Le doute doit profiter à la victime d’une infection nosocomiale

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Décision de justice

CAA Marseille, 2e chambre – N° 22MA01658 – 12 avril 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA01658

Numéro Légifrance : CETATEXT000049410597

Date de la décision : 12 avril 2024

Index

Mots-clés

maladie nosocomiale

Rubriques

Responsabilité hospitalière

Résumé

CAA, Marseille, 12 avril 2024, MA, M. B, Mme B, no 22MA01658.

Pour l’application des dispositions des articles L. 1142-1 et L. 1142-1-1 du code de la santé publique, doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge. Il n’y a pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection a le caractère d’un accident médical non fautif ou a un lien avec une pathologie préexistante.

En l’espèce, la cour a jugé, en s’appuyant sur le rapport d’expertise judiciaire, en premier lieu que l’infection dont a été victime le requérant, et dont les premiers signes se sont manifestés quelques jours seulement après sa sortie de l’hôpital, est survenue au cours ou au décours de sa prise en charge. La cour a relevé en deuxième lieu qu’il n’était pas établi que la bactérie était présente ou en incubation sur le site opératoire au début de la prise en charge. Elle considère, enfin, alors qu’il n’est pas établi que la migration du germe jusqu’à la prothèse serait imputable à une pathologie dont souffrait la victime, et que le doute doit lui profiter, qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’infection aurait une autre origine que la prise en charge. Par conséquent, pour la cour, l’infection bactérienne en cause constitue une infection nosocomiale.

Conclusions contraires

Allan Gautron

Rapporteur public

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DOI : 10.35562/amarsada.591

S’étant déjà vu implanter un clou « gamma » à la suite d’une fracture du col du fémur survenue sept ans plus tôt, feu M. A a bénéficié le 14 décembre 2012, au sein du centre hospitalier d’Aix‑en‑Provence, de la mise en place d’une prothèse totale de hanche après ablation dudit clou, du fait d’une coxarthrose évoluée. Alors que les suites de cette intervention avaient été simples, une douleur aiguë est apparue au cours de la verticalisation et une reprise chirurgicale a été réalisée le 19 du même mois en raison de la luxation de l’implant prothétique. L’intéressé regagnait finalement son domicilie le 24 suivant.

Un écoulement purulant au niveau de la cicatrice opératoire a, toutefois, rendu nécessaire, le 28 décembre 2012, un lavage de l’ensemble du champ opératoire et de la prothèse de hanche, l’exérèse des parties molles nécrotiques, de multiples prélèvements à visée bactériologique, ainsi que la mise en œuvre d’une antibiothérapie probabiliste dans l’attente des résultats d’analyse des prélèvements. Le syndrome infectieux a néanmoins persisté, de même qu’après la mise en œuvre d’une antibiothérapie ciblée, la présence d’une entérobactérie Klebsiella pneumoniae ayant été constatée au sein des prélèvements réalisés. Le 7 janvier 2013, feu M A subissait alors une nouvelle intervention au sein du même établissement de soins, en vue du lavage de la plaie et de la prothèse, avec la réalisation de nouveaux prélèvements.

Puis, le 16 septembre de la même année, une radiographie de contrôle a mis en évidence la survenue d’une calcification péri-prothétique débutante et le 24 du même mois, un scanner révélait l’ankylose totale de la hanche avec présence de calcifications périarticulaires volumineuses.

Ce n’est, par ailleurs, que le 9 octobre 2013 qu’il était mis fin au traitement antibiotique.

L’intéressé est décédé le 5 novembre 2015, après avoir été réhospitalisé du fait de la décompensation d’un insuffisance respiratoire aiguë après une bronchite, sans lien avec les pathologies que nous venons de mentionner.

Sa veuve et ses enfants ont obtenu du juge des référés de cette cour, selon ordonnance du 2 juin 2017, la réalisation d’une expertise médicale, qui leur avait été initialement refusée par celui du tribunal administratif de Marseille le 31 mai 2016. L’expert commis a déposé son rapport le 24 décembre 2019. Nous précisons que cette expertise judiciaire faisait suite à une première expertise, amiable et contradictoire, organisée par l’assureur du centre hospitalier d’Aix-en-Provence et qui a donné lieu au dépôt d’un rapport le 11 mai 2015.

Mais, mécontents de ses conclusions, les intéressés ont sollicité une expertise complémentaire auprès du même tribunal, outre l’indemnisation par l’établissement de soins de leurs préjudices propres et de celui de leur auteur consécutif à la perte de chance subie par lui de renoncer à l’intervention précitée, en raison d’un défaut d’information. Ils relèvent régulièrement appel devant vous du jugement du 11 avril 2022 ayant rejeté l’ensemble de ces demandes.

Il résulte, en outre, de l’instruction, notamment desdites expertises, que l’infection litigieuse, résultant de la contamination du site opératoire, n’est pas survenue au cours ou au décours des interventions chirurgicales dont il a bénéficié les 14 et 19 décembre 2012, mais dans un cadre « post-opératoire », du fait de la contamination à partir de la flore du patient alité via son périnée et par voie rétrograde au travers de sa cicatrice jusqu’en profondeur du foyer chirurgical pour atteindre la prothèse qui lui a été implantée.

Certes, sous l’empire des dispositions des articles L. 1142-1 et L. 1142-1-1 du code de la santé publique, il est indifférent que le germe à l’origine d’une infection soit exogène ou endogène, pour reconnaître son caractère nosocomial (v. CE 21 juin 2013, centre hospitalier du Puy-en-Velay, no 347450), seules comptant, d’une part, l’apparition de cette infection, sans qu’elle soit préexistante, « au cours ou au décours » de la prise en charge du patient (v. Sect. 23 mars 2018, Mme Bazizi épouse Telali, no 402237 ; CE, 21 juin 2013, centre hospitalier du Puy-en-Velay, préc. ; CE, 1er février 2022, M. Israël, no 440852) et d’autre part, l’absence de démonstration de ce que celle-ci aurait une cause étrangère à la prise en charge, cette dernière notion se confondant avec la force majeure (v. CE 10 octobre 2011, centre hospitalier universitaire d’Angers, no 328500).

Mais précisément, il résulte de ce qui précède que feu M. A n’a pas été contaminé lors de son séjour à l’hôpital mais une fois sorti de ce dernier, tous les éléments expertaux convergent vers une autocontamination de ce patient sur un terrain fragilisé, en relevant par ailleurs l’absence de tout élément objectif en faveur d’une contamination hospitalière antérieure.

Les deux rapports d’expertise susmentionnés relèvent ainsi de manière aussi convergente qu’univoque, que l’entérobactérie commensale de l’homme identifiée comme étant à l’origine de l’infection en litige a une « porte d’entrée » soit digestive, soit urinaire, qu’elle ne ressemble pas à un germe de l’écosystème hospitalier et qu’elle n’existe pas au niveau de la surface cutanée. Ils relèvent également l’absence d’élément objectif caractérisant un phénomène digestif ou urinaire lors du séjour de ce patient au sein du centre hospitalier d’Aix-en-Provence. Enfin, il est constant que le syndrome infectieux n’est apparu que plusieurs jours après que l’intéressé avait regagné son domicile.

Dans ces conditions, il n’a pas été infecté « au cours ou au décours » de sa prise en charge. Par suite, ladite infection, qui a une autre origine que la prise en charge de ce patient par le centre hospitalier d’Aix-en-Provence, ne peut être qualifiée de nosocomiale (v. encore, à propos d’une autocontamination également, ne présentant pas de caractère nosocomial alors même qu’elle était survenue en milieu hospitalier, dès lors qu’elle était sans lien avec la prise en charge : CE 23 mars 2018 préc. et les éclairantes conclusions de Mme Marion dans cette affaire).

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