le 1er juin 1987, ne renvoie pas expressément à l’article L. 2131‑1 du code général des collectivités territoriales, je vous invite à faire vôtre l’analyse du rapporteur public Nicolas Polge dans ses conclusions sur cette décision :

« Au regard du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et de la compétence du législateur pour en déterminer les principes fondamentaux et les conditions, on peine à admettre qu’une disposition réglementaire puisse ajouter des formalités ».

Il résulte des dispositions de cet article L. 2131‑1 du CGCT que

« Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu’il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu’à leur transmission au représentant de l’État dans le département ou à son délégué dans l’arrondissement. […] Le maire certifie, sous sa responsabilité, le caractère exécutoire de ces actes ».

Or, en l’espèce, les mentions figurant sur cette délibération qui font foi jusqu’à preuve du contraire (cf. CE, 12 février 2014, Société Famca, no 358956, B) indiquent que cette délibération a été transmise en préfecture le 21 mai 2007 et affichée du 21 mai 2007 au 21 juin 2007.

Je vous invite donc à écarter le moyen tiré de l’absence caractère exécutoire de cette délibération du 7 mai 2007 puisque les deux conditions légales pour l’entrée en vigueur de la délibération litigieuse, soit son affichage et sa transmission au représentant de l’État sont bien remplies en l’espèce.

Si vous ne me suiviez pas sur l’inopérance du moyen tiré de la méconnaissance des formalités de publicité prescrites par les dispositions de l’article R. 211‑2 du code de l’urbanisme ou plus exactement sur l’absence d’incidence du respect de cette formalité sur l’entrée en vigueur de la délibération du 7 mai 2007, vous relèverez toutefois que la société Erilia produit la demande de parution d’annonces légales adressée le 9 mai 2007 par le premier adjoint au maire de Fréjus pour une parution le 12 mai 2007, demande revêtue d’un tampon attestant de la parution dans Var Matin le 12 mai 2007 ainsi que l’annonce parue le 11 mai 2007 dans le quotidien La Marseillaise, revêtue du tampon du bureau local de la Marseillaise à Toulon. Si la photocopie de cette dernière annonce versée aux débats n’est, comme le fait valoir l’appelante, pas de bonne qualité, on distingue tout de même sans difficulté les principales mentions relatives à la délibération du 7 mai 2007 par laquelle le conseil municipal a approuvé le renouvellement du droit de préemption urbain sur toutes les zones urbaines et urbanisés de la commune de Fréjus et à l’affichage de cette délibération.

Or, comme le rappelait le rapporteur public Alexandre Lallet dans ses conclusions précitées sur la décision JRCE, 25 juillet 2013, Commune d’Annonay, no 366071, il « convient, face à ce type de moyen entièrement fondé sur l’écoulement du temps, de faire preuve d’une certaine tolérance à l’égard de l’administration, compte tenu en outre des conséquences de l’illégalité des décisions instituant le DPU ».

Je vous invite donc, à titre subsidiaire, à considérer que les éléments dont nous disposons au dossier pour nous assurer du caractère exécutoire de la délibération du 7 mai 2007 sont bien suffisants en l’espèce, car la circonstance qu’une photocopie produite pour justifier de la publication d’une annonce légale soit de mauvaise qualité ne saurait par elle‑même suffire à remettre en cause la réalité de cette publication.

Nous pourrons alors en venir au dernier moyen d’illégalité fautive de la décision de préemption litigieuse, tiré de l’absence de justification de la réalité du projet.

Vous le savez, le Conseil d’État juge de façon constante depuis la décision CE, 07 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, no 288371, A que

« les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300‑1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date ».

Les exigences en la matière ont été précisées par la décision CE, 15 juillet 2020, M. et Mme Brechet, no 432325, B., éclairée par les conclusions du rapporteur public, Vincent Villette :

« S’agissant de la réalité du projet, vous savez que vous vous attachez à déterminer si la commune établit son intention, à la date de préemption, de mener à bien un projet sur la parcelle concernée. Dans ce cadre, une intention non matérialisée21, ou renvoyant à un projet trop vague22 ne vous suffit pas. Sans faire preuve de formalisme mais avec vigilance, vous continuez ainsi d’exiger des éléments concrets antérieurs à la décision23, telles que des études de faisabilité24, une précédente proposition d’acquisition amiable25 ou la démonstration que ce projet s’insère dans une politique cohérente conduite par la municipalité26, ce qui rend alors sa réalisation hautement probable. (…) »

La décision de préemption litigieuse, exercée par délégation du préfet, se fonde expressément sur l’arrêté préfectoral du 24 juillet 2014 prononçant la carence de la commune de Fréjus au titre de l’article L. 302‑9‑1 du code de la construction et de l’habitation et sur la circonstance que l’acquisition de ces parcelles participe à la réalisation d’opérations d’aménagement ou de construction permettant d’atteindre les objectifs de production et d’acquisition de logements sociaux fixés dans le programme local de l’habitat, ou déterminés en application du premier alinéa de l’article L. 302‑8 du code de la construction et de l’habitation.

Cette délibération vise le PLH adopté par une délibération du conseil communautaire de la communauté d’agglomération Var-Esterel-Méditerranée du 1er juillet 2011.

Mais la seule circonstance que le terrain en cause ne se situe pas dans les zones définies par ce document ne saurait suffire à dénier toute réalité au projet (CE, 30 novembre 2014, Communauté urbaine de Strasbourg, no 366149, inédit).

Comme le souligne Mathieu Le Coq dans ses conclusions sur la décision CE, 30 juin 2023, Société MJ Développement - Immobilier et Investissement et autre, no 468543, B :

« La référence au PLH est une modalité particulière de motivation de la décision de préemption, qui ne dispense pas de vérifier la réalité des intentions de la collectivité pour le bien préempté (V. en ce sens les concl. L. Derepas sur la décision précitée Commune de Noisy‑le‑Grand1) et qui n’interdit pas, lorsque la référence au PLH s’avère erronée, d’apporter tous éléments probants de nature à établir la réalité des intentions de la collectivité pour le bien préempté ».

En l’espèce, la réalité des intentions de la société Erilia, entreprise sociale pour l’habitat, régie par les dispositions des articles L. 422‑2 et suivants du code de la construction et de l’habitation, de construire des logements sociaux sur les parcelles préemptées, dont il n’est nullement contesté par la SAS Best Place qu’elles sont bien constructibles, me paraît suffisamment établie.

Voyez pour un a contrario l’affaire Bréchet précitée dans laquelle plusieurs éléments permettaient de douter de la possibilité même de réalisation d’un projet de logement sur la parcelle concernée par la préemption, située dans une zone de dangers d’une centrale ainsi que de l’intention véritable de la commune de réaliser un tel projet.

J’indique en outre qu’il importe peu que l’étude datée de mars 2015 produite par la SA Erilia comporte deux scénarii différents, l’un pour la construction de 18 villas et l’autre pour la construction de 4 immeubles collectifs. (Voyez en ce sens les conclusions de Mathieu Le Coq sur la décision CE, 30 juin 2023, Société MJ Développement - Immobilier et Investissement et autre, no 468543, B :

« En l’espèce, s’il est vrai que la décision ne précise pas le nombre de logements sociaux projetés, cela ne nous semble pas constituer une difficulté insurmontable dès lors qu’elle indique bien la nature du projet, à savoir la réalisation d’un programme mixte incluant des logements sociaux »).

Dans ces conditions, la seule illégalité dont est entachée la décision de préemption litigieuse tient à l’incompétence de son auteur et la même décision aurait pu être légalement prise par l’autorité compétente.

Vous ne pourrez donc que rejeter les conclusions indemnitaires présentées par la SAS Best Place, puisque le préjudice qu’elle allègue ne peut être regardé comme la conséquence directe du vice qui entache la décision administrative illégale.

J’ajoute que si dans le dernier état de ses écritures, non communiquées, l’appelante se prévaut de la décision CE, 13 juin 2022, Immotour, req. no 437160, mentionné aux tables qui reconnaît un droit à indemnisation ouvert même sans faute du fait des décisions légales de préemption, contrairement à ce qu’elle soutient, ce droit à indemnisation n’est ouvert qu’aux seuls vendeurs, en cas de renonciation à l’acquisition de l’immeuble par le titulaire du droit de préemption, et à la condition que les vendeurs aient subi de ce fait un préjudice grave et spécial excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine. Nous ne nous trouvons assurément pas dans cette hypothèse.

Par ces motifs, je conclus au rejet au fond de la requête (le préjudice allégué ne peut être regardé comme la conséquence directe du vice d’incompétence qui entachait la décision de préemption illégale).

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