Taxe annuelle sur les logements vacants : que sont des travaux importants, dont la charge incomberait nécessairement au détenteur du logement et susceptibles de rendre habitable ce logement ?

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Décision de justice

CAA Marseille, 3e chambre – N° 22MA01897 – 03 octobre 2024

Juridiction : CAA Marseille

Numéro de la décision : 22MA01897

Numéro Légifrance : CETATEXT000050320524

Date de la décision : 03 octobre 2024

Index

Mots-clés

taxe sur les logements vacants, caractère habitable du logement

Rubriques

Fiscalité

Résumé

CAA, Marseille, 3 octobre 2024, SAS VH Antibes, no 22MA01897 (pourvoi).

La taxe annuelle sur les logements vacants, prévue à l’article 232 du code général des impôts, est due, dans les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, pour chaque logement vacant depuis au moins une année, au 1er janvier de l’année d’imposition. Elle n’est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable. Ces dispositions ont été interprétées par le Conseil constitutionnel, comme ne pouvant assujettir à cette taxe les logements qui ne pourraient être rendus habitables qu’au prix de travaux importants et dont la charge incomberait nécessairement à leur détenteur, ni ceux dont la vacance est imputable à une cause étrangère à la volonté du bailleur, faisant obstacle à leur occupation durable, à titre onéreux ou gratuit, dans des conditions normales d’habitation, ou s’opposant à leur occupation, à titre onéreux, dans des conditions normales de rémunération du bailleur.

Concernant une maison de maître de 1 567 m², dotée de deux bâtiments annexes de 190 m² et 50 m² avec jardin d’agrément attenant de 11 615 m² et piscine de 140 m², ayant conduit à l’assujettissement de son propriétaire à la taxe sur les logements vacants au titre des années 2018 et 2019, la cour a d’abord constaté qu’au titre des années d’imposition en litige, elle n’était pas habitable en l’état, puisque notamment dépourvue d’installations électriques, d’eau courante et d’équipements sanitaires permettant son usage à fin d’habitation.

Mais pour prétendre que la propriété ne pourrait être rendue habitable qu’au prix de travaux importants lui incombant nécessairement, le propriétaire n’a produit devant la cour aucun élément permettant d’apprécier la nature et le prix des travaux qui resteraient à réaliser pour rendre le bien habitable, des travaux nécessaires à l’installation ou à la réfection des équipements sanitaires, du chauffage, de l’électricité, de l’eau courante et des menuiseries extérieures permettant des conditions d’habitabilité normales, alors que le dossier montre que budget estimé par un architecte devait permettre de réaliser une villa de luxe et non pas seulement de la rendre habitable, le choix de retenir un budget de réalisation d’une villa de luxe étant de la seule responsabilité du propriétaire.

La cour en a déduit que le bien en cause n’était pas inhabitable au cours des années d’imposition, au sens des dispositions précitées de l’article 232 du code général des impôts telles qu’interprétées par le Conseil constitutionnel et que c’est à bon droit que son propriétaire a été assujettie à la taxe sur les logements vacants au titre des années 2018 et 2019.

Conclusions du rapporteur public

Didier Ury

Rapporteur public

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DOI : 10.35562/amarsada.530

Pour la taxe sur les logements vacants, les travaux nécessaires pour rendre le logement habitable sont ceux qui sont strictement nécessaires à son occupation, dans des conditions normales d’habitation. Les travaux pour rendre habitable de manière luxueuse une villa de caractère exceptionnel n’entrent pas dans l’exigence précitée.

La société par actions simplifiées (SAS) VH Antibes est propriétaire depuis 2008 d’un bien immobilier au Cap d’Antibes, constitué d’une maison de maître de 1 567 m² et de deux bâtiments annexes de 190 m² et 50 m², implantés sur un jardin d’agrément de 11 615 m², et doté d’une piscine de 140 m². Elle a été assujettie à raison de ce bien à la taxe sur les logements vacants au titre des années 2018 et 2019, pour un montant total de 42 833 euros. Par un jugement no 1903340 et 2005137, le tribunal administratif de Nice a déchargé la société des impositions contestées. Le ministre chargé du budget relève appel de ce jugement.

La taxe annuelle sur les logements vacants, créée par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, et régie par les dispositions codifiées à l’article 232 du code général des impôts, est instituée dans les communes appartenant à des zones d’urbanisation continue de plus de 200 000 habitants où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande d’habitation. La taxe est due, dans ces communes, dont la liste est fixée par décret, pour chaque logement vacant depuis au moins deux années consécutives, sauf lorsque cette vacance est indépendante de la volonté du contribuable.

La taxe est assise sur la valeur locative du logement au sens de l’article 1409 du code général des impôts, qui lui-même fixe l’assiette de la taxe d’habitation. Le but poursuivi par la mesure est de faciliter la mise sur le marché locatif de logement. Le produit net de cette taxe est versé à l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat. Il résulte des dispositions du II de l’article 232 du code général des impôts, que la situation de vacance s’apprécie au 1er janvier de l’année d’imposition.

Dans sa décision 98-403 DC du 29 juillet 1998 (décision dite Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions), le Conseil constitutionnel a déclaré le dispositif conforme à la Constitution, sous réserve du respect de certaines conditions tenant notamment aux caractéristiques des logements entrant dans le champ d’application de la taxe.

Après avoir rappelé l’objet de la taxe, le Conseil constitutionnel a précisé que celle-ci ne peut frapper que des logements habitables vacants et dont la vacance tient à la seule volonté de son détenteur. Il a ainsi précisé que ne pouvaient être assujettis des

« logements qui ne pourraient être rendus habitables qu’au prix de travaux importants et dont la charge incomberait nécessairement à leur détenteur » ainsi que des « logements dont la vacance est imputable à une cause étrangère à la volonté du bailleur, faisant obstacle à leur occupation durable, à titre onéreux ou gratuit, dans des conditions normales d’habitation, ou s’opposant à leur occupation, à titre onéreux, dans des conditions normales de rémunération du bailleur ».

Il résulte de la jurisprudence des juges du fond que, dans le cas où le local nécessite des travaux importants, il faut aussi, pour que la vacance puisse être regardée comme involontaire, que le propriétaire n’ait pas été en mesure de réaliser les travaux ou que le processus soit en cours. Ainsi, lorsque le contribuable fait état de travaux importants indispensables pour rendre son logement habitable, il doit établir avoir effectué les démarches nécessaires pour réaliser ces travaux ou avoir été empêché de le faire (CAA, Marseille, 13 octobre 2022, EURL La maison de Verre, no 20MA04711 ; CAA, Paris, 29 septembre 2009, SNC Rueil Invest, no 07PA03836 ; CAA, Paris, 20 octobre 2011, SCI Marionnaux, no 10PA03138).

La charge de la preuve du mal-fondé de l’imposition pèse donc sur le contribuable (CAA, Toulouse, 14 mars 2024, Me Aussel, liquidateur judiciaire de la société MJ, no 22TL00552 ; CAA, Paris, 29 septembre 2009, SNC Rueil Invest, préc.).

La cour administrative d’appel de Paris a admis l’exonération de taxe sur les logements vacants pour des appartements insalubres pour lesquels le coût des travaux de remise en état était très élevé, notamment au regard de la circonstance que le propriétaire ne disposait pas des ressources nécessaires pour financer ces travaux (CAA, Paris, 18 juin 2007, Mme Freton, no 05PA04248). La cour administrative d’appel de Bordeaux a également exonéré de taxe les propriétaires de logements ne pouvant être loués du fait de leur état de dégradation, et de leur absence d’aménagements, après avoir relevé que les contribuables avaient engagé les démarches nécessaires à la réhabilitation (CAA, Bordeaux, 22 juin 2006, Indivision Rotulo, no 03BX01191).

En l’espèce, la villa « Hier » qui bénéficie d’une page sur Wikipedia, ce qui est un signe indéniable de notoriété, a été construite dans la première moitié du XXe siècle, et a été réaménagée en 1951 pour un marchand d’armes britannique. Elle est inscrite à l’inventaire général du patrimoine culturel. Elle appartiendrait désormais à un oligarque russe, sénateur de ce pays, via une holding suisse, qui aurait également acquis trois autres villas dans un environnement proche. Selon certains journaux, l’achat déclaré de cette propriété pour 35 millions d’euros, aurait été consenti avec un dessous-de-table de près de 90 millions d’euros, ce qui fait quand même 135 millions au total.

Vous avez compris que le dossier qui est soumis à votre appréciation n’est pas une banale affaire de taxe sur les logements vacants, comme les juridictions peuvent habituellement en connaître, eu égard au caractère somptueux de ce bien immobilier, remarquable par son emplacement, puisque bien que situé sur une hauteur, il est « les pieds dans l’eau », et il bénéficie d’une vue sur mer imprenable, outre que sa construction illustre le style très particulier et éclectique des belles villas de la côte d’azur de la Belle Époque.

Pour prononcer la décharge des impositions contestées, les premiers juges ont relevé qu’il résultait de l’instruction et, notamment, des procès-verbaux établis le 17 janvier 2017, le 18 décembre 2018 et le 21 janvier 2020 par un huissier de justice, produits par la société requérante, lesquels ont été corroborés par des photographies, qui montrent des sols, escaliers et murs bruts, ainsi que des installations électriques et sanitaires qui ne sont pas terminées, que le bien litigieux, qu’il s’agisse de la villa principale ou de ses annexes, était, au 1er janvier 2018 et au 1er janvier 2019, dépourvu d’installation électrique, de plomberie, de sanitaire et de cuisine. Le tribunal a également indiqué que la circonstance que la société ne justifierait pas que le bien ne pourrait être rendu habitable qu’au prix d’importants travaux, n’est pas de nature à remettre en cause le caractère inhabitable de ce bien.

Le ministre fait valoir que le bien est habitable, et qu’à le supposer inhabitable, il pourrait l’être au prix de travaux qui pourraient être supportés par son propriétaire.

Il est d’évidence que la taxe sur les logements vacants qui a été instaurée pour inciter à mettre sur le marché des biens vides de toute occupation, mais susceptibles d’être loués, n’a pas été pensée pour la villa « Hier ». Toutefois, il vous faut appliquer la règlementation applicable en la matière, même si le bien en cause est manifestement en décalage par rapport à l’intention du législateur. Au regard des éléments du dossier, et notamment des constats d’huissier et des photographies annexées, vous êtes certains que la villa et ses annexes n’étaient pas habitables au 1er janvier de chacune des années en litige, puisque les constructions, si elles sont hors d’eau et hors d’air, sont dépourvues d’installations électriques, d’eau courante et d’équipements sanitaires, éléments qui sont seuls de nature à permettre un usage à fin d’habitation. Nous sommes étonnés de constater qu’un tel bien soit laissé dans un relatif état d’abandon, puisqu’en définitive, il n’est qu’une coquille vide. Cette situation résulte peut-être et même certainement des complications judiciaires liées aux questionnements sur les conditions de son achat, les journaux se faisant l’écho de blanchiment d’argent, et donc de la volonté de ne pas engager d’investissements en raison des incertitudes dues à son éventuelle saisie par les autorités françaises. Sur ce point, le ministre vous indique qu’une ordonnance de validation d’une convention judiciaire d’intérêt public conclue le 11 mai 2020, a démontré une acquisition occulte de la propriété pour un montant de 127 millions d’euros, en sus des 35 millions officiels.

Il vous faut donc apprécier si le contribuable établi que la vacance de la villa au cours des deux années en litige, a été indépendante de sa volonté, eu égard notamment à la nécessité de travaux pour rendre le logement habitable, et au coût de tels travaux éventuels, compte tenu de ses capacités financières. Sur ce point précis, vous avez jugé par votre décision du 13 octobre 2022, no 20MA04711, EURL La maison de Verre, que les travaux nécessaires pour rendre le logement habitable, sont ceux qui sont « strictement nécessaires à l’occupation du logement […], dans des conditions normales d’habitation ». Enfin, nous devons vous préciser qu’une instruction fiscale référencée BOI-IF-AUT-60 du 11 mars 2014, paragraphe 60, indique que lorsque l’importance des travaux à réaliser pour rendre le logement habitable atteint ou excède 25 % de sa valeur vénale au 1er janvier de l’année d’imposition, la vacance doit être admise. La société revendique pour sa part un coût de travaux à engager excédant ses capacités contributives, et elle s’appuie notamment sur l’interprétation administrative de la loi fiscale susmentionnée. Pour étayer son moyen, elle produit un document intitulé « budget de base des travaux TCE » établi par un architecte en 2015, qui fait état d’un montant de travaux à réaliser de 23 300 232 euros, ainsi que deux rapports d’actualisation de la valeur vénale de la villa par un expert immobilier, au 1er janvier de chacune des années d’imposition. De ces documents, il résulte que la valeur vénale de la propriété est de 53 200 000 euros, et que les travaux restant à réaliser s’élèvent à 17 583 600 euros.

Nous ne pensons pas que vous puissiez donner raison à la société. En effet, d’une part, les travaux de gros-œuvre relatifs aux murs, charpentes et toitures, planchers ou circulations intérieures, ont déjà été réalisés au 31 décembre 2015 pour la somme de 3 850 475 euros, la société ayant obtenu un permis de construire plusieurs fois prorogé. Ensuite, le devis de budget de travaux a été établi, selon les énonciations même du cabinet d’architecte qui l’a réalisé, pour aboutir à une villa de luxe. Vous trouvez ainsi notamment la réalisation d’un ascenseur, d’un hammam, d’un sauna, d’un salon de télévision pour la somme de 611 400 euros, ainsi que d’une cuisine pour 417 500 euros, outre des luminaires intérieurs et extérieurs pour 950 000 euros, et une prestation dite de « sécurité périphérique » pour deux millions d’euros. Le devis produit va donc bien au-delà des travaux nécessaires pour rendre ce bien habitable, puisqu’il s’agit sans conteste de réaliser un bien d’exception, et que les aménagements projetés, qui sont indéniablement en rapport avec le prestige de la villa, relèvent du bon plaisir du propriétaire. Pour sa part, le ministre n’admet qu’une somme de 8 998 771 euros de travaux, sur un budget initial de 17 583 600 euros, étant rappelé que le bien vaut a minima 53 millions d’euros.

Il nous semble que vous n’avez pas à arbitrer le débat des parties sur le niveau des dépenses à engager, qui satisferaient ou pas au critère de l’habitabilité, puisque à notre sens, dans les deux cas, ils sont somptuaires, puisque par les seuls documents produits, la société n’apporte aucun élément permettant d’apprécier la nature et le prix des seuls travaux, permettant de rendre le bien simplement habitable, notamment s’agissant de l’installation ou de la réfection des équipements sanitaires, du chauffage, de l’électricité, de l’eau courante et des menuiseries extérieures, dans des conditions normales. Dans ces conditions, eu égard à l’imprécision du devis quant à la consistance comme au montant des travaux, la société n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, que ces travaux seraient d’une importance telle que la taxe sur les logements vacants ne pourrait lui être appliquée, ni que leur montant excéderait de 25 % la valeur vénale de l’immeuble, laquelle est d’ailleurs discutée par le ministre, qui la porte à la somme de 127 millions d’euros.

D’autre part, aucun élément ne vient démontrer que la vacance aurait été indépendante de la volonté du propriétaire, s’agissant de l’interruption des travaux, ou de la réalisation des travaux strictement nécessaires pour rendre le logement habitable, notamment au regard de son incapacité à les financer.

S’agissant de l’interprétation administrative de la loi fiscale, à supposer que la société vienne sur ce moyen, en premier lieu, elle n’est pas fondée à soutenir, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, que l’instruction fiscale ci-avant référencée, s’oppose à l’assujettissement du logement en litige à la taxe sur les logements vacants, dans la mesure où le montant des travaux nécessaires pour le rendre habitable excède 25 % de sa valeur vénale, dès lors que, ainsi qu’il a été dit ci‑dessus, les éléments produits à l’instance ne sont pas de nature à établir de façon suffisamment précise ni ce montant, ni cette valeur.

En deuxième lieu, si la société entend se prévaloir de la décision portant le dégrèvement de la taxe sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre de l’année 2022, une telle décision, qui ne comporte aucune motivation, ne constitue pas une prise de position formelle sur la situation de fait d’un contribuable. Elle ne peut donc pas utilement s’en prévaloir (CE 9 mai 1990, Sabatier, no 57372, RJF 7/90 no 843, aux conclusions du président Martin in DF 1991 no 8 comm. 322 ; CE 8 mars 2002, SA Silmeca, no 221667, RJF 6/02 no 681, aux conclusions de G. Goulard in BDCF 6/02 no 84 ; CE 6 octobre 2008, Petit, no 290048).

Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que, c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a déchargé la société des taxes litigieuses. Pour les mêmes motifs, vous devez remettre à la charge de la société la taxe sur les logements vacants à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019, et vous ne pouvez pas lui accorder le remboursement des frais de procès qu’elle demande.

Telles sont nos conclusions dans cette instance.

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